Et comment est mort Mohamed
Ibn Is
hâq (m. ~770) rapporte cet épisode dans la première œuvre islamique du genre intitulée
Sîrat Rasoul Allah. C'est la plus ancienne source connue sur le sujet. - Citation :
- Lorsque l’Envoyé d’Allah a tout réglé, Zaynab bint al-Hârith, la
femme de Sallâm b. Mishkam, lui fit cadeau d’une brebis grillée. Elle
s’était informée auparavant sur la partie de la brebis que l’Envoyé
d’Allah aimait le plus, et on lui dit que c’est le bras. Alors elle y
mit beaucoup de poison, tout en empoisonnant le reste de la brebis.
Elle l’apporta et quand elle la mit entre les mains de l’Envoyé d’Allah,
il prit le bras de la brebis, il en mâcha un morceau qu’il ne trouva
pas facile à avaler. Avec lui se trouva Bishr b. al-Barâ’ b. Ma’rûr,
qui en a pris comme l’Envoyé d’Allah mais il l’avala. Quant à l’Envoyé
d’Allah, il rejeta le morceau qu’il avait pris, et dit : « cet os
m’informe qu’il est empoisonné ». Il appela Zaynab bint al-Hârith
et la questionna ; elle avoua. Il lui dit : « qu’est-ce qui t’a amené
à faire cela ? » Elle répondit : « tu as fait contre mon peuple ce qui
n’est pas caché à toi. Alors je me suis dit : s’il était un roi, je me
serai débarrassé de lui ; et s’il était Prophète, il serait averti ».
L’Envoyé d’Allah passa outre à la croire. Quant à Bishr il mourut pour
suite de ce qu’il avait mangé.
Zaynab, lorsque Mohamed l’interrogea sur la raison de son geste, dit : «
tu as tué mon père, mon oncle et mon mari » (
Kitâb al-maghâzi p.334, et At-Tabaqat al-Kobra, Ibn Sa’d, Volume II, p.252, translated by S. Moinul Haq assisted by H. K. Ghazanfar, Kitab Bhavan, 1972.)
Le récit d’Ibn Is
hâq rapporte que Mohamed dit longtemps après cet épisode: «
Ô ‘Aicha, je sens toujours la douleur
provoquée par la nourriture que j’ai mangé à Khaybar, et maintenant,
c’est comme si le poison avait sectionné mon aorte », « j’ai (
Anas bin Mâlik) continué d’observer les effets du poison sur le palais de la bouche du Messager de Dieu »
(Sahih al-Boukhâri 4166 et 2474 )Concernant le sort de Zaynab, les sources diverges : Quelqu’un a dit : "
le Messager de Dieu a ordonné qu’elle soit tuée puis crucifiée. Un autre a dit qu’il l’a pardonnée » mais c'est la première opinion qui s'est imposée : « l
’Envoyé de Dieu l’a
livrée aux héritiers de Bichr bin al-Barâ’ qui l’ont mise à mort. C’est
la version approuvée parmi nous », écrit Ibn Sa’d (
At-Tabaqat al-kobra, vol. II, p.252)
- Citation :
- Ibn Sahnoun a dit : l’ensemble des gens du hadith disent que le
Messager de Dieu l’a tuée. Le qâdi ‘Iyâd a dit : l’avis de la majorité
est entre ces narrations.
Les premiers disent qu’il ne l’a pas tuée au
début lorsqu’il s’est avéré qu’elle l’avait empoisonné, et on lui a
dit : « tue-la » et il a répondu : « non ». Quand Bichr bin al-Barâ’
est mort, le Prophète l’a donnée à la famille de Bichr et ils l’ont
tuée en représailles. Alors ils ont raison de dire qu’il ne l’a pas
tuée, c’est-à-dire, pas sur le coup, et ils ont raison de dire qu’il
l’a tuée, c’est-à-dire, après coup, et Allah sait mieux.
(
‘Awn al-Ma’boud charh Sunan Abi Dâwoud, Mohammad Shams al-Haqq al-‘Azîm Abâdi, volume 12, p.149, n°4510, at-tab’a ath-thâniyya, Dâr al-Kotob al-‘Ilmiya, 1415)
La tradition relate que le Prophète fit diverses
tentatives de guérison qui se révélèrent malheureusement pour lui toute
infructueuses. Il se faisait faire des saignées par Abou Hind, un
esclave des Banou Biyyâdha, dans un but thérapeutique : «
quand le
Messager de Dieu se sentait malade suite à cela, il se faisait faire
des saignées. Une fois, il a voyagé en état d’ihrâm et il s’est senti malade à cause de cela, il a procédé à une saignée »
( Mosnad Ahmad 27853. Voir aussi Sunan Abi Dâwoud 4510.), et il récitait le Coran en accomplissant un rituel pour le moins étrange :
<blockquote>
D’après ‘Aïcha, lorsque le Messager de Dieu
tombait malade, il avait l’habitude de réciter les Mou’awwidhât (les
sourates 113 et 114) et soufflait son haleine sur lui-même après les
avoir récitées, et il se frottait les mains sur son corps. Et lorsqu’il
fut atteint de sa maladie mortelle, je me mis à réciter ces sourates
et je soufflais de mon haleine sur lui et faisait passer sa main sur son
corps.
( Abrégé de Sahih al-Boukhâri, p.729-730, n°1704, traduit de l’arabe par le Dr. Diah Saba Jazzar, Éditions Al-Biruni, 2010) - Citation :
- Mais sa plus grande désillusion fut la mixture infecte qu’il s’était
concocté, une sorte d’antibiotique hijazien, qui ne fit guère de
miracle : « au nom de Dieu, l’argile de notre terre mélangée à la
salive de quelques-uns d’entre nous guérira nos maladies avec la
permission de Dieu »16. N’ayant plus aucun espoir, ses
proches et lui-même s’en remirent à Dieu. ‘Aicha invoquait le Seigneur
pour son rétablissement, de même que l’ange Gabriel qui était persuadé
que le Créateur répondrait à sa supplication : « au nom de Dieu, je
chante pour te défendre contre tout mal qui t’atteint et contre les
envieux et le mauvais œil et Dieu te guérira »(Ibid). Il existait pourtant un remède à la maladie de Mahomet mais celui-ci rechigna à le prendre. C’était la pleurésie (dhât al-janb)
qui avait frappé le Prophète, une pathologie qui se manifeste par une
inflammation de la plèvre, accompagnée de fièvre et de frissons si elle
est d’origine infectieuse. Or, l’Envoyé de Dieu présentait ces
symptômes, il se frottait le corps à cause de ses grelottements et était
très fiévreux( Sahih al-Boukhâri 5323). Cette maladie était répandue du temps de Mahomet et fit même souffrir le compagnon Anas bin Mâlik (m. 712)(Ibid. 5389).
Les gens savaient par conséquent détecter les signes avant-coureurs de
l’affection et l’entourage du Prophète l’avait sans aucun doute
diagnostiqué. Ses proches se concertèrent alors sur la meilleure
stratégie à adopter :
</blockquote>
- Citation :
- ‘Abd Allah dit : alors s’assemblait autour de lui deux de ses femmes, à
savoir : Umm Salamah et Maymûnah, et des femmes de parmi les femmes
musulmanes, parmi lesquelles se trouvaient : ‘Asmâ’, fille de ‘Umays.
Son oncle paternel : Al-‘Abbâs était présent aussi. Ils décidèrent tous
d’introduire le médicament dans sa bouche. Al-‘Abbâs
dit : « j’introduirai moi-même le médicament dans sa bouche ». Lorsque
l’Envoyé d’Allah revint de son évanouissement, il dit : « qui m’a fait
cela ? » On répondit : « c’est ton oncle paternel, Ô Envoyé
d’Allah ! » L’Envoyé d’Allah dit alors : « ce médicament fut apporté
par des femmes qui venaient de cette terre-là ». Il référa à la terre
d’Éthiopie. Puis il dit : « pourquoi avez-vous fait cela ? » Son oncle
paternel al-‘Abbâs répondit : « nous craignions que tu fusses atteint
de pleurésie ». L’Envoyé d’Allah dit : « c’est une maladie dont Dieu ne
me frapperait pas. Que personne dans la maison ne reste sans qu’on
introduise le médicament en sa bouche, à l’exception de mon oncle
paternel ! » On introduisit le médicament dans la bouche de Maymûnah
également malgré le fait qu’elle était en jeûne – à cause du serment de
l’Envoyé d’Allah, comme châtiment infligé à eux, par suite de ce
qu’ils avaient fait.
(
La vie du Prophète Muhammad, Ibn ‘Ishaq, Tome II, p.576. Voir aussi Sahih al-Boukhâri 5382.)
____________________________________
D’autres traditions innocentent al-‘Abbâs et
accusent Oumm Salama, ‘Asmâ’ bint ‘Omays, ainsi qu’Aicha, d’avoir
administré la potion dans la bouche du Prophète contre son gré. Mahomet
connaissait le remède qu’il avait avalé lorsqu’il était dans les
vapes, et en avait même fait les éloges : « utilisez cet encens indien
(al-‘oud al-hindi) qui guérit de sept maux : que celui qui a un mal de
gorge le sniffe, et que celui qui souffre de la pleurésie en mette dans
le coin de la bouche »
21. Ibn Sa’d note que la médication
est composée de bois d’Aloès, de memecylon tinctorium (une plante
indienne) et de quelques gouttes d’huile d’olive. Elle eut un effet
bénéfique sur la santé du Prophète puisque ce dernier se sentit mieux
quelques temps après
22, preuve que son cercle familial avait vu juste. Enfin, une tradition d’Abi Ya’la al-Maw
sili
(m. 919) confirme l’origine du décès et démontre que la vérité ne fut
pas encore étouffée au Xe siècle : « ‘Aicha a rapporté : le Messager
de Dieu est mort d’une pleurésie »
23. Le hadith a bien évidemment été classifié «
mounkar », littéralement «
rejeté », par les
mouhaddithoun étant donné qu’il contredit les récits dit « authentiques » forgés a
posteriori. De manière à corroborer la version officielle commandée par
le califat, les légendologues Al-Wâqidi et Ibn Sa’d font dire à
Mahomet que la pleurésie « indique la possession de Satan »
24, pendant que le traditionnaliste A
hmad
ibn Hanbal emprunte le nom du très respecté Ibn Mas’oud (m. ~652) :
« si je devais jurer par Dieu neuf fois que le Messager de Dieu a été
tué, cela m’est plus agréable que de le jurer une seule fois, car Dieu a
fait de lui un Prophète et un martyr »
25, et c’est ainsi,
par le moyen de la tradition, que l’orthodoxie va finalement faire
disparaitre de la mémoire collective une conviction du début du VIIIe
siècle, au profit de l’adaptation d’Ibn Is
hâq qui mettra plus de deux cents ans à s’imposer après d’houleuses querelles religieuses.
Remaniement chiite Les disciples du calife ‘Ali bin Abi
Tâlib (m. 661)
mélangent à la fois miracles et rationalité. Dans la biographie chiite
du Prophète, lorsque Bichr mourut, Mahomet réunit ses compagnons autour
de lui et en appela à Dieu en ces termes : « au nom du Seigneur qui
donne la santé, la protection, et le pardon, sans qui rien ne peut
faire de mal, et il est l’omniscient »
26, puis ils mangèrent
tous à satiété sans que le poison ne les atteigne. Zaynab en fut
émerveillée et se convertit à l’islam en voyant cela. ‘Ali explique
que « Dieu a changé la part fâcheuse en salubrité jusqu’à ce que son
heure ne soit venue, quand enfin le poison a agi et lui a assuré la
récompense du martyr »
27. Les sources chiites dénombrent
plusieurs tentatives d’assassinat contre le Prophète, dont l’une d’entre
elles était de faire tomber l’Envoyé de Dieu d’une falaise escarpée
durant l’expédition de Tabouk :
<blockquote>
Arrivée à ‘Aqaba, les conspirateurs firent
rouler du haut de la colline des bouteilles qu’ils avaient remplies de
sable afin que la chamelle de Mahomet se cabre et l’éjecte, mais par la
puissance divine, elles rebondirent haut dans les airs et passèrent
au-dessus de la chamelle sans l’effrayer. Le Prophète ordonna à ‘Amr de
grimper sur la colline et de battre avec son bâton les chameaux des
conspirateurs. Ces chameaux se sont cabrés et ont jeté à terre leurs
cavaliers, certains eurent les bras cassés, d’autres les jambes, et
d’autres les côtes, et ils ont porté les marques de ces fractures
jusqu’à leurs tombes. Abou Bakr, ‘Omar, Abou Sofyân et son fils
Mou’âwiya, faisaient parti de ces conspirateurs.
28 </blockquote>
Un autre récit rapporte une tentative
d’empoisonnement manigancée par les infidèles ‘Aicha, Hafsa, Abou Bakr
et ‘Omar, leur mobile étant clairement de s’emparer du pouvoir. La
tradition sunnite consolide malgré elle l’hérésie chiite puisqu’elle
rappelle à maintes reprises que Mahomet soupçonnait ses proches, lors de
sa maladie, de vouloir l’empoisonner en forçant notamment toute les
personnes présentes – excepté al-‘Abbâs – à boire le remède contre la
pleurésie de peur que cela ne fusse une toxine mortelle. Cette crainte
s’était aussi manifestée sur la route de Tabouk
29. La
méfiance du Prophète à l’égard de son entourage a probablement inspiré
les partisans d’Ali dans la composition de leurs propres fables.
<blockquote>
Le Prophète fut autorisé à se rétracter de son
serment, en particulier dans le cas de Maria. Un jour, en visitant
Hafsa, elle quitta la pièce en laissant le Prophète et Maria ensemble. À
son retour, elle trouva la porte fermée, et quand Mahomet l’ouvrit,
son front ruisselait de sueur. Après cela, il s’abstenu de toutes ses
femmes pendant vingt neuf jours et jura de ne plus visiter Maria avec
laquelle il était resté pendant tout ce temps-là, puis il fut absout par
communication divine. Pour apaiser Hafsa, il lui dit, sur son serment
de confidentialité, qu’après lui Abou Bakr et ‘Omar usurperont le
califat, elle le répéta à ‘Aicha et toute les deux le dirent à leurs
pères, et ces quatre scélérats tentèrent d’empoisonner le Prophète,
mais Gabriel l’ayant prévenu fit échouer leur plan
30.
</blockquote>
Les extrémistes chiites ont réinterprété cette
histoire, dans l’intention d’affermir la doctrine dans le cœur des
croyants, en accablant les femmes et les compagnons du meurtre de
l’Envoyé de Dieu. Utilisant la même technique que leurs adversaires
sunnites, ils fabriquèrent différentes traditions qu’ils attribuèrent à
de prestigieuses personnalités de leur confession comme Ja’far a
s-
Sâdiq (m. 765) :
<blockquote>
L’imam a
s-
Sâdiq était assis avec un
groupe de ses disciples et leur demanda : « savez-vous si le Prophète
est mort d’une mort naturelle ou fut-il assassiné ? Dieu le
Tout-puissant dit : « s’il meurt ou s’il est tué ». La vérité est que
le Prophète fut empoisonné dans ses derniers jours avant de mourir.
‘Aicha et Hafsa ont administré du poison dans sa nourriture ». En
entendant cela, les élèves de l’imam a
s-
Sâdiq ont dit qu’elles et leurs pères étaient les pires créatures de Dieu. […] Al-Hosayn bin Mounthir a interrogé l’imam a
s-
Sâdiq
à propos de la parole de Dieu « s’il meurt ou s’il est tué,
retournerez-vous sur vos pas » : « cela veut-il dire que le Prophète
est mort d’une mort naturelle ou fut-il assassiné ? » L’imam a
s-
Sâdiq a répondu : « dans ce verset, Dieu se réfère aux compagnons du Prophète qui ont commis le crime ».
31</blockquote>
Si les extrémistes ont rejeté la première version,
c’est aussi parce qu’elle donne raison à Zaynab quand elle dit : « si
tu es un roi, je serais vengé, si tu es un prophète, la promesse de la
conquête de La Mecque et de d’autres lieux se réalisera, et Dieu te
protégera du poison que j’ai injecté dans cette épaule de mouton »
32,
et cela prouverait indiscutablement que Mahomet était un faux
prophète. Le savant duodécimain Mohammed Baqir Majlisi (m. 1698) a
tenté, pareillement à ses homologues de l’autre grand courant de
l’islam, de résoudre le désaccord entre les divers partis
religieux : « Mohammad est mort en martyr en goûtant une épaule de
mouton empoisonnée à Khaybar, c’est ce qui a causé sa mort. Lui-même a
déclaré que ni prophète ni successeur ne partira sans mourir en martyr.
Certains disent qu’Aicha et Hafsa – que Dieu les maudisse – ont
empoisonné le Prophète ; et il se peut qu’elles l’ont fait, bien qu’il
fut aussi empoisonné par la juive de Khaybar »
33. Si l’Envoyé
de Dieu est bel et bien décédé d’un empoisonnement, c’est la seconde
version chiite qui est objectivement la plus crédible.
Le message subliminal d’Ibn Ishâq « S’il était un roi, je me serai débarrassé de lui ; et s’il était
prophète, il serait averti », or, Dieu a prévenu trop tard son Messager
et il en est mort. Cela rappelle étrangement cette parole de
Jésus : « s’ils (
les croyants) boivent un poison mortel, il
ne leur fera pas de mal » (Marc 16.18), et le désagrément qu’a
rencontré l’apôtre Paul (Actes 28.3-6) confirme qu’un homme de Dieu,
selon la théologie chrétienne, ne peut être atteint par quelque
substance toxique que ce soit. Ibn Is
hâq souhaitait a priori
faire passer un message aux chrétiens, et cela devient encore plus
frappant lorsqu’il écrit que l’Envoyé de Dieu a dit : « Ô Umm Bishr !
Maintenant je sens que ma grande artère (
aorte) est coupée, par suite de la nourriture que j’ai mangé avec ton frère à Khaybar »
34.
L’historien, qui connaissait très bien le Coran, était au fait de
l’existence d’un passage dans lequel Dieu menace de sectionner l’aorte
de son Prophète si celui-ci ose lui attribuer injustement des paroles
qu’il n’a pas prononcées : « que ceci (le Coran) est la parole d’un
noble Messager, et que ce n’est pas la parole d’un poète, mais vous ne
croyez que très peu, ni la parole d’un devin, mais vous vous rappelez
bien peu. C’est une révélation du Seigneur de l’Univers. Et s’il avait
forgé quelques paroles qu’il Nous avait attribuées, Nous l’aurions saisi
de la main droite, ensuite,
Nous lui aurions tranché l’aorte. Et nul d’entre vous n’aurait pu lui servir de rempart » (69.40-47). Ibn Is
hâq
s’est vraisemblablement servi de cet extrait pour bâtir son mythe, et
de cette façon, révéla secrètement aux lecteurs du Coran que leur livre
n’est pas la parole de Dieu. Son grand-père Khyâr, avant de s’être
converti par intérêt à l’islam dans le but d’obtenir son
affranchissement, était un chrétien qui fut capturé au cours d’une
campagne de Khâlid bin al-Walîd, puis il fut déporté à Médine et vendu
en tant qu’esclave. Ibn Is
hâq est donc entré en contact avec la
religion de ses ancêtres par l’entremise de son grand-père. Le
petit-fils de Khyâr était un disciple d’Ibn Chihâb az-Zouhri (m. 742),
un traditionnaliste qui « se montrait fort accommodant quand il
s’agissait de couvrir les désirs du pouvoir régnant de son autorité
universellement reconnue dans la communauté musulmane »
35 en faisant circuler en son nom de fausses traditions. Étant précédé d’une grande notoriété auprès des
mouhaddihtoun, al-Boukhâri (m. 870) incorporait le maître du hadith dans ses chaines de transmissions
36. Ibn Is
hâq
avait probablement tissé des liens avec le pouvoir par l’intermédiaire
d’az-Zouhri et, par conséquent, rédigea la biographie du Prophète de
l’islam, dont la nécessité se faisait fortement ressentir, sur ordre du
calife, qui devait être al-Man
sour (m. 775). Son œuvre ne fut
pas appréciée de l’imam de Médine, Mâlik bin Anas (m. 795), qui
l’accusa d’avoir inventé des histoires tel que le pogrom des Banou
Qoray
za, bien que les deux
sahih y font référence de
même que le Coran (33.26). Mâlik avait aussi appris à fabriquer des
traditions sur les bancs de la classe d’az-Zouhri, puis il a rédigé,
sur la requête d’al-Man
sour,
al-Mouwatta’ qui est une compilation de
ahadith et un traité de jurisprudence. En réalité, le calife avait besoin d’une
loi islamique ainsi que d’une hagiographie afin d’asseoir son autorité
et de mettre un terme à la cacophonie religieuse ambiante, car les
schismes déstabilisaient l’empire et menaçaient sa couronne. Ibn Is
hâq
s’inspirait parfois de faits historiques pour imaginer ses légendes.
Le raid contre la forteresse juive de Khaybar, par exemple, se base sur
l’expédition d’Arethas, le ghassanide, qui détruisit la ville
chrétienne en 567
37. Son désaccord avec le savant de Médine contraignit Ibn Is
hâq
à s’exiler à Bagdad, où se situait le siège du califat, suite à de
fortes pressions subies de la part d’imams rangés aux côtés de Mâlik. À
cette époque, les croyants dans leur ensemble pensaient « que l’Envoyé
d’Allah fut mort comme martyr »
38.
Al-Mouwatta’ ne
mentionne ni Khaybar ni l’empoisonnement du Prophète, cependant, Mâlik
estimait pareillement à ses confrères que la pleurésie fit de Mahomet
un martyr :
<blockquote>
Il (l’Envoyé de Dieu) répliqua : « les
martyrs sont au nombre de sept à part celui qui lutte dans la voie de
Dieu, sont martyrs ceux qui meurent de la peste, dans une noyade, de
pleurésie, de colique, par le feu, par l’éboulement, et la femme qui
meurt en accouchant est martyre elle aussi.
39 </blockquote>
Ibn Is
hâq s’était joué du calife en
introduisant un message caché dans son ouvrage et obéissait en même
temps aux directives du pouvoir : créer un prophète belliciste et
persécuteur qui servira de modèle aux soldats fanatisés dans la
conquête du monde. Al-Mansour n’était pas tolérant vis-à-vis des autres
religions, les populations dhimmis juives et chrétiennes portaient une
marque distinctive sur les mains (« l’étoile jaune » islamique), et
étaient torturées par les percepteurs de la
jizya si elles ne
pouvaient payer l’assommant impôt d’humiliation. Aujourd’hui encore,
l’assassinat de l’Envoyé de Dieu est utilisé à des fins de propagande
antisémite : « cela est à ajouter aux crimes des juifs qui ne
connaissent aucune limite que ce soit dans l’antiquité ou aujourd’hui.
L’hostilité entre eux et nous durera jusqu’à ce que nous les combattions
et les tuions à la fin des temps, comme nous l’a dit le Prophète »
40.
Date de la mort Les débats autour de l’âge du Prophète à sa mort offrent une preuve
supplémentaire d’une construction élaborée du Prophète de l’islam.
Comment se pouvaient-ils que les musulmans ne connaissassent pas l’âge
exact de Mahomet, eux qui, d’après la tradition, allaient jusqu’à boire
le sang de leur idole ? L’ouvrage d’a
t-
Tabari (m. 923) nous transporte au cœur de ces démêlés entre ecclésiastiques :
<blockquote>
Les traditions ne sont pas d’accord sur l’âge
du Prophète, au moment de sa mort. Les uns disent qu’il avait
soixante-trois ans ; qu’il avait reçu sa mission à l’âge de quarante
ans ; qu’après cela il avait vécu encore treize ans à la Mecque et dix
ans à Médine. Cette tradition est la plus authentique. D’autres
prétendent qu’il avait soixante-cinq ans ; mais cette tradition n’est
pas exacte. D’autres encore disent qu’il avait soixante ans lorsqu’il
mourut.
41 </blockquote>
Al-Boukhâri mit un point final au pourparler en consignant un âge de soixante-trois ans
42.
Les biographies rapportent qu’il rendit son dernier souffle dans la
onzième année de l’hégire après treize jours d’une pénible agonie. Cela
correspondrait à l’an 632 de l’ère chrétienne, mais cette information
est démentie par au moins deux sources contemporaines qui attestent que
Mahomet était toujours en vie deux ans plus tard :
<blockquote>
Thomas le Presbytre, vers 640, parle des « Arabes de Muhammad » (
Tayâyê d-Mhmt)
à propos d’une incursion victorieuse à Gaza en 634, au cours de
laquelle le patrice de la troupe byzantine trouva la mort. À la même
époque et à propos de la même incursion, un autre document, écrit en
grec entre les années 634 et 640, parle du « prophète qui est apparu
avec les Saracènes ». Étant tout à fait indépendantes l’une de l’autre
mais s’ajoutant l’une à l’autre, ces deux informations concordantes
donnent à penser que Muhammad dirigea lui-même l’opération du secteur
de Gaza en 634. Pourtant, selon la chronologie présentée plus
tardivement par les sources islamiques, il serait mort deux ans
auparavant [632].
43</blockquote>
En écartant les légendes composées en second lieu,
on peut supposer que le véritable Mahomet est décédé d’une maladie – la
tradition tant sunnite que chiite l’admet – à Yathrib en 634 ou plus.
Peut-être que ce fut d’une pleurésie, c’est en tous les cas ce que
croyaient les
mouhajiroun du début du VIIIe siècle avant l’intronisation de la version d’Ibn Is
hâq.
L’hypothèse d’un assassinat demeure possible, les richesses que
Mahomet avait amassé durant ses expéditions auraient pu suscitées la
convoitise de ses proches, mais cela reste peu probable au vu des
éléments dont nous disposons, de plus, le Coran infirme cette théorie
car Dieu est normalement supposé protèger son Messager des personnes
malintentionnées (5.67).
21 Abrégé de Sahih al-Boukhâri, p.848, n°1966
22 Sahih al-Boukhâri 4189
23 Mosnad Abi Ya’la al-Maw
sili 4774
24 A
t-
Tabaqat al-kobra, vol. II, p.294
25 Mosnad A
hmad 3606
26 The life and religion of Mohammed, as contained in
the sheeah traditions of Hayât-ul-Kuloob, James L. Merrick, p.149,
Phillips, Sampson, and Company, 1850
27 Ibid. p.130
28 Ibid. p.303
29 Sahih al-Boukhâri 3198 et 3199. Selon le récit d’al-Wâqidi, le Prophète a insulté les personnes qui ont osé boire avant lui.
30 Hayât-ul-Kuloob p.354
31 Tafsîr al-‘Ayâchi 3.144, de Mohammed bin Mas’oud al-‘Ayâchi
32 Hayât-ul-Kuloob p.149
33 Ibid. p.379
34 La vie du Prophète Muhammad, Ibn ‘Ishaq, Tome II, p.283
35 Études sur la tradition
islamique, Goldziher, p.47, traduites par Léon Bercher, Librairie
d’Amérique et d’Orient, Paris 1984.
Alfred-Louis de Prémare (m. 2006), de même, affirme avec force et vigueur dans
Les fondations de l’islam qu’az-Zouhri fabriquait des traditions pour le calife ‘Abd al-Mâlik et ses prédécesseurs.
36 Mo
hammed al-Boukhâri
travaillait lui aussi pour le Commandant des croyants comme le prouve
cette tradition : « tandis que l’esclave déchargeait la selle du
Messager de Dieu, il fut frappé par une flèche. Les gens ont
dit : « félicitations, il a obtenu le martyr ». Le Messager de Dieu a
dit : « non, par celui qui possède mon âme dans ses mains ! La cape
qu’il a prise du butin avant le partage des biens, le jour de khaybar,
est devenue une flamme de feu qui le brûle ». En entendant cela, un
homme vint avec un ou deux lacets de chaussure et dit : « voici ce que
j’ai pris ». Le Messager de Dieu dit : « un lacet de feu ou deux lacets
de feu » (Sahih al-Boukhâri 3993).
Les combattants musulmans se servaient généreusement sur la part
destinée à renflouer la trésorerie de l’État, ce hadith fut imaginé
afin de minimiser les pertes.
37 Byzantium and the arabs in the sixth century, Irfan Shahîd, volume 2, part 2, p.324-328, Dumbarton Oaks, 1995
38 La vie du Prophète Muhammad, Ibn ‘Ishaq, Tome II, p.283
39 Al-Muwatta’, Imam Mâlik, p.179, n°552, traduction de Muhammad Diakho, Éditions Albouraq, 2004. Également transmis par Abi Dâwoud 3111.
40 Fatwa n°32762 du Cheikh Muhammad Salih al-Munajjid, islamqa.com
41 Histoires des Prophètes et des rois, Mohammed ibn
Jarir at-Tabari, p.606, traduction de Hermann Zotemberg, Éditions de la
Ruche, 2006
42 Sahih al-Boukhâri 3343
43 Les fondations de l’islam, Alfred-Louis de Prémare, p.131, Éditions du Seuil, 2002
http://www.asraralislam.com/Les%20secrets%20de%20l%27islam/qui_a_tue_mahomet.html