« Pourquoi je t’aime, ô Marie ! », par Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
« J’ai encore quelque chose à faire avant de mourir », confie Thérèse à sa sœur Céline : « J’ai toujours rêvé d’exprimer dans un chant à la Sainte Vierge tout ce que je pense d’elle » (PA, Rome, p. 268). Quelques mois avant sa mort, Thérèse compose son dernier poème « Pourquoi je t’aime Ô Marie ! » Elle y exprime tout ce qu’elle pense de la Vierge Marie. Elle nous invite à nous tourner vers la Mère de Dieu et notre Mère en méditant sa vie tel que l’Évangile nous la révèle avec discrétion et profondeur…
Oh ! je voudrais chanter, Marie, pourquoi je t'aime !
Pourquoi ton nom si doux fait tressaillir mon cœur !
Et pourquoi de penser à ta grandeur suprême
Ne saurait à mon âme inspirer de frayeur.
Si je te contemplais dans ta sublime gloire,
Et surpassant l'éclat de tous les bienheureux;
Que je suis ton enfant, je ne pourrais le croire.....
Marie, ah ! devant toi je baisserais les yeux.
Il faut, pour qu'un enfant puisse chérir sa mère,
Qu'elle pleure avec lui, partage ses douleurs.
O Reine de mon cœur, sur la rive étrangère,
Pour m'attirer à toi, que tu versas de pleurs !
En méditant ta vie écrite en l'Evangile,
J'ose te regarder et m'approcher de toi ;
Me croire ton enfant ne m'est pas difficile,
Car je te vois mortelle et souffrant comme moi.
Lorsqu'un Ange des cieux t'offre d'être la Mère
Du Dieu qui doit régner toute l'éternité,
Je te vois préférer, quel étonnant mystère !
L'ineffable trésor de la virginité.
Je comprends que ton âme, ô Vierge immaculée,
Soit plus chère au Seigneur que le divin séjour.
Je comprends que ton âme, humble et douce vallée,
Contienne mon Jésus, l'Océan de l'amour!
Je t'aime, te disant la petite servante
Du Dieu que tu ravis par ton humilité.
Cette grande vertu te rend toute-puissante,
Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité !
Alors l'Esprit d'amour te couvrant de son ombre,
Le Fils égal au Père en toi s'est incarné...
De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre,
Puisqu'on doit l'appeler : Jésus, ton premier-né!
Marie, ah ! tu le sais, malgré ma petitesse,
Comme toi je possède en moi le Tout-Puissant.
Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse
Le trésor de la Mère appartient à l'enfant...
Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie !
Tes vertus, ton amour ne sont-ils pas à moi ?
Aussi, lorsqu'en mon cœur descend la blanche Hostie,
Jésus, ton doux Agneau, croit reposer en toi !
Tu me le fais sentir, ce n'est pas impossible
De marcher sur tes pas, ô Reine des élus !
L'étroit chemin du ciel, tu l'as rendu visible
En pratiquant toujours les plus humbles vertus.
Marie, auprès de toi j'aime à rester petite ;
Des grandeurs d'ici-bas je vois la vanité.
Chez sainte Elisabeth recevant ta visite,
J'apprends à pratiquer l'ardente charité.
Là, j'écoute à genoux, douce Reine des Anges,
Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur ;
Tu m'apprends à chanter les divines louanges,
A me glorifier en Jésus, mon Sauveur.
Tes paroles d'amour sont de mystiques roses
Qui doivent embaumer les siècles à venir
En toi, le Tout-Puissant a fait de grandes choses
Je veux les méditer, afin de l'en bénir.
Quand le bon saint Joseph ignore le miracle
Que tu voudrais cacher dans ton humilité,
Tu le laisses pleurer tout près du tabernacle
Qui voile du Sauveur la divine beauté.
Oh ! que je l'aime encor ton éloquent silence !
Pour moi, c'est un concert doux et mélodieux
Qui me dit la grandeur et la toute-puissance
D'une âme qui n'attend son secours que des cieux...
Plus tard, à Bethléem, ô Joseph, ô Marie,
Je vous vois repoussés de tous les habitants ;
Nul ne veut recevoir en son hôtellerie
De pauvres étrangers... la place est pour les grands !
La place est pour les grands, et c'est dans une étable
Que la Reine des cieux doit enfanter un Dieu.
O Mère du Sauveur, que je te trouve aimable!
Que je te trouve grande en un si pauvre lieu !
Quand je vois l'Eternel enveloppé de langes,
Quand, du Verbe divin, j'entends le faible cri...
Marie, à cet instant, envierais-je les Anges ?
Leur Seigneur adorable est mon Frère chéri !
Oh ! que je te bénis, toi qui sur nos rivages
As fait épanouir cette divine Fleur !
Que je t'aime, écoutant les bergers et les mages,
Et gardant avec soin toute chose en ton cœur !
Je t'aime, te mêlant avec les autres femmes
Qui, vers le Temple saint, ont dirigé leurs pas ;
Je t'aime, présentant le Sauveur de nos âmes
Au bienheureux vieillard qui le presse en ses bras ;
D'abord en souriant j'écoute son cantique ;
Mais bientôt ses accents me font verser des pleurs...
Plongeant dans l'avenir un regard prophétique,
Siméon te présente un glaive de douleurs !
O Reine des martyrs, jusqu'au soir de ta vie
Ce glaive douloureux transpercera ton cœur.
Déjà tu dois quitter le sol de ta patrie,
Pour éviter d'un roi la jalouse fureur.
Jésus sommeille en paix sous les plis de ton voile,
Joseph vient te prier de partir à l'instant;
Et ton obéissance aussitôt se dévoile
Tu pars sans nul retard et sans raisonnement.
Sur la terre d'Egypte, il me semble, ô Marie,
Que dans la pauvreté ton cœur reste joyeux;
Car Jésus n'est-il pas la plus belle patrie ?
Que t'importe l'exil ?... Tu possèdes les cieux !
Mais à Jérusalem une amère tristesse,
Comme un vaste océan, vient inonder ton cœur...
Jésus, pendant trois jours, se cache à ta tendresse.
Alors c'est bien l'exil dans toute sa rigueur!
Enfin tu l'aperçois, et l'amour te transporte...
Tu dis au bel Enfant qui charme les Docteurs
« O mon Fils, pourquoi donc agis-tu de la sorte ?
« Voilà ton père et moi qui te cherchions en pleurs !... »
Et l'Enfant-Dieu répond — oh ! quel profond mystère! —
A la Mère qu'il aime et qui lui tend les bras :
« Pourquoi me cherchez-vous?... Aux œuvres de mon Père
« Je dois penser déjà!... Ne le savez-vous pas? »
L'Evangile m'apprend que, croissant en sagesse,
A Marie, à Joseph, Jésus reste soumis;
Et mon cœur me révèle avec quelle tendresse
Il obéit toujours à ses parents chéris.
Maintenant je comprends le mystère du Temple,
La réponse, le ton de mon aimable Roi
Mère, ce doux Enfant veut que tu sois l'exemple
De l'âme qui le cherche en la nuit de la foi...
Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère
Fût soumise à la nuit, à l'angoisse du cœur,
Alors, c'est donc un bien de souffrir sur la terre ?
Oui !... souffrir en aimant, c'est le plus pur bonheur!
Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,
Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi ;
il peut bien se cacher, je consens à l'attendre
Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi.
Je sais qu'à Nazareth, Vierge pleine de grâces,
Tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus
Point de ravissements, de miracles, d'extases
N'embellissent ta vie, ô Reine des élus !
Le nombre des petits est bien grand sur la terre,
Ils peuvent, sans trembler, vers toi lever les yeux ;
Par la commune voie, incomparable Mère,
Il te plaît de marcher pour les guider aux cieux !
Pendant ce triste exil, ô ma Mère chérie,
Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour;
Vierge, en te contemplant je me plonge ravie,
Découvrant dans ton cœur des abîmes d'amour !
Ton regard maternel bannit toutes mes craintes
Il m'apprend à pleurer, il m'apprend à jouir.
Au lieu de mépriser les jours de fêtes saintes,
Tu veux les partager, tu daignes les bénir.
Des époux de Cana voyant l'inquiétude
Qu'ils ne peuvent cacher, car ils manquent de vin,
Au Sauveur tu le dis, dans ta sollicitude,
Espérant le secours de son pouvoir divin.
Jésus semble d'abord repousser ta prière
« Qu'importe, répond-il, femme, à vous comme à moi ? »
Mais, au fond de son cœur il te nomme sa Mère,
Et son premier miracle il l'opère pour toi !
Un jour que les pécheurs écoutent la doctrine
De Celui qui voudrait au ciel les recevoir
Je te trouve avec eux, Mère, sur la colline ;
Quelqu'un dit à Jésus que tu voudrais le voir.
Alors ton divin Fils, devant la foule entière,
De son amour pour nous montre l'immensité;
Il dit : « Quel est mon frère, et ma sœur, et ma mère,
« Si ce n'est celui-là qui fait ma volonté ? »
O Vierge immaculée, ô Mère la plus tendre !
En écoutant Jésus tu ne t'attristes pas,
Mais tu te réjouis qu'il nous fasse comprendre
Que notre âme devient sa famille ici-bas.
Oui, tu te réjouis qu'il nous donne sa vie,
Les trésors infinis de sa Divinité !
Comment ne pas t'aimer, te bénir, ô Marie !
Voyant, à notre égard, ta générosité ?...
Tu nous aimes vraiment comme Jésus nous aime,
Et tu consens pour nous à t'éloigner de lui.
Aimer, c'est tout donner, et se donner soi-même
Tu voulus le prouver en restant notre appui.
Le Sauveur connaissait ton immense tendresse,
Il savait les secrets de ton cœur maternel...
Refuge des pécheurs, c'est à toi qu'il nous laisse
Quand il quitte la croix pour nous attendre au ciel !
Tu m'apparais, Marie, au sommet du Calvaire,
Debout, près de la Croix, comme un prêtre à l'autel ;
Offrant, pour apaiser la justice du Père,
Ton bien-aimé Jésus, le doux Emmanuel.
Un prophète l'a dit, ô Mère désolée
« Il n'est pas de douleur semblable à ta douleur ! »
O Reine des martyrs, en restant exilée,
Tu prodigues pour nous tout le sang de ton cœur !
La maison de saint Jean devient ton seul asile ;
Le fils de Zébédée a remplacé Jésus !
C'est le dernier détail que donne l'Évangile
De la Vierge Marie il ne me parle plus...
Mais son profond silence, ô ma Mère chérie,
Ne révèle-t-il pas que le Verbe éternel
Veut lui-même chanter les secrets de ta vie
Pour charmer tes enfants, tous les élus du ciel ?
Bientôt je l'entendrai cette douce harmonie;
Bientôt, dans le beau ciel, je vais aller te voir !
Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
Viens me sourire encor... Mère, voici le soir !
Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême ;
Avec toi j'ai souffert... et je veux maintenant
Chanter sur tes genoux, Vierge, pourquoi je t'aime.....
Et redire à jamais que je suis ton enfant !