Benoît XVI hausse le ton contre les intégristes
Par Jean-Marie Guenois
05/02/2009 | Mise à jour : 00:01
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Benoît
XVI a contre-attaqué, mercredi, exigeant de Mgr Richard Williamson
qu'il revienne sur ses positions négationnistes sur la Shoah «de façon
absolument non équivoque et publique».
Crédits photo : Maria G. Picciarella/ROPI-REA
Rome a fixé mercredi des conditions strictes aux évêques lefebvristes. Après
dix jours d'une crise où sa crédibilité a été - comme jamais - remise
en cause, Benoît XVI a contre-attaqué, mercredi, en exigeant de
Mgr Richard Williamson qu'il revienne sur ses positions négationnistes
sur la Shoah «de façon absolument non équivoque et publique». En
précisant qu'il «ne connaissait pas» ces propos au moment de la levée des excommunications des évêques lefebvristes.
Le pape a également posé comme «conditions indispensables» à une
«future reconnaissance» de la Fraternité Saint-Pie-X «la pleine
reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des Papes
Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI». Il
a enfin précisé que la Fraternité Saint-Pie-X «ne jouit d'aucune
reconnaissance canonique dans l'Église catholique» et que les quatre
évêques qui ont bénéficié de la levée de l'excommunication n'ont,
jusque-là, pas de «fonctions canoniques» dans l'Église et «n'y exercent
pas de ministère licite». Changement de ton, donc, au plus haut
niveau de l'Église catholique. Il y a une semaine, à la fin de
l'audience générale, le Pape avait tenté une première fois d'éteindre
l'incendie allumé le 24 janvier par l'annonce officielle de la levée de
l'excommunication de ces quatre évêques ordonnés par Mgr Marcel
Lefebvre en 1988. Dont l'un d'eux, Mgr Williamson, avait tenu, le
21 janvier, des propos négationnistes. En professeur conciliant, le
Pape s'était contenté d'expliquer son geste de «paternelle miséricorde»
par un souci d'unité de l'Église. Mais il n'avait pas évoqué le nom de
Mgr Williamson, condamnant le négationnisme et réitérant sa «pleine et indiscutable solidarité» avec le peuple juif. Des
arguments assez généraux qui n'avaient pas convaincu. Au point que la
polémique mondiale, liée au scandale des propos de Mgr Williamson, mais
aussi à cette réintégration apparemment sans condition, s'est
considérablement amplifiée. Elle déchire l'Église à tous ses niveaux
puisque des cardinaux réputés proches du Pape, comme Christophe
Schönborn, archevêque de Vienne, ont fait publiquement part de leur
étonnement. Elle alimente une crise interne et déjà très vive au sein
du Vatican. Alors qu'à l'extérieur, les critiques pleuvent. Dans le
monde juif, scandalisé, mais aussi dans l'opinion, qui interprète la
décision du Pape comme un acte de mansuétude à l'égard d'un évêque
négationniste.
Quand Angela Merkel sort de sa réserve L'incompréhension
et la confusion ont été telles ces derniers jours qu'Angela Merkel, la
chancelière allemande, a dû sortir de sa réserve politique pour demander publiquement des «clarifications»,
tant la crise de confiance ravinait le pays natal de Benoît XVI. Et
mercredi matin - quelques heures avant la publication de ces
précisions -, son ambassadeur était reçu au Saint-Siège. En
ordonnant la publication formelle de cette «note de la Secrétairerie
d'État», Benoît XVI tape du poing sur la table. Ce n'est pas son style,
et c'est même inédit dans son pontificat. Mais des sources bien
informées indiquent qu'il a finalement mesuré la gravité de la
situation à la suite des informations de ses réseaux allemands.
À commencer par le cardinal Walter Kasper, en charge à Rome de l'unité
des chrétiens, et qui avait été totalement écarté de cette décision de
réintégration directement gérée par la commission compétente, Ecclesia
Dei, sous la responsabilité du cardinal Castrillon Hoyos. Mais
surtout, deux semaines après la signature du décret de levée des
excommunications, Benoît XVI entend lever la triple ambiguïté qui
envenime cette affaire. La première ambiguïté porte sur les
propos négationnistes de Mgr Williamson, qui ont créé le scandale
mondial et dont il est bien précisé dans la note que Benoît XVI ne les
connaissait pas quand il a pris sa décision. Ce qui signifie
implicitement - car le Vatican n'a pas pour habitude de reconnaître un
dysfonctionnement interne - que le Pape aurait modifié sa décision s'il
l'avait su. Et cette fois, le texte est sans appel pour
Mgr Williamson, qui s'était excusé des conséquences de ses
déclarations, mais n'était pas encore revenu, jusqu'à mercredi soir du
moins, sur ses propos : «Les positions de Mgr Williamson sur la Shoah
sont absolument inacceptables et fermement réfutées par le Saint-Père.
(…) L'évêque Williamson, pour une admission aux fonctions épiscopales
dans l'Église, devra également prendre, de façon absolument non
équivoque et publique, des distances avec ses positions sur la Shoah,
qui n'étaient pas connues par le Saint-Père au moment de la rémission
de l'excommunication.» Dans une interview télévisée diffusée le
21 janvier en Suède - jour de la signature à Rome du décret de levée
des excommunications -, l'évêque britannique intégriste y avait
confirmé des propos similaires, tenus au Canada en 1989, qui mettaient
en doute que les chambres à gaz aient pu servir à tuer des juifs et
minimisaient le nombre des victimes, de «200 000 à 300 000», selon lui. Mercredi,
le Congrès juif mondial a aussitôt «chaleureusement accueilli» la
demande de rétractation faite à Mgr Williamson pour ses propos
négationnistes La seconde ambiguïté touche à la portée de la
levée des excommunications. La note publiée mercredi - qui commence
d'ailleurs par ce point et traitant de l'affaire Williamson en
troisième lieu - rappelle que le Pape répondait «avec bienveillance» à
une demande formulée par le supérieur général de la Fraternité
Saint-Pie-X, Mgr Bernard Fellay. L'idée était de «lever un empêchement
préjudiciable à l'ouverture d'une porte au dialogue». «La levée de
l'excommunication a libéré les quatre évêques d'une peine canonique
gravissime, mais n'a pas changé la situation juridique de la Fraternité
Saint Pie X qui, à l'heure actuelle, ne jouit d'aucune reconnaissance
canonique dans l'Église catholique. Quant aux quatre évêques, bien
qu'ils soient déliés de l'excommunication, ils n'ont pas une fonction
canonique dans l'Église et n'y exercent pas un ministère licite»
Le temps de la réflexion La
troisième ambiguïté concerne la place et le statut du concile Vatican
II. La note est claire : «Pour une future reconnaissance de la
Fraternité Saint Pie X, la condition indispensable est la pleine
reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des Papes
Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI». Or,
la Fraternité Saint-Pie-X a toujours fondé son combat sur des critiques
de fond contre le concile Vatican II, jugé déviant par rapport à la
tradition de l'Église sur le plan liturgique (abandon de la messe en
latin) et dogmatique (ouverture au monde et aux autres religions). Sans
parler des fortes critiques contre Jean-Paul II, notamment depuis sa
rencontre de prière interreligieuse pour la paix à Assise en 1986. Interrogés,
mercredi soir, les responsables de la Fraternité Saint-Pie-X à Ecône
(Suisse) n'ont pas souhaité réagir, voulant visiblement se donner le
temps de réfléchir après l'expression de telles conditions. Ils avaient
salué avec «satisfaction» la levée de l'excommunication, considérée par
certains comme une «victoire». Il est à noter que la note très
ferme publiée par le Vatican laisse la porte ouverte au dialogue,
puisqu'il est précisé que le Saint-Siège entend, «selon des moyens
jugés opportuns, approfondir avec les intéressés, les questions encore
ouvertes, de façon à atteindre une pleine et satisfaisante solution»
des problèmes qui ont causé «cette douloureuse fracture». Il
faudra sans doute des semaines, voire des mois, pour calmer les
esprits. La mise en demeure sans appel adressée à Mgr Williamson
devrait apaiser les relations entre l'Église catholique et le monde
juif, notamment dans la perspective d'un voyage - non confirmé - de
Benoît XVI en Terre sainte en mai prochain. Mais cette crise laissera
des traces, car les milieux du dialogue interreligieux redoutent
certaines familles de pensée intégristes à qui ils reprochent de
cultiver un certain antisémitisme en continuant de récuser
l'enseignement du concile Vatican II sur ce point. Sur la forme,
cette crise aura mis au jour des dysfonctionnements dans la curie
romaine. Ils ont été publiquement dénoncés, ce qui est une première
pour ce pontificat, par des prélats de hauts rangs. Plusieurs
observateurs romains auront remarqué que la publication de la note se
sera faite malgré la déclaration, mardi, du secrétaire d'État, numéro
deux du Saint-Siège, le cardinal Tarcisio Bertone, qui considérait
l'affaire «close» avant de s'envoler en voyage officiel en Espagne.
Benoît XVI était attendu sur une réforme de la curie, à laquelle il a
finalement renoncé, mais dont cette crise révèle l'acuité du problème. Sur
le fond, la levée de l'excommunication posait le problème de
l'interprétation du concile Vatican II. Refusant la «rupture» avec la
tradition bimillénaire de l'Église, Benoît XVI avait donné un premier
signe en rétablissant la messe, selon le missel latin de 1962, «rite
extraordinaire». Il voulait en donner un second avec la levée des
excommunications. Les semaines qui viennent indiqueront si le mouvement
qu'il souhaite imprimer à l'Église catholique en cette direction
s'arrête là ou pas.