MESSIANITÉ ORDINAIRE
Dimanche 15 décembre 2019 – 3e dimanche de l’Avent – Mt 11, 2-11
Du fond de sa prison, Jean-Baptiste fait poser à Jésus la question décisive : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Question décisive parce qu’il y va du personnage sur lequel les Judéens de l’époque focalisent toutes leurs attentes : la venue du Messie d’Israël, celui par lequel, nouveau Moïse, le peuple attend sa libération du joug romain, le retour d’une paix et d’une prospérité telles qu’il n’en a plus connu depuis les temps glorieux des rois David et Salomon – l’effectivité d’un âge où ruisselleraient enfin à nouveau le lait et le miel. Cette question ressemble beaucoup à celle que, quelques chapitres plus loin, Jésus lui-même pose directement à ses disciples au sujet de lui-même : « Aux dires des hommes, qui est le Fils de l’homme. […] Vous, qui dites-vous que je suis ? »
De cette question de Jésus à laquelle Pierre répond : « Tu es le Christ (le terme grec pour dire « messie »), le Fils de du Dieu vivant », on a souvent considéré un peu paresseusement qu’elle était une sorte de devinette que Jésus, supposé au fait de son identité d’exception, la double nature telle qu’elle sera fixée dogmatiquement par le concile de Chalcédoine en 451, posait à ses disciples. C’est oublier d’une part que Jésus ne s’est jamais présenté lui-même comme messie, encore moins comme fils de Dieu, sinon au sens tout à fait commun de l’expression – fils de Dieu, nous le sommes tous –, et d’autre part que l’évangile atteste qu’il est loin d’être lui-même au clair quant à sa véritable mission et donc son être profond. Ainsi, alors qu’il est convaincu par exemple qu’il n’a été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël, une Cananéenne, une païenne donc, lui révèle que la nourriture qu’il apporte se répand bien au-delà des frontières de la Judée et de la Galilée et que les « nations » sont finalement autant concernées qu’Israël par son œuvre de salut.
La question de Jean-Baptiste se trouve ainsi être pleinement en phase avec celle que Jésus se pose lui-même au sujet de lui-même. Tout se passe en effet comme si, lorsque Jésus se demande : « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Dans quelle aventure suis-je embarqué ? Qui suis-je donc ? », résonnait en lui l’écho de la question que d’autres – Jean-Baptiste au premier chef – se posent à son sujet : « Qui est donc cet homme ? Dans quelle aventure nous a-t-il embarqués ? Qu’est-ce qui arrive avec lui ? » Et lorsque Jésus fait répondre à Jean : « Allez rapporter ce que vous entendez et voyez, les aveugles voient, les boiteux marchent, etc. », il se garde bien de dire : « Regardez tout ce que j’ai fait. » Il souhaite au contraire, comme il le dit ici, ne pas être une occasion de chute pour les autres, autrement dit ne pas se voir imputer une forme de toute-puissance analogue à celle qu’il a approchée au désert dans les parages du tentateur. C’est la raison pour laquelle il passe son temps à dire à celles et ceux qu’il relève, guérit, à qui il redonne confiance en eux-mêmes et en la vie, non pas « Je t’ai sauvé-e » mais : « Ta foi t’a sauvé-e. »
Autrement dit, ce qui arrive avec Jésus, ce ne sont pas des miracles – les évangiles n’emploient pas ce mot – c’est-à-dire des gestes que seul un être doté de pouvoirs surhumains pourrait faire en s’affranchissant des lois de la nature. Ce sont des formes de puissance qui se trouvent libérées chez les simples humains que nous sommes du fait du voisinage avec ce compagnon d’humanité qu’est Jésus et du type de présence qu’il sait manifester à celles et ceux qui croisent sa route : « Ne désespère ni de la vie ni de toi-même… Tu es capable… Prends son grabat et marche… Va te laver à la piscine de Siloë… »
C’est pourquoi « le plus petit dans le Royaume des cieux » est plus grand que Jean-Baptiste – autrement dit : messie. Souvenons-nous de la parabole du jugement. Le plus petit – celui qui a faim, soif, le malade, le prisonnier, ceux avec lesquels le « roi » s’identifie – est celui qui a permis de libérer une puissance de vie et de salut chez celui ou celle qui est venu le rassasier, étancher sa soif, lui apporter les soins requis, le visiter, etc.
Messianité ordinaire : ce dont Jésus annonce la bonne nouvelle aux pauvres que nous sommes, c’est que nous avons tous la capacité d’être messie les uns pour les autres.
Loïc de Kerimel
https://baptises.fr/messianite-ordinaire