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 Dossiers de saint(e)s en étude en vue de la nomination éventuelle au titre de Docteur de l'Eglise.

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Claude Coowar




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MessageSujet: Re: Dossiers de saint(e)s en étude en vue de la nomination éventuelle au titre de Docteur de l'Eglise.    Saint - Dossiers de saint(e)s en étude en vue de la nomination éventuelle au titre de Docteur de l'Eglise.  - Page 2 EmptyMer 28 Déc - 1:35

CHAPITRE XXVIII. Brigitte à Naples, puis à Rome. Le Sermo angelicus. Retour du Pape Urbain V dans la, Ville éternelle.—  1366 et 1367


VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

28/40.

CHAPITRE XXVIII. Brigitte à Naples, puis à Rome. Le Sermo angelicus. Retour du Pape Urbain V dans la, Ville éternelle. —  1366 et 1367

Peu de jours avant la fête de Noël de l'année 1365, Brigitte rentra à Naples avec ses compagnons de pèlerinage. Ils y célébrèrent ce grand jour dans une retraité complète et tout entiers à la prière.

La Sainte, songea ensuite à se mettre en route pour Rome, sans revoir la reine de Naples ; car elle ne l'avait que trop bien constaté, l'influence qu'elle avait exercée sur cette Souveraine si indigne du trône dura fort peu. Mais la Très Sainte Vierge ne tarda pas à lui donner d'autres instructions, en lui prescrivant de reparaître à la cour de Jeanne et de faire connaître de nouveau à la reine la volonté de Dieu.

Jeanne était mariée pour la troisième fois. Louis de Tarente était décédé le 26 mai 1362, âgé seulement de quarante-deux ans. Il avait employé les dernières années de sa vie à expier dans la piété et la pénitence les péchés de sa jeunesse et les fautes qu'il avait commises avec la trop coupable reine, du vivant de son premier mari, ce qui ne fut guère du goût de Jeanne.

Les grands de Naples pressèrent la royale veuve de se remarier. Elle céda à leurs désirs, mais ne fit pas choix d'un prince français, contrairement à l'avis du Pape ; elle offrit sa main au roi espagnol, Jacques de Malorca, qui dut considérer cette union comme une fortune inespérée : il ne reçut pas cependant le titre de roi de Naples et de Sicile et n'exerça aucune influence sur le gouvernement. Le mariage eut lieu au mois de décembre de la même année 1362 (1).

Cette reine frivole tint peu de compte de la dignité du sacrement qui la liait à son nouvel époux. Elle viola audacieusement ses engagements sacrés, symbole de l'union mystique du divin Sauveur avec son Eglise, pour donner son cœur aux favoris de son entourage. Parmi ceux-ci se distinguaient alors principalement un Espagnol, don Gomez, et un certain Antoine Carlet, auxquels Jeanne fit une brillante position à la cour.

Brigitte s'efforça d'abord d'assurer au mari de Jeanne une action plus sérieuse sur les affaires du pays ; puis elle employa tous les moyens dont elle disposait pour ramener la reine dans le chemin de la vertu. Dieu révéla à la Sainte bien des secrets du coeur et de la vie de cette princesse criminelle ; mais, dans les livres de ses révélations, Brigitte ne fait que les indiquer, sans entrer dans le détail, parce qu'il s'agissait des secrets personnels de Jeanne (1). Sur l'ordre formel de Dieu, elle exhorta Jeanne à ne pas laisser élever davantage son favori Antoine Carlet, sans quoi il était infailliblement perdu,  et elle-même avec lui.

(1) Léo, Histoire de l'Italie. Livre IX, chap. III.

Elle éloigna définitivement don Gomez de la cour, à l'aide d'une révélation qu'elle eut à son sujet. Elle l'engagea à fuir la reine, à garder la foi conjugale à sa propre femme, à gouverner ses sujets avec sagesse et justice, et à s'efforcer lui-même de mener une vie pure et pieuse (1). Gomez se soumit humblement à ses conseils.

De son côté, Jeanne ne se montra, pas plus que la première fois, rebelle à la direction de Brigitte, tant était puissante l'influente qu'exerçait sur elle la sainte princesse du Nord ! Mais, après que Brigitte fut repartie pour Rome, la cour de Naples reprit bientôt son premier aspect.

(1) Révélations VII, 11.

Ce fut l'Archevêque de Naples, qui, plus que tous les autres, eût voulu que Brigitte prolongeât son séjour dans le royaume, parce qu'il recourait volontiers à ses conseils. Les vertus héroïques que pratiquait l'humble veuve, les nombreux miracles qu'elle accomplissait, et tout spécialement ses prédictions, dont la réalisation ne se faisait jamais attendre, lui avaient acquis à Naples la réputation d'une grande Sainte. Peu de jours avant son départ, elle reçut la visite d'une dame noble, appelée Jacqueline, à laquelle elle prédit la mort de son frère Nicolas-Acciazolo.

Effrayée de cette nouvelle, Jacqueline courut à la demeure de son frère qui, ayant l'air de se porter à merveille, se trouvait en ce moment auprès de la reine qu'il entretenait de différentes affaires d'État. Tout heureuse, Jacqueline se prit à espérer que cette fois Brigitte s'était trompée. Mais le lendemain Nicolas tomba malade et expira trois jours après.

(1) Révélations VII, 11,

Pendant le carême de l'année 1366, notre Sainte rentra dans la Ville éternelle, qui ne cessait d'attendre toujours, comme une veuve inconsolable, l'arrivée du Vicaire de Jésus-Christ. Elle redoubla ses prières, ses jeûnes et ses pénitences ; car elle savait que le moment approchait où elle obtiendrait du Pape l'autorisation d'élever son premier couvent à Wadstena, et où il lui serait donné de présenter au Souverain Pontife à Rome même, la règle et les statuts de son nouvel Ordre. Il n'y manquait plus que les Leçons que les Religieuses devaient dira aux matines, en l'honneur de la Très-Sainte Vierge.

Lorsqu'elle s'adressa dans ce but au divin Sauveur, fondateur de l'Ordre, celui-ci lui apparut et lui. dit :

« Je t'enverrai mon Ange, qui te révélera les Leçons que les Religieuses de ton couvent seront tenues de lire, aux matines, à la louange de ma Mère. Cet Ange te (90) les dictera lui-même ; et tu écriras donc sous sa dictée ».

Brigitte se rendit alors dans son petit oratoire, d'où l'on apercevait par une croisée l'autel de l'église de Saint-Laurent-in-Damoso, attenant à sa demeure. Sa première pensée fut que ce serait là, non loin du tabernacle toujours entouré de légions d'Anges en adoration, qu'elle aurait l'insigne honneur de recevoir la visite de l'un de ces Esprits, bienheureux, et entendrait de sa bouche les louanges de la glorieuse Reine des Anges. La main armée d'une tablette et d'un poinçon pour écrire, elle attendit donc, dans l'amour et l'humilité, l'arrivée de l'Ange du Seigneur. Brigitte ne s'était point trompée.

L'Ange désiré lui apparut à cet endroit béni d'où elle pouvait contempler le très adorable Saint-Sacrement. Il vint se placer près d’elle ; son attitude exprimait une profonde vénération, son visage rayonnait et ses yeux étaient sans cesse fixés sur l'autel où le Saint-Sacrement était exposé.

Il dicta, dans la langue maternelle de Brigitte, les Leçons de matines, destinées à redire les privilèges et les gloires inénarrables de la Très-Sainte Vierge Marie. (91) La Sainte les transcrivait jour pour jour avec la plus religieuse attention et telles qu'elles tombaient des lèvres de l'Ange, puis elle montrait humblement à son Père spirituel ce qu'elle avait écrit. Parfois l'Ange ne se présentait pas.

Quand alors Pierre Olafson lui demandait ce qu'elle avait écrit, elle répondait modestement :

« Mon Père, aujourd'hui je n'ai rien écrit ; j'ai longtemps attendu l'Ange du Seigneur, pour qu'il daignât me dicter ce que je dois écrire ; mais il n'est point venu ».

C'est ainsi que fut composé ce qu'on appelle le Sermon angélique, ou les Leçons que les Religieuses sont obligées de lire chaque semaine à matines (1).

Après avoir achevé de dicter les célestes louanges de la glorieuse Reine du ciel, et après les avoir réparties en vingt et une Leçons pour les sept jours de la semaine, l'Ange dit à Brigitte qui achevait d'écrire :

« Voici que j'ai préparé le vêtement de la Reine des Anges ; à vous maintenant de le terminer de votre mieux. Or donc, heureuses filles du très saint Ordre du Rédempteur, vous à qui, dans sa miséricordieuse bonté, le Créateur et le Sauveur des hommes a donné cette sainte règle, de sa propre bouche ».

Et Sur ces mots, l'Ange disparut ; Brigitte ne devait le revoir qu'au ciel.

(1) Voyez Breviarium sacrarum virginum Ordinis SS. Salvatoris vulgo; S. Brigittae.

(1) Préface du Sermo angelicus.

Pierre d'Alvastra, le maître de Brigitte et, de temps en temps, son confesseur, traduisit les Leçons en latin ; et, sur l'ordre de la Très-Sainte Vierge, il disposa les répons, les antiennes et les hymnes du nouveau bréviaire de l'Ordre. La mélodie que les Sueurs devaient observer dans leurs cantiques à la Vierge Immaculée, lui fut inspirée surnaturellement, de telle manière qu'il n'eût qu'à noter l'aimable, musique qui charmait son oreille et remplissait son coeur d'allégresse (1). Lorsque son travail lui présentait quelque difficulté, Brigitte l'aidait à la résoudre, avant même qu'il ne lui en eût fait part.

Un jour qu'il célébrait devant elle la sainte Messe, dans la petite chapelle domestique, le Père céleste dit à l'épouse de son Fils :

" Malgré la modeste assistance, les Anges ont été réjouis par cette Messe et les âmes du purgatoire soulagées. Recommande au prêtre de laisser au rang qu'il lui a assigné l'hymne Sponsae jungendo filio (2) ; la sainte Église donnant à toutes les âmes le titre glorieux d'épouses de mon Fils, ce titre appartient à bien plus forte raison à l'âme de Marie (1)3".


(1) Extravag. 114.
(2) Voyez Breviarium, feria. V. ad completorium.

Après l'achèvement du bréviaire et des chants de l'Ordre, la Très-Sainte Vierge dit à sa fille bien-aimée :

« Aie soin d'envoyer mes Heures à mon ami Hemming, un Evêque selon le cœur de mon Fils, pour qu'il y ajoute, s'il le juge à propos, des observations ou des commentaires. Bien qu'elles n'aient pas un latin classique, elles me sont plus agréables que si elles avaient été composées par un maître vivant dans le monde. Le bréviaire et la règle devront être conservés dans mon couvent d'Alvastra, jusqu'à ce que le monastère du nouvel Ordre soit achevé (2) ».

Brigitte exécuta ponctuellement les ordres de la Très-Sainte Vierge, qui voulait ménager à son ami, comme elle se plaisait à appeler, l'Evêque Hemming, la joie de connaître son nouvel Office, avant de quitter ce monde. Il mourut en 1367 (3).

En récitant cet admirable Office, où sont chantées toutes les gloires de Marie, et en particulier le mystère de son Immaculée-Conception, Brigitte entrevoyait déjà tout ce qu'il y a de grand et de sublime dans ce mystère sacré de la foi, qui ne devait être érigé en dogme que cinq siècles plus tard. L'Ange lui avait dit qu'il était convenable de célébrer comme une grande fête le jour de l'Immaculée-Conception de la Mère de Dieu, parée que Dieu et ses Anges avaient ardemment aimé Marie (1).  

La Très-Sainte Vierge dit elle-même à sa fidèle servante :

« C'est la vérité que j'ai été conçue sans la faute originelle et sans péché de la part de mes parents ; car, de même que ni mon divin. Fils ni moi nous n'avons jamais péché, de même il n'y eut jamais d'union plus pure et plus chaste que celle de mes parents (2) ».

(1) Extravag. 5.
(2) Extravag. 113.
(3) Hemming, Évêque d'Abo, fut canonisé en 1513.


(1) Sermo angelicus, c. 10.
(2) Révélations VI, 49.

Jésus-Christ lui-même enseignait à Brigitte tout ce qui se rapportait au nouvel Ordre qu'elle avait fondé.

C'est de lui qu'elle reçut ces préceptes tout célestes qui peuvent servir de règles de conduite, en tout temps, non seulement aux filles de Sainte-Brigitte, mais encore à toutes les vierges consacrées à Dieu :

« Toutes celles qui veulent être les épouses de Dieu, dit le Sauveur, doivent tendre à accomplir sa volonté, et renoncer à leur volonté et à leur utilité propre. Elles doivent se comporter comme des jeunes fiancées qui sont hors de leurs domaines, en voyage ; et obligées de loger dans le patrimoine de l'époux.

« Leurs domaines, ce sont la liberté et la vie terrestre, avec tout ce qui s'y rattache ; leur devoir est de s'en détacher de plein gré et irrévocablement. Elles doivent aussi prendre un vêtement nuptial, c'est-à-dire l'humilité, la patience et l'obéissance, qui servent d'ornement à l'âme et lui donnent sa beauté devant Dieu. Elles doivent encore se lever et marcher, afin de se montrer à l'époux et à ceux qui ont été invités à la noce.

« Avec quelle pureté et quelle modestie ne doivent-elles pas s'avancer sous les regards de ceux qui les contemplent ! car les invités qui les observent ici, c'est Marie, la Mère de Dieu, ce sont toutes les phalanges du ciel.

« L'Epoux, qui les recherche, c'est le vrai Dieu, le Roi des Rois, dont la puissance s'étend sur toutes les créatures : Or, elles se sont levées lorsqu'elles se sont confessées avec une véritable humilité et avec le ferme propos de ne (97) plus pécher. Elles ont marché, lorsqu'elles ont volontairement quitté toutes les choses terrestres, qu’elles rient s'en préoccupent plus, et qu'elles ont complètement renoncé à leur volonté propre.

« Elles sont consacrées à leur époux, quand elles promettent solennellement de garder avec fidélité leur règle et leurs saints vœux. Enfin, elles avancent par le bon chemin vers l'appartement de l'Epoux, lorsqu'elles observent leurs statuts et leurs saintes promesses, autant qu'il est en leur pouvoir.

« Le premier jour du mystique mariage s'ouvre à la, sainte profession, et il se clôt au moment où l'âme abandonne le corps pour inaugurer au ciel le second Jour de son union avec Dieu ; et ce second jour durera éternellement (1) ».


Ainsi se trouva complété tout ce qui avait trait à l'Ordre du divin Sauveur. Cet Epoux adorable n'avait rien omis ; il avait même annoncé l’allégresse nuptiale qu'il réservait aux Religieuses de son Ordre, au jour de leur profession, allégresse qui ne devait prendre fin qu'avec leur vie, pour se transformer en cette éternelle félicité qui les attend aux noces de l'Agneau dans le ciel.

Brigitte soupirait après l'heure où le Vicaire de Jésus-Christ confirmerait le nouvel Ordre et approuverait spécialement la création du couvent de Wadstena, dont la construction et les aménagements intérieurs touchaient à leur terme.

Catherine, destinée par Dieu à devenir un jour la Supérieure de ce couvent, saisit la grandeur et la sublimité de l'état religieux avec tout l'enthousiasme de son âme pure et forte. Sa mère fut pour elle une sage maîtresse de novices, qui l'initia rapidement à l'esprit et aux austérités de la vie conventuelle, et qui trouva en sa fille une élève docile. Dès lors, les deux saintes femmes, ordonnèrent, dans la mesure du possible, leurs prières, leurs exercices spirituels et toute leur vie, suivant la règle de l'Ordre du Très-Saint Sauveur, qui n'est, à proprement, parler, que la règle du Tiers-Ordre de Saint-François, mais plus stricte et plus sévère ; si bien qu'en observant sa règle, notre Sainte ne se mettait nullement en contradiction avec ses obligations de Tertiaire.

(1) Extravag. 17.

C'est au milieu de ces saintes occupations que Brigitte vit arriver l'année 1367, qui (99) devait enfin réaliser ses vœux et rendre à Rome orpheline son centre et son soleil, le Vicaire de Jésus-Christ.

Urbain V avait résolu, depuis longtemps, son retour à Rome ; il n'était plus nécessaire de lui demander, avec le poète, « s'il voulait ressusciter un jour au milieu des pécheurs d'Avignon ou bien au milieu des Apôtres et des Martyrs de Rome ».

Il avait lui-même le désir ardent de revoir la Ville éternelle, les tombeaux sacrés des Princes des Apôtres et la terre arrosée par le sang d'innombrables Martyrs.

Déjà, au mois de mai 1365, l'empereur Charles IV avait visité le Pape à Avignon, et avait pris intérêt à son dessein de retourner à Rome. Depuis lors, toutes les pensées d'Urbain V étaient concentrées sur ce projet. Son magnifique palais et tous les embellissements qu'il y avait ajoutés lui-même, ne lui suffisaient plus ; son cœur le portait irrésistiblement vers la ville aux sept collines. Au mois de septembre 1366, il annonça à l'empereur et aux Romains qu'il se mettrait en route à la Pâque suivante ; car, le premier août, les habitants de Rome lui avaient de nouveau exposé le (100) triste état de leur ville, et il les avait fait secourir militairement par Albornoz.

Dès le commencement de l'année 1365, le Vicaire Apostolique Pierre ; Evêque d'Orvieto, avait reçu l'ordre de restaurer les bâtiments de la résidente papale, de nettoyer le jardin du Vatican et de le faire planter de vignes et d'arbres fruitiers. Le Cardinal Albornoz fit en même temps préparer le château de Viterbe, pour servir de résidence à Urbain V. Des galères venues de Venise, de Naples, de Pise et de Gênes devaient protéger, durant son voyage,

Le Pape, qui désirait se rencontrer, en Italie, avec Charles IV, au mois de mai 1367.

Tandis que la joie régnait en Italie et que de tous les points de nette contrée on offrait des secours au Pape, le mécontentement était fort grand à la cour d'Avignon et à celle du roi de France. Une violente opposition se forma dans le sein du. Sacré-Collège ; les Cardinaux résistèrent de toutes leurs forces ; accoutumés aux charmes de leur résidence. et redoutant les difficultés du voyage; ainsi que l'humeur des Romains, ils se refusaient à retourner à Rome.

Mais Urbain V demeura (101) inébranlable.
Le roi de France Charles V, qui avait succédé en 136, à son père, mort prisonnier des Anglais, tenta également de détourner le Pape de son dessein, et lui envoya une ambassade à la tête de laquelle se trouvait Nicolas Orême, qui avait été son précepteur. Celui-ci harangua le successeur de saint Pierre devant le Consistoire ; il avait pris pour texte de son discours la réponse du Christ à son Apôtre qui lui demandait :

Domine quo vadis (Seigneur où allez-vous) ?

« Je vais à Rome pour y être de nouveau crucifié » .

Il s'efforça d'établir que le Pape devait rester en France, parce qu'elle était sa patrie, le, centre de l'Europe, qu'elle renfermait plus de piété et de sainteté que Rome, et que le pays était mieux gouverné que l'Italie.

Urbain V répondit en hâtant les préparatifs du voyage Le 30 avril 1367, il quitta Avignon ; qui, en dépit de son palais et de sa magnificence, n'avait été pour lui qu'une prison dorée, pour s'embarquer à Marseille.

Trois Cardinaux restèrent à Avignon ; les autres le suivirent, par contrainte bien plus que de bon gré. Le Pape s'arrêta deux jours au château papal de Pont-de-Sorgue ; puis, accompagné des huit (102) Cardinaux qui devaient s'embarquer avec lui, il s'achemina vers Marseille, où l'abbaye de Saint-Victor reçut son ancien Supérieur.

Six Cardinaux prirent la route de terre, entre autres le Cardinal de Beaufort, qui devait plus tard succéder à Urbain. Ils passèrent individuellement par la Lombardie, et traversèrent Bologne pour gagner Viterbe, où ils devaient attendre le Pape. Urbain V ne s'embarqua due le 19 mai. Vingt-cinq galères fermaient l'escadre qui devait le conduire dans cette Italie dont le Pape était absent depuis plus de soixante ans.

Quand, les navires eurent quitté la côte, les Cardinaux français exhalèrent leurs plaintes, au point que, malgré son calme ; Urbain V ne put s'empêcher de dire :

« Ces Cardinaux me tourmentent beaucoup ! ».


Après une longue traversée, l'escadre jeta l'ancre devant Corneto, le 3 juin au matin. Tout était prêt pour recevoir le Souverain-Pontife. Le rivage, où l'attendait une foule nombreuse, était couvert de tentes, de tapis de soie, de cabanes de feuillage ; il ne manquait à ce rendez-vous que l'homme auquel le Pape était redevable de ses États. Le Cardinal Albornoz (103) était retenu à Viterbe par la fièvre. Urbain V célébra la sainte Messe sous une tente et se rendit au couvent des Mineurs. C'est là que les envoyés des Romains vinrent lui présenter les clefs de la ville et celles du château Saint-Ange.

Après un repos de trois jours, Urbain V partit pour Viterbe, où il arriva le 9 juin. Toute la population de la ville et des environs était en fête ; Albornoz avait fait violence à la maladie pour recevoir le Pasteur suprême ; il pouvait lui remettre les Etats de l'Eglise en leur intégrité ; car tous les rebellés étaient vaincus, et toutes les villes avaient reconnu la souveraineté pontificale. Le 24 août, ce grand homme succomba au mal qui le rongeait depuis longtemps. Urbain V était encore à Viterbe il sentit vivement la grandeur de la perte qui frappait l'Eglise et sa propre personne.

Le 16 octobre au matin, le Pape quitta Viterbe. Une foule de princes italiens l'accompagnaient avec des suites brillantes. Il entra dans Rome en grande pompe., Nicolas d'Este, marquis de Ferrari, ouvrait le cortège à la tête de mille cavaliers. Onze Cardinaux chevauchaient deux à deux, avec leurs chapelains et leurs (104) maisons. Enfin venait le Pape. Amédée VI de Savoie tenait la bride de son cheval ; derrière lui, Rudolphe de Camerino s'avançait à cheval, et tenait l'étendard de l'Eglise déployé au-dessus de la tête du Pape. Galeotto Malatesta suivait avec trois cents cavaliers, et derrière lui venaient les Archevêques, les Evêques, les Abbés, une foule de barons et l'escadron de cavalerie du seigneur de Camerino. On estima à près de deux mille le nombre des prêtres et des moines. Le cortège traversa ainsi la cité léonine au milieu des cris de joie du peuple et des acclamations de la foule qui formait la haie.

Sur la place Saint-Pierre, les princes descendirent de cheval ; le comte de Savoie donna l'accolade de chevalier à douze nobles.

Pendant ce temps, le Pape montait les degrés de la Basilique et répétait avec larmes les paroles du Prophète :

« Nous étions assis sur le bord des fleuves de Babylone, et nous pleurions en pensant à Sion ».

Du haut de la chaire papale, il distribua des Indulgences à tous les assistants, et se dirigea ensuite vers le palais du Vatican, qui avait été disposé pour le recevoir. Le 18, Urbain V prit possession de l'église de Latran, (105) et, le 30 octobre, il célébra une messe solennelle au maître-autel de Saint-Pierre, où personne n'avait plus officié depuis Boniface VIII.

Le jour où le Pape entra pour la première fois dans la Basilique pour donner sa bénédiction au peuple ivre de joie, deux femmes s'étaient mêlées à la foule pieuse qui remplissait l'immensité du temple. Dans cette agitation générale, elles priaient avec une si grande ferveur qu'elles semblaient appartenir bien plus au ciel qu'à la terre. C'étaient les deux grandes Saintes du Nord, que l'Eglise honore sous les noms de Brigitte et, de Catherine.
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Claude Coowar




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CHAPITRE XXIX. Urbain V à Rome. Approbation de l'Ordre de Sainte-Brigitte. Celle-ci prévoit le grand schisme d'Occident. Le Page retourne à Avignon et y meurt. 1367-1370.

VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

29/40.

CHAPITRE XXIX. Urbain V à Rome. Approbation de l'Ordre de Sainte Brigitte. Celle-ci prévoit le grand schisme d'Occident. Le Page retourne à Avignon et y meurt. 1367-1370.

De nombreuses affaires ecclésiastiques et civiles occupèrent Urbain V dès son arrivée à Rome. Des incidents de toute nature, tour à. atour tristes ou heureux, remplirent le temps qu'il passa en Italie. Les Romains étaient au comble de la joie d'avoir reconquis leur Père et leur Pasteur suprême. Rome devint de nouveau le centre d'une vie élevée, et la Papauté sembla avoir retrouvé sa puissance universelle. Urbain V déploya une admirable activité dans les affaires de la politique, aussi bien que dans celles de l'Eglise. Dans ce dernier ordre de choses, son zèle s'appliqua tout spécialement à la réforme de la grande abbaye du Mont-Cassin, (107) dont les constructions furent en même temps restaurées à l'aide de ses libéralités ; à l'exaltation des chefs des Apôtres saint Pierre et saint Paul, qui avaient été cachés en 850 pendant les incursions des Sarrasins ; à la canonisation d'Eléazar de Sabran ; enfin à la reconnaissance et à la confirmation de l'Ordre de sainte Brigitte.

Pendant plus d'une année, notre Sainte, occupée à mettre la dernière main à l'organisation de son Ordre, avait mené une vie plus retirée et plus cachée encore que par le passé. Mais, après le retour du Pape, elle reprit, sur l'ordre de Dieu, sa vie, active d'envoyée du ciel, et elle adressa aux grands de l'Eglise et de l'Etat les mystérieuses notes diplomatiques qu'elle avait écrites sous la dictée même du Seigneur. En 1367, Birger et Charles ; vinrent à Rome visiter leur sainte mère et lui offrir leur concours pour les affaires extérieures de son Ordre.

Elle adressa une requête au Pape pour obtenir la confirmation du nouvel Institut et de sa règle ; elle sollicita en même temps une audience, qui lui fut immédiatement accordée. Il était donc enfin venu le moment où elle aurait le bonheur de baiser les pieds du Vicaire de (108) Jésus-Christ, de voir et d'entretenir le successeur de saint Pierre ; elle avait attendu cette grâce pendant vingt ans, et au milieu des souffrances, des travaux et des persécutions, elle n'avait cessé de l'espérer avec la patience et la constance d'une Sainte.

Dans les derniers jours de 1367, Brigitte, accompagnée de, ses deux fils, eut la première audience du Pape. Urbain V la reçut avec une affectueuse bonté. Birger, l’aîné des fils, était vêtu simplement, et cependant d'une manière digne de son rang ; Charles, au contraire, aimant le faste, portait le riche costume d'un prince suédois.

En les apercevant, le Pape dit au premier :

« Vous êtes le fils de votre mère »,

Et au second :

« Mais vous vous êtes le fils du monde ».

Il promit à la Sainte de faire bientôt droit à sa supplique, se recommanda, ainsi que l'Eglise, aux prières de Brigitte, et demeura pénétré d'admiration pour ses mérites et pour tout l'ensemble de son attitude, qui ne respirait qu'humilité, simplicité, vénération profonde envers le Vicaire de Jésus-Christ.

Peu de jours après, le Fils de Dieu dit à son épouse bien-aimée :

« Celui qui tient un peloton (109) de fil dans lequel se trouve de l'or très pur, déroule ce fil jusqu'à ce qu'il ait trouvé l’or. Quand il l'a découvert, il l'emploie à sa gloire et à son profit. Le Pape Urbain, dont la volonté incline au bien, est cet or véritable ; mais il est comme enveloppé des soins du monde. Va donc lui dire en mon nom : Votre temps est court ; levez-vous et veillez à la manière dont pourront être sauvées les âmes qui vous sont confiées. Je vous ai envoyé la règle de l'Ordre qui doit être fondé à Wadstena, en Suède. Cette Règle est sortie de ma propre bouche. Or, maintenant, je veux qu'elle soit non seulement confirmée de votre autorité, mais encore fortifiée de votre bénédiction, puisque vous êtes mon Vicaire sur terre. C'est moi qui ai dicté cette règle, et je l'ai pourvue d'une dot spirituelle en lui attribuant les Indulgences mêmes qui sont attachées à l'église de Saint-Pierre-ès-liens, à Rome.

« Ratifiez donc devant les hommes ce qui est sanctionné devant mes milices célestes. Si vous demandez un signe que c'est moi qui dis ceci, vous l'avez déjà reçu, car la première fois que vous entendîtes mes paroles, votre âme fut merveilleusement (110) consolée. Si cependant vous en réclamez un second, il vous sera donné, mais non comme au Prophète Jonas.

« Quant à toi, mon épouse, à qui j'ai accordé la susdite grâce, si tu ne peux, sans dépenses préliminaires, obtenir la Balle et le sceau du Pape pour la concession de cette Indulgence, ma grâce te suffit. Car je sanctionnerai et confirmerai ma parole, pat mes Saints en seront, les témoins ; ma Mère te servira, le sceau ; mon Père sera le confirmateur, et mon Esprit consolera tous ceux qui entreront dans ton couvent (1) ».


Brigitte communiqua au Papal les paroles du Seigneur.

Dans l'audience qu'elle eut â cette occasion, elle pria le Saint-Père de vouloir bien approuver la dévotion du rosaire, cuit de Brigitte, pour laquelle on ouvrit déjà alors le trésor céleste des Indulgences. L'intention de la Sainte était d'honorer, au moyen de ce rosaire qui porte son nom, les soixante-trois années que la Très-Sainte Vierge avait passées sur la terre, suivant l’opinion la plus générale. Il se compose de six dizaines, chaque dizaine d'un Pater, de dix Ave et d'un Credo, au lieu d'un Gloria Patri. A la fin, on ajoute un Pater, pour compléter le nombre sept en l'honneur des sept douleurs ou des sept allégresses de Marie, et trois Ave, pour arriver au nombre de soixante-trois (1).

(1) Révélations IV, 137.

Dans sa tendre affection pour la Très-Sainte Vierge, Brigitte récitait elle-même chaque jour son chapelet ; elle en introduisit d'abord l'usage à Rome, d'où il se répandit dans le monde entier par les soins des couvents de la Sainte ; ainsi c'est à Brigitte que l'on doit les nombreuses Indulgences dont les Papes ont enrichi plus tard cette dévotion et qui font nos délices, selon l'expression d'un auteur moderne (2), tandis que nos pères gémissaient sous les austérités des pénitences canoniques.

Sur l'ordre du Seigneur, notre Sainte écrivit à l'empereur Charles IV, dont l'approbation était également nécessaire pour le nouvel Institut ; c'est que les couvents de l'Ordre ne devaient point jouir d'exemption, mais relever de l'Evêque diocésain, et se placer sous le protectorat du chef du pays.

(1) Archives de la Chancellerie de la Congrégation des Indulgences, t. VI, p. 144.
(2) P. Frédéric William Faber.

Jésus dit à sa servante :

« Ecris ce qui suit, en mon nom, à l'empereur. Je suis la Lumière du monde qui illumina toutes choses quand toutes choses étaient dans les ténèbres... Je suis également la lumière qui vous a établi dans le monde comme un flambeau, pour qu'en vous on trouve une plus grande justice que chez les autres hommes, et pour que vous conduisiez les peuples dans la voie du devoir et de la crainte de Dieu ; et c'est ce qui me porte à me révéler à vous, moi la vraie Lumière, qui vous ai élevé sur le trône par ma grâce. J'ai confié à une femme des paroles de justice et de miséricorde. Recevez donc avec bonne volonté ses livres inspirés par mon Esprit ; étudiez-les, et faites-en sorte qu'on redoute ma justice, et qu'on ne compte qu'avec discrétion sur ma miséricorde. Apprenez également, vous qui tenez les rênes de l'empire, que moi, l'Auteur et le Créateur de toutes choses, j'ai dicté à la femme qui vous écrit, une règle pour des Religieuses en l'honneur de la Vierge, ma Mère. Lisez-la donc en entier et concertez-vous avec (113) le Pape, qui est mon Vicaire sur la terre, pour qu'il confirme devant les hommes cette règle que j'ai approuvée moi-même en présence de l'armée céleste (1) ».

Au commencement de l'année 1368, Brigitte envoya cette lettre, avec une copie de la Règle, à l'empereur qui se trouvait alors en Bohême. Et comme elle sentait bien qu'elle n'était pas seulement chargée de travailler à la fondation du nouvel Ordre, mais que, vis-à-vis du Pape et de l'empereur, elle avait à remplir une mission bien plus sérieuse, elle écrivit peu après une seconde lettre à Charles IV pour le conjurer de combattre les vices qui régnaient dans l'empire d'Allemagne et d'y faire refleurir la vertu et la piété.

(1) Révé1ations VIII, 51.

Cette nouvelle lettre était ainsi conçue :

« Je me plains à Votre Majesté impériale, non seulement en mon nom, mais encore au nom d'un grand nombre d'élus, d'un acte d'injustice commis dans l'empire d'Allemagne. Il y avait quatre sœurs, filles d'un roi puissant, qui avaient chacune leur siège et leur pouvoir dans le patrimoine paternel. La vue de leur beauté procurait une consolation inénarrable, et leur piété, soutenue par leurs vertus, répandait l'édification du bon exemple.

- La première sœur se nommait humilité dans les œuvres et les entreprises.

- La seconde s'appelait abstinence de tout ce qui blesse la, pureté des mœurs.

- La troisième portait le nom de tempérance, sans aucun superflu.

- La quatrième enfin avait nom charité pour les souffrances et les afflictions du prochain,

Ces quatre sœurs sont maintenant bannies de l'héritage paternel, persécutées et méprisées par la foule. Leurs sièges ont été envahis par quatre autres sœurs qui ne sont pas nées d'une union légitime et qui se font appeler grandes dames.

• La première se nomme dame orgueil, et s'occupe à plaire au monde en toutes choses.

• La seconde est dame concupiscence, qui ne suit que les désirs de la chair.

• La troisième s'appelle dame exigence, et, dans son avidité, elle ne sait plus se contenter du nécessaire.

• La quatrième enfin porte le nom de dame simonie, et personne, pour ainsi dire, ne peut échapper à ses fraudes ; car, saris se soucier de ce qui est légitime ou illégitime, dès qu'il s'agit d'acquérir, elle dévore tout avec une insatiable cupidité.

Ces quatre (115) dames parlent contre les commandements de Dieu, veulent les anéantir, et fournissent à un grand nombre d'âmes l'occasion de se perdre éternellement.

Agissez donc, très gracieux Seigneur, au nom de l'amour que Dieu vous a témoigné.

- Secourez les quatre sueurs qui se nomment vertus et qui procèdent de la perfection de Jésus-Christ, le souverain Roi ; elles sont opprimées présentement dans la sainte Eglise, qui est l'héritage du Christ.

- Secondez-les afin de les élever de nouveau, d'amener la ruine des vices, ces grandes dames du monde qui, filles du démon, trahissent les âmes (1) »
.


(1) Révélations IV, 45.

Peu après, nôtre Sainte eut une révélation spéciale qui lui démontra le besoin qu'avait l'Eglise de certaines réformes, notamment dans la vie et les mœurs du haut clergé ; elle la communiqua de la manière suivante, par écrit, au Pape Urbain V

« Il sembla à une personne qu'elle se trouvait dans un chœur spacieux où apparut un soleil éclatant et immense ; dans ce chœur se trouvaient deux sièges semblables à des chaires, l'un à droite et l'autre à gauche ; un vaste espace s'étendait entre ces sièges et le soleil. Deux rayons partaient de l'astre et dardaient sur les sièges.

Alors on entendit sortir du siège de gauche une voix qui disait :

« Salut éternel au Roi, au Créateur, au Rédempteur et au Juge équitable. Voici que votre Vicaire, celui qui vous représente en ce monde, a remis son siège à son ancienne place, au lieu où était assis le premier Pape, Pierre, le Prince des Apôtres ».

Une voix du siège de droite dit à son tour :

« Comment pourra-t-il entrer dans la sainte Eglise, dont les gonds sont engorgés de rouille et de terre ? Aussi les portes penchent-elles vers la terre ; parce que les crochets qui doivent soutenir les jambages ne tiennent plus dans les gonds. Les crochets sont droits au lieu d'être courbés, et le plancher est tout défoncé et troué. Le toit est enduit de poix et brûle d'un feu qu'entretient une pluie épaisse de soufre. Les murailles sont noircies par la fumée qui vient d'en bas et d'en haut. Il ne convient pas que l'ami de Dieu demeure dans un pareil temple ».

Là-dessus la voix du siège de gauche dit :

« Expliquez le sens de vos paroles ».

Et l'autre voix répliqua :

- Le Pape ressemble aux portes (117) et il est figuré par elles.

- Les trous des gonds symbolisent l'humilité, qui doit rejeter toute vanité et se réduire aux choses que comporte la simplicité de la charge épiscopale ; ainsi les trous des gonds doivent être purgés de la rouille. Aujourd'hui ces trous, c'est-à-dire les marques de l'humilité, sont si encombrées de superfluités et de richesses qu'il est impossible d'en surprendre aucun vestige sous le luxe de la pompe mondaine.

« Que le Pape donne donc l'exemple de la modestie dans son installation, dans ses vêtements, dans l'usage de l'or, de l'argent, des vases, des chevaux et des autres objets ; qu'il ne garde de ces choses que le nécessaire et distribue le surplus aux pauvres, notamment à ceux qui lui seront signalés comme amis de Dieu. Puis il devra régler sa domesticité et ne conserver que les serviteurs indispensables ; i1 est juste néanmoins qu'il en ait et qu'il puisse humilier ceux qui s'élèvent contre Dieu, contre les coutumes et les usages de l'Eglise.

« Par les crochets qui tiennent aux portes, il faut entendre les Cardinaux, qui se sont laissés aller de tout leur pouvoir vers l'orgueil et la (118) cupidité. Aussi le Pape doit-il saisir le marteau et les tenailles, et plier les gonds à sa volonté, en défendant aux Cardinaux d'avoir en vêtements, en mobilier et en domestiques au-delà du nécessaire. Il doit les plier avec les tenailles, c'est-à-dire à l'aide de douces paroles, de sages conseils et avec une paternelle affection.

« S'ils refusent d'obéir, qu'il prenne le marteau, c'est-à-dire qu'il use de sévérité et de tous les moyens qui ne blesseront pas la justice, pour les amener à se soumettre à sa volonté.

« Par le plancher défoncé, il faut entendre les Evêques et les prêtres séculiers dont les vains désirs n'ont plus de fond, et dont la vie d'orgueil et de volupté engendre une fumée épaisse, maudite des Anges du ciel et des Saints de ce monde.

« Le Pape peut amender considérablement ce triste état de choses, en ne permettant que le nécessaire et en prohibant le superflu ; en ordonnant aux Evêques de veiller aux moeurs des prêtres et, de priver de leurs prébendes ceux qui s'obstineront dans le mal et qui refuseront de vivre dans une sévère continence. Dieu préfère que la Messe ne soit point célébrée en quelques lieux, que de voir son très (119) saint Corps touché par des mains indignes et impures (1) ».


Urbain V reçut cette révélation avec une sincère humilité. L'éclat et la magnificence dont s'entouraient les Cardinaux, et les voeux qu'ils exprimaient hautement de retourner dans le Comtat-Venaissin dont ils regrettaient les douceurs, ne confirmaient que trop, aux yeux du Pape, la vérité des paroles de la prophétesse du Nord. En France déjà, il s'était occupé avec zèle des réformes ecclésiastiques ; en Italie, son activité redoubla.

Il édicta de sévères prescriptions pour les prêtres séculiers, réforma les couvents et fit de sérieux efforts pour introduire plus de simplicité dans sa cour et dans la vie des Cardinaux. Tout parut seconder Urbain. L'empereur, à la vérité, était absent. Mais il y a lieu de croire que le Pape ne comptait guère sur sa présence. De tous côtés il arriva des ambassadeurs, et l'année 1369 vit les empereurs d'Orient et d'Occident réunis dans la Ville éternelle. Beaucoup d'autres princes encore visitèrent Rome. Jeanne de Naples y vint, en même temps que Pierre de Lusignan. Ce dernier accompagné d'un seul de ses fils, se présenta avec beaucoup de simplicité. La reine au contraire avait une suite brillante de barons et de chevaliers vêtus de velours, resplendissants d’or ; et si nombreux qu'on eut de la peine à les loger tous. Urbain V reçut Jeanne à Saint-Pierre et lui offrit la rose d'or le dimanche de Laetare

(1) Révélations IV, 49.

L'empereur Charles IV arriva en Italie en mai 1368 ; au mois d'octobre, il se trouva à Viterbe, que le Pape alla visiter de nouveau. De cette ville il se rendit à Rome, où Urbain V le suivit immédiatement. Cette fois encore le Pape fit une entrée solennelle, le 21 octobre. Charles IV, qui était allé à sa rencontre jusqu'à la porte de la cité, mit pied à terre à son approche et conduisit le cheval d'Urbain V par la bride, jusqu'à l'escalier de Saint-Pierre. L'allégresse du peuple était extrême, à la vue de l'union des deux plus grandes puissances de la terre :

« Je ne me sentais pas de joie , écrivait le Toscan Collucio Salutati, en voyant ce que nos pères n'avaient jamais vu et ce qui dépassait de beaucoup nos espérances, en voyant la Papauté unie à l'empire, la chair rendre hommage à l'esprit, la (121) monarchie de la terre soumise à celle du ciel (1) ».

Le jour de la Toussaint, Urbain V couronna la quatrième femme de l'empereur, Elisabeth de Poméranie, tandis que Charles IV lui-même faisait office de diacre. Le prince demeura à Rome jusqu'au commencement de 1369, et Brigitte reçut de lui une audience, dans laquelle il lui promit sa protection et son intervention auprès du Pape pour les affaires de son Ordre.

Ainsi s’accomplissait, à vingt ans de distance, la parole que le Seigneur avait dite un jour à son épouse :

« Va à Rome et demeure dans cette ville jusqu'à ce que tu aies vu le Pape et l'empereur, et que tu leur aies communiqué en mon nom les paroles que je t'inspirerai (2) » .

A cette époque, Brigitte reçut la nouvelle de l'achèvement du couvent de Wadstena, et désira plus vivement que jamais l'approbation de sa règle par le Saint-Siège, afin de pouvoir introduire le nouvel Ordre dans sa chère patrie. Quatre ans avant sa mort, elle fut honorée de l'apparition d'un Saint de la Suède, saint Botvidus.

(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 955.
(2) Extravag. 8.

Dans une de ses extases, elle sentit son cœur rempli d'une consolation inexprimable à la vue de l'éclat du Bienheureux qui lui dit :

« Avec le concours d'autres Saints, j'ai obtenu pour vous de Dieu la grande grâce d'entendre, de voir et de ressentir des choses spirituelles ; l'Esprit de Dieu enflammera toujours davantage votre âme (1) ».


La grâce dont parla ce Saint fut souvent pour Brigitte une source d'inénarrable bonheur. Pour l'heure présente toutefois, elle devait lui causer une douleur amère ; car son regard illuminé vit à l'avance le triste schisme qui devait déchirer criminellement la robe de l'Eglise.

La Très-Sainte Vierge lui ordonna de communiquer au Cardinal Albani, alors Prieur, les révélations qu'elle eut à ce sujet. Un ordre de ce genre était toujours pénible à Brigitte.

(1) Extravag. 72.

Mais accoutumée à renoncer à sa volonté propre, elle obéit en écrivant au Prélat la lettre suivante :

« Mon Révérend Père, moi veuve j'ai l'ordre de vous informer que des choses mystérieuses ont été révélées d'une façon admirable à une femme, au temps où elle habitait encore sa patrie.  

{Une enquête minutieuse, faite par les soins des Evêques, des docteurs et de plusieurs prêtres réguliers et séculiers, a établi que cette révélation était d'origine divine et non d’ailleurs ; le roi et la reine de ce pays l'ont également reconnu. Cette femme est venue depuis lors en pèlerinage à Rome).

« Un jour qu'elle était en prière à l'église de Sainte-Marie-Majeure, elle fut ravie et vit des choses merveilleuses ; son corps était comme appesanti, mais elle ne dormait cependant pas. En cette heure-là donc, une très vénérable vierge lui apparut. Et cette femme, troublée par la vision, et connaissant sa propre fragilité, craignit d'être en proie à une illusion du démon ; elle conjura la bonté divine de ne pas permettre au démon de la tromper.

La vierge de la vision lui dit : « N'aie pas peur ; ce que tu vas voir ou entendre ne vient pas du mauvais esprit. Car de même que le soleil est accompagné de deux choses, la lumière et la chaleur, qui ne suivent pas l'ombre, de même deux choses pénètrent dans le cœur de l'homme lorsque le Saint-Esprit en approche : le feu de l'amour divin et la parfaite lumière de la foi (124) catholique. Tu sens actuellement ces deux choses en toi, en sorte que tu n'aimes rien tant que Dieu et que tu possèdes la foi catholique d'une manière parfaite. Or ces deux choses ne suivent pas le malin Esprit, qui est comparé à l'ombre épaisse.

« Ce que je te dis ici, ajouta la vierge, transmets-le de ma part à un certain Prélat ».

La femme lui répondit avec une profonde tristesse :

« O vierge vénérable, il ne me croira pas ; il attribuera mes paroles à la folie et non à la divine, vérité ».

Et la vierge répliqua :

« Bien que je connaisse déjà la disposition de son coeur, la réponse qu'il te donnera et la fin de sa vie, néanmoins tu dois l'avertir de mes paroles. Je l'informe donc par toi que, du côté droit de la sainte Eglise, le fondement est considérablement ébranlé, de telle sorte que la voûte supérieure est déchirée en plusieurs endroits et menace tellement ruine que beaucoup de ceux qui passent dessous, y perdront la vie.

« La majeure partie des colonnes qui devraient se tenir droites, s'inclinent déjà jusqu'au sol, et le pavé est si détérioré que les aveugles en entrant font des chutes. Parfois il en arrive (125) autant à ceux qui voient clair : ils tombent comme les aveugles, en heurtant aux trous du pavé.

« Cet état de choses rend la situation de l'Eglise fort dangereuse. Et ce qui doit en résulter apparaîtra dans un avenir prochain. Car elle subira certainement un écroulement si elle n'est réparée. La chute fera tant de bruit qu'on l'entendra à travers la chrétienté tout entière. Mais il faut entendre ces choses dans un sens spirituel.

« Je suis la Vierge de laquelle est né le Fils de Dieu. Je me tins au pied de la Croix à l'heure où il triompha de l'enfer par une patience céleste et ouvrit le ciel en répandant le sang de son cœur divin. Je me trouvai également sur la montagne au jour où le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, monta au ciel. J'ai eu enfin la claire connaissance de la foi catholique qu'il a daigné annoncer et enseigner lui-même à tous ceux qui veulent entrer dans le royaume du ciel. Je plane aujourd'hui au-dessus de ce monde et j'intercède sans cesse auprès de mon Fils. Je suis semblable à l'arc-en-ciel qui paraît descendre des nues vers la terre pour la toucher de ses deux extrémités ; car je m'incline (126) vers les hommes, et ma prière atteint les bons et les méchants : je m'incline vers les bons, pour les maintenir dans la fidélité aux enseignements de leur Mère, la sainte Église ; et je m'incline vers les méchants, pour les retirer de leur malice et les préserver d'une plus grande perversité.

« Que le Prélat à qui je m'adresse ici, sache donc que des nuages effrayants montent d'un côté de la terre pour ternir l'éclat de l'arc... La plupart des serviteurs de la sainte Eglise sont plongés dans les voluptés terrestres, la cupidité, les pompes et l’orgueil ; leurs péchés s'élèvent de la terre vers le ciel et dérobent la face de Dieu à ma prière, semblables à d'épais nuages qui voilent dans les cieux l'éclat de l'arc-en-ciel. Il arrive ainsi que la colère de Dieu est provoquée à l'extrême par ceux-là mêmes qui devraient m'aider à l’apaiser ; aussi, au lieu d'être élevés en dignité dans l'Église, mériteraient-ils d'être abaissés.

« Bien au contraire l'homme qui mettra ses soins à raffermir les fondements de l'Eglise, qui s'attachera à aplanit son pavé et à renouveler la vigne bénie que le Seigneur lui-même a (127) plantée et arrosée de son sang, cet homme-là peut compter, dans sa faiblesse, sur l'aide de la Reine du ciel, qui, avec l'assistance des légions angéliques, saura arracher du sable les mauvaises racines, jeter au feu les arbres stériles et les remplacer par des plants féconds. Par la vigne j'entends la sainte Eglise de Dieu, en laquelle il faut renouveler l'humilité et l'amour de Dieu.

« La glorieuse Vierge, apparue à la femme, a donc ordonné de vous envoyer ces choses par écrit. Vous saurez, mon Révérend Père, que moi qui vous envoie cette lettre, j'affirme avec serment, par Jésus le Dieu véritable et tout-puissant et par sa très-sainte Mère Marie (puissent-ils me protéger dans mon âme et dans mon corps !), que je ne vous adresse pas cette missive par vanité terrestre ni par le désir de quelque faveur mondaine, mais uniquement pour obéir à la volonté de Dieu, qui m'ordonne de porter à votre connaissance, entre beaucoup d'autres choses divinement révélées à la même femme, tout ce qui est contenu dans le présent écrit ».


« BRIGITTE (1). »

(1) Révélations IV, 98 et III, 10.

A la suite de cette vision, l'âme de notre Sainte fut remplie d'une douleur profonde ; mais elle devait être soumise bientôt à une souffrance plus grande encore. Il se préparait un événement qui menaçait d'anéantir le fruit de ses prières, de ses efforts et de ses travaux.

Urbain V ne paraissait pas être à son aise à Rome. Après le départ de l'empereur Charles IV, sa situation devint difficile, et la nomination de six nouveaux Cardinaux français avait donné à ces derniers une influence prépondérante (1). La ville retomba dans l’agitation ; il s'éleva parmi les grands des querelles qui inquiétèrent le Pape.

Enfin la lutte qui s'était rouverte entre la France et l'Angleterre avait produit sur Urbain V une impression profonde, qu'aggravait encore sa nature maladive. Il désirait, depuis longtemps, au fond du coeur, retourner dans la paisible résidence d'Avignon, et, au printemps de 1370, il annonça l'intention de regagner les rives du Rhône.

(1) Alzog, Histoire universelle de l'Église chrétienne, § 268, p. 613.

Cette nouvelle répandit partout le trouble et la tristesse ; car, en toutes circonstances, Urbain V s'était montré modéré et conciliant. La veille de son départ de Rome, il y eut encore une solennité religieuse qui procura de grandes consolations à la piété et à l'amour que Brigitte portait aux reliques des Saints.

Nous avons déjà dit qu'Urbain V, peu après son arrivée dans la Ville éternelle, avait procédé à l'exaltation des chefs des Princes des Apôtres Pierre et Paul. Lui-même, secondé par le Cardinal Capoccio, avait montré les précieuses reliques au peuple du haut du balcon de l'église de Latran ; puis il les avait replacées dans la chapelle du Saint des Saints reconstruite par ses soins. Les restes vénérés, après avoir été renfermés, le 16 avril 1370, dans des bustes splendides en or, en argent et en émail ornés de camées et de pierres précieuses, dons généreux d'Urbain V, de Charles V de France et de la reine Jeanne, furent placés, en présence d'un peuple immense, sur l'autel que le Pape avait donné à la Basilique (1).

Brigitte avait assisté à la solennité, en compagnie d'un Prieur sicilien venu à Rome.

(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 957.

Après la cérémonie, ce Religieux exprima son étonnement de ce que Dieu avait laissé les reliques de ses Apôtres durant de si longues années enfouies dans les catacombes et privées de l'hommage des fidèles.

Au moment où la Sainte allait répondre, elle fut tout à coup ravie en extase et le Fils de Dieu lui dit :

« Ce Frère s'étonne de ce que mes Apôtres sont demeurés si longtemps dans les catacombes, presque méprisés. Je te réponds : La Sainte-Écriture dit qu'Israël séjourna longtemps dans le désert, parce que la malice des païens, dont les Israélites devaient prendre les terres, n'était pas encore arrivée à son comble. Il en a été de même pour mes Apôtres. Le temps marqué pour l'exaltation de mes serviteurs n'était pas encore arrivé ; il fallait que les jours de l'épreuve précédassent ceux de la récompense ; enfin ceux à qui était réservé l'honneur de glorifier mes Apôtres n'étaient pas encore nés. Tu me demanderas peut-être si leurs corps ont été honorés pendant qu'ils étaient ainsi dans les catacombes ? et je réponds que ces corps sacrés ont été gardés et vénérés par mes Anges ; car ainsi qu'on soigne le parterre où (131) doivent être plantées des roses et d'autres fleurs odorantes, ainsi les catacombes étaient depuis longtemps préparées et honorées, à la grande joie des Anges et des hommes ».

Lorsque Brigitte revint à elle, elle communiqua cette réponse au Prieur, et tous deux en furent grandement réjouis et consolés (1).

Le lendemain, 17 avril, le Pape quitta Rome, qu'il ne devait plus revoir, et se rendit à Viterbe. De même qu'au départ de France, les employés de la chancellerie papale reçurent l'ordre de se préparer à partir dans trois mois. Cette nouvelle produisit une émotion générale, qui prit un caractère particulièrement douloureux à Rome. Quels que fussent les sentiments du peuple romain à l'égard des Papes et de leur souveraineté, il n'avait pu manquer de ressentir les graves inconvénients de leur absence, Une députation envoyée par les Romains et par le sénateur Monaldeschi arriva le 22 mai à Montefiascone, où le Pape avait coutume de passer les mois les plus chauds de l'année. Elle pria instamment le Pape de revenir.

(1) Révélations IV, 107.

Mais il répondit :

« Le Saint-Esprit m'a conduit ici, maintenant il me conduit autre part pour l'honneur de l'Eglise. Si je ne reste pas de corps au milieu de vous, je serai toujours en esprit avec vous ».

Après le départ de la députation, il envoya le 26 juin une lettre aux Romains par laquelle il les assura de sa satisfaction et de sa bienveillance ; il y déclara qu'il avait l'intention de repasser la mer, avec le secours de Dieu, pour travailler au bien de l'Eglise universelle et du pays où il allait se rendre.

Urbain V termina à Montefiascone la Bulle qui réalisa les désirs de Brigitte. Cette pièce adressée à l'Archevêque d'Upsala et aux Evêques de Strengnas et de Wexion autorisait Brigitte à fonder, d'après ses propres indications, des couvents doubles, et approuvait la création de celui de Wadstena.

Toutefois, les monastères devaient, au début, suivre la Règle de Saint-Augustin, et n'adopter les statuts de Brigitte que par rapport à leur organisation ; car le Pape se réserva de soumettre à une épreuve approfondie la Règle proprement dite du Très-Saint Sauveur (1).

(1). Les Bollandistes Buco et Nauclers émettent l'opinion que Urbain V a approuvé la règle proprement dite de l’Ordre ; mais l'Evêque Consalve-Durant, dans son introduction à la règle, et avec lui, tout l'Ordre de Sainte-Brigitte prétendent que l'approbation définitive ne fut donnée que par Urbain VI. A la vérité, Urbain V et Grégoire XI ont fait éprouver la règle, mais sont morts tous deux avant de l'avoir approuvée.

(2). Cette opinion se concilie aussi avec les paroles suivantes de la Bulle de canonisation :

« Elle (Brigitte) fonda à Wadstena, dans le diocèse de Linkseping, de ses propres moyens, et conformément aux prescriptions de l'Eglise, un couvent digne de toute vénération et destiné à soixante Religieuses et à vingt-cinq Religieux de l'ordre de Saint-Augustin, soumis à la clôture et dits du Saint-Sauveur. — Les Religieuses, ainsi que les moines, sont tenus d'observer certaines constitutions rédigées par la veuve elle-même et approuvées ultérieurement par le Siège-Apostolique. — Brigitte dota aussi le couvent de revenus suffisants".

Cette approbation qu'elle avait si vivement sollicitée et si impatiemment attendue, ne put la consoler de l'affliction que lui causait le prochain départ du Pape pour Avignon. Elle pleura, elle pria, elle conjura la Très-Sainte Vierge de vouloir bien incliner le coeur du Chef de l'Eglise, à ne pas condamner une seconde fois la pauvre Rome à une viduité inconsolable. Une nuit que Brigitte veillait en priant, sa petite chambre, qui n'était éclairée que par la faible lueur d'une lampe sur le point de s'éteindre, fut tout à coup illuminée d'une clarté céleste.

Un soleil éclatant remplit tout l'espace, et une voix aimable qui sortait du cercle (134) lumineux, dit :

« Je suis la Mère de Dieu, ainsi que la Mère des Anges, des Saints et de tous les hommes... Ecoute donc, ma fille, et fais bien attention à ce que je vais te dire de mes deux fils, que je te nommerai.

« Le premier est Jésus-Christ, qui a été engendré de mon sein virginal, afin de manifester son amour et de racheter les âmes...

« Le second, que je considère comme mon fils, est celui qui est assis sur le siège papal, c'est-à-dire sur le siège de Dieu en ce monde...
Je veux maintenant te parler du Pape Urbain. Grâce à mon intercession, il reçut du Saint-Esprit l'inspiration de retourner à Rome pour y exercer la miséricorde, affermir la foi catholique, fonder la paix et renouveler de la sorte la sainte Eglise. Comme une mère conduit son enfant, ainsi, par mes prières et par l'opération du Saint-Esprit, j'ai mené ce Pape d'Avignon à Rome, sans qu'il lui en soit arrivé le moindre mal.

" Que fait-il aujourd’hui ? Il ne me regarde plus, il me tourne le dos, il songe à m'abandonner, et cette pensée lui est suggérée par le malin esprit, qui le trompe. S'il retourne vraiment au pays où il a été élu Pape, il ne tardera pas de recevoir un tel coup (135) sur la tête, que les dents lui en claqueront. Il rendra à Dieu un compte sévère sur deux points :

- D’abord de ce qu'il a fait pendant qu'il occupait le siège pontifical,

- Puis de ce qu'il aurait pu faire pour la gloire de Dieu, et qu'il n'a point fait, alors qu'il disposait de la puissance suprême (1 ».
 


Brigitte avait écouté ces paroles avec une anxiété croissante ; quand la voix se tut et que la clarté eut disparu, elle passa le reste de la nuit en prières et en larmes, suppliant la Très Sainte Vierge, par les mérites de son divin Fils Jésus, d'avoir pitié de son pauvre fils Urbain, en l'empêchant d'obéir à l'esprit de mensonge et de retourner à Avignon.

Aussitôt que le jour parut, Brigitte fit part de la révélation à l'Evêque Alphonse de Jaen, qui la mit par écrit. Puis, accompagnée d'Alphonse, elle partit pour Montefiascone, avec la résolution d'instruire Urbain V du danger qui menaçait, de l’exhorter, de le presser, de le sauver. L'Evêque de Jaen, très lié avec le Cardinal de Beaufort, proposa à Brigitte de l'employer pour faire parvenir la révélation au Pape. A leur arrivée à Montefiascone, ils se rendirent donc au palais du Cardinal, qui avait Brigitte en grande vénération. Roger de Beaufort fut profondément impressionné par cette communication ; mais il n'eut pas le courage de la mettre sous les yeux d'Urbain V, bien qu'il ne doutât point de l'authenticité de la révélation (1).

(1) Révélations IV, 138.

D'ailleurs Urbain V se montrait maintenant aussi inébranlable dans sa résolution de retourner en France, qu'il l'avait été naguère lorsqu'il s'agissait de ramener le Siège-Apostolique à Rome. Dès lors, poussée par l'Esprit divin, Brigitte résolut de présenter elle-même au Pape l'écrit rédigé par Alphonse, sans se soucier des suites que pourraient avoir sa démarche, et dans la seule pensée d'accomplir la volonté de Dieu (2).

(1) Raynald, 1370, n° 19.
(2) Nous devons la connaissance de ces détails au fidèle compagnon de Brigitte, Alphonse de Jaen, qui les raconte en témoin oculaire.

La Sainte le conjura avec larmes de ne pas abandonner l'Italie, et de ne pas se rendre infidèle à Dieu et à son devoir. Trouvant Urbain V inébranlable, elle lui annonça, avec la fermeté d'une prophétesse, le châtiment qui l'attendait, Le Pape n'accorda aucune confiance aux paroles de Brigitte.
Après avoir présenté humblement ses hommages au Vicaire de Jésus-Christ, en fille dévouée de l’Eglise ; après l'avoir remercié de l'approbation qu'il avait donnée à son Ordre,

Il la laissa partir sans le moindre espoir d'un changement de projet ; et Brigitte retourna à Rome en pleurant et en priant. Le pieux Franciscain, Pierre d'Aragon, qui jouissait d'une si grande influence sur le Pape à l'époque de son élection, échoua également dans ses supplications. Comme Brigitte, il prévit le schisme qui menaçait ; et il l'annonça aussi au Pape. Mais Urbain V demeura inflexible ; il hâta les préparatifs du voyage, se rendit par Viterbe et Toscanella à Corneto, et s'embarqua le 5 septembre. Trois années et trois mois s'étaient écoulés depuis son débarquement en ce port. Le 16 septembre, il arriva à Marseille et foulait de nouveau le sol de France.

En Italie, tous ceux qui avaient à cœur le bien de l'Eglise étaient plongés dans la tristesse. Les Romains ne pouvaient se consoler d'être de nouveau orphelins et pleuraient le Pape. (138) Brigitte priait pour sa bonne mort ; car elle savait que, hors de Rome et de l'Italie, il n'avait plus qu'à mourir. Dans la Ville éternelle, on était généralement convaincu qu'Urbain V avait quitté l'Italie pour ne plus y revenir.

Et de fait, il n'y revint plus. Il avait emporté avec lui le germe de la maladie qui le saisit peu après sa rentrée dans Avignon. Une fièvre ardente le dévorait, et comme son état allait chaque jour en empirant, il se souvint de la révélation de Brigitte et se repentit, mais trop tard, de n'avoir accordé aucune foi aux paroles de la sainte prophétesse. Il fit le vœu de retourner en Italie et à Rome s'il retrouvait la santé, mais il n'eut pas le temps de réaliser ses bonnes dispositions.

A l'approche de la mort, il se fit transporter dans la maison de son frère Angélique. Il y mourut le 19 décembre 1370, à l'âge de soixante et un ans, sous l'habit de bénédictin et étendu sur un pauvre lit, les portes ouvertes, pour être vu de tout le monde. Il n'y avait que trois mois qu'il avait débarqué à Marseille ; les prédictions de Brigitte s'étaient donc accomplies rapidement.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

30/40.

CHAPITRE XXX.
— Grégoire XI. — Jésus-Christ ordonne à Brigitte d'aller à Jérusalem. —  Son arrivée à Naples. Pèlerinage à Ortona. — La mort enlève à Brigitte le plus cher de ses compagnons de voyage. 1371 et 1372.


Le 29 décembre, les Cardinaux réunis à Avignon entrèrent en conclave dans le palais papal. Le lendemain déjà leur choix était fait, et Pierre Roger de Beaufort, neveu de Clément VI, monta sur le trône. Dès sa jeunesse, il s'était distingué par sa rare vertu, par sa piété et la pureté de ses moeurs, et son oncle l'avait revêtu de la dignité de Cardinal, quand il n'avait encore que dix-huit ans. Sa santé était chancelante (1) ; délicat, pâle, d'une attitude sévère et compassée, il avait les dehors d'un homme âgé, bien qu'il n'eût en réalité que quarante ans ; son aspect inspirait à la fois l'amour et la vénération. Le 4 janvier 1371, le plus ancien des Cardinaux, Guy de Boulogne, le consacra Evêque, et, à la fête de l'Epiphanie, le premier Diacre, le Cardinal de la Jugie, lui posa la tiare sur la tête. A la brillante cavalcade qui suivit, le duc d'Anjou conduisait la haquenée de Grégoire XI (1).

(1).Baluze, Vitae Pap. Avenn., t. I, p. 441.

Brigitte, qui avait accompagné de ses plus ardentes prières les Cardinaux assemblés en conclave, fut très réjouie de ce choix. Le nouveau Pape, qu'elle avait appris à connaître personnellement comme comte de Beaufort, lui parut tout à. fait propre à reprendre et à mener à bonne fin l'œuvre de la restauration du Siège-Apostolique à Rome, commencée par Urbain.

Notre Sainte devait devenir le bon ange du dernier des Papes légitimes qui résidèrent à Avignon, et elle ne se lassa pas, jusqu'à la fin de sa vie si active, de supplier le successeur de saint Pierre d'abandonner Avignon et de revenir à Rome.

Au mois de janvier 1371, le premier du Pontificat de Grégoire XI, elle envoya un noble Romain, Latino Orsini, porter au Pape une lettre qui contenait la première révélation reçue par elle à son sujet.

Cet écrit contenait en substance ce qui suit :

« Une personne qui veillait en priant, entendit une voix mélodieuse qui lui parla ainsi : Je t'ai confié précédemment certaines choses que tu devais communiquer au Pape Urbain ; ce que je vais te dire maintenant, tu en feras part au Pape Grégoire. Pour me faire comprendre plus facilement, je veux me servir d'une comparaison.

« De même qu'une mère accourt en toute hâte pour relever et réchauffer dans son sein, l'enfant bien-aimé qui git à terre et qui réclame avec larmes la nourriture et les caresses maternelles, ainsi moi-même, la Mère de miséricorde, j'en agirai avec le Pape Grégoire, s'il retourne à Rome pour y fixer définitivement sa résidence; si, comme un Pasteur plein de charité, il est décidé à verser des larmes de compassion sur la perte éternelle des âmes confiées à ses soins; si, enfin, il a l'intention de renouveler et d'améliorer l'état de l'Eglise avec l'amour et l'humilité d'un bon Pasteur...

« Mais, en même temps, je l'avertis miséricordieusement des conséquences qu'amènera sa désobéissance. Il sentira infailliblement la verge de la justice, c'est-à-dire la (142) colère de mon Fils ; car sa vie sera abrégée, et il sera appelé au jugement de Dieu.

« Alors aucune puissance temporelle ne pourra venir à son secours. La sagesse et la science des médecins ne lui serviront également de rien, et l'air natal ne prolongera pas d'un jour sa vie. S'il se contente de retourner à Rome, sans y accomplir mes prescriptions, sa vie sera également abrégée et la mort se hâtera pour lui (1) ».


(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 967.

Grégoire XI, déjà fortement ébranlé par les prédictions terribles que Brigitte avait faites à Urbain V, reçut cette révélation avec humilité et avec la ferme conviction que Dieu et là Très-Sainte Vierge lui avaient parlé par la bouche de leur servante. Il envoya sa Bénédiction Apostolique à la Sainte, et lui fit dire qu'il était bien résolu à retourner en Italie et à Rome, aussitôt que possible.

Peu de temps après, pendant que Brigitte passait encore la nuit en prière, son oratoire fut de nouveau illuminé par le brillant soleil dont la Très-Sainte Vierge empruntait parfois l'image pour lui apparaître ; elle reçut une seconde révélation pour le Pape Grégoire XI.

(1) Révélations IV, 139.

Le lendemain, c'est-à-dire, dans les premiers jours de février, elle écrivit la lettre suivante au Vicaire de Jésus-Christ.

« Dieu soit loué et servi pour tout son amour ! et gloire à la Très-Sainte Vierge, sa Vierge bénie, qui a compassion de tous ceux que son Fils a rachetés de son sang précieux ! ».

« Saint Père, une personne, qui vous est bien connue, passait la nuit en prière, lors, qu'elle sentit son coeur s'embraser de l’amour divin, à l'approche du Saint-Esprit. Cette personne entendit alors une voix qui lui dit : « Toi qui as reçu la grâce de comprendre les choses spirituelles, écoute et écris au Pape Grégoire ce que je vais te dire. Moi qui te parle, je suis Celle que Dieu a élue pour sa Mère et dans le sein virginal de laquelle il a pris un corps. Mon Fils a agi avec une grande miséricorde envers le Pape Grégoire, en lui faisant connaître par moi sa très sainte volonté, telle qu'elle était exprimée dans la précédente révélation.

« Il doit cette faveur beaucoup plus aux prières et aux larmes des amis de Dieu qu'à ses propres mérites. Aussi m'a-t-il fallu lutter (144) vivement, à cause de lui, contre les desseins hostiles du démon. C'est qu'une première fois déjà, je t'ai chargée d'inviter ce Pape à retourner promptement à Rome ou du moins en Italie, et à y demeurer jusqu'à la fin de ses jours.

« Il en a été détourné malheureusement par les suggestions du démon et par les mauvais conseils d'un entourage qui n'est dominé que par des considérations de parenté, d'amitié, de possessions et de jouissances terrestres.

« Aussi, en obéissant à Satan plus qu'à Dieu et à moi, Grégoire s'expose-t-il à des tentations plus fortes et plus fréquentes. Toutefois, comme il a le désir de connaître mieux encore la volonté divine sur ce point, je consens à exaucer ce vœu. Qu'il n'hésite donc pas à croire que le bon plaisir de Dieu, est qu'il retourne immédiatement en Italie et à Rome ; qu'il ne manque pas de s'y conformer, s'il veut me conserver pour sa Mère ; qu'il hâte son départ de manière à arriver dans la Ville éternelle ou dans une des provinces d'Italie, soit en mars, soit, au plus tard, au commencement d'avril prochain.

« En cas de désobéissance il n'obtiendra plus (145) de moi ni une visite ni une révélation ; et, après sa mort, il aura à rendre compte à la justice divine de ne s'être pas conformé aux ordres de Dieu. S'il fait, au contraire, preuve d'obéissance, je tiendrai moi-même les promesses que je lui ai faites dans ma dernière révélation.

« J'informe également le Pape qu'il ne régnera pas en France de paix solide, sûre et durable, tant que ce peuple n'aura point, par de grandes œuvres de charité et d'humilité, apaisé la colère de mon Fils, que, depuis trop longtemps, il n'a cessé de provoquer par ses mauvaises actions et ses nombreux péchés. Qu'il apprenne également que Dieu voit avec déplaisir le projet de pèlerinage aux Lieux-Saints que forment en ce moment des chevaliers impies ; il l’a en aversion autant que le métal dont le peuple d'Israël composa le veau d'or, sous l'impulsion du démon. Ces chevaliers sont pleins d'orgueil et de convoitises ; l'esprit de vanité et la soif des richesses les poussent au Saint-Sépulcre bien plus que l'amour et la gloire de Dieu ».


Ces choses dites, la vision disparut.

BRIGITTE. »

Quand Brigitte eut terminé cette lettre, la Très-Sainte Vierge lui dit :

« Ordonne à l'évêque, mon ermite, de clore cette lettre, et de la sceller après en avoir fait une copie, qu'il remettra ouverte au Nonce du Pape, et au comte de Nola, pour qu'ils en prennent connaissance. Après l'avoir lue, ils devront adresser sans retard au Pape la lettre scellée.

« Quant à la copie, l'Evêque ne devra pas la laisser entre leurs mains, mais la mettre en pièces sous leurs yeux ; car, de même que cette lettre sera réduite en cent morceaux, ainsi seront démembrés par la main des ennemis des États de l'Église si, au temps déterminé, le Pape Grégoire n'est point arrivé en Italie. Sois assurée, que pour comble de tribulations, le Pape, après avoir entendu mes avertissements, en verra, de ses propres yeux, le dur accomplissement ; et toute sa puissance ne saura rendre la tranquillité et la paix aux pays qui relèvent de son autorité. Il ne convient cependant pas de communiquer de vive voix ou par écrit ces dernières communications au Nonce, la semence demeure cachée en terre en attendant qu'elle monte en épi (1) »
.


(1) Révélations IV, 140.

Brigitte et Alphonse de Jaen exécutèrent ponctuellement ces ordres, et le comte de Nola partit immédiatement pour Avignon, afin de porter au Pape la lettre de la Sainte.

Grégoire IX répondit, comme la première fois, que son désir le plus ardent et le plus sincère était de reporter le Saint-Siège à Rome, mais que cette translation ne pouvait s'accomplir encore, la guerre entre la France et l'Angleterre le retenant à Avignon.

Cette réponse ne consola pas Brigitte. Le mois d'avril de l'année 1371 était écoulé, et le successeur de saint Pierre se trouvait encore sur les bords du Rhône. Notre Sainte savait de quelles grâces Grégoire XI se privait par ses retards, car la Vierge Immaculée ne lui faisait plus aucune communication pour le Pape.

La servante de Dieu en souffrit visiblement de corps et d'âme. Ses forces s'épuisaient, et son âme s'attristait à la pensée des afflictions qui menaçaient l'Eglise. Malgré sa résignation à souffrir longtemps encore, avec l'Eglise et pour l'Eglise, elle appelait de ses vœux ardents le jour bienheureux de la vision divine ; son grand âge et l'épuisement de ses forces lui permettaient d'espérer que son pèlerinage terrestre (148) touchait à son terme.

Il est vrai qu'une des promesses qui lui avaient été faites n'était pas accomplie : elle devait voir la Terre-Sainte, visiter le sépulcre du divin Sauveur et recevoir à Bethléem, de la Vierge Immaculée elle-même, l'intelligence du doux mystère de la naissance du Verbe Éternel.

Mais, peut-être ne devait-elle entendre que dans un sens spirituel ce qui lui avait été dit à cet égard par Jésus, par Marie et par les Saints ? D'ailleurs n'avait-elle pas été maintes fois portée, sur les ailes de la contemplation, dans les endroits privilégiés qui gardent les traces du Sauveur ?

Il y a lieu de croire qu'elle s'arrêtait à ces pensées; car elle ne comptait plus faire d'autre pèlerinage ni entreprendre d'autre voyage que celui du Ciel. Dieu en avait décidé autrement.

Le 25 mai 1371, jour de la fête de saint Urbain, Pape et martyr, Jésus apparut à sa fidèle servante et lui dit :

« Prépare-toi à faire le pèlerinage de Jérusalem, pour visiter mon sépulcre et d'autres saints lieux qui s'y trouvent ; tu partiras de Rome sur l'avis que je t'en donnerai (1)».


Etonnée de cet ordre inattendu dont l'exécution semblait impossible à raison de son âge et de son état de faiblesse, Brigitte représenta, au Seigneur son incapacité d'entreprendre un tel voyage. Néanmoins, elle mit ordre à ses affaires pour reprendre le bâton de pèlerin si, malgré son humble observation, le divin Maître renouvelait son ordre.

(1) Révélations VII, 6.

Quelques mois plus tard, elle fut honorée d'une nouvelle apparition de Jésus qui lui dit :

« Va maintenant et pars de Rome pour te rendre à Jérusalem. Pourquoi objectes-tu ton âge ? Je suis le Créateur de la nature. Je puis diminuer et accroître à mon gré les forces corporelles. Je serai avec toi, je te dirigerai et te ramènerai à Rome. Je te pourvoirai aussi plus abondamment que jamais dans tous tes besoins (1) ».

Cet encouragement sembla ranimer Brigitte ; sa vigueur parut renaître sous l'action de sa joie intime ; elle se sentit la force de faire toutes choses en Celui qui la soutenait et la fortifiait, et de ce moment elle eut hâte de baiser l'heureuse terre que le sang précieux du Sauveur avait arrosée.

(1) Révélations VII, 9.

Elle termina rapidement les derniers préparatifs de son modeste bagage. Parmi les objets dont elle se munit, nous en citerons deux que l'on conserve aujourd'hui comme des reliques précieuses.

Le premier est le bâton qui lui servit dans ce dernier et pénible voyage : il est en bois d'aubépine, comme celui d'un simple pèlerin.

Le second consiste en une petite tasse en buis, dont elle faisait usage à Rome et dans ses pèlerinages. Dans l'intérieur de la tasse se trouvent gravés les mots : « Jesu Naz. Rex. Jud. Miserere. Lorsqu'elle buvait, elle avait coutume de faire cette prière jaculatoire (1) »..

(1) Ces reliques sont conservées dans le couvent des Brigittines d'Altomünster, en Bavière.

Le bâton de voyage de sainte Brigitte est renfermé aujourd'hui dans une monture moderne en argent, de telle sorte qu'on ne peut le voir qu'à la tête et par quelques ouvertures ménagées dans la longueur. Au haut de la poignée, il porte l'inscription suivante en italien : Maza di S. Brigida.

La tasse en buis avait des cannelures en forme de cercles et se rétrécissait vers le bas. Sur la baguette supérieure et à l'extérieur, on peut lire les mots italiens suivants : Ciotola dove beveda S. Brigida (petite tasse dans laquelle sainte Brigitte avait coutume de boire). Outre l'oraison jaculatoire dont il a été question déjà, on trouve sur une des dernières cannelures deux vers difficiles à lire, en lettres latines minuscules du quinzième siècle

Hujus erat ligni Satrix Birgitta beata
Hoc vase digni viventes cum pace grata.

(Sainte Brigitte planta ce bois ; ceux qui vivent dans la paix sont dignes de ce vase). D'après cela la Sainte aurait planté l'arbre duquel provenait la tasse. Voir l'histoire abrégée du couvent de Marie-Altomünster, depuis son origine jusqu'à nos jours (Munich, 1869).

Les deux objets portaient le cachet de la sainte pauvreté, que la princesse de Nérïcie, jadis si riche et si puissante, aimait autant qu'elle la pratiquait.

Brigitte s'adjoignit, comme compagnons de voyage, sa fille Catherine, ses deux fils Charles et Birger, Pierre d'Alvastra, Pierre Olafson et Alphonse de Jaen. Charles qui était depuis longtemps animé du désir d'aller combattre les infidèles en Palestine, reçut la nouvelle de ce pèlerinage avec l'ardeur et le zèle impétueux qui le caractérisaient ; Catherine, au contraire, l'accepta avec une dévotion profonde et un saint amour de Dieu.

Aussitôt que l'on connut dans Rome les projets de départ des deux Saintes, les matrones les plus riches et les plus nobles de la ville accoururent pour munir les voyageurs de larges ressources et leur procurer toutes les choses nécessaires pour un si lointain pèlerinage. Plusieurs personnes pieuses voulurent se joindre au groupe des pèlerins ; les autres se séparèrent (152) avec larmes de Brigitte, redoutant qu'elle ne succombât en route aux fatigues du voyage et qu'elle ne revît pas l'Italie.

Mais la servante de Dieu les rassura et jetant un regard d'affection maternelle sur ses compagnons, elle dit d'un ton prophétique :

« A l'exception d'un seul, nous reviendrons tous à Rome sains et saufs ».


Parmi les pèlerins qui voulurent accompagner Brigitte en Palestine, se trouva un Religieux revenu depuis peu de temps de Jérusalem et qui s'était acquis une réputation de grande sainteté à Rome. Notre Sainte elle-même l'avait en profonde vénération et s'estimait heureuse d'avoir un compagnon qui connût parfaitement le pays qu'elle allait visiter et qui se distinguât par tant de piété et de vertu.

Mais le Seigneur lui révéla que ce personnage était un hypocrite gagné à l'hérésie, avec lequel elle ne devait pas avoir de rapports. Il lui ordonna en même temps de ne plus s'adjoindre d'autres personnes, et lui promit de nouveau d'être lui-même son compagnon fidèle (1).

(1) Révélations III, 33.

Ce témoignage éclatant de la divine protection accrut encore la confiance de Brigitte dans l'assistance de son divin Epoux ; aussi, fortifiée d'âme et de corps, elle quitta avec joie la Ville éternelle vers la fin de l'année 1371. Latinus Orsini l'accompagna jusqu'à Naples (1), car il l'aimait comme une mère et la vénérait comme une Sainte. Au moment de prendre congé de lui, elle lui dit en présence de quelques amis :

« Nous nous reverrons, comte Orsini ; mais nous perdrons prochainement le plus cher de mes compagnons ».

Dans le royaume de Naples, Brigitte fut reçue partout avec le plus grand respect. On l'obligea de s'arrêter plus ou moins longtemps dans les villes et les villages qu'elle eut à traverser. Elle cédait aux instances des habitants et marquait de nouveau chacun de ses pas par des bienfaits et des miracles.

Un jour elle logea dans une maison où le malin esprit s'était établi pour tromper par des oracles le peuple ignorant et superstitieux des environs et l'entraîner à sa perte. A cause de cela, ce lieu était devenu célèbre, et beaucoup de gens y venaient pour chercher du secours dans leurs embarras, et apporter en sacrifice des animaux, du pain et du vin, quelques-uns même nourrissaient avec du lait des serpents qui s'y montraient.

Dès que Brigitte eut franchi le seuil de cette maison, l'oracle se tut, et les serpents se réfugièrent dans les recoins les plus obscurs. Lorsqu’en suite elle passa la nuit en prière, selon sa coutume, le Seigneur lui révéla que les habitants de ce lieu et des environs étaient plongés dans l'idolâtrie, qu'ils ne croyaient plus en Lui ni au Très-Saint Sacrement, mais qu'ils adoraient la déesse de la fortune, et se rendaient coupables de grands crimes.

Le lendemain matin, elle fit part à son confesseur de ce qu'elle avait appris, et lui dit que Dieu demandait de lui qu'il instruisît ce pauvre peuple égaré et le ramenât à la foi. Le prêtre, plein de zèle pour les âmes, obéit avec joie ; il démontra la sottise de la superstition, et menaça des châtiments terribles de l'enfer ceux qui resteraient avec obstination dans leur malice.

Sa parole, secondée par les prières de sainte Brigitte, ne tarda pas à impressionner les cœurs de ces égarés, qui demandèrent grâce et miséricorde à Dieu et à son serviteur. Ils abjurèrent leurs superstitions et promirent à Pierre de vivre (155) désormais en fidèles chrétiens ; le pieux Religieux reçut leurs confessions et leur distribua le Pain de vie.

Brigitte vit l'ennemi sous une forme hideuse abandonner ce lieu en lui criant :

« Malheur à moi qui suis contraint de fuir d'ici ».

C'est ainsi que Brigitte changea ce lieu maudit en un lieu de grâce et de bénédiction (1).

(1) Surius, in vita S. Birgittae, § 19.

En foulant de nouveau le sol napolitain, notre Sainte fut prise du désir de faire un second pèlerinage à Ortona, aux reliques du saint Apôtre Thomas ; elle se souvenait que dans l'une de ses visions, il lui avait été révélé qu'à sa dernière venue dans le pays, il lui serait donné d'emporter une partie de ses précieuses reliques (2). Elle se dirigea donc en toute confiance vers Ortona. Les chemins étaient couverts de neige et de glace, et les voyageurs n'avançaient que lentement.

On conseilla à la Sainte de s'arrêter en route dans une hôtellerie pour s'y reposer avec ses compagnons et s'y restaurer ; mais elle rejeta cet avis bienveillant et continua son chemin avec une sainte ardeur ; elle voulait atteindre Ortona de bonne heure, afin d'y obtenir les grâces qui lui avaient été promises.

La nuit survint, avant qu'on n'eût atteint Ortona, et il ne se présentait aucun asile hospitalier. Ils durent passer la nuit en plein air sous le vent et la pluie; aussi Brigitte regretta-t-elle amèrement un empressement qui causait tant de souffrances à ses compagnons.

Elle veilla, pleura et pria ; mais à l'aube naissante, le divin Sauveur lui apparut et lui dit que cette épreuve l'avait frappée pour avoir rejeté l'avis de faire une halte, et l'engagea à continuer cependant d'un coeur joyeux sa route sur Ortona, où saint Thomas lui remettrait un don précieux.

Les pieux pèlerins reprirent leur marche et arrivèrent bientôt au but de leur voyage. En pénétrant de nouveau dans l'église du saint Apôtre, où elle avait goûté autrefois tant de consolations, le coeur de Brigitte brûlait de l'amour de Dieu, tandis que les forces de son corps allaient en décroissant.

(1) Révélations VI, 78.
(2) Bulle de la canonisation.

Le Seigneur la salua à Ortona et lui dit :

« Je t'ai dit déjà que saint Thomas, mon Apôtre, est mon trésor. C'est une vérité, car Thomas est la lumière du monde ; mais les hommes préfèrent les ténèbres à la lumière ».

Ensuite le saint Apôtre lui apparut aussi, et lui dit en souriant :

« Je veux vous donner à présent le trésor que vous désirez depuis si longtemps ».

Au même instant, et sans que personne n'y eût touché, elle vit sortir du reliquaire devant lequel elle était en prière, un os qui vint se poser en ses mains. Elle reçut ce don avec une joie et une dévotion inexprimables et le garda avec la plus profonde vénération (1).

Ce fut au milieu de ces peines et de ces travaux entremêlés de célestes consolations, que s'ouvrit pour Brigitte l'année 1372. Après un cour, séjour à Naples, elle songea à poursuivre son voyage. En s'acheminant vers la capitale, elle dut traverser le bourg d'Aversa devenu célèbre par la fin tragique du prince André.

Un changeur de ce lieu, appelé Antoine de Corbeto, la pria d'intervenir auprès de la reine Jeanne pour lui obtenir la faveur d'un emploi important dans les douanes. La Sainte, toujours empressée à rendre service, lui promit son appui à la cour, sans y avoir réfléchi, sans n’avoir pris ni conseil de Dieu, ni avis de son confesseur.

(1) Révélations VII, 4, et Bulle de la canonisation.

Incontinent, elle sentit dans la bouche une saveur de soufre insupportable, et elle reconnut à ce signe que son empressement avait déplu au Seigneur. Touchée de repentir, elle se mit en prière.

Alors Jésus lui apparut et lui ordonna de faire le contraire de ce qu'elle avait promis à Antoine, c'est-à-dire de conseiller à la reine de ne pas lui donner l'emploi qu'il sollicitait, et de recommander à Antoine lui-même de ne pas le rechercher davantage s'il voulait éviter des dommages temporels et sa ruine complète.

Antoine résista à toutes les remontrances, mais n'arriva cependant à ses fins qu'au bout de six années. Lorsque, peu après, il fut appelé à rendre compte de sa gestion, il lui manqua une somme si importante que l'intégralité de sa fortune ne suffit pas à combler le déficit. Complètement ruiné, il fut dépossédé de sa charge et fit une fin malheureuse.

Notre Sainte arriva à Naples dans les premiers jours de février. On s'efforce de l'y retenir pour plusieurs semaines, et le peuple, comme les grands, la comblèrent de témoignages d'amour et de vénération.

Bernard, Archevêque de Naples, la pria de (159) solliciter de Dieu en sa faveur la solution de quelques questions douteuses. Elle le lui promit et obtint de Jésus-Christ non seulement les réponses désirées par le Prélat, mais en outre une instruction pratique sur la manière dont il devait gouverner sa propre maison et son diocèse (1) ; ce dont le pieux Archevêque fut très réjoui.

La reine, de son côté, envoya a Brigitte des secours abondants pour son voyage et se recommanda à ses prières. La Sainte crut de son devoir de prendre congé de Jeanne avant de s'embarquer.

Cette dernière visite à la cour de Naples devait être pour la Bienheureuse la source d'une cruelle affliction ; mais elle lui procura en même temps l'occasion de faire un de ces actes de vertu héroïque, que nous admirons dans la vie des grands Saints. Dans cette dernière entrevue des deux princesses du Nord et du Midi, les vices de Jeanne ne servirent qu'à faire briller d'un plus vif éclat les admirables vertus de Brigitte.

(1) Révélations VII, 12.

La Sainte se rendit auprès de Jeanne avec ses deux fils et Catherine. Il était d'usage alors de rendre hommage à la reine, en s'agenouillant devant elle et en lui baisant les pieds. Brigitte, Birger et Catherine se conformèrent à la coutume avec une humble simplicité.

Mais Charles, à la vue de cette femme encore toujours ravissante, se releva vivement et, avec l'impétuosité et l'audace qui le distinguaient, il baisa les lèvres de la reine.

Certes, il ne se doutait pas que ce baiser devait lui coûter la vie, et qu'en la personne de cette reine si belle, il avait embrassé l'ange de la mort.

Jeanne, loin de s'offenser de cet acte téméraire, conçut pour le prince suédois une vive passion et exprima sur-le-champ le vœu de le garder à la cour de Naples. Jacques de Malork, son époux royal., était alors en Espagne, où il mourut deux ans plus tard.

La reine alla jusqu'à dire qu'elle épouserait un jour le prince Charles. En vain Brigitte lui représenta que ce vœu coupable ne pouvait se réaliser, puisque la troisième femme de Charles, la princesse Catherine, vivait encore. Jeanne resta sourde à toutes les observations, et répéta avec animation qu'elle était décidée à exécuter sa résolution.

Accablée de douleur, la pauvre (161) mère quitta la cour. Dans son angoisse, elle recourut à la prière et supplia avec larmes le Seigneur d'enlever son fils de ce monde, plutôt que de l'exposer à un criminel amour. Cette supplication héroïque fut exaucée ; car la prière achevée, Charles, son fils préféré, vint à elle, pâle et défiguré ; il se plaignit de souffrances aiguës et d'une fièvre ardente qui le dévorait. Peu de jours après, il avait cessé de vivre. Sa mère, précédemment si inquiète, le soigna avec un calme admirable ; il expira dans ses bras, et elle lui ferma les yeux en le considérant avec un douloureux sourire.

Elle ne versa point de larmes, et de ses lèvres il ne s'échappa aucune plainte. Elle accepta avec une soumission et une humilité parfaites ce sacrifice si pénible au cour d'une mère. Elle loua Dieu ; à partir de ce jour on la vit plus ferme dans la foi, plus glorieuse dans l'espérance et plus embrasée : du véritable amour (1).


(1) Bulle de la canonisation.

Charles avait rendu l'âme, fortifié par les derniers sacrements, et par les bénédictions que l'Eglise réserve à ses enfants à l'heure solennelle de la mort. L'épouse du Christ ne pouvait que louer Dieu et le remercier. Mais la plume d'une tendre mère pourrait seule décrire ce qu'il dût en coûter à Brigitte pour concilier dans son cœur les sentiments de l'affection maternelle et celle du parfait renoncement aux créatures !

Nous pouvons deviner, mais nous ne saurions dépeindre la grandeur d'âme de Brigitte, assistant à l'agonie et à la mort de son fils, sans pousser un gémissement, sans verser une larme, sans quitter le lieu de son sacrifice. Une âme, celle qui avait su unir le plus ardent amour de Dieu à la tendresse maternelle la plus vive, l'âme de la Très-Sainte Vierge, avait seule, avant Brigitte, donné au pied de la Croix, l'exemple d'une immolation semblable, et c'est de ce modèle que notre Sainte essaya d'approcher le plus possible.

Dès que la reine de Naples eut appris le décès de Charles, elle accourut vers sa mère pour lui témoigner la part qu'elle prenait à cette perte. La Sainte la reçut avec calme et douceur ; mais Catherine ne put s'empêcher d'éprouver un sentiment de répulsion au contact de cette femme, dont l'ardente passion avait coûté la vie à son frère.

Au dire d'une vieille chronique (1), Jeanne reporta son amour sur le cadavre de Charles; elle donna l'ordre de célébrer ses obsèques en grande pompe et de déposer sa dépouille dans l'église cathédrale avec une magnificence princière ( 2). On pleura généralement à Naples la mort prématurée et imprévue du prince suédois, que les grands du royaume et la brillante cour de Jeanne accompagnèrent à sa dernière demeure.

La reine elle-même se joignit au cortège funèbre, les yeux remplis de larmes, et dans l'attitude d'une vive douleur. Brigitte, au contraire, toute résignée à la volonté adorable de Dieux et le visage rayonnant de paix céleste, suivait avec calme et recueillement le cercueil de son fils.

Les assistants ne purent s'empêcher d'admirer la tranquille résignation de la princesse de Néricie (3).

La mort et les funérailles de Charles eurent lieu dans les premiers jours de mars 1371. Ainsi s'accomplissait la prédiction de notre Sainte, qui venait de perdre en son fils le plus cher de ses compagnons de voyage.

(1) Vid. Chronie. Margar. apud Bolland., § 22.
(2) Ughellus Ital. Sacr., t. VI.
(3) Surius in vita Birg., § 24.
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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

31/40.

CHAPITRE XXXI. Départ de Naples. Arrivée à l'île de Chypre. La reine Éléonore. Influence de sainte Brigitte sur les affaires du royaume.

Les derniers événements que nous venons de raconter, avaient complètement décidé Brigitte à accomplir le pèlerinage des Lieux-Saints, ces témoins du plus grand et du plus pur des holocaustes ; elle rêvait à présent de monter à ce sommet sublime du Calvaire où les âmes éprises du divin amour apprennent, avec la science du sacrifice généreux et résigné à la volonté de Dieu, celle de la délectation dans le sacrifice. C'est que l'amour du Christ donne la soif de l'immolation.

Notre Sainte chercha donc à hâter son départ de Naples ; mais elle ne devait point quitter cette ville, où elle avait tant souffert, avant d'avoir (165) été consolée d'une manière admirable.

Peu de temps après la mort de Charles, la Très-Sainte Vierge lui apparut et lui dit :

« Je veux te révéler comment j'ai agi envers l'âme de ton fils à l'heure de son départ de la terre... A l'approche de son dernier soupir, je me tins aux côtés de Charles, pour briser les liens de tout amour terrestre et pour prévenir en lui toute pensée ou toute action qui pût déplaire à Dieu ou nuire à son âme. Je l'assistai également au moment redoutable de son entrée dans l'éternité, pour adoucir sa mort en soutenant son courage et pour le préserver de l'oubli de Dieu en cet instant suprême. Je garantis également son âme contre les attaques du démon et des mauvais esprits, en sorte qu'aucun d'eux ne put la toucher ; et dès qu'elle eut échappé à son enveloppe mortelle, je la pris sous ma protection et je mis en fuite la troupe satanique qui s'apprêtait à la saisir pour la tourmenter éternellement. Je te révèlerai aussi comment a été jugée l'âme de Charles ; mais je ne t'en parlerai que lorsqu'il me plaira de le faire (1) ».

(1) Révélations VII, 13.

Quelques dames riches de Naples, entraînées par l'exemple de sainte Brigitte, résolurent de l'accompagner dans son pèlerinage. Parmi elles se trouvait dona Maria, la femme d'un opulent Espagnol. Elle demanda â la servante de Dieu si elle devait marier une de ses filles ou la laisser à la garde de son père jusqu'à son retour de la Palestine. Brigitte lui répondit qu'elle devait la confier au couvent des Clarisses de Naples, et que c'était la volonté de Dieu qu'il en fût ainsi. La mère et la fille se réjouirent de cette décision ; mais le père, n'accordant aucune créance aux paroles de la Sainte, persista dans la pensée de marier son enfant.

Brigitte annonça alors que, s'il s'opposait. à l'entrée de la jeune fille au couvent, elle mourrait avant le jour du mariage, parce qu'il déplaisait à Dieu qu'elle eût un époux terrestre. La prédiction ne tarda pas à s’accomplir ; car peu de jours avant l'époque fixée pour les noces, la jeune fille mourut subitement (1)

(1) Mirac. 12 in secundo tomo revel.

Les pèlerins s'embarquèrent à Naples durant le Carême. Alphonse de Jaen, le fidèle compagnon de notre Sainte, nous a laissé de leur voyage un récit bien simple (1) :

« Le jeudi, 11 mars, dit-il, nous quittâmes le port de Naples pour gagner la haute mer. Le dimanche de la Passion, 14 mars, le vaisseau sortit du port et mit à la voile. Le vendredi, 17 mars, nous touchions à Messine et y restions jusqu'au Vendredi-Saint. Ce jour-là, 26 mars, nous quittâmes cette ville, faisant route vers l'île de Chypre. Le 30 mars, nous abordions à l'île de Céphalonie, par une violente tempête. Le jeudi, premier avril, on leva de nouveau l'ancre vers l'heure de Complies. Le dimanche, 4 avril, nous naviguâmes tout un jour et une nuit à l'aventure, le pilote ayant perdu la route. Le jour suivant, lundi 5 avril, nous nous trouvâmes dans un golfe de la Turquie, près d'une île de la. Grèce appelée Longo, qui était soumise au grand-maître des Chevaliers de Saint-Jean de Rhodes. Le jeudi, 8 avril, nous abordâmes, à l'heure de Vêpres, à Baffa, une ville de l'île de Chypre ; ce même jour, on se remit en route, et, grâce à un vent favorable, on arriva le lendemain à Famagouste, la capitale de l'île, où nous débarquâmes ».


(1) Apud Bolland. ad diem 8 octobris, § 22. num. 346.

Depuis longtemps Brigitte n'avait pas eu d'aussi heureuses journées que celle de ce voyage. La mer et les vents semblaient se complaire à favoriser la route de notre sainte pèlerine. Elle put se reposer ; mais elle n'omit aucune de ses dévotions habituelles ; elle était grave et recueillie comme dans son oratoire. Son âme s'abîmait dans la pensée de ce Dieu qui commande aux vents et à la mer.

Elle reçut alors l'admirable révélation qui lui fit connaître le jugement de son fils. La vision, commencée à Naples, se prolongea avec des intermittences durant le voyage, et ne s'acheva qu'au moment où la servante de Dieu pénétra dans l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

A l'époque où le navire des pèlerins était encore à l'ancre dans le port de Naples, la Très Sainte Vierge apparut à notre Sainte, qui veillait en priant, et lui dit :

« Dieu, dans sa bonté, te permet de voir et d'entendre maintenant le jugement qui a été prononcé sur l'âme de ton fils après sa séparation du corps. Ce qui s'est fait alors sans succession de temps, (169) devant l'incompréhensible majesté de Dieu, t'apparaîtra sous une suite d'imagés corporelles, afin d'aider ton entendement ».

Au même moment, Brigitte fut transportée dans un palais vaste et magnifique. Elle vit Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour innombrable des Anges et des Saints. Près de Lui se tenait sa très-sainte Mère, qui écoutait avec attention le jugement.

Elle aperçut aux pieds du juge, sous la forme d'un enfant nouveau-né, l'âme du défunt, tremblante, ne pouvant ni voir ni entendre ce qui se passait, mais en ayant la perception intime. A la droite du Juge et près de l'âme se tenait un Ange ; le démon était à gauche ; mais ni l'un l'autre ne touchait l'âme.

Le démon se mit alors à crier :

« Ecoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre d'une femme qui est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle votre amour a donné tout pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous, démons de l'enfer. Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car, en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du corps et de l'amener, avec mes (170) compagnons, devant votre tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et vous l'a présentée ».

La Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, répondit ainsi :

« Ecoute, Satan, ma réponse. Quand tu sortis des mains du Créateur, tu avais l'intelligence de la justice qui est en Dieu dès l'éternité et sans commencement. Tu as eu aussi la liberté d'agir à ton gré, et, bien que tu aies préféré haïr Dieu que de lui donner ton cœur, tu sais cependant ce que la justice exige. Or je te dis qu'il m'appartient plus qu'à toi de présenter cette âme à Dieu, son Juge. Car, durant son séjour sur la terre, elle m'a témoigné une grande affection ; elle se plaisait à se rappeler que Dieu a daigné me choisir pour sa Mère et qu'il a voulu m'exalter au-dessus de toutes les créatures. La pensée des privilèges dont Dieu a bien voulu m'honorer, lui inspirait un tel amour qu'elle se disait souvent à elle-même :  

« Je suis si heureuse de voir la Très-Sainte Vierge Marie plus chère à Dieu que toutes les créatures, que pour rien au monde (171) je ne donnerais la joie que j'en ressens. Bien plus, je mets cette joie au-dessus de tous les plaisirs de la terre, et s'il était possible que Marie perdît un seul instant quelque chose de sa haute dignité, j'aimerais mieux, s'il m'était donné de l'empêcher, être éternellement tourmentée dans les abîmes de l'enfer que de le souffrir. Donc, gloire éternelle et action de grâces infinies à Dieu, pour cette faveur singulière et cette gloire immense qu'il a donnée à sa Bienheureuse Mère ».

Tu vois, Satan, dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te semble-t-il donc ? N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma protection devant le tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber entés mains pour partager tes supplices ? ».

Et Satan demanda de nouveau :

« Pourquoi, ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de telle sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni l’effrayer ?».

La Vierge répliqua :

« J'ai fait cela à cause de l'ardent amour qu'elle me portait ».

Là-dessus le démon se tournant vers le Juge, dit :

« Je sais que vous êtes la Justice même, et que votre balance demeure égale entre les (172) démons et les Anges. Attribuez-moi donc cette âme, car j'ai écrit tous ses péchés avec l'esprit de sagesse dont vous m'avez doué à l'heure de ma création ; je les ai gardés, d'autre part, avec la malice que j'avais au jour de ma chute. Arrivée à l'âge de raison, cette âme s'est abandonnée sans résistance aux penchants qui l'inclinaient vers l'orgueil et les jouissances terrestres ».

Alors l'Ange, qui était demeuré silencieux jusque-là, éleva la voix pour dire :

« Quand sa mère remarqua ses tendances au mal, elle vint à son secours au moyen de ses oeuvres de miséricorde et d'un redoublement de prières, pour lui attirer la compassion de Dieu et lui mériter la grâce de ne pas s'éloigner de son Créateur. En considération des oeuvres de sa mère, il obtint le don de 1a; vraie crainte de Dieu, à ce point qu'il ne manquait jamais de confesser immédiatement et avec une entière contrition tout péché grave dont il se rendait coupable ».

Le démon répondit :

« Il faut que je nomme ses péchés ».

Mais quand il s'apprêta à les énumérer, il se mit à trembler et s'écria avec rage :

« Malheur à moi, misérable ! le fruit de mes longues peines m’échappe ; tout ce que j'avais écrit, se trouve brûlé et anéanti ».

« Ce résultat , reprit l'Ange, est dû aux larmes de sa mère, à ses pénibles travaux et à ses ferventes prières. Touché par les gémissements de cette mère, Dieu donna au Fils la grâce de regretter amèrement les péchés commis et de les confesser humblement pour l'amour de Dieu ; voilà pourquoi ses péchés sont effacés de ta mémoire ».

Alors Satan assura qu'il avait encore un sac plein d'écrits témoignant que si ce soldat avait eu l'intention de s'amender, il n'en avait jamais rien fait ...

Mais quand il tenta d'ouvrir le sac, il s'écria avec désespoir :

« Je suis dépouillé de ma puissance ; mon sac ne m'est pas seulement enlevé son contenu même a disparu ; je devais en tirer la preuve de sa paresse et les mille causes qui l'ont détourné de la pratique du bien ».

L'Ange reprit alors :

« Les larmes de sa mère t'ont dévalisé, ont déchiré le sac et anéanti les écrits qui témoignaient contre lui ; tant ces larmes ont été agréables à Dieu ! ».

Le démon tentant alors de le faire souffrir (174) à cause de ses péchés véniels, dit :

« Il y en a mille milliers qui sont tous écrits sur ma langue. » Mais lorsqu'il voulut les nommer, il s'écria comme un insensé : « Malheur à moi qui ne sais plus dire un mot, car ma langue a perdu sa force ».

Et de nouveau retentit la voix mélodieuse de l'Ange, disant :

« C’est encore l'œuvre des prières incessantes et des saints travaux de sa mère; car elle aima de tout son cœur l'âme de son fils. Voilà pourquoi il a plu à Dieu de pardonner au fils, pour l'amour de la mère, tous les péchés véniels de sa vie et d'enlever ainsi à ta langue la puissance d'accusation ».

Mais Satan, refusant de s'avouer vaincu, reprit :

« J’ai en mon cœur le souvenir d'un dernier grief contre lui, celui d'avoir fait des acquisitions injustes et de n'en avoir pas opéré la restitution".

L'Ange répondit :

« Sa mère a satisfait à cette faute par des aumônes, des prières et des œuvres de miséricorde, de sorte que la rigueur de la justice s'est inclinée vers la douceur, et que Dieu lui 'a inspiré la volonté parfaite de réparer les torts commis envers le prochain. Or Dieu a agréé cette disposition secrète du cœur, à raison de la surprise de la mort et des (175) réparations qui seront accomplies par ses héritiers ».

Et Satan dit encore une fois :

« Si donc je ne puis le punir pour ses péchés, il faut que je le châtie pour n'avoir exercé ni vertus ni bonnes oeuvres ; car ce sont là les trésors avec lesquels il aurait dû arriver ici ».

L'Ange lui répliqua :

« Il est écrit : Celui qui demande recevra ; on ouvrira à celui qui frappe. Ecoute donc, Satan ! Sa mère a frappé avec persévérance, pendant plus de trente ans, à la porte de la divine compassion par des prières ferventes et des oeuvres de charité ; elle a versé des torrents de larmes pour que Dieu répandît en lui son Esprit et que lui-même consacrât au service de Dieu ses biens, son sang et sa vie. Et le Seigneur a entendu cette prière ; car ce soldat est devenu si ardent au service de Dieu, qu'il n'avait d'autre désir que d'accomplir la volonté de son Créateur. Marie l'a revêtu des armes spirituelles qui conviennent à un soldat du Christ. Les Saints aussi, que ce chevalier aima et honora durant sa vie, l'ont assisté de leurs mérites. Il a lui-même réuni un trésor, comme les pèlerins qui échangent chaque jour des biens périssables (176) contre des biens éternels ; et parce qu'il a agi de cette façon, il obtiendra la joie et la gloire éternelles, et particulièrement à cause du vif désir qu'il nourrissait d'aller à Jérusalem et de combattre les infidèles pour arracher de leurs mains le glorieux sépulcre du Christ ».

Une dernière fois, Satan demanda :

« Mais comment donc ? il n'a point la couronne qu'il aurait dû mériter ! ».  


L'Ange répondit là-dessus :

« Il est certain que tous ceux qui se surmontent en se repentant sincèrement de leurs péchés, en se conformant à la volonté divine et en aimant Dieu de tout leur coeur, obtiennent la grâce de Dieu. Il plaît aussi à Dieu de leur faire une couronne de la couronne triomphante de son corps sacré, lorsqu'ils sont purifiés suivant les rigueurs de sa justice. C'est pourquoi, ô démon, tu n'as point à intervenir ici ».

Alors Satan s'écria avec fureur :

« Malheur à moi ! voici que je n'ai plus de mémoire ; je ne me souviens plus en quoi ce guerrier a offensé Dieu, et chose plus extraordinaire, j'ai même oublié le nom qu'il porta durant sa vie ».

L'Ange lui répliqua en souriant :

« Si tu as oublié son (177) nom, sache que dans le ciel il est appelé le fils des larmes ».


L'ennemi infernal s'écria alors :

« Maudite soit cette femme, et cette mère ! Je la maudis et tous les esprits de l'enfer avec moi, à cause de ses pleurs ! ».

L'Ange dit :

« La malédiction qui sort de ta bouche tourne à l'honneur de Dieu et n'est pour les amis de Dieu qu'une salutaire bénédiction ».

Enfin Jésus-Christ termina le jugement en disant :

« Retire-toi, méchant esprit ! ».  

Puis se tournant vers le soldat, il lui dit :

« Viens, ô béni de mon Père ! ».

Et Satan s'enfuit sur-le-champ (1).

Brigitte échappée à la vie des sens durant cette vision, qu'elle eut à divers intervalles, remarqua à peine que l'ancre était jetée et que le navire ne marchait plus. Elle parut sortir d'un long sommeil lorsqu'on l'invita à débarquer.

Le 14 avril 1372, les pieux pèlerins pénétrèrent dans la ville de Famagouste, alors si riche et si puissante. Pierre Ier, roi de Chypre, qui, pendant son séjour à Rome, avait entendu parler de la vie admirable de Brigitte, de ses vertus et de ses révélations célestes, avait fait connaître la Sainte à son peuple. Informée de son arrivée à Famagouste, la reine la reçut avec amour et respect -devant une cour, brillante. Eléonore, dont la situation était alors très critique, espérait recevoir de la Sainte des lumières surnaturelles, des conseils et des secours ; elle la pria donc de s'arrêter, quelque temps à Famagouste. Les grands du royaume admiraient le zèle, la sainte ardeur et le brûlant amour de Dieu, qui poussaient la princesse suédoise vers la Terre sainte, malgré son âge avancé et la faiblesse de sa santé.

(1) Révélations VII, 13.

Mais avant de parler de l'influence qu'exerça Brigitte sur les affaires du royaume, il convient de jeter un regard rapide sur la situation politique de l'île à cette époque.

L'île de Chypre, où les saints Apôtres Paul et Barnabé prêchèrent la doctrine du salut durant leur premier voyage apostolique (1), avait appartenu à divers maîtres dans le cours des siècles. En 1191, après la retraite des croisés, dont les uns avaient été repoussés de ses côtes inhospitalières, et dont les autres avaient été jetés dans les fers, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, s'en empara et la céda bientôt après à Guy de Lusignan, en échange de ses droits au royaume de Jérusalem et de la principauté de Tyr.

Le grand-maître des Templiers de cette époque contribua puissamment à l'avènement de Guy de Lusignan. Pendant trois siècles, cette île riche et florissante forma un royaume indépendant sous le gouvernement des princes latins.

(1) Actes des Apôtres XIII, 1 et suivants.

Au temps de sainte Brigitte, c'est-à-dire au quatorzième siècle, le roi Hugues IV avait régné pendant trente-sept ans, avec tant de sagesse, qu'on l'avait surnommé le père de la patrie (1). Hugues avait cinq fils dont le plus âgé et le plus jeune décédèrent avant lui. Peu d'années avant de mourir lui-même, il remit les rênes du gouvernement à son second fils Pierre, et se retira dans l'abbaye de Strovilo, qu'il avait fondée, et où il mourut. Son troisième fils, Jean, prit le nom de prince de Galilée, et le quatrième, Jacques, arriva plus tard au trône de Chypre.

(1) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. I, p. 215 (Leipzig, 1766).

Pierre Ier, surnommé le Grand, avait le caractère guerrier et combattit avec courage contre les Sarrasins. Il se ligua dans ce but avec les habitants de Rhodes et conquit Satalia, une place importante des Turcs. Il soumit aussi Candeloro et d'autres lieux (1). Pendant plusieurs années, il se montra habile au gouvernement, et bon chrétien. Sous le Pontificat d'Urbain V, comme il était vivement pressé par le sultan d'Égypte, il chercha du secours auprès du Pape et des princes de l'Europe (2). A l'époque où il attendait ce secours, il se sépara de sa femme Eléonore, une princesse aragonaise, dont le père Pierre, comte de Ripacorsa, était le frère cadet du roi Alphonse IV.

(1) Raynald, ad an. 1361, p. 414.
(2) Ibid., t. XVI, annal. ad an. 1366, p. 477 et suivantes.

La reine fut jalouse des relations qui s'établirent entre le roi, son mari et Jeanne, veuve de Thomas de Montolfi, et bientôt elle rompit complètement avec lui. Le Pape Urbain V les exhorta à la réconciliation, par l'intermédiaire de l'Archevêque Raymond de Nicosie, dont les efforts demeurèrent infructueux (1).

L'amour coupable du roi pour labelle Jeanne de Montolfi fut l'origine d'une série de crimes qui ensanglantèrent la maison royale de Chypre, à partir de ce moment. Pendant que le roi se rendait à Rome avec son fils, en 1868, Eléonore se vengea d'une manière cruelle de sa rivale; elle la fit enfermer et accabler de tourments, puis elle s'oublia elle-même jusqu'à manquer à la fidélité conjugale.

Lorsque Pierre Ier revint en Chypre, il s'empressa de délivrer Jeanne et résolut en même temps de châtier Eléonore et son favori, le comte de Ruchas.

Mais il crut prudent de remettre l'affaire au Conseil suprême, bien convaincu que celui-ci ne saurait, par une fausse sentence, proclamer l'innocence des accusés dont le sort lui était déféré. C'est ce qui arriva pourtant, parce qu'on craignait que la condamnation de la reine et du comte de Ruchas n'entraînât à sa suite de grands malheurs.

Atteint par cette injuste sentence dans ses droits les plus sacrés, le roi s'abandonna à une cruauté inouïe. Sa colère tomba sur tous ses sujets ; il condamna souvent à la prison et à la mort pour des motifs insignifiants, et au mépris de la loi, à laquelle il avait juré fidélité. La haine qu'excitaient ces procédés ne cessait de grandir. Frappé de sa situation et désireux d'effrayer les mécontents, il fit construire à Nicosie un château-fort destiné à servir de prison à ses victimes et de défense pour lui-même. Tous ceux qui commettaient quelque faute ou qui avaient le malheur de lui déplaire, étaient forcés, sans distinction de rang, ni d'âge ni de sexe, de travailler à cette construction.

(1) Raynald, Annal. Eccl. t. XVI, ad an. 1867, p. 589.

Il condamna entre autres une dame noble de la maison d'Iblim, pour un motif futile, à y porter de la chaux et des pierres. Cette circonstance provoqua le meurtre du roi. Il avait l'habitude de visiter les travaux plusieurs fois par jour. Chaque fois qu'il apparaissait, la prisonnière laissait retomber son vêtement qu'elle tenait habituellement relevé pendant qu'elle travaillait.

Quelques-uns des seigneurs de la suite du roi s'étant enquis près d'elle du motif qui la portait à affecter cette décence devant le roi, elle répondit que les femmes pudiques (183) devaient agir ainsi en présence des hommes ; mais qu'à ses yeux le roi seul était un homme et eux des femmes. Ces paroles produisirent sur eux une impression profonde et déterminèrent une conjuration des principaux Cypriens contre le roi. Ils se rappelèrent les uns aux autres les cruautés qu'il exerçait depuis son retour d'Europe, et résolurent de s'en débarrasser.

Connaissant l'aversion des frères du roi, à raison des offenses dont il les accablait, les conjurés crurent bond de les avertir de leurs projets. Le prince Jacques eut horreur du crime qui se préparait et s'efforça de changer les intentions des conspirateurs.

Tout ce qu'il put obtenir, ce fut de les faire consentir à présenter d'abord au roi de sérieuses remontrances et à lui rappeler le serment qu'il avait prêté à son couronnement. Ces démarches eurent lieu, mais sans profit.

Pierre demeura sourd a toutes les plaintes et à toutes les observations ; aussi les conjurés revinrent-ils à leur résolution de le tuer.

Ils exécutèrent leur plan le 18 janvier 1369. Les conjurés, à la tête desquels, se trouvait Jean, un des frères du roi, commencèrent par envahir de grand matin les prisons, où le roi (184) détenait un grand nombre de riches Cypriens, à l'insu du Conseil suprême. Puis ils pénétrèrent dans le palais, où ils tuèrent Pierre à coups de poignard. Ainsi périt le malheureux époux d'Eléonore, qui avait, à l'aurore de son règne, donné de si brillantes espérances.

Le roi ne laissait qu'un fils, Pierre II, appelé communément petit Pierre. Les conjurés, dit-on, voulurent également le faire périr par haine de son père ; mais il dut la vie à la prudence de sa mère Eléonore.

Le meurtre de Pierre Ier causa une grande agitation parmi le peuple ; car si, vers la fin de sa vie, le roi avait encouru la haine des grands, il n'en était pas moins aimé des simples citoyens, qui reconnaissaient lui devoir la prospérité du commerce, la richesse du pays et les fruits d'une grande aisance. Jean, prince de Galilée, frère du roi assassiné, prit, en vue des dispositions du peuple, toutes les mesures nécessaires pour assurer le maintien de l'ordre public. Il fit inhumer sans bruit le corps du roi, et nomma Pierre II pour son successeur. Comme ce dernier était mineur, il se chargea de la régence avec Eléonore, et s'occupa, avant tout, de faire (185) réviser et compléter la législation, pour rassurer tous les intérêts.

Il désigna seize nobles pour rédiger un exemplaire authentique du Code, qui devait être déposé ensuite dans le trésor de l'église principale de, Nicosie (1). Sans aucun doute, le règne tyrannique du précédent roi qui, dans les derniers temps, avait foulé aux pieds toutes les lois, contribua à leur restauration et inspira la pensée d'en mieux assurer la conservation.

Telle était la situation lorsque Brigitte apparut dans l'île comme une étoile lumineuse au sein des ténèbres du péché et du crime. La reine Éléonore se trouvait dans une situation fort délicate. Elle partageait la régence avec un homme qu'elle savait être le meurtrier de son mari et dont elle dépendait, ainsi que Pierre II. Aussi se sentit-elle merveilleusement consolée en apprenant que la sainte princesse de Suède s'acheminait vers le royaume de Chypre ; elle ne tarda pas à reconnaître que ses espérances étaient fondées, et que Brigitte était une conseillère à la fois prudente et éclairée de Dieu.

(1) Raynald, t. XVI, annal. ad an. 1370, p. 487.

Mais notre Sainte ne se trouva pas en paix à Famagouste. Dieu lui avait révélé que les magnifiques palais de cette ville s'écrouleraient et qu'ils seraient détruits à cause des péchés des habitants, comme autrefois Sodome et Gomorrhe (1). Famagouste était l'une des plus riches cités commerçantes de l'époque. Le luxe n'y avait point de bornes. « Ses habitants, dit un ancien pèlerin, vivent dans le superflu. L'un d'eux donna à sa fille, comme présent de noces, une parure qui, à elle seule ; avait plus de prix que tous les bijoux de la reine de France (2).

L'humble fille de Saint-François, le patriarche des pauvres, avait hâte de quitter ce lieu de luxure et de prodigalité ; aussi voulut-elle reprendre son voyage sans retard. Mais la reine la supplia avec larmes de ne point l'abandonner encore et de demeurer à Famagouste jusqu'au couronnement de son fils Pierre.

(1) Révélations VII, 16.
(2) Rodolphe de Saxe, De terrâ Sanctâ et itinere Hierosoltimetano.

Brigitte céda à ces instances et promit de s'arrêter dans l'île, au moins pendant quelques semaines. Eléonore ne se contenta pas de la consulter sur toutes les affaires de l'Etat ; elle lui ouvrit aussi son cœur en lui confiant ses secrets les plus intimes, pour obtenir ses conseils sur les points importants de sa propre vie. Elle se demandait si elle devait retourner en Espagne, sa patrie, ou demeurer dans l'île et y contracter un second mariage.

Brigitte, inspirée par Dieu, lui dit que son devoir était de rester dans la position où Dieu l'avait placée et de renoncer à revoir sa patrie ; elle l'exhorta à aimer Dieu de tout son cœur et à ne point contracter une nouvelle union, mais à pleurer son passé et à l'expier dans la sincérité du repentir et de la pénitence. Elle la pressa aussi d'étouffer toute pensée de vengeance, de faire choix d'un confesseur pieux et éclairé, et de lire assidûment l'histoire des reines et des femmes saintes, pour régler sa propre vie sur ces admirables modèles.

Convaincue de la sainteté de la princesse de Néricie, se soumit pleinement à son empire, et ni elle ni la cour ne doutèrent de l'authenticité des révélations qu'elle avait reçues de Dieu.

Brigitte n'attendit pas la solennité du couronnement de Pierre II; il lui tardait d'arriver au but de son pèlerinage, le sépulcre du divin Sauveur; or le couronnement ne devait se faire que l'année suivante.

Elle lui donna d'utiles avis pour l'éducation du jeune Pierre, l'engagea à se vêtir avec décence et à obtenir un semblable résultat de ses sujets ; elle l'a conseillé également sur les moyens d'imprimer au gouvernement du pays une direction sage et modérée (1).

Eléonore, convaincue de la sainteté de la princesse de Néricie, se soumit pleinement à son empire, et ni elle ni la cour ne doutèrent de l'authenticité des révélations qu'elle avait reçues de Dieu.

Brigitte n'attendit pas la solennité du' couronnement de Pierre II; il lui tardait d'arriver au but de son pèlerinage, le sépulcre du divin Sauveur; or le couronnement ne devait se faire que l'année suivante.

(1). Révélations VII, 10 (addition).

Avant son départ, elle donna au jeune prince de sages conseils qui devaient lui servir de règle de vie.

Après avoir travaillé avec un zèle infatigable au bien de la ville et du royaume de Chypre, durant le mois de séjour qu'elle fit à Famagouste, elle prit congé de la reine et de Pierre, et se remit en route. Eléonore en conçut une grande affliction, et Brigitte ne put la consoler qu'en lui promettant affectueusement de penser à elle et à son peuple au tombeau du Seigneur. Au nombre de ceux qui se recommandèrent particulièrement aux prières de la Sainte se trouvait un Frère-Mineur qui avait soumis à Brigitte divers cas de conscience et certains doutes sur (189) l'observation de la Règle de son Ordre. Elle lui fit également promesse de se souvenir de lui à Jérusalem et de demander à Dieu la solution des questions qui le préoccupaient.

A son départ, on lui conseilla de changer de vêtements et de se noircir le visage, à cause, des Sarrasins. Elle se demanda s'il y avait lieu de prendre cette précaution, pour Catherine du moins, dont la beauté attirait toujours les regards ; mais avisée par Jésus lui-même de n'en rien faire ni pour elle ni pour sa fille, elle quitta l'île hospitalière, avec ses compagnons et fit voile pour la Palestine.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SAINTE SUEDE.

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CHAPITRE XXXII. — Arrivée en Palestine. — Jérusalem. —  Bethléem. — La Très-Sainte Vierge accomplit la promesse qu'elle avait faite à sainte Brigitte quinze ans auparavant.

Le voyage fut d'abord très heureux ; grâce à un vent favorable, le navire approchait rapidement de Joppé, le port ordinaire de débarquement. Mais, tout à coup, il s'éleva une violente tempête ; la mer devint furieuse, et le bâtiment, devenu le jouet des vagues, semblait prêt à s'engloutir. Les passagers et les matelots eux-mêmes tremblaient ; Brigitte seule resta calme, et le courroux des flots ne put la distraire de ses prières et de son recueillement. Le danger devint, extrême à l'entrée du port ; une secousse terrible ébranla subitement le navire. Il venait de toucher et de s’entrouvrir ; on jeta les marchandises à la mer et tout le (191) monde s'attendait à périr.

Brigitte reconnut l'imminence du péril ; mais, s'abandonnant à la volonté divine, et disposée à mourir selon le bon plaisir de Dieu, elle garda sa tranquillité d'âme dans cette situation critique. Elle fut en cet instant admirablement consolée par une voix intérieure. Elle redut l'assurance qu'aucun des passagers nés périrait. Elle en fit part à Catherine, et la délivra ainsi de l'effroi qui la poussait à se serrer contre sa mère.

Le vaisseau put enfin jeter l'ancre à Joppé, et deux jours après les pèlerins mirent pied à terre. Ils s'acheminèrent vers Jérusalem par 1e chemin que suivent habituellement les caravanes et qui passe à Yazour, Lydda, Ramleh et Roubab, Latron et Kouryet et Enab.

Ils y parvinrent en deux jours. Brigitte, redevenue la femme forte dont parle la Sainte-Ecriture, s'occupait charitablement de tous, et s'oubliait elle-même. Appuyée sur son bâton, elle marchait courageusement, en méditant les mystères dont cette terre privilégiée avait été témoin. Ramleh était autrefois Arimathie, où demeurait Joseph qui fut en secret disciple de Jésus-Christ et qui demanda à Pilate le corps du (192) Sauveur pour l'ensevelir honorablement.

On appelait alors le château de Latron « castellum boni latronis» , parce qu'on le considérait comme l'ancienne résidence du larron pardonné.

A l'approche de Jérusalem. Brigitte se demanda si elle prendrait gîte au couvent des Mineurs, bâti en 1333 sur la montagne de Sion, ou à l'hospice des pèlerins. Elle aurait bien aimé résider sur la Montagne sainte, dans le voisinage des fils de son Père séraphique saint François, qui l'auraient certainement reçue avec empressement ; mais, d'autre part, elle ne renonçait pas volontiers à son habitude de vivre au milieu des pauvres de Jésus-Christ.

La Mère de Dieu dissipa ses hésitations en l'engageant à faire choix du logis des pèlerins, pour ne pas scandaliser les gens pieux, et ne pas donner aux méchants l'occasion de faire des jugements téméraires (1).

(1) Révélations VII, 17.

Nos pèlerins arrivèrent devant Jérusalem la veille de la fête de l'Ascension de Notre-Seigneur. Du côté où ils l'abordaient, ils aperçurent la ville de Dieu à une distance de dix minutes et la saluèrent avec une joie et une piété profondes :

« Je te salue, Ville sainte, tente que le Très-Haut a sanctifiée pour y accomplir le salut du genre humain. Je te salue, ville du grand Roi, où les miracles se sont succédé presque sans interruption depuis l'origine du monde. Je te salue, maîtresse des peuples, mère des prophètes, institutrice de la foi chrétienne, toi que Dieu a permis d'attaquer sans cesse, afin de faire briller le courage de tes défenseurs et de leur faire mériter le salut. Je te salue, terre promise, qui as fait couler autrefois pour tes habitants des ruisseaux de lait et de miel, et qui donnes aujourd'hui à la terre entière les moyens de sanctification et la nourriture de vie ! ô pays bon et précieux, qui as reçu un jour, dans ton sein fertile, la semence que l'amour divin lui-même y déposa, qui as produit une si riche moisson de martyrs et les as multipliés au centuple dans tout l'univers. De glorieuses choses ont été dites de toi, ô cité de Dieu (1) ! ».

(1) Ex. D. Bernardo, t. I, Serra. ad milites templi, c. V, 11.

Voilà bien le langage de l’amour ! C'est en de pareils accents que durent être salués les murs de Jérusalem par les prêtres pieux qui, accompagnaient Brigitte ; quant à elle, elle garda le silence ; au terme de son pèlerinage, elle répandait en abondance les larmes de l'amour et de la reconnaissance.
Peut-être se souvint-elle des paroles du Prophète :

« Mais le Seigneur est dans son Temple saint ; que devant sa face toute la terre soit en silence (1) ».

La pensée qui absorbe surtout les cœurs chrétiens à Jérusalem, c'est celle de la Passion du divin Sauveur. Le souvenir du mystère d'amour qui s'accomplit au cénacle, le bruit du tonnerre qui ébranla, ses murs au jour de la Pentecôte, lorsque le Saint-Esprit descendit sous forme de langues de feu sur les Apôtres en prière, la pensée de la glorieuse Ascension du Rédempteur sur le mont des Oliviers, tout disparaît devant le souvenir unique des souffrances amères et de la mort ignominieuse de Notre-Seigneur sur la croix. Combien la vue des principaux lieux de la Palestine dut augmenter dans l'âme de Brigitte son amour pour le Sauveur souffrant ! Cet amour, qu'enfant elle avait ressenti soixante ans auparavant, en considérant, du fond de la Scandinavie, les douleurs et les plaies du Rédempteur, devait à présent atteindre à son apogée.

(1). Habacuc II, 20.

La nuit était tombée lorsque les pèlerins entrèrent dans Jérusalem ; ils baisèrent avec respect la terre que foulaient leurs pieds, puis ils cherchèrent un gîte dans l'hôtellerie publique des pèlerins, qu'ils devaient occuper durant quatre mois.

Le lendemain matin, fête de l'Ascension, dans la seconde moitié du mois de mai 1372, Brigitte visita, pour la première fois, la Voie douloureuse et s'agenouilla aux stations où, depuis Constantin et sainte Hélène, des millions de pèlerins ont retrempé l'ardeur de leur piété dans les larmes du repentir et de l'amour. Le jour était déjà fort avancé lorsqu'elle arriva à l'église du Saint-Sépulcre, dont la splendide enceinte renferme les dernières stations.

Elle traversa le vestibule et pénétra dans la nef vers le saint-Tombeau, qui se trouve dans une petite chapelle. Elle y pria avec une dévotion inexprimable, et, quoique pauvre elle-même, pour l'amour de Jésus-Christ, elle déposa une petite (196) offrande pour l'entretien des lampes qui brûlent sans cesse dans ce lieu béni. Ce fut là qu'elle connut dans le ravissement d'une extase, le sort éternel de son fils, dont elle vit l'âme entrer au ciel, en compagnie de celles de quelques-uns de ses parents.

Dans l'excès de sa joie, elle s’écria :

« O vertu éternelle et incompréhensible, ô Jésus-Christ, mon Dieu et mon Seigneur, vous versez dans les coeurs les bonnes pensées ; vous accordez le don de la prière et des larmes. Que toutes les créatures vous louent, vous adorent et vous soient reconnaissantes. O Dieu très doux, je vous aime plus que je ne puisse dire, je vous aime plus que ma vie et mon âme (1) ».

(1) Révélations VII, 13.

Tandis que Brigitte, toute au bonheur de savoir son fils bien-aimé hors des flammes du Purgatoire, rendait à Dieu d'ardentes actions de grâces, le Seigneur lui apparut au lieu de son crucifiement et lui adressa ces consolantes paroles :

« A ton entrée dans ce temple, que mon sang a consacré, tu as été purifiée de tous tes, péchés, comme si tu venais de sortir des eaux du baptême. Par l'efficacité de tes prières et par le mérite de tes fatigues, tu as procuré en ce jour la gloire du paradis aux âmes de tes parents, que retenait encore le lieu d'expiation. Car tous ceux qui viennent en ce lieu avec piété et repentir, reçoivent le pardon de leurs péchés, et la grâce sanctifiante grandit admirablement en eux ».

Ces paroles comblèrent le coeur de l'épouse du Christ d'une consolation céleste et la dédommagèrent des peines et des labeurs de son long voyage. A partir de ce moment, l'église du Saint-Sépulcre devint pour elle son lieu de prédilection, vers lequel elle se sentait toujours et toujours attirée.

Le jour suivant, qui était le vendredi dans l'Octave de l'Ascension, Brigitte se trouvant au Tombeau du Sauveur, eut une vision dans laquelle elle assista à la Passion et à la mort de Notre-Seigneur, depuis le moment où il fut mené au Calvaire jusqu'à celui de son ensevelissement.

Elle composa plus tard le récit de cette vision qui commence par ces simples mots :

« Lorsque je me trouvai au Calvaire, pleurant amèrement, je vis mon Seigneur que les Juifs conduisaient vers le lieu du crucifiement. Je vis également dans la montagne un trou autour duquel étaient rangés les bourreaux prêts à accomplir leur oeuvre de cruauté. Mais le Seigneur se tournant vers moi me dit :

« Remarque-le biens, c'est dans cette ouverture du rocher que le pied de ma croix fut planté, lors de ma Passion » .

Elle raconte ensuite, dans les moindres détails, tout ce qu'elle avait vu ; car Dieu lui montra la Passion de son Fils, sa mort et la cruelle douleur de sa Mère, telles que Jérusalem en fut elle-même témoin le Vendredi-Saint, où Dieu expira pour donner la lumière au monde (1). Après la disparition de la vision, Jésus-Christ, se plaignit à sa fidèle servante de ce que les hommes pensaient si peu à sa douloureuse Passion et se préoccupaient bien plus des joies du monde que du souvenir de ses souffrances et de sa mort. Il lui dit aussi que si les princes de la terre et les Pasteurs de l'Eglise ne revenaient pas à Lui et ne tournaient pas leurs pensées vers la Croix, il leur ferait partager la condamnation encourue par ceux qui avaient jeté ses vêtements au sort.

(1) Révélations VII, 15.

Nos pèlerins visitèrent ensuite les Lieux-Saints de Jérusalem et des environs. Le roi Robert de Sicile et sa pieuse compagne les avaient tous rachetés du sultan d'Égypte, moyennant une somme de quatorze millions, pour les soustraire au vandalisme des Turcs. Ils les avaient ensuite remis au Saint-Siège, qui en confia la garde aux Franciscains par une Bulle de Clément VI, datée d'Avignon, le 21 novembre 1342 (1).

Brigitte qui fut toujours accueillie avec vénération par les bons Religieux, fondateurs en Palestine d'un royaume plus durable que celui de Godefroi de Bouillon, put ainsi satisfaire sa piété. Elle visita Gethsémani, la métairie isolée qui est située sur la pente occidentale du Mont des Oliviers, de l’autre côté du Cédron ; la grotte de l'agonie, dans le jardin des douleurs ; elle pria et pleura devant l'autel où on lit l'inscription suivante :

« Ici sa sueur ruissela à terre en gouttes de sang » ; mots dont le sens cache un océan de douleur et d'amour. Elle alla à Béthanie, qui n'est qu'à une lieue de Jérusalem, sur le versant oriental de la Montagne des Oliviers. Elle aimait à prier à l'endroit où le Sauveur demeura souvent, et elle baisait le sol de l'église élevée sur l'emplacement de la maison de Simon, cette maison où l'amour repentant de Magdeleine lui mérita la rémission de ses péchés (1). Elle traversa lé Jourdain avec ses compagnons, et parcourut le lac de Génésareth que Capharnaüm, Tiberias, Bethsaïda, Tarichée, Chorazain et d'autres lieux entouraient comme une gracieuse couronne, au temps du divin Sauveur.,

Plongée dans une profonde méditation, elle suivit les bords du lac, à travers l'admirable campagne de Génésareth, l'une des plus remarquables de la Palestine ; par ses palmiers, ses citronniers, ses orangers, ses champs de riz et ses touffes de lauriers roses que l'on aperçoit de tous côtés, au sommet des collines comme au fond des vallées.

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 368.

(1) Au dire de Rodolphe de Sachem, Béthanie possédait encore trois églises au quatorzième siècle, une sur le tombeau de Lazare, la seconde sur l'emplacement de la maison de Marthe et de Marie et la troisième sur celui de la maison de Simon.

Les alentours du lac sont peuplés des souvenirs du Christ, qui aimait tant à les parcourir et où il daigna se manifester comme Celui « à qui est donné toute puissance au ciel et sur la terre (1) ».

C'est sur les bords de ce lac qu'il choisit ses premiers disciples, pour en faire des pêcheurs d’hommes ; c'est là qu'il accomplit tant de miracles, et qu'un jour il commanda aux vents et à la mer en courroux, pour calmer l'effroi de ses, disciples (2). Ce fut sur ce lac qu'il tendit la main à Pierre, au moment où, en punition de son doute, l'Apôtre enfonçait dans les eaux (3). C'est sur ces plages encore, qu'au lendemain de sa résurrection, le Sauveur se montra à ses disciples, avec ses plaies rayonnantes, et qu'il mangea avec eux ; ce fut là qu'il confia à Pierre la charge de Pasteur suprême de tous les fidèles, et qu'il fonda le règne de la sainte Eglise, en disant à Pierre, qui par trois fois venait d'attester son amour :

« Paix mes agneaux, paix mes brebis (4) ».


Ces adorables souvenirs se présentèrent tour à tour à l'âme de Brigitte et la remplirent d'un tendre et profond amour pour Jésus et pour l'Eglise ; pour cette Eglise, qui est une, sainte, catholique, qui est la Mère des chrétiens, l'Epouse du Christ, Fils unique de Dieu ; pour cette Eglise dont le Chef est Pierre, le premier et le plus grand des Apôtres, le héraut le plus éminent, le maître des disciples et le gardien des clefs du royaume du ciel (1).

De tous les endroits de la Palestine que, pendant sa vie mortelle, 1e divin Sauveur daigna sanctifier par son adorable présence et qui renferment tant et de si admirables mystères, aucun n'attirait Brigitte autant que Jérusalem et l'église du Saint-Sépulcre. C'était dans la chapelle du Calvaire, dont l'autel occupe l'emplacement mêmes de la croix qu'elle allait prier et pleurer de préférence ; là elle s'abandonnait tout à son aise aux ravissements de son amour pour ce Dieu qui l'avait aimée jusqu'à livrer pour elle son Fils unique.

Dans les douces allégresses de son cœur, dans les admirables visions qu'elle eut en ce lieu, elle n'oublia pas ceux qui s'étaient recommandés à ses prières.

Elle pria pour Grégoire XI, afin qu'il reprît et conduisît à bonne fin l'œuvre de la restauration du Saint-Siège à Rome.

(1) Mathieu XXVIII, 18.
(2) Mathieu VIII, 23 et suiv.
(3) Mathieu XIV, 22-33.
(4) Jean XXI, 15-17.

(1) S. Cyrillus Catech. II, 19, p. 51, et XVIII, 23 et, 26, p. 296.

Comme la Sainte-Vierge l'avait prévenue qu'elle ne recevrait plus d'elle de révélations pour Grégoire XI (1), Brigitte supplia le divin Sauveur de daigner lui-même faire pénétrer son amour tout-puissant dans le coeur du Pape et le ramener dans cette Ville éternelle, d'où les saintes lois de l'Evangile s'étaient répandues sur le monde entier, dans cette Rome, qui reste la maîtresse de l'univers malgré ses abaissements ; car, s'écrie saint Prosper :

« Ce que Rome ne possède point par les armes, elle le possède par la foi ».

Brigitte aimait Rome comme sa seconde patrie ; aussi ne cessa-t-elle, à Jérusalem, de prier pour le bien de la Ville éternelle.

Elle n'oublia pas près du Saint-Sépulcre la promesse par elle faite à la reine Eléonore de Chypre ; elle sollicita la grâce et la miséricorde de Dieu sur le jeune Pierre et sur son royaume. Le Seigneur exauça sa prière et l'instruisit des résolutions à prendre dans l'intérêt du pays ; il lui indiqua six points, dont les régents de Chypre devaient se préoccuper.

Il lui dit :

« Ecoute, ma fille, les conseils que tu dois communiquer au jeune roi de Chypre et au régent, son oncle. Transmets-les-leur par écrit, comme venant de toi, et exhorte-les à les suivre fidèlement (1 ».

Ces avis se résument ainsi :

« Pierre et Jean, le prince de Galilée, doivent gouverner le royaume dans un esprit d'amour et de concorde, et s'occuper avec un soin affectueux du bien spirituel et temporel de leurs sujets. Ils devront, pour l'amour de la Passion et de la mort de Notre-Seigneur, accorder un pardon complet aux meurtriers de Pierre Ier. Ils devront veiller au rétablissement de certains usages ecclésiastiques, tombés en désuétude dans le cours des siècles. Enfin, ils devront s'entendre avec les chefs de l'Eglise sur les mesures qui seront de nature à rétablir la religion dans l'île de Chypre et à ramener ses habitants à la vertu et aux bonnes mœurs (2) ».

(1) Révélations IV, 140.

(1) Révélations VIII, 22.
(2) Révélations VII, 18.

Quelques jours après, Brigitte reçut une autre révélation touchant le royaume de Chypre pour le bien duquel elle ne cessait de prier. Durant son extase, elle se vit transportée en un palais immense et magnifique. Elle y aperçut Jésus-Christ entouré de ses Saints et assis sur un trône splendide.

Après lui avoir fait le tableau des bienfaits dont il avait, à travers les siècles, comblé les Cypriotes, et avoir gémi de leur ingratitude, le Sauveur fit entendre ces terribles paroles :

" C'est pourquoi, ô peuple de Chypre ; je t'annonce que si ta conversion n'est pas entière, je te détruirai avec toute ta postérité. Je n'épargnerai ni le pauvre ni le riche ; car vous serez anéantis, et vous disparaîtrez si rapidement de la mémoire des hommes, qu'ils ignoreront si vous avez existé... Apprends, peuple révolté contre ma loi, que tu ne mérites pas la grâce de ces avertissements ; et si je t'annonce aujourd'hui ta ruine, qui est imminente, c'est uniquement par égard aux supplications de quelques âmes fidèles que tu comptes encore dans ton sein. Je m'adresse ici aux chrétiens latins qui doivent obéissance à l'Eglise latine : au jour, de leur baptême, ils m'ont juré de garder fidèlement la vraie foi, la foi catholique ; mais en pratique, ils l'ont reniée".

Quant aux Grecs schismatiques, Jésus dit à Brigitte :

« Ceux des Grecs qui savent que les (206) chrétiens doivent n'avoir qu'une foi, la foi catholique, et n'obéir qu'à une Eglise, l'Église romaine ; qui savent qu'on ne doit reconnaître en ce monde qu'un seul Vicaire du Christ, le Pape de Rome, Pasteur suprême et universel, et qui, nonobstant, par orgueil ou par tout autre motif humain, refusent leur obéissance, soit à l'Eglise romaine, soit à mon Vicaire, ceux-là n'obtiendront, après leur mort, ni pardon ni miséricorde. Il n'en sera pas de même des autres Grecs, de ceux qui, le jour où ils connaîtraient la foi catholique-romaine, l'embrasseraient volontiers, et se soumettraient humblement à l'Eglise de Rome : s'ils s'abstiennent de pécher et vivent pieusement, ils trouveront en moi, après leur mort, quand ils paraîtront à mon tribunal, un Juge clément et miséricordieux ».

Dans la même vision, Brigitte eut la prescience de la chute de l'empire d'Orient, et le Seigneur lui dit à ce sujet :

« Que les Grecs apprennent que leur empire, leurs royaumes et leurs domaines ne seront jamais en paix, ni en sécurité, mais sous la domination de leurs ennemis, tant qu'ils ne feront pas leur humble (207) soumission à l'Eglise et au Pape de Rome, et qu'ils résisteront aux lois et aux usages de cette sainte Eglise ».

Sur ces mots, la vision disparut, laissant Brigitte dans l'anxiété et la crainte (1).

Peu de jours auparavant, notre Sainte avait écrit à la reine Eléonore, et fait part au jeune Pierre, ainsi qu'à son oncle, des conseils qu'elle avait été chargée de leur transmettre. Elle s'empressa de faire partir une nouvelle lettre, dans laquelle elle relata la seconde vision. Elle pria Pierre et le régent d'assurer la publicité de cette révélation, pour amener le peuple cypriote, par la crainte des menaces divines, à détourner de lui le jugement du Seigneur.

Pierre reçut avec soumission les paroles de Brigitte, et se montra disposé à s'y conformer ; mais Jean s'y refusa, et, comme le jeune prince n'avait pas été couronné, il dut subir la volonté du régent.

Parmi les grâces sans nombre dont Notre-Seigneur combla sa fidèle servante durant son séjour en Palestine, l'une des plus signalées fut celle qui l'attendait à Bethléem.

(1) Révélations VII, 19.

Dans les premiers jours du mois de juin, Brigitte et ses pieux compagnons sortirent de Jérusalem par la porte de Jaffa et se dirigèrent vers Bethléem, située au sud, à une distance de deux lieues environ, pour y vénérer la grotte de la Nativité.

Silencieuse et plongée dans le recueillement, la Sainte suivait la voie où avaient passé autrefois Abraham et Jacob, Salomon et David, les rois Mages, ainsi que saint Joseph et la Très-Sainte Vierge, quarante jours après la naissance du divin Sauveur.

Les pèlerins passèrent près de la tour de Saint-Siméon, où se trouvait autrefois la demeure de Siméon le Juste, à qui il fut permis de prendre l'Enfant-Jésus dans ses bras. Ils passèrent également auprès du térébinthe sous lequel se reposa la Sainte-Vierge en se rendant à Jérusalem pour la Présentation de l'Enfant-Jésus au Temple, et qui s'inclina comme pour saluer le Sauveur arrêté à son ombre et lui former comme une couronne avec ses branches. A l'exemple des pieux fidèles, nos pèlerins baisèrent le térébinthe, en souvenir de ce fait miraculeux (1). Le coeur embaumé de tous les gracieux souvenirs dont Bethléem et ses environs sont si riches, ils eurent bientôt atteint la petite ville des bergers, qui n'a acquis une si grande importance dans l'histoire du monde que parce qu'elle a vu naître, au milieu de ses pieux bergers, le Berger unique, dont le troupeau devait couvrir la terre entière.

(1) « Tous les peuples , dit un pèlerin du seizième siècle, baisaient l'arbre, en souvenir de ce prodige ».

Ce térébinthe de la Vierge fut brûlé en 1645 par un Arabe qui voulait ainsi empêcher l'invasion de son champ par les pèlerins.

Brigitte et les siens pénétrèrent dans la basilique élevée sur le monticule de calcaire jurassique, où se trouve la grotte de la Nativité. Cette basilique, dite de Sainte-Marie, est une des plus anciennes de la Palestine (1) ; elle a cinq nefs et est bâtie en forme de croix. Brigitte descendit les quinze marches qui mènent à la grotte et se trouva enfin au lieu même où le Verbe Eternel s'était fait chair.

(1) Révélations, VII, 21 et 22.

Le silence le plus profond régnait dans ce sanctuaire ; la douce lumière des lampes éclairait l'étoile d'argent qui se montrait au centre de la grotte et qui portait cette inscription : Hic de Virgine Maria Jesus Christus natus est : L'âme de Brigitte se remplit d'une joie inexprimable à cette pensée : c'est ici que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie.

Elle comprit la profondeur du mot de saint Jérôme :

« C'est par le silence et non par d'impuissantes paroles que doit être honorée la grotte où le divin Enfant fit entendre sa voix ».

Elle baisa en silence et avec une profonde humilité le sol de ce lieu très saint. Mais bientôt ce silence devait être interrompu par la douce voix de la Mère de Dieu et par les chants harmonieux des Anges qui y résonnèrent aux oreilles de Brigitte ; car l'heure était venue où la Très-Sainte Vierge allait, en révélant à notre Sainte le mystère de la naissance du Christ., remplir, la promesse faite quinze années auparavant.

La Sainte raconte, de la manière suivante, le gracieux tableau qu'elle eut, en cet instant, sous les yeux :

« Comme j'étais dans l'étable où Notre-Seigneur est né, à Bethléem, je vis une Vierge très belle ; elle était revêtue d'un manteau blanc et d'une fine tunique, à travers laquelle on apercevait sa chair virginale. Le temps de l'enfantement paraissait être venu pour elle. A ses côtés se tenait un respectable vieillard, et près d'eux il y avait un boeuf et un âne. A (211) leur entrée dans la grotte, le vieillard attacha les deux animaux à la crèche, sortit, et rentra peu après pour remettre à la Vierge un cierge allumé qu'il fixa à la paroi ; puis il s'éloigna de nouveau pour ne point assister à la naissance de l’Enfant. La Vierge déposa le manteau blanc dont elle était revêtue, ôta sa chaussure, détacha le voile qui couvrait sa tête, et plaça ces objets près d'elle, ne conservant que sa tunique. Ses beaux cheveux blonds, semblables à des fils d'or, tombaient sur ses épaules.

« Elle sortit ensuite deux langes de lin et deux de laine, d'une finesse et d'une blancheur merveilleuses pour envelopper l'Enfant qui allait naître; puis, deux autres petits linges de toile de lin pour lui en couvrir et bander la tête; elle les posa également près d'elle pour s'en servir à l’heure opportune.

« Ces apprêts terminés, la Vierge s'agenouilla avec un grand respect, et se mit à prier. Elle s'adossa contre la crèche, le visage tourné vers l'Orient et le regard au Ciel. Les mains et les yeux levés, elle était comme ravie en extase et tout enivrée des divines suavités de la contemplation.

« Pendant qu'elle priait, je vis s'agiter en son chaste sein le trésor qu'elle portait, et soudain, en un clin d'oeil, elle enfanta son Fils, lequel projetait une lumière si grande, si merveilleuse, que l'éclat du soleil ne peut lui être comparé, et que la lumière du cierge apporté par le vieillard parut comme éteinte, tant la lumière divine éclipsait toute lumière matérielle !

« L'enfantement fut si prompt que je ne pus me rendre compte de ce qui s'était passé ; j'aperçus seulement le glorieux Enfant à terre, tout brillant, tout rayonnant. J'entendis aussi des chants angéliques d'une grande beauté et d'une suavité merveilleuse.

« Lorsque la Vierge eut conscience de sa délivrance, elle baissa la tête, joignit les mains et, adorant l'Enfant avec un très profond respect, elle lui, dit : « Soyez le bienvenu, mon Dieu, mon. Seigneur et mon Fils ».

« L'Enfant à ce moment pleura, et paraissait trembler de froid sur le sol dur où il était couché. Il s'agita légèrement et étendit ses membres délicats comme pour chercher un soulagement et les caresses maternelles. La Vierge le prit alors entre ses bras, le pressa contre son cœur, le réchauffant (213) de sa joue et de sa poitrine, dans les transports de la joie et d'une tendre compassion. Puis, s'asseyant à terre, elle le prit sur ses genoux et l'enveloppa soigneusement de lin, puis de laine, entourant son petit corps, ses jambes et ses bras de quatre bandes cousues aux angles des langes de laine. Elle attacha ensuite sur sa tête les deux- pièces de lin qu'elle avait préparées dans ce but. Quand elle eut fini, le vieillard rentra, se prosterna à deux genoux et adora l'Enfant en pleurant de bonheur.

« La Vierge se levant alors, prit l'Enfant dans ses bras, et tous deux le posèrent dans la crèche ; puis, fléchissant les genoux, ils l'adorèrent dans les sentiments d'une profonde allégresse (1) ».


Sous le charme de cette vision Brigitte oublia le temps. Elle demeura pendant de longues heures, prosternée devant la crèche, dans la contemplation du ravissant spectacle qui réjouissait son regard illuminé.

(1) Gratz, Théâtre des Saintes Écritures, § 155, p. 193.

Aussi s'affligea-t-elle lorsqu'on l'avertit qu'il fallait quitter la grotte pour aller visiter les autres lieux sanctifiés de Bethléem. Jetant un dernier et tendre regard d'affection sur la crèche du Seigneur, elle se leva et, se dirigea vers l'endroit où les rois Mages avaient offert leurs présents au Sauveur et qui n'était qu'à trois pas (1). Avec eux, notre Sainte présenta au divin Enfant l'or de son amour, la myrrhe de sa mortification et l'encens de son ardente prière.

Le chagrin d'avoir quitté la grotte se calma rapidement ; car la Mère de Dieu la guida dans tous ces pèlerinages, en l'entretenant des célestes mystères qui s'y étaient accomplis.

A l'endroit où les Mages s'étaient arrêtés, elle lui dit :

« Apprends, ma fille, que je connaissais à l'avance l'arrivée des trois rois Mages ; lorsqu'ils entrèrent dans l'étable et se prosternèrent devant la crèche, mon Fils tressaillit de joie, et une sainte allégresse anima ses traits. J'étais moi-même au comble du bonheur et dans une joie inexprimable. Je prêtai toute mon attention à leurs paroles et à leurs actes, gardant et repassant ces choses en mon coeur (2) ... ».

(1) Révélations VII, 24 (Luc II, 1.
(2) Gratz, Théâtre des Saintes Écritures, § 155, p: 183.

A l'endroit où les bergers contemplèrent le divin Enfant, la Très-Sainte Vierge parla à Brigitte de l'amour, de la simplicité et de la pieuse curiosité avec laquelle ces hommes avaient considéré le nouveau-né, et de la joie et de la vénération avec lesquelles ils l'avaient adoré (1). Les pèlerins pénétrèrent ensuite au fond de la grotte, et de là dans un passage assez long et tortueux creusé dans le rocher, à l'emplacement que la tradition désigne comme la sépulture des saints Innocents. En continuant, ils arrivèrent à une autre grotte, distante de trente pas, et à l'oratoire de saint Jérôme.

L'amour, la passion de la pénitence et une sainte inspiration avaient amené le grand Docteur à Bethléem, il voulut y élever un couvent et un hospice pour les pèlerins du monde entier, dans le but d'offrir un gîte à Marie et à Joseph, s'ils revenaient jamais dans cette ville (2).

Après avoir longuement prié dans cette grotte, si longtemps témoin des travaux, des mortifications surhumaines et des ardentes supplications du grand Saint, ils pénétrèrent plus avant dans le passage souterrain, et virent les tombeaux de sainte Paule, morte en 404, de sa fille Eustochium et de saint Jérôme, morts tous deux en 420 ; les ossements de ce dernier furent transportés plus tard, à Rome (1). En ce lieu, Catherine et sa sainte mère demandèrent humblement à Dieu de les pénétrer de l'esprit de perfection qui avaient animé ces saintes femmes, sans se douter qu'elles les égalaient déjà en sainteté.

(1) Révélations VII, 23.
(2) Bolland. Acta Sanctorum, 30 sept.

Le soir, les pèlerins regagnèrent Jérusalem, enrichis de grâces célestes, inondés de joie et de consolation.

(1) Mislin, Les Lieux-saints, t. III, p. 26. Gratz.


Dernière édition par Claude Coowar le Lun 2 Jan - 0:07, édité 1 fois
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  VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

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CHAPITRE XXXIII. Révélations sur l'Ordre des Frères-Mineurs. Le frère ennemi. Visite dans la vallée de Josaphat. Départ de la Palestine. Arrivée à File de Chypre. Brigitte annonce elle-même, à Famagouste, les révélations touchant le royaume.

Un jour, à l'église du Saint-Sépulcre, Brigitte se souvint du Frère-Mineur, qui s'était vivement recommandé à ses prières à l'époque de son départ pour Naples. Elle sollicita son divin Epoux de lui accorder les lumières nécessaires pour résoudre selon l'esprit de saint François, les questions relatives à son saint Ordre.

Le Seigneur lui apparut alors sous une forme corporelle et lui dit :

« Toi, qui as reçu le don de voir et d'entendre les choses spirituelles, écoute et garde soigneusement mes paroles en ta mémoire. Il y eut un homme appelé François qui, après avoir passé de la joie et de la vanité (218) mondaines à la vie spirituelle de la pénitence et de la perfection, obtint la vraie contrition de ses péchés et la parfaite volonté de s'amender. Il disait, en lui-même : « Il n'y a rien en ce monde que je ne consente volontiers à quitter pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ ; il n'y a rien de si dur, en cette vie, que je ne veuille supporter de bon gré pour l’amour de Lui. Je veux employer toutes les forces de mon âme et de mon corps à l’honorer, et je veux, dans la mesure du possible, exciter mon prochain à servir et à glorifier à Dieu ».

« La règle de. François, à laquelle il est demeuré fidèle, a été inspirée par moi et procède de ma volonté et non d'une vaine prudence humaine ; chaque parole est animée de mon Esprit ; et c'est dans ces conditions que la règle a été rédigée et promulguée. Il en est ainsi de toutes les autres Constitutions religieuses ; elles ne sont point le produit de la sagesse ou de l'intelligence des hommes, mais celui du Saint-Esprit lui-même. Les Frères de François, appelés Mineurs, ont, conformément à ma volonté, gardé sa règle avec fidélité pendant plusieurs (219) années.

« L'ancien ennemi, le démon, en connut de la jalousie et un vif déplaisir, par suite de son impuissance à les vaincre par ses tentations et ses ruses. Il chercha donc activement un homme qui voulût concourir à ses projets artificieux.

« Il découvrit, à la longue, un prêtre, qui se disait souvent à lui-même
 
: Je voudrais arriver à une condition qui m'attirât l'estime et la considération du monde, qui me permît de vivre selon mes aises et qui m'assurât assez d'or pour satisfaire tous mes caprices. Je veux donc entrer dans l'Ordre de François et feindre une grande humilité et une profonde obéissance.

« Ce prêtre entra donc dans l'Ordre des Mineurs et il devint Frère ; mais, dès l'origine, le démon avait pénétré dans son cœur.

« De même, pensait en lui-même le démon, de même que François s’efforcent d'arracher au monde une foule d'âmes pour les mener au ciel par la voie de l'obéissance, de même ce Religieux, qui sera appelé Frère ennemi, pour son mépris de la règle, en attirera plusieurs de l'humilité à l'orgueil, de la pauvreté à la cupidité, de l'obéissance au désir (220) de faire leur propre volonté ».

« En entrant donc dans l'Ordre de François, le Frère ennemi prit, à l'instigation de Satan, la résolution suivante  
: « Je me montrerai si humble et si obéissant que tous me prendront, pour un Saint. Quand les autres jeûneront et garderont le silence, je ferai le contraire avec mes compagnons particuliers, c'est-à-dire que je mangerai, je boirai et je parlerai, mais tout cela si secrètement qu'aucun des autres ne le saura ni ne le remarquera. Je ne dois posséder d'après vos statuts, ni or, ni argent ; mais je choisirai un ami qui sera le détenteur de ma fortune, pour en user à mon gré. Je m'initierai aux sciences et aux arts libéraux, pour arriver aux dignités et aux charges de l'Ordre, et me procurer ainsi des chevaux, des ornements précieux et de riches vêtements. Si quelqu'un me reprend à ce sujet, je lui répondrai que j'agis ainsi pour l'honneur de mon Ordre. Si je pouvais par mes soins et mes peines parvenir à l'épiscopat, mon ambition serait satisfaite ; alors je m'estimerais heureux, parce que je jouirais de ma liberté et qu'il me serait possible de réaliser tous mes désirs... »

« Apprends qu'au jour du jugement, ma justice saura séparer ces deux camps, celui de François et celui du Frère ennemi, qui se trouvent confondus dans la vie présente. Les Frères de la règle de François, demeureront avec François lui-même, auprès de moi dans les joies éternelles ; tandis que ceux qui suivent les voies du Frère ennemi, iront aux peines sans fin de l'enfer, s'ils ne se convertissent et ne s'amendent avant l'heure de la mort. Cette condamnation sera équitable, car ils sont dignes de châtiment ceux qui séduisent par leurs vices les hommes auxquels ils devraient donner l'exemple de l'humilité et de la perfection. Les Religieux qui possèdent, contrairement à la règle, se trompent en comptant m'apaiser par l'oblation d'une partie de leurs richesses ; leur don me fait horreur et ne leur vaudra point de récompense. L'observance de la sainte pauvreté qu'ils ont promise m'est plus agréable que l'offrande de tout ce que la terre peut renfermer d'or, d'argent et de métaux précieux.

« Quant à toi, qui écoutes ma parole, apprends que cette révélation ne t'eût point été communiquée, si je n'avais reçu, en même temps que (222) ta prière, celle d'un de mes fidèles serviteurs qui m'a demandé, par amour de moi, pour ce Frère-Mineur, des conseils utiles au salut des
on âme (1) ».

A ces mots, la vision disparut, et la douce voix du Seigneur ne retentit plus à l'oreille de Brigitte.

Revenue à l'hôtellerie, elle transcrivit aussitôt les paroles de Jésus et fit part de la révélation, d'abord aux Franciscains établis sur la montagne de Sion et aux environs de Jérusalem, puis, ultérieurement, à ceux de Naples. Elle exerça par là une influence utile sur l'Ordre des Mineurs et contribua puissamment à y faire observer fidèlement la sainte pauvreté.

Cette révélation éclaire toute l'histoire de l'Ordre de Saint-François. Après une stricte observation des statuts durant quelques années, le premier Frère ennemi apparut dans la personne d'Elie de Cortone, du temps même du glorieux patriarche des pauvres. Pendant qu'Elie dirigeait l'Ordre comme vicaire en l'absence du saint fondateur, il chercha à gagner les Frères à l'idée d'adoucir la règle, et il réussit en effet à les faire dévier en plusieurs points de la sévérité primitive.

Ce fut l'origine des divisions qui se manifestèrent à plusieurs reprises parmi les Franciscains. Après la mort du saint fondateur, le parti de la sévérité triompha d'abord sous la conduite de saint Antoine de Padoue, mort en 1231, puis sous celle de saint Bonaventure, mort en 1274, enfin, plus tard, avec le concours des rigides moines célestins.

Mais, lorsque le Pape Boniface VIII se vit contraint de supprimer ces derniers, Matteo de Bassi fonda, en 1528, l'ordre des capucins dans le couvent de Montefalcone, qui appartenait au parti plus austère des Mineurs (1). Il se proposait ainsi de prévenir la perte de l'esprit de pauvreté apostolique qui avait animé les disciples du divin Sauveur, et- d'assurer dans toute sa pureté l'observance de la première règle du glorieux fondateur, même au lendemain des adoucissements que les Papes avaient introduits dans les statuts et du partage de l'Ordre des Franciscains en différentes branches.

(1) Révélations VII, 20.

Il va sans dire que nous ne saurions déterminer avec exactitude la part qui revient aux révélations de sainte Brigitte dans cette dernière réforme qui subsiste encore ; mais il y a des raisons de croire qu'elles exercèrent une certaine influence sur Mathieu de Bassi et sur tous les fidèles enfants de saint François d'Assise.

(1) Alzog, Histoire de l’Eglise, § 249, p.586, et § 348, p. 832 et suiv.

La présence de Brigitte à Jérusalem fut ainsi marquée par des grâces et des révélations qu'elle reçut pour son propre compte et pour le monde entier. A la date du 8 septembre, fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, elle se trouvait en Palestine depuis près de quatre mois. Ce jour-là, elle sortit de Jérusalem de grand matin pour aller visiter le tombeau de Marie dans la vallée de Josaphat.

Aucun lieu sur terre n'évoque de plus solennelles pensées ; c'est la vallée des larmes, du recueillement et de la mort. Rien d'animé ne distrait celui qui vient méditer dans cette triste solitude. Une ville ensevelie sous ses malheurs, un torrent sans eau, partout des monuments funèbres, des roches nues, quelques arbres sans verdure, des montagnes arides, des tombes brisées, le souvenir des martyrs et des prophètes, l'agonie du Fils de Dieu et sa venue à la (225) fin des siècles pour juger tous les hommes, voilà ce qui saisit l'âme et la remplit d'émotion et d'effroi (1).

Notre Sainte parut complètement absorbée par les sérieuses pensées qui saisissent d'ordinaire le cœur des pèlerins. Après avoir franchi la porte que les chrétiens appellent la porte de Saint-Etienne (2), elle s'engagea dans le chemin qui conduit à la vallée de Josaphat, et, d'un visage serein, elle passa au milieu des nombreux tombeaux d'Israélites qui peuplent ces lieux : des Juifs de tous les pays viennent, en effet, en grand nombre ; terminer leurs jours à Jérusalem, pour être ensevelis dans la vallée de Josaphat, avec l'espoir de voir se réaliser un jour les, paroles du Prophète (3).

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II,, p. X57.
(2), Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 459.
(3) Que les nations se lèvent et montent dans la Vallée de Josaphat, parce que c'est là que je serai assis, afin de juger toutes l'es nations d'alentour. Joël III, 12.

Brigitte songea en ce moment à la mort de Celle qui avait eu l'honneur de porter dans son sein l'Auteur de la vie, et dont le tombeau n'a connu, pour ce motif, ni les ombres de la mort ni la corruption. Elle franchit le Cédron sur un pont de pierre d'une seule arche, que Notre-Seigneur avait souvent traversé pour aller prier sur le mont des Oliviers, et bientôt, à quelques pas de là, elle se trouva à l'entrée de l'église souterraine qui renferme le tombeau de la Très-Sainte- Vierge (1).

Pendant que la Sainte priait à l'endroit même de la glorieuse Assomption de la Mère de Dieu, celle-ci lui apparut tout éclatante de lumière et lui dit :

« Ecoute, ma fille ! après l'Ascension de mon Fils, je vécus encore quinze ans sur la terre. Un jour que j'étais vivement pressée du désir de me réunir à Lui, je vis un Ange tout brillant, semblable à celui qui m'était apparu une fois déjà. Et il me dit : « Votre Fils, qui est en même temps notre Maître et notre Dieu, m'a envoyé pour vous annoncer que le temps est arrivé pour vous de le rejoindre en corps et en âme, et de recevoir la couronne qu'il vous a préparée ».

Je lui répondis :

« Connaissez-vous le jour et l'heure où je dois sortir de ce monde ? ».

L'Ange répliqua :


« Les amis de votre Fils viendront ensevelir votre corps ».


A ces mots il disparut.

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 459.

« Je me préparai donc à la mort en visitant, selon ma coutume, tous les lieux où mon Fils avait souffert. Un jour que mon âme était comme suspendue dans l'admiration de la charité divine, cette contemplation la remplit d'une telle allégresse qu'elle pouvait à peine se contenir ; c'est dans cette extase que mon âme se sépara de son corps. Quelles belles choses elle vit alors, de quels honneurs elle fut comblée par le Père, le Fils et le Saint Esprit, et par quelles légions innombrables d'Anges elle fut enlevée au ciel, c'est ce que tu ne saurais comprendre et ce que je ne veux pas te dire en cette heure où ton âme est encore retenue par son enveloppe terrestre. Ceux qui m'entouraient au moment où je rendis l'esprit s'aperçurent bien, à la lumière extraordinaire qui m'environnait, des choses merveilleuses que Dieu accomplissait en moi.

« Les amis de mon Fils arrivèrent, pressés par une inspiration divine, et ensevelirent mon corps dans l'a vallée de Josaphat ; ils étaient accompagnés d'une multitude d'Anges aussi nombreux que les atomes qui se jouent (228) dans les rayons du soleil ; mais les esprits malins n'osaient approcher (1). Mon corps reposa quelques jours dans ce tombeau, puis il fut enlevé glorieusement au ciel. Les vêtements qui m'enveloppaient, lors de ma misé au tombeau, restèrent dans ce lieu (2) et je fus revêtue d'habits semblables à ceux que porte mon Fils et Seigneur Jésus-Christ. Sache aussi qu'au ciel il n'y pas d'autre corps humain que le corps glorifié de mon divin Fils et le mien (3) ».


La Très-Sainte Mère de Dieu ajouta que, dans les premiers temps du Christianisme, son Assomption n'avait pas été généralement connue, parce que son Fils Jésus-Christ voulut, au préalable, enraciner profondément dans les coeurs la foi en son Ascension (4) ; la foi en ce mystère ayant pénétré difficilement, à l'origine, dans les esprits, il y avait à redouter une plus, grande résistance encore à 'l'encontre de celui de l'Assomption (1).

(1) Révélations VI, 62.
(2) Juvénal, qui était Evêque de Jérusalem en 429, envoya à l'impératrice Pulchérie, les vêtements de la Bienheureuse vierge Marie, qu'on avait trouvés dans son tombeau.

Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 461.
(3) Révélations VII, 26.
(4) Sainte Pulchérie elle-même était convaincue que le corps de la Très-Sainte Vierge se trouvait encore dans son tombeau, et cependant l'église qui y a été construite porte le nom d'église de l'Assomption. In valle venerabilis templi ad orientem, quod nominatum fuerat. S. Assumptionis. (Cyrill., vita Euthym. Bolland., 20 jan.)

A la suite de ces communications, qui remplirent notre Sainte de consolation et, de joie,  la Très-Sainte Vierge lui dit:

« Retournez maintenant au pays chrétien; amendez-vous de plus en plus, et vivez dans la vigilance et la perfection, puisque vous avez visité les Saints-Lieux, où mon Fils et moi nous avons vécu durant notre pèlerinage sur la terre, où nous sommes morts et où nous avons été ensevelis (2) ».

A ces mots, Marie quitta sa fidèle servante, qui traversa encore une fois la vallée des Morts, emportant dans son coeur le doux souvenir de la Mère des vivants et récitant à voix basse l'Ave Maris Stella.

(1) Révélations VI, 61.
(2) Révélations VII, 26.

Dès sa rentrée à Jérusalem, elle fit part à son confesseur et à sa fille Catherine de l'ordre qu'elle avait reçu de retourner en Europe, et elle les pria de faire les préparatifs du départ. A la vérité, le Saint-Sépulcre lui tenait plus à coeur que sa propre vie; mais elle préféra s'en séparer plutôt que d'y rester contrairement à la volonté de Dieu. Comme le navire qui devait conduire les pèlerins de Joppé à l'île de Chypre, ne mettait à la voile qu'à la fin de septembre, il leur restait encore quelques jours pour continuer leurs pérégrinations dans la Palestine.

Brigitte et ses compagnons se rendirent donc à Nazareth, situé à environ douze milles au nord de Jérusalem. Ils suivirent le chemin, par lequel avaient si souvent passé les membres de la sainte Famille, à savoir la Très-Sainte Vierge, lorsqu'elle alla visiter Elisabeth ; Marie et saint Joseph, lorsque, pour obéir à l'édit d'Auguste, ils allèrent à Bethléem ; Jésus, lorsqu'à l'âge de douze ans il vint à Jérusalem avec ses parents pour y célébrer la Pâque ; enfin, une année avant sa mort, lorsque se rendant à la fête des Tabernacles à Jérusalem, il guérit les dix possédés dans un bourg de la Samarie.

(1) Lorsque la Syrie fut dévastée par les musulmans, la Sainte Maison fut d'abord transportée en Croatie, dans un lieu appelé Nannizza (1291), et, trois années plus tard, à Lorette. Spencer Northcotte, Lieux célèbres par les grâces de Notre-Dame, p. 70 et suiv.

Brigitte ne trouva plus à Nazareth la maison de la Mère de Dieu (depuis quatre-vingts ans (1294), elle avait été transportée à Lorette) (1) ; mais elle salua avec une joie et une piété profondes d'endroit où Marie était née et avait été élevée, car autrefois, en Suède, il lui avait été révélé que la visite de ce Lieu béni purifiait l'âme du pieux pèlerin et en faisait un vase d'honneur (1). Elle entra tout heureuse dans l'église de (Annonciation, dont l'autel principal est établi sur l'emplacement même où la Très-Sainte Vierge reçut le salut de l'Envoyé céleste (2).

Elle descendit le large escalier de marbre blanc qui, par dix-sept marches, conduit à la chapelle ; devant l'autel et sur le marbre du pavé se trouvent gravés ces mots Verbum hic caro factum est ; c'est ici que le Verbe s'est fait chair . Brigitte s'agenouilla dans le lieu sanctifié d'où sortit le salut des hommes. Toutes les révélations qu'elle avait eues sur Jésus et Marie y revinrent à sa pensée.

(1) Révélations V, 13.
(2): Saint Luc 1, 28 et suiv.

Tandis que Jérusalem, où le divin Rédempteur a été humilié, torturé et mis à mort, n'éveille dans l'âme des pèlerins chrétiens que des sentiments de douloureuse compassion, Nazareth, le lieu de l'enfance et de la jeunesse de Jésus, y provoque de douces et gracieuses pensées. Le pays de Nazareth ; toujours paré de verdure, dit un pèlerin, apparaît comme une heure de récréation de l'insouciante et innocente enfance. Le vent brûlant du désert, qui souffle des contrées du sud-est, se rafraîchit en pénétrant dans cette vallée tout entourée de vertes collines, et s'y transforme en une brise d'une température bienfaisante, qui hâta, la maturité du grenadier, de l'oranger, de la vigne et de l’olivier (1).

Notre Sainte sentit son coeur doucement réjoui et son âme et son corps fortifiés en vénérant le sanctuaire de Nazareth. Les pieux pèlerins visitèrent également l'aimable source qui porte nom de Fontaine de Marie (2). S'il en faut croire la tradition, Celui qui est lui-même la source de vie et qui donne. de l'eau vive (3) se rendait, lui aussi, à cette source, et la Très-Sainte Vierge y puisait souvent de l'eau; comme le chante le poète.

(1) Schubert, dans le texte explicatif des vues de la Terre Sainte.
(2) Visino, Voyage en Palestine.
(3) Saint Jean IV, 14.

Au sein de la campagne se trouvait une source où souvent la plus aimable des mères, mêlée aux autres femmes, venait laver dans l'onde mobile les vêtements de son enfant, et les étendre ensuite sur l'herbe des prairies pour les faire sécher par la brise (1).

Avant de reprendre le chemin de Jérusalem, , nos pèlerins montèrent au Thabor, qui se trouve à un mille de Nazareth et qui fut témoin de la Transfiguration de Notre-Seigneur. Il s'élève vers le ciel comme un autel sublime, resplendissant de gloire, fondé par l'Eternel pour la manifestation de son Fils (2).

Cependant le moment approchait où Brigitte devait quitter la Terre-Sainte. Elle visita une fois encore la voie douloureuse, qu'elle aimait tant à suivre ; elle pria une fois encore au Tombeau du Maître bien-aimé ; puis elle sortit de Jérusalem en versant des larmes de reconnaissance et d'amour, bien plus que de douleur.

(1) Thom. Ceva, Jésus Enfant, I, 45.
(2) Mislin, Les Lieux-Saints, t. III, p., 403.

Dieu intimement et par-dessus tout, elle retrouvait en tous lieux le Thabor avec ses joies. Le navire qui devait emmener les pèlerins, ne quitta, le port de Joppé que dans les premiers jours    d’octobre ; et, après une traversée rapide et heureuse, il aborda à Famagouste le 8 du même mois, au matin.
Brigitte fut reçue avec joie par la reine Eléonore et par Pierre ; elle s'informa, sans retard, si l'on avait porté à la connaissance des Cypriotes les révélations qu'elle avait envoyées de Jérusalem au jeune, roi et au régent.

En apprenant que rien n'avait été fait, elle résolut de réparer la négligence de ceux à qui Dieu avait confié le bonheur du royaume ; elle voulut elle-même représenter au peuple la grandeur et le nombre de ses péchés, et lui annoncer les châtiments qui le menaçaient.

Sans tenir compte des objections de Jean, ce régent indigne, elle fit rassembler les habitants de Famagouste sur une des grandes places publiques de la ville et là, en présence de toute la cour, elle lut au peuple réuni les révélations qu'elle avait reçues de Dieu sur le royaume de Chypre. Quoique pâle et exténuée par les (235) fatigues du voyage, Brigitte apparut comme animée d'une force surnaturelle.

Elle se tint comme une prophétesse devant le peuple étonné et prononça ces paroles menaçantes sur la cité de Famagouste, alors si florissante :

« Tu périras, nouvelle Gomorrhe, tu périras par 1e feu de la luxure, et par l'excès de tes richesses et de ton ambition ; tes maisons seront réduites en ruines, tes habitants s'enfuiront loin de toi, et, jusque dans les pays éloignes, on parlera de ton châtiment (1) ».

Après cette démarche, restée mémorable dans les fastes de l'histoire de Chypre, Brigitte demeura à Famagouste jusqu'à la fin de l'année 1372, ne cessant de travailler au salut des âmes. Un grand nombre d'habitants se laissèrent gagner par ses conseils et son exemple, et s'amendèrent. Néanmoins, l'exécution du jugement terrible qu'elle avait prononcé sur la ville approchait rapidement.

L'année suivante (1373), peu après le départ de notre Sainte, le jeune Pierre fut couronné roi de Jérusalem. Le consul de Venise, Malipiero, et celui de Gênes, Paganico Doria, assistèrent à cette solennité, où le second voulut disputer, mais sans succès, la préséance au premier. Malipiero maintint son rang et fut placé à la table royale avant le consul de Gênes (1).

(1) Révélations VII, 16.

A la suite de cette contestation, Famagouste fut pillée d'une manière abominable pendant les fêtes mêmes du couronnement, et prise bientôt après par les Génois.

Après le départ de Brigitte, la haine de la reine Eléonore contre le meurtrier de son mari se réveilla, et quelques années plus tard, elle se vengea en faisant assassiner le prince Jean (2). Elle-même retourna en Aragon, contre l'avis de la Sainte (3), et le roi Pierre mourut à l'âge de vingt-six ans, sans héritier ; sa jeune femme Valentine l'avait précédé au tombeau. La couronne de Chypre passa ainsi à Jacques I, oncle du roi défunt, qui s'efforça de faire régner la paix, en administrant sagement le royaume. constamment contre

(1) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 6, p.257.
(2) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 12 p. 272.
(3) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 23, p. 280.

237

Mais les Cypriotes avaient à lutter   les incursions des Turcs, et le roi Janus, qui succéda à son père en 1398, tomba aux mains des Infidèles, en 1426, avec vingt mille de ses sujets (1).

Enfin, en 1571, l'île tout entière fut conquise par les Musulmans et soumise au pouvoir du général Mustapha-Pacha. Famagouste, assiégée à la fois par terre et par mer, fut défendue par un héros chrétien, Marc-Antoine Brangandino. Après une longue résistance, il signa, le 1er août 1571, une capitulation honorable. Mais, peu de temps après, Mustapha, méprisant les engagements pris, fit périr d'une manière cruelle ceux qui s'étaient rendus à lui. Il infligea, pendant dix jours, à l'héroïque Brangandino un martyre qui rappelait les cruautés de Néron et de Dioclétien. Finalement il fut écorché vif et coupé en quatre morceaux.

Pendant qu'on le suppliciait, il récitait le cinquantième psaume :

« Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde » , et lorsqu'il arriva au verset : créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu, il rendit l'âme.

Toutes les églises latines furent pillées et profanées, et les plus beaux monuments, de la ville furent saccagés et détruits. Depuis cette époque, les Turcs règnent paisiblement sur les ruines qui sont leur œuvre (1).

(1) Raynald, t. XVIII, Annal. ad an. 1428, n° 24.

Ce fut ainsi que se réalisèrent à la lettre les menaces prophétiques, que Brigitte avait prononcées sur Famagouste deux siècles auparavant :

« Tes maisons seront mises en ruines et tes habitants s'enfuiront loin de toi, » et « dans les pays éloignés, on parla avec épouvante du châtiment infligé à cette ville autrefois si puissante ».

(1) Reinhard, Histoire de l'île de Chypre, t. VI, § 17, p. l69 et suiv. Mislin, Les Saints Lieux, t, I, p. 236 et suiv.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

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CHAPITRE XXXIV. Dernier séjour à Naples. Révélations sur le Pape Grégoire XI. Retour à Rome (1373).

Dans les derniers jours de 1372 ; Brigitte s'embarqua à Famagouste, et elle arriva à Naples au commencement de l'année suivante, après une traversée périlleuse. Les pieux pèlerins se séparèrent les uns des autres, et notre Sainte, cédant aux instances de la reine Jeanne et de l'Archevêque de Naples, se décida à demeurer quelque temps dans cette ville ; elle y vécut dans la prière et la méditation, apparaissant à tous comme un miroir de perfection (1).

(1) Léon, Histoire des États de l'Italie, t. IX ch. III, p. 682.

Durant ce dernier séjour, Brigitte ne se préoccupa pas moins que par le passé du bien du royaume, et elle parvint à modérer les allures passionnées de la cour. La reine et le Prélat lui demandèrent de prier pour les pauvres Napolitains, qu'éprouvait à cette époque une peste meurtrière.

La servante de Dieu se rendit à ce désir et implora le Seigneur en faveur de ce peuple désolé. J

ésus-Christ lui apparut et lui révéla que ce châtiment avait fondu sur la population à cause de ses vices ; il lui indiqua les moyens de délivrer Naples de l'avarice, de l'orgueil et de la luxure, qui y dominaient ; l il lui annonça, en même temps, que si les coupables refusaient de se repentir, la peste sévirait plus cruellement encore... (1).

Elle communiqua ces révélations à l'Archevêque, qui, après les avoir soumises à l’examen des prêtres les plus doctes de son diocèse, les fit lire et expliquer publiquement dans l'église cathédrale. Les Napolitains cependant n'ajoutèrent aucune foi aux exhortations de leur premier Pasteur ; aussi, au témoignage de Maramaldus, un historien de ce temps-là, les prédictions de la Sainte ne tardèrent-elles pas à se réaliser. La peste prit une telle violence que peu d'habitants échappèrent à ses coups (1).

(1) Révélations VII, 27.

Quelque temps après, lin jour que Brigitte renouvelait ses prières en faveur de la capitale et des habitants, la Bienheureuse Vierge lui apparut pour lui révéler qu'il se commettait à Naples des péchés secrets qui appelaient la colère de Dieu sur la ville.

Il y avait, à cette époque, à Naples, comme esclaves, un grand nombre d'hommes et de femmes infidèles ; leurs maîtres ne prenaient nul souci de les faire instruire dans la religion chrétienne et de les faire baptiser.

Ils ne s'inquiétaient pas davantage d'affermir dans la foi et dans la vertu les esclaves déjà convertis ; en sorte que le pays était infesté de vices de toute nature ; on y pratiquait la sorcellerie, on y préparait des breuvages enchantés, destinés à guérir les maladies ou à enflammer d'amour ceux qui en usaient.

« A cause de ces péchés
, dit la Bienheureuse Vierge, Dieu a en haine les habitants de cette capitale, dont les oeuvres sont en abomination devant ses yeux ; aussi longtemps qu'ils persisteront dans ces dispositions perverses, ni la grâce ni l'amour de Dieu ne pénétreront dans leurs cœurs. Mais ceux qui feront pénitence et qui s'amenderont humblement, obtiendront de mon Fils pardon et miséricorde (1) ».

(1) Vide Chiocharelliim in opere de episcopis neapolitanis, p. 238.

Brigitte envoya la révélation par écrit et en son entier à l'Archevêque, qui la reçut avec reconnaissance, fit faire une enquête pour constater la vérité des faits dénoncés, et s'efforça ensuite d'expurger son troupeau des crimes abominables qui le souillaient.

Il parvint également, de concert avec Brigitte, qui l'assistait puissamment de ses conseils et de ses prières, à améliorer le sort des esclaves et à en convertir un grand nombre à la foi chrétienne. A cette époque, la servante de Dieu eut encore une autre révélation dans laquelle le Seigneur se plaignit des péchés des hommes en général, et les menaça de sa colère divine, s'ils ne revenaient humblement à lui (2).

(1) Révélations VII, 28.
(2) Révélations VII, 30.

Au milieu des oeuvres et des travaux auxquels elle s'adonnait à Naples, notre Sainte n'oublia jamais l'importante affaire à laquelle elle avait consacré sa vie entière, le retour du Saint-Siège à Rome. Elle ne cessait de penser à la rentrée de Grégoire dans la Ville éternelle ; c'était le sujet sur lequel revenaient sans cesse ses entretiens soit avec le Légat du Pape, l'Evêque Jean Réveillon, qui se trouvait alors à Naples pour des questions politiques (1), soit avec la reine et avec d'autres personnages haut placés. Elle cherchait à décider ses auditeurs à la seconder dans cette sainte entreprise.

La nouvelle prise d'armes de Bernabos et de son frère Galeozzo, ennemis acharnés de l'Eglise romaine en Italie, aussi bien que l'insurrection des villes de l'Etat. Pontifical, qui avaient fait alliance avec les Florentins (1372), rendaient de plus en plus nécessaire le retour du Pape à Rome (2). D'un autre côté, l'agitation qui régnait à Rome et dans les Etats de l'Eglise, ainsi que les obstacles mis au départ du Pape par les Cardinaux et par le roi de France, continuaient à retenir Grégoire à Avignon.

Brigitte connaissait trop bien la situation politique pour ne pas se rendre compte des difficultés presque inextricables auxquelles le Vicaire de Jésus-Christ était en butte ; néanmoins, sous peine de contrevenir à la volonté divine, il lui fallait revenir à Rome. La Sainte vivait donc partagée entre la crainte et l'espérance, lorsqu'arriva la fête de saint Polycarpe, que l'Eglise célèbre le 26 janvier (1).

(1) Léon, Histoire des États de l'Italie, t. IX, ch. III, p. 683. (2) Alzog, Histoire de l'Église, § 268, p. 613.

Ce jour-là elle invoqua avec ferveur la puissante protection du martyr en faveur de Grégoire XI et de l'Eglise.

Tandis qu'elle priait du fond de son cœur, Jésus lui apparut, et laissa tomber de ses lèvres divines les paroles que voici :

« Sois assurée que ce Pape retournera à Rome et qu'il entreprendra bien des bonnes choses, quoiqu'il ne puisse pas les terminer ».

« O Seigneur, mon Dieu , répliqua Brigitte, la reine de Naples et plusieurs autres ne cessent de dire que son retour à Rome est impossible, parce que le roi de France et les Cardinaux suscitent des entraves insurmontables à son départ. J'ai ouï dire également que plusieurs le détournent de la pensée de revenir à la Ville sainte, en se prévalant des révélations et des visions qu'ils auraient eues à ce sujet. Aussi ai-je grand ‘peur que son départ d'Avignon ne soit empêché ».

Le Seigneur lui répondit :


« Tu sais qu'au temps où Jérémie prophétisait en Israël sous le souffle de l'Esprit divin, de faux prophètes, pleins de l'esprit de mensonge, captèrent la confiance d'un roi inique ; c'est pourquoi ce prince et son peuple tombèrent en captivité. Si le roi n'avait écouté que Jérémie, ma colère se serait détournée de lui. Il en est de même aujourd'hui : les sages, les rêveurs, les amis de Grégoire, tous lui parlent le langage de la chair et non celui de l'esprit; mais quoi qu'ils fassent, moi le Seigneur, je ramènerai le Pape à Rome; et non pas pour leur satisfaction. Il ne t'importe pas de savoir si tu seras ou non témoin de ce retour (1) ».

(1) Le martyre de saint Polycarpe eut lieu le 25 avril 166.

A ces mots, notre Seigneur disparut, laissant Brigitte inondée d'une céleste consolation. Elle put, dès lors, envisager plus joyeusement les approches de la mort ; la grande tâche de sa vie était accomplie, puisque Rome devait rentrer pour toujours en possession du Vicaire de Jésus-Christ.

(1) Révélations IV, 141.

Elle ne communiqua point cette révélation au Pape, parce qu'elle lui était, pour ainsi dire, personnelle, et qu'elle n'avait reçu de Dieu aucun ordre à cet égard ; mais elle lui fit part de la deuxième révélation qu'elle eut à Naples, au mois de février, sur le retour du Saint-Père à Rome.

La relation écrite qu'Alphonse de Jaen porta de sa part à Grégoire XI, à Avignon, était conçue en ces termes :

« Très-Saint Père !

« La personne que Votre Sainteté connaît bien... vit un trône sur lequel siégeait un homme d'une incomparable beauté, qui portait dans sa personne les signes d'une souveraine puissance, et qui était entouré d'une multitude innombrable d'Anges et d'élus. En face du trône et à quelque distance du roi qui l'occupait, se tenait un Prêtre revêtu des insignes et des habits pontificaux. Le Seigneur me parla en ces termes du haut de son trône : « Mon Père m'a donné toute puissance au ciel et sur la terre, et bien qu'il te semble que mes paroles sortent des lèvres d'un seul, cependant je ne te parle pas seul, car le Père et le Saint-Esprit parlent en même temps que (247) moi et nous sommes en trois personnes une seule substance divine ».

« S'adressant ensuite à l'Evêque
,
il lui dit : « Ecoute ma parole, Pape Grégoire XI, et retiens bien ce que je vais te dire. Pourquoi me vouer une haine si grande ? pourquoi montrer à mon égard une si audacieuse témérité ? Ta cour mondaine dépouille ma Cour Céleste. Tu dérobes avec orgueil mes brebis, tu extorques les biens ecclésiastiques qui m'appartiennent, avec ceux des fidèles de mon Eglise, et tu en fais don à tes amis de la terre. Tu prends injustement les biens de mes pauvres et tu les distribues d'une manière scandaleuse aux riches. Ta jactance et ta témérité sont sans bornes, car tu pénètres audacieusement dans ma cour, et tu ne ménages rien de ce qui est à moi.

« Que t'ai-j e donc fait, Grégoire ? Je t'ai laissé monter à la plus haute dignité de l'Eglise. Par les lettres que tu as reçues de Rome et qui t'apportaient de célestes révélations, je t'ai fait connaître ma volonté et je t’ai exhorté à veiller au salut de ton âme. Que me rends-tu pour tant de bienfaits ? (248) Pourquoi tolères-tu à ta cour l'orgueil, la concupiscence, la luxure et la simonie, qui me sont en horreur ? Tu envoies un grand nombre d'âmes dans les flammes éternelles, en ne te préoccupant pas de l'état de ta cour, bien que tu sois le Chef et le Pasteur de mes brebis. Ta faute consiste précisément dans la négligence à prendre souci de l'amendement et du bien spirituel des âmes.

« Bien que j'aie de graves motifs de te condamner et de te frapper, je veux pourtant t'inviter une fois encore à assurer le salut de ton âme, en opérant la restauration du Saint-Siège à Rome. Je t'abandonne le soin de fixer toi-même l'époque de ta rentrée en Italie ; mais apprends que plus tu prolongeras tes retards, plus tu compromettras ton avancement dans la voix du bien. Si tu hâtes, au contraire, ta rentrée à Rome, tu augmenteras en toi les vertus et les dons du Saint-Esprit, et tu seras embrasé du feu de mon divin amour.

« Viens donc et ne diffère plus. N'agis pas avec orgueil et mondanité, niais en toute humilité et charité ; puis, rentré à Rome, (249) prends soin de réformer ta cour. N'écoute point les conseils de tes amis selon la chair, mais suis humblement les avis que je t’envoie par mes amis à moi. Lève-toi et n'aie point de crainte ; mets la main à l'œuvre, agis virilement et avec confiance. Commence par renouveler l'Eglise que j'ai acquise au prix de mon propre sang...

« Si tu désobéis à mes ordres, sache que tu seras traité devant toute la cour céleste comme un Prélat condamné à la dégradation publique. Un tel Prélat est dépouillé de ses vêtements sacerdotaux en présence du peuple assemblé, et il est livré ainsi à la honte et à la confusion. C'est le sort que je te réserve.

« Je te repousserai de ma cour céleste ; et tout ce qui contribue actuellement à ta paix et à ton bonheur tournera à ta ruine et à ton opprobre... Au lieu d'être béni, tu seras frappé de la malédiction éternelle.

« C'est pourquoi, mon fils Grégoire, je t'exhorte encore une fois à revenir humblement à moi et à suivre le conseil de ton Père et de ton Créateur. Si tu m'obéis, je t'accueillerai avec une affection paternelle. Entre (250) vaillamment dans la voie de la justice, et tu seras heureux. Ne repousse pas Celui qui t’aime ; car si tu obéis, je te ferai miséricorde, je te revêtirai des ornements précieux d'un véritable Pape ; je te revêtirai de moi-même et je te bénirai ; tu seras en moi et moi je serai en toi; et ainsi tu seras éternellement glorifié ».


Après cela, la vision disparut .

« BRIGITTE (1). »

Cette révélation, de même que la précédente, fit une vive impression sur Grégoire. Il était fermement convaincu que Dieu l'avait élevé, malgré sa faiblesse, au trône pontifical afin de rendre la liberté à l'Eglise et de replacer pour toujours le siège de Pierre sur le tombeau des glorieux Princes des Apôtres. Cette pensée qui ne cessa de le poursuivre dans son palais d'Avignon, lui causa de grands tourments, car sa propre conscience, autant que les révélations menaçantes de sainte Brigitte, le pressait de retourner en Italie ; et il tremblait à la pensée que ses hésitations attiraient sur lui la colère de Dieu.

Mais le Pape pouvait-il retourner à Rome ? Pouvait-il briser les chaînes que lui avait forgées la politique française et qui le retenaient dans sa prison dorée d'Avignon Grégoire XI méritait-il bien les graves reproches que Brigitte lui adresse ici au nom du Seigneur ?

(1) Révélations IV, 142.

Pour résoudre ces questions et comprendre les révélations de notre Sainte touchant ce Pape, il nous faut jeter un regard sur l'histoire de l'Eglise.

La Papauté, que saint Grégoire VII éleva si haut au treizième siècle, et qui, malgré les humiliations de Boniface VIII, conserva encore tout son éclat, tout son prestige et toute son influence, la Papauté avait vu sa situation se modifie d'une manière fâcheuse au quatorzième siècle. L'action universelle du Vicaire de Jésus-Christ, si énergiquement symbolisée par cette bénédiction donnée à la ville et au monde « urbi et orbi », sa puissance à laquelle rien ne résistait et qui pesait d'un si grand poids dans la balance de la politique, commencèrent à décliner visiblement sous Clément V, le premier Pape d'Avignon.

Les successeurs de Clément s'efforcèrent en vain (252) d'arrêter ce mouvement de décadence. Urbain V tenta même de restituer à la Papauté son ancien pouvoir ; mais il n'avait abouti qu'à le diminuer en ne remplissant qu'à moitié la tâche imposée par Dieu. Les Papes se trouvaient à Avignon dans une situation fausse et qui ne convenait point.

A un certain point de vue, le Vicaire de Jésus-Christ était devenu comme le sujet d'un roi terrestre, alors que sa couronne domine toutes les couronnes du monde, puisqu'elle symbolise à la fois l'Eglise souffrante, militante et triomphante, embrassant ainsi dans son empire le ciel, la terre et le Purgatoire (1). Sans nul doute, les rois de France firent tout ce qui était en leur pouvoir pour retenir les Papes auprès d'eux ; mais il est également notoire que les Papes sont restés en France tant qu'ils l'ont voulu, qu'ils en sont partis dès qu'ils l'ont voulu, et cela en dépit de tous les efforts des rois de France.

A la vérité, la situation politique de Rome et de l'Italie au quatorzième siècle, justifiait le séjour des Papes à Avignon ; mais du jour où le Cardinal Albornoz eut reconquis les Etats de l'Eglise, cette raison n'exista plus. Il était du devoir du Pape de rentrer à Rome. Ces circonstances expliquent les menaces du Seigneur en prévision du refus de Grégoire XI d'obéir à ses ordres.

(1) Alzog, Histoire de l'Église, § 227, p. 530.

Quant aux reproches personnels adressés au Pape, ils étaient complètement fondés, malgré les grandes qualités de Grégoire.

« Depuis Clément, V, dit l'historien Léonard Aretin, de Florence, la Papauté se trouvait aux mains des Français. Les Papes français envoyaient en Italie des Légats français pour gouverner les villes soumises à l'Eglise romaine. Ces chefs étrangers administraient avec arrogance et se rendaient insupportables ; ils voulaient commander non seulement aux villes qui appartenaient à l'Eglise, mais encore à celles qui s'appelaient libres. Les mesures qu'ils prenaient tendaient à la guerre plus qu'à la paix, et l'Italie se trouvait pleine d'étrangers. Ils étaient, pour les sujets, un objet de haine ; et, pour les voisins, un objet de défiance ».

Grégoire XI tenta de modifier cette situation en changeant les personnes, mais en réalité on ne changea que les noms ; les nouveaux Légats (254) apportaient le même esprit dans l'administration, et le peuple continua de gémir sous l'oppression. Il n'existait qu'un moyen de remédier à ces maux, c'était le retour du Pape à Rome (1).

De là les sévères exhortations de Dieu aux successeurs de saint Pierre ; de là aussi la prière suppliante que Brigitte adressait cette fois de Naples au Vicaire de Jésus-Christ :

« Quittez Avignon, et venez en Italie ; venez à Rome ! »

Cependant notre Sainte était instruite non seulement de la rentrée prochaine du Pape, mais aussi des moindres circonstances qui s'y rattachaient. Un jour que Robert, fils du comte de Nola, la visitait pour la féliciter de son heureux retour de la Palestine, l'entretien vint à tomber sur le sujet favori de Brigitte, le retour du Pape Grégoire XI à Rome. Robert pensait que l'état politique du moment rendait impossible la restauration du Saint-Siège en Italie ; et les hésitations de Grégoire XI semblaient prouver qu'il ne se déciderait jamais à abandonner Avignon. Brigitte lui dit alors d'un ton résolu :

« Soyez assuré Robert, que non seulement vous verrez le Pape à Rome, mais encore que vous l'y accompagnerez (1) ».

(1) Voir Christophe, Histoire de la Papauté, t. II, p. 272 à 275.

Lorsque, quatre ans plus tard, le jeune comte assistait, aux côtés du Pape, à son entrée dans la Ville éternelle, il lui dit :

« Très-Saint Père, aujourd'hui se confirme ce que dame Brigitte avait prédit, à savoir que je vous verrais à Rome et que je vous y accompagnerais personnellement (2) ».

Cette connaissance prophétique de l'avenir, ainsi que celle des pensées les plus secrètes des personnes avec lesquelles elle était en rapport, devenait toujours plus remarquable chez Brigitte ; aussi sa sainteté resplendissait-elle d'un éclat toujours plus vif.

Durant ce dernier séjour à Naples, Dieu glorifia de nouveau sa servante par de nombreux miracles, dont nous ne citerons que le suivant.


Deux frères, nés à Florence, s'étaient établis à Naples. L'un d'eux, qui était marchand, s'était rendu à Salerne où il apprit bientôt que son frère, resté à Naples, était tombé mortellement malade. Tandis qu'il priait ardemment pour son rétablissement, il vint à penser à Brigitte, qu'il avait souvent entendu nommer une Sainte ; il dit alors au Seigneur :

« Si dame Brigitte est réellement aussi sainte qu'on le dit, daignez, par égard pour ses mérites, rendre la santé à mon frère ».

Et au même instant, celui-ci fut guéri.


(1) Apud Bolland. ad diem 8 octob., p. 458, num. 372.
(2) Vid. Bolland. loc. cit., num. 273.

Après avoir si largement contribué, par la parole et l'exemple, au bonheur de Naples et de ses habitants, Brigitte songea à repartir pour Rome ; mais elle n'avait aucune ressource pour ce voyage, et elle ne savait à qui demander l'argent nécessaire. Elle ne voulait point s'adresser à la reine, dans la crainte de se voir retenir plus longtemps à Naples. D'autre part, aucun de ses nombreux amis ne pouvait se douter que la princesse de Néricie manquât de ressources.

Dans cet embarras extrême, elle reçut tout à coup, d'une source inconnue, une somme d'argent importante.

Elle devina qu'elle venait de la reine Jeanne, et éprouva quelques scrupules à l'accepter. Dans son doute, elle se tourna vers Jésus-Christ, son divin Conseiller, et lui demanda ce qu'elle devait faire.

Il lui apparut immédiatement et lui dit :

« Doit-on rendre inimitié pour amitié, ou le mal pour le (257) bien, placer dans la neige un vase froid pour le rendre plus froid encore ? Alors même que la reine t'a donné d'un coeur glacé, tu dois recevoir son don dans un esprit d'humilité et de charité, et prier à son intention, pour lui obtenir le feu du divin amour. Car il est écrit : L'abondance des uns doit suppléer à l'indigence des autres (1). Nulle bonne œuvre ne sera oubliée devant Dieu (2) ».

Brigitte retint donc d'un coeur reconnaissant la somme que lui avait envoyée la reine, fit de larges aumônes aux pauvres de la capitale et retourna à Rome avec son fils Birger, sa fille et les deux prêtres suédois, tandis qu'Alphonse de Jaen se trouvait encore à Avignon, à la cour du Pape.

Ce fut le dernier voyage de la Sainte ; elle revint dans la Ville éternelle pour y terminer le pèlerinage de sa vie terrestre et entrer dans la Jérusalem céleste.

(1) II aux Corinthiens VIII, 14.
(2) Extravag. 110.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

35/40.


CHAPITRE XXXV. Arrivée à Rome. Dernière maladie et mort de sainte Brigitte. (1373)

Brigitte arriva à Rome au mois de mars. Elle ne reprit pas le logement qu'elle occupait précédemment, mais elle loua un appartement dans une maison située sur la place Farnèse. Sa véritable et éternelle demeure, le ciel, s'ouvrait chaque jour davantage à ses yeux dans ses merveilleuses extases ; mais avant de franchir le seuil de l'éternité, elle devait subir une suprême et redoutable épreuve, la mort, imposée à tous les hommes comme la dernière pénitence.

Terrible pour les impies, douce pour les justes, la mort n'est pour les Saints que le terme de leurs souffrances, la main charitable appelée (259) à soulever le voile de la foi qui les empêchait de voir Dieu face à face.

Depuis une année, Brigitte souffrait d'une grande faiblesse d'estomac accompagnée quelquefois de vives douleurs ; une fièvre brûlante, augmentée par les fatigues du dernier voyage, acheva promptement d'épuiser ses forces. Elle supporta avec une patience héroïque ces souffrances qui s'accrurent à sa rentrée à Rome ; elle demeura paisible et sereine et ne modifia rien à la sévérité habituelle de sa vie (1).

Elle continua ses visites journalières des églises, où on la vit plus d'une fois soulevée de terre et entourée d'une lumière brillante. Une fois entre autres elle parut comme enfermée dans un globe d'un éclat incomparable (2). Le Seigneur plaçait sa fidèle servante sur un chandelier, afin que le rayonnement de sa sainteté éclairât de plus en plus les ténèbres du monde.

Brigitte restait profondément humble et se les recevait avec douceur, les écoutait avec charité et leur donnait les conseils et l'assistance dont ils avaient besoin montrait d'une simplicité admirable dans ses relations avec les autres.

(1) Ex Birger et vita Lovanii edit. an. 1485.
(2) Schedula comites de Nola in II tom. Revel.

Elle veillait surtout à ne jamais blesser les règles de la politesse et des convenances. Ce tact parfait, qu'elle conserva jusqu'à la fin de sa vie, la porta à faire, dès son retour à Rome, une visite en compagnie de son confesseur au comte de Nola, Latinus Orsini, qui, dans son dernier pèlerinage, l'avait accompagnée jusqu'à Naples. Mais à peine eut-elle franchi le seuil du palais qu'elle pâlit et porta la main à la bouche et au nez pour les tenir fermés.

Orsini pria le confesseur de lui dire ce que cela signifiait, et celui-ci lui répondit :

« Il paraît que dame Brigitte ne trouve pas votre conscience en aussi bon état qu'à l'époque où vous la suiviez à Naples ».


Le comte étonné s'écria alors :

« Quelle faute ai-je donc commise ? ».


Puis ayant rassemblé ses souvenirs, il ajouta :

« Hélas ! il n'est que trop vrai ; je me suis laissé entraîner dans une contestation injuste avec mes vassaux et je les ai durement opprimés ».


Il pria Brigitte d'intercéder pour lui, et il s'éloigna pour se purifier dans le sacrement de la Pénitence. Il rendit ensuite sa visite (261) à la Sainte, qui ne dit mot de cet incident et accueillit le comte avec les témoignages de la plus sincère amitié (1).

L'âme de la sainte servante de Dieu était pure comme son regard ; c'était un joyau qui paraissait digne d'orner la cité éternelle de Dieu, la Jérusalem céleste. Mais son heure n'était pas encore venue. De sa main puissante, Dieu saisit de nouveau cette pierre précieuse, et, comme si elle n'avait pas été suffisamment façonnée, il se mit à la tailler et à la polir à coup d'épreuves, afin de la porter à son plus grand éclat.

Durant les vingt-cinq dernières années de sa vie, Brigitte avait peu souffert du combat qui s'engage d'ordinaire entre la nature et la grâce dans le faible cœur de l'homme. Si parfois elle se heurtait à quelque légère difficulté, si sa volonté n'était pas dans un accord constant avec l'idée qu'elle avait de la perfection, et si elle commettait ainsi les fautes légères qui sont la suite naturelle de l'humaine fragilité et dont même les plus grands Saints ne sont pas complètement exempts ici-bas, elle n'eut du moins, depuis de longues années, aucune de ces tentations inquiétantes ou violentes qui troublent la paix de l'âme. Infatigable pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, toujours préoccupée de la grande tâche de sa vie, qui la montrait comme l'ange-gardien des Papes d'Avignon, elle n'avait, pour ainsi dire, jamais eu le temps de s'abandonner aux pensées inutiles qui auraient pu devenir pour elle une cause de tentation.

(1) Ex ejus vita Lovanien, loc. cit.

Les souffrances ne lui avaient jamais fait défaut ; mais ce mal terrible, le seul vraiment terrible pour une âme qui aime Dieu tout de bon, je veux dire le péché et la tentation, Brigitte était loin de le connaître.

Au lendemain de sa rentrée à Rome, les choses changèrent. Notre Sainte, qui jusque-là n'avait jamais senti l'aiguillon de la chair, fut tentée, malgré son grand âge, contre la vertu angélique de la pureté. Elle fut assaillie de pensées et d'images déshonnêtes qui s'interposaient, même durant la prière, entre Dieu et son âme.

Cette première tentation la jeta dans une autre qui la portait à préférer le travail à l’oraison ; car elle pensait que sa prière ainsi troublée ne pouvait plus plaire à Dieu. Tantôt elle éprouvait le désir de (263) parler lorsqu'elle eût dû se taire, ou de se taire lorsqu'elle devait parler, tantôt elle voulait se reposer ou soulager son corps, tout en reconnaissant clairement qu'à ce moment Dieu ne voulait ni l'un ni l'autre.

Mais de toutes ces tentations aucune ne lui parut plus pénible que celle qui contrastait si étrangement avec le titre d'épouse de Dieu dont elle avait été honorée. Son affliction égalait son étonnement ; car elle ne pouvait s'expliquer qu'au terme de la vie elle fût en butte à une tentation qu'elle n'avait connue ni durant sa jeunesse ni dans l'état du mariage. Elle passa ainsi toute la Semaine Sainte, jusqu'à la glorieuse fête de la Résurrection. Bien qu'au sein même de l'épreuve elle fût toujours fidèle, humble et soumise à la volonté de Dieu, elle ne crut pas pouvoir s'associer, cette année-là, aux allégresses de la fête de Pâques, et le joyeux Alléluia de l'Eglise sembla ne trouver aucun écho dans son cœur attristé.

Tandis qu'elle priait ardemment la Très-Sainte Vierge le matin du jour de Pâques, Marie lui apparut entourée d'un éclat si aimable et si doux que sa vue seule dissipa les sentiments de crainte et d'affliction qui enveloppaient l'âme (264) de Brigitte.

Puis la Mère de Dieu lui dit :

« C'est à pareil jour que mon Fils est ressuscité d'entre les morts comme un lion vaillant ; il a brisé la puissance du démon et arraché de l'enfer les âmes de ses élus, qui sont montés avec lui vers les joies célestes. De même qu'au lendemain de la résurrection de mon Fils, je reçus la première la consolation de sa céleste apparition, de même je veux te consoler en ce jour.

« Tes tentations diminueront à partir d'aujourd'hui, et tu apprendras en même temps le moyen d'y résister. Tu t'étonnes d'être soumise, dans un âge avancé, à des luttes que tu ne connus ni dans ta jeunesse ni durant le mariage. Par-là tu dois reconnaître ton néant et ton impuissance en dehors de la grâce de mon Fils ; car, s'il ne t'avait protégée, il n'est point de péché auquel tu n'eusses succombé.

" Reçois donc trois remèdes contre les tentations.

- Lorsque des pensées contraires à la sainte pureté viendront te tourmenter, tu t'écrieras :
« O Jésus, Fils de Dieu ! vous qui, savez tout, secourez-moi afin que je ne me délecte point dans des pensées vaines ».

- Lorsque tu seras tentée de parler, fais la prière suivante : « O (265) Jésus, Fils de Dieu ! qui avez gardé le silence devant votre juge, daignez arrêter ma langue afin que, avant de parler, je pense à ce que je dois dire et à la manière de l'exprimer ».

- Enfin quand tu te sentiras trop empressée de travailler ou de te reposer ou de manger, tu devras dire : « O Jésus, Fils de Dieu ! qui avez été garrotté par les Juifs pour l'amour de moi, dirigez vous-même les mouvements de mon corps, afin que toutes mes actions tendent à une fin digne de vous ».  

" Comme témoignage de la vérité de mes paroles, tu constateras qu'à partir de cette heure ton serviteur, autrement dit ton corps, ne dominera jamais sa maîtresse, c'est-à-dire ton âme ".

(1) Révélations VI, 94.

Puis elle exhorta la fidèle servante à persévérer dans la prière, malgré les efforts contraires du malin ennemi ; elle lui donna la consolante assurance que les tentations contribuaient à augmenter ses mérites et à embellir sa couronne tant qu'elle n'y trouverait que déplaisir (1).

Cette apparition rendit la paix et la joie à notre Sainte, et de ce jour, elle fut totalement délivrée de toute tentation contre la vertu de pureté. Mais cette épreuve pénible n'avait disparu que pour faire place à une autre.

Les souffrances de Brigitte allèrent en se multipliant et ses forces ne firent que décroître. En même temps diminuèrent de plus en plus les grâces merveilleuses et les consolations de la prière dont elle avait été si comblée jusque-là. Elle cessa d'être honorée de toute apparition, et, la voix de son Epoux céleste ne se fit plus entendre que rarement ; il ne lui restait que la faveur de souffrir pour Dieu. De tout temps elle s'était crue indigne des grâces extraordinaires dont elle avait été l'objet, et elle supporta cette nouvelle épreuve avec humilité et soumission.

Mais accoutumée à converser avec Dieu, comme jadis nos premiers parents au paradis terrestre avant l'horrible atteinte du péché, elle ressentit avec une profonde douleur la privation de la présence sensible de son divin Rédempteur.

Désormais il lui fallait vivre uniquement de la foi et vérifier cette parole du Seigneur :

« Heureux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru (1)".

Elle ne cessa jamais de croire que Dieu fût et demeurât, pour elle, un bon Maître et un Père affectueux. Elle savait qu'il n'est jamais si proche de nous que lorsqu'il semble s'être éloigné, et que, si Notre-Seigneur se dérobe parfois aux âmes qui l'aiment, il ne les abandonne jamais. Fidèle à ses habitudes de piété, elle priait sans relâche pour le monde entier, pour l'Eglise et pour son Chef, le Pape Grégoire XI.

(1) Saint Jean XX, 29.

Au commencement du mois de Juillet, le dernier de sa vie, elle reçut une dernière révélation pour le successeur de saint Pierre.

Elle l'envoya par écrit à Alphonse de Jaen, qui se trouvait encore à Avignon ; elle était conçue en ces termes :


« Mon Révérend Père !

« Notre Seigneur Jésus-Christ m'a dit de vous écrire ce qui suit, afin que vous le mettiez sous les yeux du Souverain-Pontife : « Le Pape demande un signe ».

« Dites-lui que les pharisiens aussi réclamèrent un signe. Je leur répondis que de même que Jonas avait passé trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, de même moi, le Fils de la Vierge, je resterais enseveli dans la terre pendant trois jours et trois nuits, puis je ressusciterais et monterais (268) dans ma gloire. Le Pape Grégoire recevra aussi un signe, au sujet de l'exhortation que je lui fais de travailler au salut des âmes qui lui sont confiées. Il doit donc faire les œuvres qui tendent à augmenter ma gloire, et s'efforcer d'introduire l'ordre et la discipline, dans mon Eglise ; c'est alors qu'il verra le signe et qu'il goûtera le fruit de l'éternelle consolation.

« Un autre signe lui sera donné s'il n'obéit pas et ne retourne pas en Italie : il perdra non seulement le temporel, mais encore le spirituel, et son cœur sera dans la tribulation durant le reste de sa vie. Et lors même qu'il croira parfois au soulagement de son âme, le remords de sa conscience et l'affliction intérieure continueront à le tourmenter.

« Un troisième signe, c'est que ma divine sagesse se communique à une simple femme par intérêt pour les âmes, dans le but de provoquer l'amendement des méchants et le perfectionnement des bons. En ce qui touche le différend entre le Pape et Bernabos, je l'ai en horreur, parce qu'il met beaucoup d'âmes en danger.

« En effet, alors même que le Pape (269) serait chassé de son trône, mieux vaudrait pour lui de s'humilier et de chercher le rétablissement de la paix que de voir tant d'âmes se perdre pour l'éternité. Il ne sera point donné au Pape de voir s'améliorer la situation de la France avant son départ pour l'Italie. Aussi ne doit-il s'attacher qu'à moi seul ; et lors même que tous lui conseilleraient de ne pas aller à Rome et lui créeraient mille obstacles, il doit mettre sa confiance en moi seul, et je viendrai à son secours, et personne ne pourra lui faire du mal...... S'il vient, j'accourrai avec joie au-devant de lui, je l'élèverai et je le glorifierai dans son corps et dans son âme.

« Le Seigneur dit encore : puisque le Pape se demande s'il doit venir à Rome pour établir la paix et gouverner mon Eglise, dis-lui de s'y rendre en automne prochain. Qu'il sache aussi qu'il ne peut me causer de plus grande joie qu'en retournant en Italie (1).

BRIGITTE. »

(1) Révélations IV, 143.

Presque à la même époque notre Sainte eut une révélation sur la manière dont la paix pourrait être rétablie entre les rois de France et d'Angleterre (1). Elle l'écrivit également à Alphonse de Jaen, pour que le Pape s'employât énergiquement à pacifier l'Eglise et le monde. Ce fut la dernière lettre de Brigitte.

La nouvelle s'étant répandue que la Sainte quitterait bientôt cette terre, un gentilhomme, appelé Gomez, vint de Spolète à Rome pour se recommander encore une fois à ses prières. Il invita Brigitte, sa fille Catherine, avec son fils Birger et Pierre Olafson, à dîner avec lui et sa femme. Après le repas, il témoigna le désir d'entretenir la Sainte et d'entendre son avis sur certaines affaires importantes ; mais il eut quelque scrupule de lui confier un détail secret.

A peine fut-il seul avec elle qu'elle lui révéla les pensées les plus intimes de son cœur et lui donna les plus sages conseils sur tous les points qu'il avait à lui soumettre.

(1) Révélations, IV, 105.

Autant elle procurait de lumière et de paix aux autres, autant sa pauvre âme restait dans les ténèbres et sans consolation ; ses souffrances se modifièrent et prirent dès ce moment le caractère d'une maladie grave et dangereuse.

Dans la seconde quinzaine de juillet, elle dut renoncer à sa visite habituelle aux églises. Birger et Catherine, émus de crainte, appelèrent les médecins les plus habiles de Rome au chevet de leur mère malade. Ceux-ci déclarèrent que son état n'accusait aucun danger, et ils promirent son rétablissement.

Ce jour-là, 17 juillet, après le départ des médecins quine concevaient aucune inquiétude, Marie apparut à Brigitte et lui dit avec douceur :

« Que disent les médecins ? Ne prétendent-ils pas que tu ne mourras point Y Vraiment, ma fille, ils ne savent ce que c'est que mourir. Celui-là meurt qui est séparé de Dieu et qui, endurci dans le péché, se refuse à purifier son âme par une confession pleine de repentir. Celui-là meurt qui ne croit pas en Dieu et qui n'aime pas son Créateur. Mais Celui-là ne meurt point qui craint Dieu, qui purifie fréquemment son coeur par la confession et qui désire aller vers son Dieu. Comme le Seigneur qui te parle est maître de la nature, qu'il peut en contrarier les lois et qu'il conserve seul ta vie, sache que les médicaments ne te donneront ni la guérison ni la vie. Il est donc inutile que (272) tu mettes ta confiance dans les remèdes ; pour peu de temps il faut peu de nourriture (1) ».

L'apparition et les paroles de la Mère de Dieu consolèrent grandement le coeur de la malade et furent pour son âme un joyeux réconfort. Ses douleurs physiques eurent beau s'aggraver d'heure en heure, elle soutirait infiniment moins. Elle avait revu la Mère de Dieu, elle avait entendu sa voix, et dès lors elle sentit que Jésus était proche ; elle espérait le revoir bientôt, car ce divin Soleil de justice ne pouvait tarder d'apparaître après la douce aurore qui venait de briller à ses yeux. Elle ne se trompait point. Jésus et Marie, qui l'avaient entourée de tant d'affection, durant son long pèlerinage sur la terre, ne pouvaient l'a délaissé au moment décisif de la mort. Ils lui apparurent donc à cette époque d'une manière plus affectueuse encore que par le passé.

(1) Extravag. 63.

Le 18 juillet, cinq jours avant sa mort, le Seigneur qui depuis si longtemps l'avait privée de sa présence, daigna lui apparaître. Il se montra à ses yeux sous une forme corporelle. Radieux, plein de douceur et de bonté, il était debout devant l'autel qu'elle avait dans sa chambre, et lui dit :

« J'ai agi avec toi comme un époux a coutume de faire en se dérobant à son épouse pour augmenter l'ardeur de ses désirs. Dans ces derniers temps, je ne t'ai point visitée pour te consoler, parce que c'était le temps de l'épreuve. Maintenant que tu es éprouvée, viens et tiens-toi prête à compléter mon œuvre. L'heure est venue d'accomplir ma promesse, en te revêtant de l'habit religieux et en te consacrant devant mon autel ; de ce jour on te considérera non seulement comme mon épouse, mais aussi comme une Religieuse et comme la Mère du couvent de Wadstena.

" Tu sauras toutefois que ton corps demeurera à Rome jusqu'à ce qu'il soit mis au lieu qui lui est destiné ; car il me plaît de te délivrer à présent de tes peines et de tes travaux et d'accepter ta bonne volonté en remplacement de tes œuvres...

" Dis au Prieur de communiquer toutes les révélations que je t'ai faites aux Frères et à mon Evêque... Sache aussi que, lorsqu'il me plaira, des hommes viendront qui les accepteront avec joie et suavité. Si, par suite de leur ingratitude, bien des hommes doivent être (274) privés de mes grâces, d'autres se lèveront à leur place et recueilleront la rosée de mes faveurs ».


Le Seigneur l'invita ensuite à placer, en forme de conclusion, à la fin du livre des révélations, celle qu'elle avait reçue à Naples touchant le jugement de Dieu sur tous les peuples.

Il lui donna diverses instructions pour ses deux enfants, s'entretint avec elle de l'état d'un certain nombre de personnes vivantes que, selon les propres expressions de Brigitte, elle aperçut en ce moment devant Dieu ; puis il termina par ces paroles :

« Le cinquième jour, au matin, après la réception des derniers sacrements, appelle les personnes de ton entourage, dont je viens de te parler, et dis-leur ce qu'elles auront à faire ; puis ton âme, accompagnée de leurs prières, entrera dans ton couvent, c'est-à-dire dans ma joie ; quant à ton corps, il sera transporté à Wadstena (1) ».

(1) Révélations VII, 31.

Brigitte, arrivée au terme de sa carrière, célébra donc la fête de sa vêture mystique, pendant laquelle les Anges chantèrent l'hymne « Veni sponsa Christi », Marie remplit, les fonctions de Prieure, et le Seigneur lui-même celle d'Evêque. La même heure marquait ainsi solennellement ses fiançailles et, son mariage avec le Christ, son céleste Epoux.

Tandis que le divin Rédempteur la revêtait de l'habit incorruptible du salut et de la félicité, elle murmurait doucement :

« J’ai méprisé le monde et toute pompe terrestre pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ, que j'ai vu, que j'ai aimé, en qui j'ai mis ma confiance et à qui j'étais attachée de toute l'ardeur de mon âme ».

Jésus tira alors du doigt de sainte Brigitte l'anneau qu'elle portait en signe de son amour pour le Sauveur crucifié, il le bénit et le replaça ensuite au doigt de la Sainte comme un gage de l'alliance mystérieuse qu'il contractait avec elle (1). La cérémonie était terminée (2), la vision disparut, les voix angéliques cessèrent peu à peu de résonner, et la trop heureuse épouse du Christ répéta la prière qu'avait dite autrefois sainte Agnès, sa glorieuse Patronne :

« Je suis l'épouse de Celui que servent les Anges et dont le soleil et la lune admirent la beauté ».


(1). Cet anneau est resté à Rome ; Catherine le laissa comme une relique précieuse au comte Latinus Orsini, le fidèle ami de Brigitte. L'anneau était très large, particulièrement en son milieu, où se trouvait gravée l'image de Jésus en croix, avec Marie et saint Jean à ses côtés. A l'exemple de leur Mère séraphique, les Filles de Sainte-Brigitte portent un semblable anneau, en symbole de leur union avec le Fils de Dieu.

La prise d'habit de sainte Brigitte fut toute mystique ;  car celle-ci ne porta jamais le costume d'aucun Ordre, pas plus du sien que de celui de Saint-François. Son vêtement habituel était celui des veuves de son temps ; il consistait en une simple tunique grise et un voile de veuve.

Ce n'est qu'après la mort de sa mère que Catherine revêtit sa dépouille des habits de l'ordre qu'elle avait fondé. Néanmoins Brigitte fut presque toujours représentée, même dans les premiers temps qui suivirent sa mort, avec le costume des Religieuses de Wadstena.

Ainsi se confirma la parole du Seigneur :

« Tu seras, de ce jour, considérée comme une Mère et une Religieuse du couvent de Wadstena ».


Lorsque Catherine pénétra, peu après, dans la chambre de sa sainte mère, elle trouva celle-ci dans un état extatique, qui ne la quitta presque plus jusqu'à sa dernière heure.

Le 21 juillet, la Très-Sainte Vierge fit une nouvelle visite à sa fidèle servante, la consola dans ses douleurs et lui donna l'assurance que bientôt elle posséderait tout ce que Dieu lui avait promis, tout ce que lui réservait le ciel.

Ce fut au milieu de souffrances physiques et de joies célestes que se leva enfin le jour béni qui devait terminer la vie terrestre de notre Sainte, et commencer pour elle la vie véritable et immortelle. La maladie et la douleur avaient (277) fait leur tâche ; Brigitte allait retrouver la santé et se réjouir dans une allégresse sans fin.

On était arrivé au 23 juillet, c'est-à-dire au cinquième jour après la douce visite du Rédempteur ; la Sainte le salua avec une joie intime, comme le jour qui devait lui apporter la vie. Dès que l'aurore éclaira l'horizon de la Ville éternelle, Jésus apparut à son épouse expirante et la consola avec une tendresse inexprimable (1).

Lorsqu'il eut disparu à son regard illuminé et qu'elle n'eut plus que la consolation de sa présence invisible, elle appela auprès d'elle, comme Notre-Seigneur le lui avait recommandé, les personnes de la maison, l'une après l'autre, leur dit ce qu'elles devaient faire, les remercia de l'affection et de la fidélité qu'elles lui avaient témoignées, les pria humblement de lui pardonner, puis les congédia d'un visage serein. Alphonse de Jaen seul manquait à cette dernière entrevue ; il était toujours à Avignon, et, pour prendre congé de lui, Brigitte, qui lui avait voué la plus affectueuse reconnaissance, se transporta par la pensée Jusque sur les bords du Rhône.

(1) Révélations VII, 10.

Catherine et Birger s'approchèrent, les derniers, du lit de mort de la Sainte. Elle les bénit et les exhorta, avec des paroles inspirées par un ardent amour de Dieu, à aimer avec fidélité leur Créateur et à ne jamais l'offenser, même légèrement.

Elle parla des vertus qu'Ulpho avait jadis pratiquées sous l'habit de Saint-Benoît et ajouta humblement :

« Soyez également parfaits, mes enfants ; car je suis seule de ma maison, à vous avoir donné le mauvais exemple ».

Et comme Catherine et Birger ne lui répondaient que par leurs larmes, elle les en reprit doucement :

« Vous ne devez pas vous attrister de mon départ ; il ne convient qu'à moi de pleurer sur mes péchés ».

Elle pria son fils de veiller à ce que son corps fût porté de nuit et sans éclat au couvent de Panisperna pour y être déposé sans pompe. Elle désira reposer au milieu des pieuses Clarisses, dans le couvent qu'elle avait si souvent visité durant son séjour à Rome, et à la porte duquel elle avait tant aimé à demander l'aumône en se mêlant à la foule des pauvres. Après avoir béni une fois encore ses enfants, elle se prépara par une prière intime et un profond recueillement à recevoir les derniers (279) sacrements et les grâces célestes que la sainte Eglise dispense à ses enfants mourants. Elle se confessa pour la dernière fois à Pierre Olafson, le guide fidèle de son âme ; elle reçut le Pain des Anges, ce sublime viatique du voyage de la bienheureuse éternité, et puis l'Extrême-Onction. Comme au milieu des angoisses de la mort elle conservait jusqu'au dernier soupir toute sa lucidité, Pierre Olafson célébra la sainte Messe dans sa chambre, à neuf heures.

Après l'Elévation, elle adora très dévotement le très-saint Corps du Christ et s'écria d'une voix claire :

« Je remets mon esprit entre vos mains, ô Seigneur ! ».

Les dernières paroles du Sauveur en croix furent aussi les dernières de Brigitte. Le regard porté au ciel, le visage souriant et animé, elle rendit, quelques instants après, son âme au Créateur qui la rappelait (1), et s'envola, parée du vêtement de l'immortalité, dans les bras de Dieu. Il était environ neuf heures et demie du matin, le 23 juillet. La Sainte était entrée dans sa soixante et onzième année.

(1) Bulle de la canonisation.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

36/40.


CHAPITRE XXXVI Funérailles de sainte Brigitte. Miracles après sa mort. — Les reliques de sainte Brigitte sont transportées en Suède. (1373-1375)

A peine Brigitte eut-elle quitté cette terre pour aller recevoir la récompense réservée par Dieu à ceux qui l'aiment, que la nouvelle de sa mort se répandit avec une rapidité extraordinaire dans Rome, et que le peuple vint en foule sur la place Farnèse (1) pour l'honorer comme une Sainte.

(1) Quelques biographes de sainte Brigitte pensent qu'elle est décédée au couvent de Panisperna, ce qui est une erreur. Quoiqu'il fût permis à la Sainte de pénétrer dans la clôture des Clarisses de Panisperna, il n'est pas vraisemblable que les personnes de la maison de la Sainte eussent la même faculté, et cependant celles-ci l'entouraient au moment où elle expirait.

D'autre part, un vieux manuscrit latin d'un couvent de l'Ordre de Brigitte mentionne que la maison de la place Farnèse, dans laquelle mourut la Sainte, fut transformée plus tard en une église, dans la sacristie de laquelle se trouve une plaque de marbre avec cette inscription : S. Birgitta hic obiit1373.

A l'heure même où elle expira, un pieux prêtre la vit entrer au ciel, toute vêtue de blanc, et entendit ces paroles :

« C'est Brigitte, l'épouse du Christ, qui était méprisée dans le monde, et qui maintenant est mise en possession du bonheur éternel (1) ... ».

Malgré l'humble désir de la Sainte d'être ensevelie discrètement la nuit à Panisperna (2), une brillante procession, à laquelle prirent part un grand nombre de prêtres et les principaux Romains, partit, dans l'après-midi du 23 juillet, de la place Farnèse pour accompagner sa dépouille sur les hauteurs du Viminal, où se trouve située l'église de Saint-Laurent ou Panisperna (3). On la déposa d'abord au couvent des Clarisses attenant à l'église, dans le caveau de laquelle elle devait demeurer quelque temps.

Le peuple accourut en foule au couvent, si bien qu'on fut obligé de placer le corps de la Sainte dans l'église de Saint-Laurent ; l'affluence fut si considérable qu'on ne put procéder à son ensevelissement pendant les deux premiers jours.

(1) Ex Birger in vita S. Birgitta.
(2) Ex ejus vita germanica apud Bolland.
(3) C'était l'emplacement, dit-on, des bains d'Olympias où saint Laurent souffrit le martyre.

Dieu, en ses jours-là, glorifia sa servante de miracles sans nombre ; nous n'en rapporterons que deux, qui sont tirés de la Bulle de canonisation.

« Avant la sépulture du corps, une Romaine distinguée, du nom d'Agnès de Contessa, affligée depuis son enfance d'un cou difforme et très gros, accourut avec d'autres personnes pour voir et honorer la dépouille de Brigitte. Après avoir approché son collier, avec une grande dévotion, des mains de sainte Brigitte et l'avoir remis à son cou, celui-ci perdit tout à coup son volume exagéré et reprit, grâce à un miracle divin, sa forme naturelle ».

« Françoise Scabellès, Religieuse au couvent de Saint-Laurent et amie, de la vénérable veuve, souffrait depuis deux ans d'une grande faiblesse et d'une maladie d'estomac qui la retenaient presque constamment au lit. Pendant que le corps de la Sainte était déposé dans le couvent (283) même, elle se leva à grand-peine et vint, soutenue par quelques Sœurs, se placer à côté de la bière ; elle y resta toute la nuit, priant Dieu avec ferveur de vouloir bien, par les mérites et l'intercession de la sainte veuve dont la dépouille était près d'elle, lui rendre assez de santé pour qu'elle pût assister avec ses compagnes au service divin et aller et venir dans le couvent sans appui étranger. Le lendemain matin, elle reconnut qu'elle était exaucée au-delà de sa demande, car elle se trouva complètement guérie ».

L'heure vint enfin où le peuple romain dut se résigner, après tant de témoignages de vénération, à considérer pour la dernière fois la dépouille mortelle de la Sainte dont les funérailles furent solennellement célébrées à Panisperna, le 26 juillet. Le corps fut placé dans un cercueil de bois, que Birger, fils de Brigitte, Latinus Orsini et plusieurs autres nobles romains scellèrent de leurs sceaux. Le cercueil fut ensuite déposé dans un tombeau en marbre, que Birger, Catherine et Pierre, son confesseur, avaient fait faire (1).

(1) Ex ejus vita albrev.

Les miracles ne cessèrent point après l'ensevelissement. La Bulle de canonisation en témoigne, ainsi qu'Alphonse de Jaen qui rapporte ce qui suit :

« Le Christ glorifia sa digne épouse après sa mort par de nombreux et d'étonnants miracles, notamment

- En ressuscitant plusieurs morts,

- En rendant la vue aux aveugles,

- L’ouïe aux sourds

- Et en procurant la guérison de diverses maladies, afin de grandir dans la mort celle qu'il avait tant honorée durant sa vie.

Tous ces faits sont si connus et si bien appuyés par les témoignages les plus authentiques en Suède, à Rome, en Sicile et en maints autres lieux du monde, où son image est vénérée dans de nombreuses églises, qu'il est inutile d'en donner d'autres preuves (1) ».


Brigitte avait quitté la terre ; mais elle revivait dans sa sainte fille. En effet, Catherine, qui, du vivant de sa mère, n'avait cessé d'être son auxiliaire dans les œuvres ordonnées par Jésus-Christ, s'appliqua maintenant, après sa mort, à exécuter consciencieusement ses volontés en tous points, conformément aux instructions de Notre-Seigneur. Brigitte avait déclaré que le divin Maître voulait qu'elle fût inhumée à Rome, puis transportée au couvent de Wadstena en Suède. La mort de notre Sainte remit à Birger, sa soeur et des prêtres suédois, venus jadis à Rome avec Brigitte, l'ardent désir de revoir la patrie. Rien ne les retenait plus en Italie, dont les beautés étaient impuissantes à leur faire oublier les brumeux horizons du Nord.

(1) Prolog. Alphonsi, cap. VI.

Cinq semaines après la mort de Brigitte, Catherine avait terminé ses préparatifs de départ. Le transport des saintes reliques parut, toutefois, offrir de graves difficultés. On se consulta avec Alphonse de Jaen revenu, dans l'intervalle, d'Avignon, et il fût décidé, en somme, que les ossements seraient retirés et emportés après embaumement.

Au jour fixé, les enfants de Brigitte, les prêtres suédois, Latinus Orsini et d'autres témoins dignes de foi se rendirent au couvent de Panisperna, où le prêtre Magnus, versé dans l'anatomie, devait procéder à ces opérations avec le concours de plusieurs médecins.

On retira le cercueil de son caveau, au milieu (286) des chants pieux et des prières, et on le plaça dans la salle où se trouvaient les instruments et les témoins. Lorsque les sceaux furent brisés et le couvercle enlevé, une odeur de suavité céleste s'exhala de ce lieu de mort et de décomposition.

Il ne restait aucune trace de chair, et les linceuls, trouvés intacts, ne contenaient plus que les ossements sacrés ; ceux-ci apparurent blancs, nets et brillants comme de l'ivoire, et laissèrent échapper le même parfum que le cercueil. Les assistants étonnés et pleins de reconnaissance louèrent Dieu qui se plaît à manifester sa grandeur dans ses Saints.

Pierre Olafson et la virginale Catherine déposèrent avec une pieuse vénération les précieuses reliques dans un riche coffret, à l'exception du bras droit qu'ils laissèrent aux Religieuses du couvent de Panisperna. Toutes les difficultés se trouvant aplanies, les pèlerins suédois prirent le chemin de la patrie, dans la première quinzaine de septembre, après un séjour de près de vingt-huit ans dans la Ville éternelle.

Les voyageurs se rendirent de Rome à Ancône, où ils s'embarquèrent pour Trieste. De là, ils passèrent par la Carinthie, la Styrie, l'Autriche, (287) la Moravie, la Pologne et la Prusse. De nombreux miracles s'opérèrent le long de la route.

Partout où était connue à l'avance l'arrivée des saintes reliques, le peuple accourait en foule et demandait à les vénérer. Beaucoup de femmes sollicitèrent de Catherine la faveur de toucher et de baiser les précieux restes de sa mère. Dans son zèle dévorant pour les âmes, celle-ci ne manquait jamais de parler au peuple et aux grands de la vie et des actes de sa bienheureuse mère et de les exhorter à mépriser la pompe et les biens terrestres pour s'attacher avec plus d'ardeur aux choses éternelles et impérissables. Un grand nombre d'âmes se convertirent à la parole de Catherine, dont la beauté, la science et la sagesse exerçaient une vive influence sur ses auditeurs.

Les voyageurs durent s'arrêter pendant quelque temps à Dantzig, où un vaste champ s'offrit au zèle de Catherine. Elle reprit avec une grande fermeté et une sainte audace les vices des chevaliers de l'Ordre de la Croix, qui étaient nombreux dans cette ville. Sans égard pour leur puissance et pour la considération dont (288) ils jouissaient, elle leur fit connaître les terribles menaces dont Brigitte avait reçu révélation à leur sujet. Tous, saisis de crainte et de surprise, demeurèrent confondus de la sagesse de ses paroles.

Catherine et ses compagnons de voyage s'embarquèrent avec leur précieux trésor dans le port de Dantzig pour descendre la Vistule et gagner la mer Baltique, qui les conduisait à leur destination.

Arrivés en pleine mer, ils furent témoins d'un nouveau prodige par lequel le Seigneur daignait honorer sa chère épouse, et qu'un des pèlerins suédois raconte de la manière suivante :

« Comme nous naviguions sur la mer qui sépare la Suède de l'Allemagne et que nous ne savions sur quel port nous diriger, à cause de la guerre qui désolait notre patrie, une étoile d'une blancheur éclatante apparut tout à coup au ciel, un peu après l'heure de midi. Elle fut d'abord aperçue par un jeune enfant malade qui se trouvait à bord, puis par nous tous. Nous étions dans un extrême étonnement et disions entre nous que nous n'avions jamais vu d'étoile à midi, en plein soleil.

« Cette mystérieuse étoile guida constamment la marche du navire. Dans la nuit suivante, il fut dit à l'un de nous :

« L'étoile que tu as vue hier en avant du vaisseau et qui vous désignera le port où vous devez aborder, c'est Brigitte, l'épouse bien-aimée de Jésus-Christ, dont la renommée se lève maintenant comme une étoile, mais qui se répandra un jour, comme la lumière du soleil, sur le monde entier (1) ».


La merveilleuse étoile céleste ne cessa de précéder les voyageurs et les fit arriver sains et saufs, le 29 juin 1374, au matin, dans la petite baie de Soederkœping, située dans la Gothie orientale, où ils n'avaient jamais eu l'intention d'aborder. A peine eut-on jeté l'ancre en ce lieu que l'étoile disparut.

A la nouvelle de l'arrivée des reliques de leur sainte compatriote, les hommes et les femmes, les nobles et les bourgeois, les prêtres séculiers et réguliers se levèrent en masse pour aller au-devant de Catherine et du trésor qu'elle portait avec elle. A Linkoeping, l'Evêque Nicolas (2) vint processionnellement au-devant d'elle, avec tout le clergé. Les cloches s'ébranlèrent et le peuple chanta avec allégresse : Loué soit le Dieu de Sion qui glorifie ainsi ses Saints sur la terre !

(1) Liber attestationum. Voir Clarus, Vie et Révélations de sainte Brigitte, t. I, p. 77.
(2) Nicolas II, mort en 1391, fut canonisé en 1520.

L'Evêque Nicolas avait été l'ami intime de Brigitte et il avait dirigé pendant quelque temps l'éducation de ses fils. A cette époque, la Sainte lui avait prédit qu'il introduirait les premières Religieuses dans le couvent de Wadstena. Cette prophétie s'était réalisée depuis quelques années par la consécration du monastère et la remise de l'habit de cet Ordre à un grand nombre d'hommes et de femmes. Comme consolation dernière, il était donné au vénérable vieillard de conduire la fondatrice à son lieu de repos. Un magnifique cortège se dirigea solennellement, sur Wadstena.

Pierre Olafson parla aux foules qui ne cessaient d'accourir sur tout le parcours de Soederkoeping à Wadstena. Il leur rappela les différentes révélations de sainte Brigitte, et leur raconta les prodiges sans nombre dont le Tout-Puissant avait honoré leur sainte compatriote dans tous les pays qu'ils venaient de traverser. Arrivée à Linkceping, Catherine se rendit à la cathédrale au milieu des cris de joie (291) de la population et y abandonna les restes de sa glorieuse mère à la vénération des fidèles.

Au sortir du service religieux, elle réunit chez elle l’Evêque et le Chapitre, pour leur parler de Rome et des oeuvres de Brigitte dans cette ville. Puis, avec la plus respectueuse humilité, elle blâma l'Évêque de ses jeûnes et de ses pénitences imprudentes. Depuis longtemps, en effet, il se renfermait dans une pauvre chambre de son palais pour servir Dieu dans des privations, des veilles et des prières qui lui faisaient négliger le soin de son troupeau. Il songeait à résigner ses fonctions, tant à cause des difficultés toujours croissantes en Suède, qu'à cause de la dure oppression qui pesait sur l'Eglise et de l'impuissance où se croyait le modeste Evêque de résister à la tempête qui menaçait d'ébranler la maison de Dieu.  

Après avoir entendu Catherine
, il modifia son genre de vie et se consacra avec un nouveau zèle aux devoirs austères de sa charge. De ce jour, il eut en grande estime la bienheureuse Catherine, en qui il avait reconnu l'Esprit de Dieu.

Le 4 juillet 1374, le mercredi dans l'octave de la fête des Apôtres Pierre et Paul, on atteignit (292) enfin Wadstena. Les portes du couvent s'ouvrirent devant le cortège, qui fut accueilli, au son des cloches, par les Frères et les Sœurs de la Communauté. Une Sainte apportait les reliques d'une Sainte. Catherine, rayonnante de joie et de bonheur, apparut plus belle encore que vingt ans auparavant, à son départ de la Suède.

Elle se retrouvait sur le sol natal et dans ce couvent, fondé par sa mère, où elle espérait trouver une seconde et meilleure patrie. Les reliques demeurèrent dans l'église du monastère, exposées pendant huit jours à la piété des fidèles accourus de toutes parts. Le Seigneur glorifia sa fidèle servante par de nombreux miracles, non seulement à Wadstena, mais encore dans le reste de la Suède.

Elsébysnara, une femme du diocèse de Linkoeping, mit au monde un enfant mort. Au comble de l'affliction, elle conjura Dieu, par les mérites de la vénérable veuve, de donner la vie à ce petit être ; elle fit le vœu, pour le cas où sa prière serait exaucée, de se rendre avec son enfant au tombeau de la Sainte et d'offrir un cierge en ex-voto.

Aussitôt l'enfant prit de la chaleur, s'agita et revint entièrement à la vie. (293) La femme accomplit son vœu avec une piété et une dévotion admirables (1).

L'Evêque de Linkoeping eut soin de faire relever partout les miracles de sainte Brigitte, pour pouvoir les soumettre ultérieurement à l'examen du Saint-Siège.

Boniface IX, qui cite le miracle précédent dans la Bulle de canonisation, ajoute :

 « Pourquoi nous arrêter davantage sur ce point, puisque le Tout-Puissant a honoré les mérites de cette veuve en ouvrant les oreilles des sourds, en déliant la langue des muets, en donnant la force aux perclus, en redressant les boiteux, en permettant aux paralytiques de marcher librement, en rendant la vue aux aveugles, en guérissant les malades et en sauvant des malheureux menacés de périr dans les flots. Si nous voulions raconter en détail tout ce que Dieu a opéré de merveilleux dans la nature par les mérites de cette veuve, aussi bien de son vivant qu'au lendemain de sa mort bienheureuse, il nous faudrait trop nous attarder, à ces longs récits ».

(1) Bulle de canonisation.

Le 12 juillet se terminèrent les fêtes religieuses, qui furent suivies de l'inhumation solennelle des restes mortels de la Sainte. Birger, qui avait toujours tant aimé et vénéré sa mère, ressentit un tel bonheur des honneurs que lui prodiguait la terre entière qu'il s'écria avec transport :

« Je puis marcher, à présent, la tête haute, moi qui dus autrefois baisser les yeux devant le roi Magnus, qui me demanda plus d'une fois : « Eh bien, mon cher, qu'est-ce que votre mère, notre cousine, a rêvé de nous cette nuit ? ».

A quarante ans de distance, Birger se souvenait encore de cette raillerie, et la glorification de sainte mère était maintenant sa plus grande joie. Après les cérémonies, il quitta Wadstena pour visiter ses domaines, qu'il n'avait pas vus depuis longtemps. Puis, à la demande de Catherine, il accepta la gestion des affaires temporelles du couvent, et mourut en 1390, riche de vertus et de mérites ; un an avant la canonisation solennelle de sa Bienheureuse mère.

Pierre d'Alvastra et Pierre d'Olafson retournèrent à leur couvent. Le prêtre suédois Magnus entra dans l'Ordre de Sainte-Brigitte et devint le confesseur général du monastère de Wadstena après la mort de Pierre Olafson.

Catherine réunit encore une fois les Frères, du couvent, leur adressa la parole et leur fit don de quelques reliques ; c'est qu'elle n'avait pas rapporté seulement les restes de sa mère, mais encore bien d'autres reliques remises à Brigitte de son vivant soit par la reine Jeanne, soit par des Cardinaux, des Religieux, des princes et de pieuses dames romaines.

Elle déposa ce trésor dans le monastère de Wadstena, à la grande joie des Religieux et du peuple ; car tous espéraient qu'à la prière de ces Saints, Dieu accorderait sa paix et sa bénédiction au royaume de Suède.

Avant de se séparer des Frères, Catherine sollicita humblement d'être admise dans l'Ordre fondé par sa mère, d'en recevoir l'habit, et se rendit, en conséquence, auprès des Sœurs. Animée de l'esprit de la vraie piété, elle offrit à Dieu un sacrifice de louanges et se réjouit d'avoir échappé aux agitations de cette vie.

Les Sœurs, au lieu de la recevoir comme une novice, voulurent la prendre pour leur Mère et leur Supérieure. L'humble vierge finit par céder à leurs désirs, sur les instances de l'Evêque Nicolas. Elle substitua alors à la règle de (296) Saint-Augustin suivie jusque-là, la règle que Notre Seigneur avait révélée à Brigitte.
Elle apprit aux Religieux et aux Religieuses à observer la nouvelle règle, comme elle-même l'avait jadis appris de sa Bienheureuse mère, et tous reconnurent en elle, comme dans un miroir, la perfection de la vie monastique et la vraie sainteté.

D'après le portrait qu'en a fait Alphonse de Jaen, Catherine fut zélée dans le service de Dieu, forte dans la vertu, gracieuse dans son maintien, remarquable dans ses paroles, d'une aimable modestie, affectueuse, compatissante et charitable.

Mais si les Sœurs la regardaient comme leur Supérieure, elle se considérait elle-même comme la servante de tous, afin de les gagner tous à Jésus-Christ.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.

37/40.

CHAPITRE XXXVII . Catherine fait le voyage de Rome pour activer la canonisation de sa mère. Grégoire XI retourne dans la Ville éternelle et y meurt. Urbain VI. Le schisme d'Occident. Rencontre de sainte Catherine de Sienne avec sainte Catherine de Suède. (1375-1380).

Les grands et nombreux miracles dont Brigitte fut honorée après sa mort, déterminèrent bientôt les Evêques et tout le clergé, ainsi que le roi de Suède lui-même et les seigneurs du royaume, à solliciter auprès du Saint-Siège la canonisation solennelle de la Bienheureuse veuve.

Personne n'était plus à même d'entreprendre cette œuvre et de la conduire à bonne fin que Catherine, la fille de la Sainte, qui avait vécu durant tant d'années avec elle et qui connaissait entièrement sa vie si active. L'Evêque de Linkoeping (298) décida donc qu'elle retournerait à Rome avec les confesseurs de sa mère, Pierre Olafson et Pierre d'Alvastra.

On réunit avec le plus grand soin les rapports qui avaient été faits sur les miracles opérés par les mérites de sainte Brigitte dans les divers diocèses de la Suède, et en particulier à Wadstena, et on les confia à Catherine pour qu'elle les remît au Saint-Siège. Quand tout fut prêt, on fixa le départ des voyageurs à la semaine de Pâques de l'année 1375. La veille du jour où elle devait se mettre en route, Catherine confia à quelques amis intimes la peine qu'elle éprouvait à se séparer de ses Sœurs et à abandonner la vie calme et cloîtrée du couvent de Sainte-Marie, malgré le bonheur qu'elle ressentait à la pensée de s'occuper de la canonisation de sa Bienheureuse mère.

Puis, elle ajouta :

« Dieu, qui est le témoin de nos plus intimes pensées, sait que je désire de tout mon coeur consacrer mes forces et même donner ma vie pour assurer à cette œuvre bénie un résultat favorable ; toutefois j'aime l'obéissance à ce point que si ma conscience me disait que je ne puis sortir du couvent avant d'avoir achevé (299) ma carrière, je me soumettrais avec le plus grand empressement à cet ordre (1) ».

Elle partit donc une seconde fois pour Rome, accompagnée des bénédictions de son Evêque, et des prières de sa Communauté et de tout le peuple suédois.

Les voyageurs prirent la route qu'ils avaient suivie avec les reliques, dans le but de recueillir des documents authentiques sur les miracles accomplis aux lieux de leur premier passage, ainsi que dans ceux que Brigitte avait elle-même visités de son vivant.

Catherine et ses compagnons parvinrent au terme de leur voyage au commencement de l'année 1376. Chose surprenante ! Catherine qui allait entamer auprès du Saint-Siège le procès de canonisation de sa vénérable mère, se dirigea sur Rome, et non pas sur Avignon, où résidait encore le Pape Grégoire XI. Evidemment elle en agit ainsi, parce qu'elle fut guidée par une inspiration divine, ou parce qu'elle sut de sa mère elle-même que le Pape ne tarderait pas à quitter les bords du Rhône.

(1) Vita S: Catharinae, cap. xv.

Arrivée à Rome, Catherine choisit pour ses compagnons de voyage une habitation commode et convenable. Les deux Religieux reçurent l'hospitalité dans le couvent des Cisterciens, et Catherine se dirigea vers le Viminal pour demeurer dans celui de Panisperna. Les vénérables Filles de Sainte-Claire l'accueillirent avec joie et la logèrent dans la cellule où Brigitte avait passé tant de journées en prières, et à l’installation de laquelle on n'avait rien changé. Ce fut dans cette sainte retraite qu'elle travailla avec ardeur à l'œuvre de la canonisation, en attendant le retour du Vicaire de Jésus-Christ.

Son attente ne devait pas être de longue durée, car en 1377 le fâcheux exil des Papes touchait à sa fin.

Nous avons vu précédemment que, dès son avènement au trône, Grégoire XI se préoccupa de rendre à la Ville éternelle son Pasteur suprême. Les menaces de Brigitte à l'adresse de son prédécesseur, et plus encore celles qui le concernaient lui-même, retentissaient sans cesse à ses oreilles.

Dès le mois d'octobre 1374, un an après la mort de la Sainte, il écrivait à l'empereur :

« Nous ne voulons point retarder (301) Notre visite à la Ville sainte et Nous sommes décidé, avec la grâce de Dieu, à Nous mettre en route au mois de septembre de l'année prochaine (1) ».


Trois mois plus tard, il manifestait la même intention aux rois de France, d'Angleterre, de Castille, de Portugal, d'Aragon et de Navarre (2). Nonobstant cette déclaration solennelle, le Pape se trouvait encore à Avignon au commencement de l'année 1376. Dans l'intervalle, la perte presque complète des conquêtes du Cardinal Albornoz put faire croire à l'ajournement indéfini de cet heureux projet. Mais Grégoire, fidèle à sa parole, déclara que rien ne le retiendrait davantage à Avignon.

(1) Raynald, ann, 1374, n° 23.
(2) Raynald, ann. 1375, n° 21.

Brigitte était entrée dans la bienheureuse éternité ; mais Catherine de Sienne, la Fille inspirée de Saint-Dominique, s'était faite à sa place le bon Ange du Pape sur la terre. Elle sollicitait le retour de Grégoire à Rome dans l'intérêt de l'Eglise, avec l'ardeur et l'autorité d'une Prophétesse. L'influence de Catherine de Sienne sur le Saint-Père fut secondée par une circonstance importante qui acheva de le décider et à laquelle la Sainte elle-même semble faire allusion dans ses lettres :

« Mon très aimé Père, écrivit-elle en 1376, vous désirez connaître mon opinion sur votre retour ; je vous réponds, de la part du Sauveur crucifié, que vous devez rentrer à Rome aussitôt que possible. Si faire se peut, revenez-y au commencement de septembre ; mais si vous ne pouvez y être à cette date, n'attendez pas jusqu'à la fin du, même mois... (1) ».

Cette indication précise visait, paraît-il, un complot dangereux dont il fallait prévenir l'explosion. Un des biographes de Grégoire XI nous donne à cet égard les renseignements suivants.

« A cette époque, le Pape fut pressé par des lettres et par des envoyés spéciaux de se rendre en Italie pour déjouer la conjuration qui se tramait contre l'Eglise et dont les conséquences apparaissaient aux âmes sérieuses comme grosses des plus cruels malheurs (2) ».

En présence d'un tel danger, toute hésitation dut naturellement cesser, et Grégoire se montra résolu à faire le sacrifice que la nécessité lui imposait.

(1) Lettres de sainte Catherine de Sienne, Paris, 1694, 11e lettre.
(2) Baluze, Vitae ; pap. Avenn., t. T, p. 437.

Lorsque son intention transpira, l'agitation se répandit dans son entourage. Les Cardinaux prétextèrent de leur invincible répugnance à s'établir de l'autre côté des monts ; quant au roi de France, il fit entendre le langage de la politique, comme au temps d'Urbain V.

D'après ses ordres, le duc d'Anjou se rendit à Avignon pour tenter d'ébranler Grégoire dans sa résolution :

« Saint Père, dit-il en prenant congé de lui, vous vous rendez dans un pays et au milieu de peuples qui vous aiment peu, tandis que vous quittez la source de la foi et le royaume où l'Eglise est le plus honorée ; votre projet peut précipiter celle-ci dans d'immenses malheurs ; car si vous mourez là-bas, comme c'est probable, au dire de vos médecins, les Romains, qui sont des traîtres, pèseront sur les Cardinaux et les forceront à élire un Pape à leur convenance ».

Mais Grégoire possédait une âme vigoureuse dans un corps débile ; rien ne put l’émouvoir ; il se montra inaccessible à toute objection ; il avait dit qu'il irait à Rome, et il y alla.

Le 13 septembre 1376, il quitta, pour ne plus jamais les revoir, son palais et la ville d'Avignon. La tristesse du peuple fut extrême ; il voyait s'évanouir une splendeur et un bonheur dont il avait joui pendant plus de soixante ans.

Le 6 décembre, l'auguste voyageur arriva à Corneto et s'y arrêta pendant un mois. Le 13 janvier 1377, il s'embarqua pour remonter le Tibre et débarqua devant l'église de Saint-Paul.

le 17 du même mois. Les Romains reçurent le Pape avec des transports d’allégresse ; ils vinrent en foule à sa rencontre ; les toits des maisons étaient couverts de spectateurs, et les femmes pleuraient de joie.

Le 18 janvier, Grégoire se rendit processionnellement à cheval à Saint-Pierre. La route était éclairée par des torches, et le pavé, semé de roses. Les vivats retentissaient en l'honneur du Pape dans la ville entière, au son des cloches et du bruit des trompettes. Pendant cette marche triomphale, la bannière de l'Eglise était portée devant le Pape par le grand-maître Jean Ferdinand de Heredia ; il était suivi du sénateur, des conseillers et des barons revêtus des costumes de leurs charges. Une foule d'Evêques et de prêtres en habits (305) sacerdotaux fermaient la marche. Rien ne manqua à l'éclat de cette entrée.

Catherine, qui salua ce jour avec bonheur, ne se mêla pas à la foule qui remplissait les rues de Rome. Elle attendit le Pape à Saint-Pierre, priant sa sainte mère d'intercéder pour Rome, pour l'Eglise et pour son Chef Grégoire XI.

Depuis son arrivée dans la ville sainte, elle avait pris note des miracles que Brigitte avait opérés dans la ville et aux environs. Au lendemain de la rentrée du Saint-Père, elle se rendit à Naples pour y faire un travail analogue. Mais elle ne visita point la reine et évita de paraître à la Cour ; c'est que le souvenir de la mort de son frère était encore si vivant dans son âme, qu'elle ne se rappelait qu'avec horreur la corruption de cette cour .

De retour à Rome, elle sollicita du Pape une audience qui lui fut accordée immédiatement. Elle se rendit en compagnie des confesseurs de sa mère auprès de Grégoire XI, qui la reçut avec tendresse ; elle lui présenta le livre des attestations (liber attestationum) qui contenait le récit authentique d'une foule de miracles obtenus par l'intercession et les mérites de (306) sainte Brigitte.

Le Souverain-Pontife nomma plusieurs Cardinaux auxquels il remit tous les documents écrits, avec mission de les examiner et d'entreprendre le procès de béatification de la servante de Dieu. L'un deux, Jean de Turrecremata, Cardinal espagnol, fut le premier qui proposa au Pape et au Sacré-Collège la canonisation de la Bienheureuse Brigitte.

Catherine pria en même temps le Vicaire de Jésus-Christ de vouloir bien approuver la règle de l'Ordre du divin Sauveur, que sa mère avait déjà présentée au Pape Urbain V. Grégoire XI promit de faire droit à sa demande, après l'épreuve de l'expérience pratique.

Le retour de la Papauté en Italie constituait un grand événement. Un Pape français avait reconquis sa liberté. Le monde lui en exprimait sa reconnaissance, et la gratitude de Rome n'aurait point dû lui faire défaut. Mais Grégoire XI ne put trouver le repos dans cette ville. L'acharnement des partis et la violence de la lutte contre les Etats voisins étaient extrêmes et, à sa grande douleur, le Pape dut bientôt renoncer aux espérances que sa rentrée avait fait concevoir.

D'une complexion faible, Grégoire XI n'avait jamais eu qu'une santé chancelante, qui l'exposait chaque jour à mille douleurs. Ses souffrances, loin de diminuer, n'avaient fait que s'accroître, depuis son retour, sous l'influence du chagrin que lui causaient les guerres, les révoltes des villes et les troubles populaires. Vers la fin de février 1378, son état empira et il ne put plus se faire illusion sur l'approche de sa fin.

Les derniers jours de cet excellent Pape furent attristés par le pressentiment des funestes événements qui devaient suivre son Pontificat ; le regard prophétique de Brigitte les avait entrevus à l'avance et elle les avait annoncés elle-même à Grégoire XI. Celui-ci regretta d'avoir quitté Avignon et résolut, à l'exemple de son prédécesseur, d'y retourner dès que l'état de sa santé le lui permettrait. Mais ses forces allèrent chaque jour en déclinant. Lorsqu'il sentit l'approche de sa dernière heure, il fit réunir tous les Cardinaux autour de sa personne.

Après leur avoir exposé de nouveau les craintes qui l'obsédaient par rapport à l'avenir, il les conjura de rester fermement unis et d'élire (308) promptement son successeur, sans tenir compte de la neuvaine habituelle des funérailles du Pape, ni des dispositions de la Constitution « Ubi majus » dont il suspendit l'application pour cette élection.

Grégoire XI mourut au Vatican, à la deuxième heure de la nuit du 27 mars 1378 ; il n'avait pas tout à fait cinquante ans, et il en avait régné un peu plus de sept. Son corps fut exposé à Saint-Pierre, puis inhumé dans l'église de Sainte-Marie-la-Neuve, dont il avait porté autrefois le titre cardinalice.

Les tristes expériences du passé firent craindre aux Romains de voir élire de nouveau un Pape favorable aux idées françaises. Ils insistèrent donc auprès du Conclave pour qu'il choisit un Italien, et autant que possible un Romain : Bartholomé Brignani, Archevêque de Bari, en Apulie, avantageusement connu et entouré de l'estime universelle, fût élu à l'unanimité.

Le nouveau Pape prit le nom d'Urbain VI. Il se brouilla malheureusement avec les Cardinaux, dont il avait voulu réprimer le luxe avec une certaine rigueur. Les mécontents se retirèrent à Anagni, et ils voulurent (309) exiger d'Urbain VI qu'il se soumît de nouveau à l'élection. Et comme il refusa de se rendre à cette singulière prétention, les rebelles se joignirent aux six Cardinaux restés à Avignon et proclamèrent la nullité du premier scrutin. Ils élurent ensuite, à Fondi, Robert de Genève qui se nomma Clément VII, et qui établit son siège à Avignon (1).

Le schisme se trouva ainsi consommé. La chrétienté se divisa en deux camps ennemis. La plupart des royaumes chrétiens demeurèrent fidèles à Urbain VI, qui créa un nouveau Collège de Cardinaux (2) ; la Savoie, la Provence et le royaume de Naples adhérèrent seuls au schisme. La reine Jeanne ajouta, aux nombreuses fautes de sa vie celle de recevoir l'antipape Clément VII avec honneur, à Naples, en 1379. En vain le peuple se souleva au bout de quelques jours, en vain il protesta si énergiquement de son attachement pour Urbain VI que le pseudo-Pape jugea prudent de partir pour la Provence, la reine lui resta attachée ; et chercha à rétablir l'ordre par des mesures de rigueur.   Cependant la situation d'Urbain VI était fort pénible, car la chrétienté était déchirée, et un grand nombre de fidèles ne savait à qui obéir.

(1) Les juristes les plus célèbres de cette époque, Jean de Lignaro, à Bologne, Baldus, professeur à Pérouse, et le docteur Jacques de Sera repoussent le grief élevé contre la liberté de l'élection d'Urbain VI. Sainte Catherine de Suède déclare également, comme témoin oculaire, que cette élection fut libre et régulière. Alzog, Histoire de l'Eglise, § 269, p. 615.
(2) Précédemment déjà, sainte Catherine de Sienne l'avait engagé à le faire ; si Urbain avait suivi ce conseil, il eût étouffé le schisme dans son germe.

Mais à cette époque désolée, il y avait à Rome deux vierges, deux Saintes qui, non contentes de déplorer la scission de la chrétienté, ne cessaient de prier pour le Pape légitime, et de l'assister, dans les circonstances les plus critiques, de leurs conseils divinement inspirés. Ces deux saintes femmes étaient Catherine de Suède et Catherine de Sienne.

Peu après l'élection d'Urbain VI, la première lui écrivit pour solliciter humblement l'approbation de la règle de l'ordre fondé par sa mère. Urbain VI, qu'Alphonse de Jaen avait suffisamment renseigné sur les rares vertus de Catherine et sur la vie de Brigitte, était dans des dispositions favorables à la pieuse fille et â son humble requête. Il chargea le Cardinal Eléazar de Sabran, qui avait une grande vénération pour sainte Brigitte, d'examiner encore une (311) fois la règle déjà ratifiée par Grégoire XI et, en décembre 1378, il la confirma solennellement par une Bulle conçue en ces termes :

Urbain, Evêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour valoir à perpétuité.


« Tout ce qui est ordonné et établi dans le but d'augmenter la gloire de Dieu et de propager la religion, Nous le concédons volontiers afin que cela demeure intact, et qu'on y tienne avec d'autant plus de zèle que le Saint-Siège l'aura confirmé.

« Notre chère fille en Jésus-Christ, la noble dame Catherine, fille d'Ulpho prince de Néricie, dans le diocèse de Linkoeping, Nous a adressé une requête écrite, dans laquelle elle expose que sa mère, Brigitte de Suède, mena, tout enfant, une vie conforme à l'esprit d' humilité, et avait naguères fondé, bâti et doté convenablement de ses propres biens, avec la permission de notre prédécesseur le Pape Urbain V, le couvent de Sainte-Marie de Wadstena, de l'Ordre de Saint-Augustin, sous le nom du divin Sauveur; que cette même Brigitte avait rédigé, à la suite de révélations que l'on tient pour (312) divines, quelques constitutions qui devaient servir de règles dans ce couvent; qu'après la mort de celle-ci, la dite Catherine avait demandé humblement à notre prédécesseur, le Pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, qu'il voulût bien approuver ces constitutions et la fondation de ce couvent. Ce même prédécesseur a désigné quelques Cardinaux du Saint-Siège pour examiner cette règle et faire une enquête sur la fondation, la construction et la dotation du couvent... Comme le Pape Grégoire XI a été retiré de cette vie avant la solution de la dite affaire, et que Nous avons été élevé sur le Siège-Apostolique, l'humble requête de dame Catherine est venue à Nous pour que Nous approuvions et ratifiions, en vertu de Notre pouvoir Apostolique, la fondation, les constitutions et la règle susdites.

« Par ces motifs, Nous avons prescrit à Notre cher Fils Elzéar, Cardinal-prêtre du titre de Sainte-Balbine, d'examiner cette règle. Et ce Cardinal, ainsi que d'autres Prélats et Princes de la sainte Église romaine, a reconnu et déclaré Bile ces constitutions sont justes, raisonnables et utiles, et qu'elles ne contiennent rien de (313) contraire aux lois ecclésiastiques. C'est pourquoi Nous approuvons et confirmons par la présente le couvent et sa règle. Nous confirmons aussi tout ce qui est contenu dans la susdite requête, en vertu de Notre pouvoir Apostolique, et le sanctionnons par le présent écrit...

« Donné à Rome, à Sainte-Marie au-delà du Tibre, le 3 décembre 1378, dans la première année de Notre pontificat ».


Encouragé par ce premier résultat, Catherine reprit aussitôt la question de la canonisation de sa mère. Urbain VI nomma de nouveaux examinateurs, dont l'opinion se montra, aussi favorable que celle des Cardinaux de la première commission. Ce fut l'Evêque d'Orvieto, Nicolas dei Merciari, qui fit, cette fois, à tout le Sacré-Collège assemblé, la proposition de déclarer la sainteté de la princesse de Néricie. On espérait que l'affaire se terminerait promptement ; mais le malheureux schisme qui éclata sur ces entrefaites anéantit cette espérance, et la cause traîna en longueur.

Cependant Catherine avait souvent vu et entretenu Urbain VI, qui avait une grande confiance en sa prudence et en son expérience. Un (314) jour, qu'en audience publique, elle exposait son opinion sur les réformes de l'Eglise, avec une éloquence et une sagesse admirables, le Pape lui dit, en présence des Cardinaux :

« Ma fille, on voit bien que vous avez été nourrie du lait de votre mère ».

Le Vicaire de Jésus-Christ voulut confier à sainte Catherine de Sienne et à la fille de sainte Brigitte le soin de traiter avec la cour de Naples. Il désirait que les deux vierges s'entendissent sur les moyens propres à réconcilier Jeanne avec l'Eglise, et, s'il en était besoin, qu'elles se rendissent ensemble à Naples pour agir sur place. Il était persuadé que la princesse suédoise serait bien reçue à la cour napolitaine, qu'elle exercerait une grande influence sur la reine et que son assistance serait très utile à Catherine de Sienne.

Les coeurs des deux vénérables vierges s'unirent bientôt d'une étroite amitié dans l'amour de la sainte Eglise et de son Chef visible. Chaque jour Catherine de Sienne se rendait avec son confesseur, le P. Raymond, et Étienne, son disciple, au Viminal, pour visiter, dans le petit couvent des Clarisses, la princesse (315) suédoise qui, pour l'amour de Jésus-Christ, avait échangé les richesses contre la sainte pauvreté. Leurs entretiens, d'abord relatifs aux événements et aux intérêts de l’Eglise, ne tardèrent pas à porter sur les questions de la vie intérieure et de la grâce.

Malgré la rigueur de son ascétisme, Catherine de Sienne ne pouvait s'empêcher d'admirer la beauté de sa compagne suédoise, qui conservait toujours les attraits et la grâce de la jeunesse. Elle écoutait avec le plus vif intérêt le récit de sa vie pleine de merveilles et s'attacha à elle en l'aimant comme une soeur. Mais lorsque l'entretien vint à tomber sur le voyage de Naples, Catherine de Suède s'y montra absolument opposée.

Avec une émotion que l'on surprit rarement à la paisible fille du Nord, elle répondit à sa sainte amie :

« La simple pensée d'aller à Naples me remplit de terreur ; mon pauvre frère Charles est mort dans cette ville fatale, victime des plus tristes passions. Je suis d'ailleurs convaincue que notre présence ne servira de rien, car je ne connais que trop bien l'état de la cour napolitaine. Chère soeur, n'entreprenons pas un voyage où nous (316) n'atteindrons pas notre but et qui pourrait n'être pas sans danger pour nous-même ».

Sa compagne, qui était d'une opinion différente, garda le silence. Convaincue qu'il fallait marcher sans crainte au-devant du danger, Catherine de Sienne s'affligea de cette décision ; elle ne pouvait approuver l'avis de son interlocutrice, mais elle était trop humble pour la contredire.

Le P. Raymond rompit alors le silence en disant à Catherine de Suède :

« Vénérée soeur, nous nous en remettons à vos lumières et à votre expérience ; je communiquerai au Saint-Père le résultat de notre entretien ».

Le soir du même jour, il raconta au Pape, dans le palais de Latran, ce que la fille de Brigitte pensait d'un voyage à Naples, et approuva les motifs qui l'empêchaient de se rendre à la cour de la reine Jeanne.

Urbain VI parut d'abord très abattu de cette opposition à laquelle il ne s'attendait pas ; il demeura muet, la tête dans les mains, puis il dit tout à coup d'un ton résolu :

« Vous avez raison, Frère Raymond ; il vaut mieux qu'elles n'aillent pas à Naples ».

On décida alors que Catherine de Sienne traiterait avec Jeanne par écrit, et qu'Etienne, le (317) fidèle disciple de Catherine, irait lui-même porter la première lettre à la reine. Alors commença l'admirable correspondance par laquelle la vierge divinement éclairée s'efforça, par sa sagesse surnaturelle et son ardente éloquence, de ramener Jeanne à l'Eglise et à son Chef visible. C'était une des dernières grâces que Dieu accordait à la reine de Naples.

Mais elle la méprisa, comme elle avait fait de tant d'autres. Deux grandes Saintes travaillèrent à la conversion de cette reine indigne, sainte Brigitte et sainte Catherine de Suède ; mais leurs efforts furent vains.

Catherine de Suède s'abstint autant que possible de prendre part aux tentatives diplomatiques et sortit rarement de Panisperna ; néanmoins elle était devenue, comme sa mère, la bienfaitrice de la Ville éternelle, et elle y fut honorée de divers miracles (1).

(1) Vita, S. Catharinae, cap. XV.

Ainsi, un jour que le Tibre avait débordé, la violenté des eaux emporta le pont de Latran, et l'inondation envahit le couvent de Saint-Jacques, ainsi qu'une foule d'autres bâtiments. Les Romains, dans la consternation, voyaient déjà toutes leurs maisons englouties. Ils tinrent conseil et résolurent d'aller quérir du secours auprès de la vénérable fille de Brigitte. Ils coururent au Viminal et demandèrent à parler à Catherine. Lorsqu'elle parut à la porte du couvent, ils la supplièrent de les suivre sur le lieu de l'inondation et d'y demander au Seigneur d'écarter le danger qui les menaçait.

L'humble vierge s'effraya d'une semblable requête ; elle se mit à pleurer et voulut rentrer au couvent après avoir refusé énergiquement de céder à leurs désirs. Mais déçus dans leurs espérances, les habitants recoururent à la violence et entraînèrent Catherine jusqu'au bord des eaux débordées. Alors se renouvela un miracle des temps anciens. Aux jours de Josué, le Jourdain retourna en arrière ; or, au moment où la vierge s'approcha des flots mugissants, l'eau se retira précipitamment pour rentrer dans le lit du fleuve ; l'inondation cessa tout à coup.

Le peuple, au comble de la reconnaissance et de l'admiration, loua le Seigneur qui se manifeste si magnifiquement dans ses Saints. Le même jour encore, Pierre Olafson réunit les compagnons de voyage de sainte Catherine (319) et les engagea à garder le souvenir de la merveille dont ils avaient été les témoins,

« Parce que, dit-il, on fera bientôt une enquête sur ce fait, ainsi que sur d'autres merveilles que Dieu a daigné opérer par cette vierge (1) ».

Catherine de Suède était à Rome depuis quatre années environ, sans avoir pu aboutir définitivement à la canonisation de sa bienheureuse mère. La triste scission qui déchirait la chrétienté, ne permettait pas d'espérer une prochaine solution. Sur le conseil de Prélats pieux et éclairés, la fille de Brigitte résolut de retourner dans sa patrie et au couvent de Wadstena. Elle se borna donc à compléter les documents relatifs à la vie et aux miracles de sa mère et à les déposer à Rome, en les appuyant des témoignages authentiques d'un grand nombre de Cardinaux et d'Evêques. Elle abandonna en toute confiance l'issue finale de la question à la Providence divine.

(1) Vita S. Catharinœ, cap. XVI.

Le Cardinal Eléazar de Sabran, qui depuis sa jeunesse avait voué 1a plus profonde vénération à sainte Brigitte, assura Catherine qu'il agirait de tout son pouvoir pour faire placer la sainte veuve sur les autels. Après avoir obtenu, indépendamment de la Bulle d'approbation d'Urbain VI, plusieurs autres privilèges pour le couvent de Sainte-Marie de Wadstena, Catherine se disposa à repartir pour la Suède. Le Pape lui accorda sa bénédiction apostolique, ainsi qu'une bulle de voyage qui devait lui procurer sécurité et protection le long de la route. Il ordonna aussi à un noble Romain, qui jouissait d'une grande considération à la cour du Souverain-Pontife, d'accompagner la bienheureuse vierge et de veiller sur elle à travers le territoire italien, jusqu'au pied des Alpes (1).

Le 6 juillet 1380, elle quitta Rome, où un de ses compagnons, Pierre d'Alvastra, avait trouvé la mort, en 1378. Catherine de Sienne avait aussi quitté la Ville éternelle. Le 29 avril 1380, quelques semaines à peine avant le départ de son amie de Suède, elle était entrée dans l'éternité, pour y prier en union avec Brigitte à l'intention d'Urbain VI et de la sainte Eglise, et pour y recevoir des mains de Dieu la récompense de sa vie si pleine de travaux, de sollicitudes et de souffrances.

(1) Vita S. Catharinae, cap, XVII.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

38/40.


CHAPITRE XXXVIII . Institution solennelle de l'Ordre du Très-Saint Sauveur. Mort de sainte Catherine de Suède. Accomplissement des prophéties de sainte Brigitte sur la reine de Naples. Mort d'Urbain VI. — Boniface IX.

La réputation de sainteté que Catherine s'était acquise à Rome l'accompagna dans son voyage de retour. Dans tous les lieux qu'elle traversa, elle fut comblée de témoignages de vénération, qui n'altérèrent en rien sa profonde humilité. Elle s'attristait des louanges, et se réjouissait des blâmes.

Elle avait coutume de dire :


« Ceux qui me louent entretiennent mon amour-propre et m'empêchent de tendre à la perfection ; ceux, au contraire qui me blâment me rendent attentive à mes fautes et me procurent l'occasion de m'exercer dans la vertu ».

Elle se servit encore de l'influence qu'elle (322) exerçait pour amener les âmes à Dieu et à la vertu, et le Seigneur l'honora d'un grand nombre de miracles qu'il fit à sa demande. Elle était très souffrante depuis son départ de Rome ; ses forces décroissaient sensiblement, au point qu'on lui conseilla de s'arrêter en route et de consulter un médecin. Elle n'en fit rien, car son âme brûlait du désir de rejoindre sa mère au ciel. Tandis que ses prières procuraient la guérison à une foule de malades, elle n'eut pas la pensée de réclamer son propre rétablissement ni même un soulagement à ses souffrances. Mais elle hâta son voyage, afin de mourir dans son cher couvent.

Malade et épuisée, elle franchit la frontière de la Prusse dans une voiture, dont le devant était occupé par un de ses serviteurs. Celui-ci s'endormit et fut précipité de son siège par une violente secousse ; il tomba sous les pieds des chevaux et les roues du véhicule lui brisèrent les côtes : on le crut mort. Catherine, émue de compassion, descendit en toute hâte de la voiture, se baissa vers lui avec une profonde charité, porta la main à la partie meurtrie et récita un Ave Maria. A peine eut-elle touché la plaie (323) que les côtes rompues se remirent miraculeusement, et que toute douleur cessa sur-le champ. Le malheureux qui venait de voir la mort de si près, se trouva guéri tout à fait, et remercia Dieu et sa maîtresse du bienfait dont il avait été l'objet (1).

Catherine arriva, dans les dernières semaines de l'année 1380, au couvent de Wadstena, dont les Religieuses l'accueillirent avec des transports de joie. Peu après son retour, elle remit à l'Evêque Nicolas de Linkoeping la Bulle d'approbation de la sainte Règle, ainsi que les autres privilèges qu'elle avait obtenus, pour son couvent, du Pape Urbain VI.

Le Prélat procéda, cette année-là même, à l'installation solennelle du nouvel Ordre. Il voulut également consacrer Catherine en qualité d'Abbesse générale ; mais celle-ci sentant arriver sa fin, refusa cette dignité : elle demeura toutefois la Mère et la Supérieure des Religieuses de Wadstena.

(1) Vita S. Catharinae, cap. XVII.

La force d'âme de Catherine grandissait dans la mesure du dépérissement de ses forces physiques. Elle n'interrompit aucun de ses exercices cités de piété et continua à recevoir fréquemment les Sacrements.

Elle avait coutume de se confesser journellement, comme sa sainte mère ; elle se mit à le faire jusqu'à deux fois par jour, afin de conserver son âme dans une pureté parfaite. Vers la fête de l'Annonciation de Marie, la maladie de Catherine prit tout à coup un caractère d'extrême gravité. Le 22 mars 1381, elle reçut l'Extrême-Onction ; mais l'état douloureux de son estomac ne lui permit pas de recevoir la sainte Communion. Elle le pria alors son confesseur de vouloir bien lui montrer la divine Hostie, afin de pouvoir, en mourant, adorer une dernière fois son Seigneur et son Dieu. Le Père Magnus, Général de Wadstena, acquiesça sans difficulté à ce pieux désir, et Catherine adora le Très-Saint corps du Sauveur avec une piété inexprimable.

Semblable à un Séraphin, elle était ravie d'amour et d'admiration, et les terreurs et les souffrances du combat suprême parurent lui être épargnées. Elle leva les yeux au ciel, pria toujours plus ardemment et s'endormit dans le Seigneur en adorant le très auguste sacrement de l’autel ; à son chevet se tenaient les Religieuses du monastère, (325) qui demandaient à Dieu une heureuse mort pour leur Mère bien-aimée.

A cet instant de pieuses personnes distinguèrent dans le ciel des signes merveilleux, qui constatèrent la sainteté de Catherine.

Au-dessus du couvent où reposait son corps, se montra une étoile brillante, qui sembla, deux jours après, durant les funérailles, se mouvoir comme pour prendre part à la cérémonie.  

Après le transport de la sainte dépouille à l'église, l'étoile s'arrêta au-dessus du temple durant la célébration de l'auguste sacrifice, et elle ne disparut qu'après l'inhumation. Un grand nombre de Prélats, d'Archevêques, d'Évêques et d'Abbés de Suède, de Norwège et de Danemark assistèrent aux obsèques. L'Evêque de Linkœping y officia. On y vit également l’Evêque Tordo de Strengas, renommé par sa vertu et par sa science. En souvenir de l'estime et de l'amitié qu'il avait eues pour Catherine, il s'approcha d'elle, saisit sa main et se recommanda à son intercession.

Il sentit alors que cette main retenait et serrait la sienne, comme une main amie . Pendant le séjour de la Sainte à Rome, l'Evêque y était venu pour obtenir sa (326) confirmation du Saint-Siège et elle avait plaidé sa cause auprès des Cardinaux. Au dire même de l'Evêque, Catherine, par ce serrement de main, entendit rappeler à ce Prélat que, vivante, elle l'avait exhorté à ne jamais oublier qu'il s'était voué à Dieu, et qu'elle s'en était portée garante devant le Pape, et que morte, elle l'engageait à demeurer toujours fidèle à ce vœu.

Ceux qui prièrent sur le tombeau de sainte Catherine obtinrent beaucoup de bienfaits signalés de Celui qui est admirable dans ses Saints (1).

A raison de ces nombreux prodiges, le Pape Innocent VIII autorisa, en 1487, l'Ordre. de Sainte-Brigitte à honorer sainte Catherine de Suède comme la seconde fondatrice de cet institut et à célébrer solennellement sa fête.

(1) Vita S. Catharinae, cap. XVIII.
(2) Après la mort de son mari, Sigwed Bibbing, Marthe avait épousé en secondes noces Carnui Algot, qui fut le père d'Ingegried. Elle mourut surintendante de la reine Marguerite de Norvège.

A la mort de la fille de Brigitte, une des Religieuses les plus âgées du couvent de Wadstena remplit les fonctions de Supérieure jusqu'en 1388 où Ingegried, fille de Marthe (2) et petite fille de Brigitte, prit la charge de première Abbesse des deux communautés du monastère.

Un an après la mort bienheureuse de Catherine, Jeanne, la coupable reine de Naples, arriva également au terme de sa carrière. Sa fin fut aussi terrible que celle de Catherine avait été douce et touchante.

Les bénédictions que Brigitte avait laissées en héritage à sa fille s'étaient accomplies en elle ; de même aussi se réalisèrent en Jeanne les châtiments dont la sainte Prophétesse l'avait menacée autrefois, pour le cas où elle s'obstinerait dans la voie de perdition qui conduit à la mort éternelle.

De nouvelles prétentions, soulevées par le roi de Hongrie, avaient décidé cette reine à se marier pour la quatrième fois, et son choix était tombé sur le prince Othon de Brunswick, qui redut alors la principauté de Tarente (1). Les premières années de cette nouvelle union s'écoulèrent sans incidents remarquables ; mais Jeanne acheva de se perdre par son infidélité envers l'Eglise et son Chef véritable.

Urbain VI, qui la considérait comme responsable du schisme, s'éleva contre elle.
Clément avait été élu sur le territoire napolitain et y avait trouvé un refuge ; bien qu'il eût passé les monts, il séjournait toujours dans les domaines de la reine.

Le Pape se tourna d'abord vers le roi de Hongrie, auquel il représenta que l'heure était venue de prendre un royaume qui lui revenait à plus d'un titre, et de venger la mort de son frère. Le vieux monarque accueillit favorablement la proposition et chargea son neveu, Charles de Durazzo, de faire la conquête du royaume de Naples (1).

Par sa naissance, ce prince n'était pas étranger à la dynastie régnante ; il était petit-fils de Jean de Durazzo, frère du roi Robert, aïeul de Jeanne (2).

(1) Giornali Napolitani, c.1, p. 1033.

Charles, brandissant le glaive de la justice et des représailles, entra dans Naples, et le peuple, fatigué depuis longtemps du joug honteux de son indigne reine, accueillit avec allégresse son nouveau Souverain.

(1) Murat, Annali d'Italia, ann. 1380.
(3) Bouche, Hist. de Provence, t. II, liv. IX, p. 4012.

Charles investit le château d'ell Ovo, dans lequel Jeanne s'était retirée avec la princesse Agnès de Durazzo, le Cardinal Léonard de Giffani, légat de l'antipape Clément VII et d'autres personnages importants. La place mal pourvue de vivres et défendue plus mal encore, ne put tenir longtemps contre les efforts de l'armée hongroise.

Après un mois de blocus, la reine, fut réduite à signer une convention, en vertu de laquelle elle devait se rendre à discrétion si elle n'était secourue dans les quatre jours par son mari Othon. Celui-ci vint en effet avec la résolution de tenter le sort des armes.

Le choc fut violent et la victoire fut longtemps disputée. Peut-être même Othon aurait-il eu le dessus si sa témérité n'avait pas tout perdu. Au plus fort du combat, on le vit s'élancer tout à coup vers l'endroit où flottait la, bannière de Charles, afin de l'enlever. Aucun des siens ne l'ayant suivi, il fut entouré par les chevaliers hongrois et fait prisonnier. Ce fut le signal de la déroute pour l'armée napolitaine, et la reine, désormais sans espoir de salut, se rendit à Charles. Tout le royaume suivit son exemple (1).

(1) Giornali Napolit., p. 1043 et 1044.

Auparavant déjà, le Pape Urbain VI s'était publiquement élevé contre elle, en la déclarant, le 21 avril 1380, schismatique, hérétique, coupable de crime de lèse-majesté et déchue de son royaume, et en déliant ses sujets de leur serment de fidélité (1).

Frappée de cet anathème, dépouillée de sa couronne et de sa liberté, Jeanne pouvait méditer désormais sur les crimes de sa longue vie.

Le jour même de la reddition, Charles alla au château d'ell'Ovo. La rencontre de la reine et du prince eut lieu dans le jardin de la forteresse. Le vainqueur traita avec modération la royale prisonnière.

Il lui dit en la quittant :

« Vous habiterez ce château, non comme une captive, mais comme une Souveraine ; je vous prie de ne rien changer à vos habitudes princières ».

Mais peu de jours après cette entrevue, elle fut conduite sous bonne escorte au château de Muro, dans la Basilicate, tandis que son mari Othon était dirigé sur le château d'Altanuira, dans la terre de Bari. Charles écrivit au roi de Hongrie pour connaître le sort qui devait être fait à Jeanne ; la réponse du vieux roi fut, dit-on, un arrêt de mort.

(1) Raynald, ann. 1380, n° 2.

Le 22 mai 1382, pendant qu'elle priait dans la chapelle du château, quatre assassins hongrois s'approchèrent d'elle et s'écrièrent en lui tendant un breuvage empoisonné :

« Buvez cela ! ».

Comme elle s'y refusait, ils portèrent la main à leurs glaives, en la sommant de choisir entre le fer et le poison. Convaincue alors de l'impossibilité d'échapper à la mort, elle choisit le moyen qui lui parut le moins terrible et, après s'être confessée, elle avala le breuvage mortel. Mais comme le poison n'agissait pas assez rapidement au gré des meurtriers, ils passèrent un linge autour du cou de leur victime et hâtèrent sa fin en l'étranglant (1).

Ainsi périt, après un règne de trente-huit ans, la petite-fille du sage roi Robert. La postérité reconnut dans cette mort lugubre le châtiment mérité du crime que Jeanne avait commis autrefois sur le malheureux prince André, et les prédictions de sainte Brigitte se trouvaient réalisées.

Urbain VI était sans doute débarrassé d'une puissante ennemie, fort attachée à la cause de l'antipape : mais il trouva dans Charles de Durazzo un adversaire plus dangereux encore, et son Pontificat tout entier fut rempli d'événements lamentables.

(1) Chron. di Piero Minerbeti ap. Tartini, ann. 1385, c. 18, nunc. de schism., lib. I, c. 25.

Néanmoins il ne perdit point de vue l'œuvre de la canonisation de Brigitte, et il en souhaitait ardemment la solution.

Dans une lettre du 28 avril 1381, à l'Evêque Nicolas de Linkoeping, il exprimait l'espoir de la voir prononcée dans un avenir prochain, malgré les troubles où le schisme jetait l'Église.

La procédure pourtant n'avança pas de 1381 à 1389. Le Pape qui avait parcouru différentes provinces de l'Italie, ne revint à Rome qu'au mois d'octobre 1388. Il y rencontra peu de sympathie, et les habitants ne tardèrent pas à lui faire sentir leur tyrannie. Lorsqu'il voulut nommer sénateur le Génois Damian de Latani, le peuple se souleva et se porta vers le palais du Pape sous la conduite des barons. Un instant la vie du Souverain-Pontife fut en danger.

Grâce à l'intervention de quelques personnages influents, la foule s'apaisa et acquiesça à la nomination du sénateur, sous la condition que le jubilé séculaire, qui devait s'ouvrir en 1400, aurait lieu dès l'année suivante. Urbain VI accorda l'Indulgence du jubilé, et hâta de cette façon la canonisation de Brigitte.

Au mois d'avril 1839, le jubilé fut publié, et le Pape écrivit en même temps une lettre par laquelle il appelait à Rome le Père Magnus Piderson, Général du couvent de Wadstena, en l'informant de sa résolution de prononcer solennellement la béatification de la vénérable Brigitte.

Mais Urbain VI ne devait voir ni le jubilé ni les fêtes de la canonisation. L'âge et les émotions d'un règne tourmenté avaient altéré sa santé ; depuis son retour à Rome, il dépérissait chaque jour et il mourut le 15 octobre 1389.

L'antipape et les Cardinaux d'Avignon crurent que la mort d'Urbain VI mettait fin au schisme. Ils se persuadèrent que le conflit de passions et d'intérêts qui s'élèverait au sein du conclave, mettrait les Cardinaux romains dans l'impossibilité de s'entendre et les amènerait à se tourner vers le parti avignonnais pour confirmer l'élection de Clément VII. Cette illusion fut de courte durée.

Le successeur d'Urbain VI, Pierre Tomacelli, qui prit le nom de Boniface IX, revêtit, le 11 octobre les insignes de sa charge. C'est à lui (334) qu'il était réservé de prononcer la canonisation, à laquelle ses deux prédécesseurs avaient travaillé avec tant de zèle, sans arriver au but de leurs efforts.
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

39/40.


CHAPITRE XXXIX. Le troisième jubilé. Canonisation de sainte Brigitte sous le Pontificat de Boniface IX. Fin du schisme d'Occident. Martin V confirme la canonisation de Brigitte (1390-1418).

Le 29 septembre 1390, Magnus Pederson quitta la Suède pour se rendre à Rome avec Jean Schwenson et le Frère André Olafson. Il emportait avec lui des lettres de la reine Marguerite, de l'Evêque de Linkoeping et de plusieurs grands du royaume qui sollicitaient avec instance la prompte canonisation de leur compatriote.

Le jour de Noël de l'année 1390, Boniface IX ouvrit le jubilé qu'Urbain avait accordé. Ce dernier avait aussi décidé que le jubilé aurait lieu tous les trente-trois ans (1).

(1) En 1470, Paul II réduisit à vingt-cinq ans l'intervalle d'un Jubilé à un autre.

Bien que les circonstances fussent défavorables et que le schisme donnât à ce jubilé une importance moindre qu'aux deux premiers, il y eut une affluence considérable de fidèles à Rome. De nombreux pèlerins y vinrent de l'Allemagne, et les contrées du Nord y envoyèrent une foule de fidèles de toute condition. La reine Marguerite de Danemark elle-même avait pris la résolution de s'y rendre pour assister à la canonisation d'une fille de la Scandinavie (1).

Magnus Pederson arriva dans la Ville éternelle au commencement de l'année jubilaire avec le Frère André Olafson ; son autre compagnon était mort en route.

Il présenta au Pape, en présence d'une brillante assemblée, deux volumes manuscrits, dont l'un contenait les révélations de sainte Brigitte et dont l'autre formait le livre des témoignages, liber attestationum, avec l'histoire de la famille de Brigitte, sa propre vie et ses miracles.

Boniface reprit pour la troisième fois le procès de la canonisation. Il en confia le soin aux Cardinaux Philippe de France, Adam d'Angleterre, de Bari, et à plusieurs autres théologiens savants et expérimentés. Le livre des témoignages fut copié seize fois, et chacun des seize examinateurs en reçut un exemplaire.

Après une étude longue et approfondie, la commission tout entière accompagnée de personnes nobles, dont plusieurs avaient connu Brigitte et avaient joui de son amitié, se rendit auprès du Saint-Père pour le prier instamment de donner une solution favorable à cette affaire, qui avait été examinée à plusieurs reprises avec tant de soin.

Le Pape répondit qu'il portait lui-même le plus vif intérêt à la question et qu'il était disposé à déférer à leurs vœux si les droits ecclésiastiques et les règles canoniques le permettaient. Il ordonna ensuite aux trois Cardinaux susnommés de faire apposer aux portes des principales églises de Rome un avis revêtu de leurs sceaux et invitant tous ceux qui auraient des objections à faire valoir contre la canonisation de la vénérable veuve Brigitte, à les déclarer librement dans les huit jours.

(1) Renmont, Histoire de Rome, tome II, p. 1072 et 1073.

A l'expiration de ce délai, la commission se réunit de nouveau dans le palais du Cardinal Philippe. Deux personnes seulement, au milieu (338) de l'immense foule qui remplissait Rome, s'élevèrent contre la béatification. L'une fut réfutée avec tant de précision qu'elle se retira toute confuse ; l'autre prit la fuite avant d'avoir articulé la moindre accusation. Ces événements eurent lieu vers la fête de saint Laurent.

Le Pape, instruit de tous ces détails, résolut de mettre la dernière main à l'œuvre. Le 7 octobre 1391 il publia sa Bulle de canonisation, qui relatait la vie, les vertus et quelques miracles de Brigitte. Il y déclara que celle-ci était une Bienheureuse, qu'elle devait être honorée comme telle dans toute l'Eglise et être inscrite au rang des Saints ; que, chaque année, sa fête serait célébrée solennellement le 23 juillet, jour de son triomphe définitif sur le monde et de sa naissance à l'éternité, selon le Propre des Saints qui n'ont été ni vierges ni martyres.

Dans le but d'accroître la dévotion des fidèles envers Brigitte et d'honorer son tombeau, il accorda une Indulgence de sept ans et sept quarantaines aux fidèles qui, après s'être confessés et avoir communié, visiteraient sa tombe au jour de sa fête et à l'anniversaire de la translation (339) de ses saintes reliques en Suède (1).

Un témoin oculaire décrit de la manière suivante les solennités de la canonisation de sainte Brigitte (2).

« Le 7 octobre de l'an 1391 du Seigneur, un samedi, dans la deuxième année du Pontificat du Pape Boniface IX, la béatification de la Bienheureuse Brigitte fut célébrée dans la chapelle du Vatican. La veille, le Saint-Père fit annoncer par le Patriarche Gradensa, son confesseur et son référendaire, un consistoire général et la canonisation de la Bienheureuse Brigitte, avec l'ordre au Sacré-Collège d'avoir à se réunir le lendemain ; il prescrivit également de sonner, le soir même, les cloches dans toute la ville. La chapelle papale était magnifiquement ornée ; le sol était couvert de fleurs ; cent gros cierges de huit livres chacun, deux cents de quatre livres et trois cents d'une livre, ainsi que cinq mille lampes éclairaient le sanctuaire.

« Le matin de la fête, le Pape entendit la messe du Saint-Esprit dans sa chapelle privée. Puis il se rendit à la chapelle du Vatican, revêtu du pluvial et de la mitre, et précédé des. Cardinaux et des Prélats. Après avoir adoré le Très-Saint Sacrement de l'autel avec une humilité profonde, il alla s'asseoir sur son trône. Quand les Cardinaux lui eurent rendu leurs hommages, il se rendit à un second siège qui avait été préparé devant l'autel, et il se plaça le visage tourné vers le peuple. Devant lui, mais sur des sièges moins élevés, étaient assis les deux Cardinaux-Diacres. Au milieu du silence général, le Souverain-Pontife fit un discours sur le texte suivant :


« Je couvrirai de mes bénédictions la veuve de Sion ; et le diadème de ma gloire resplendira sur son front (1).  

(1) La fête de la translation des reliques de sainte Brigitte se célèbre le 28 mai. Bulle de canonisation.
(2) Apud Mabillon, t. II, musei italici, p. 535.

(1) Viduam ejus benedicens benedicam... et florebit super ipsam sanctificatio mea. Ps. CXXXI, 15 et 18.

« En terminant, il invita l'assemblée à prier Dieu de ne pas permettre qu'une erreur se glissât dans l'acte qu'il allait accomplir. Il protesta ensuite d'une façon expresse qu'il avait l'intention de ne rien faire dans cet acte qui fût contraire à la sainte Eglise romaine. Puis s'étant levé, il déposa la mitre et entonna le Veni Creator Spiritus. Après le chant de cet hymne, il reprit la mitre et, de son siège, il prononça la décision en vertu de laquelle la Bienheureuse Brigitte était déclarée Sainte et devait être inscrite au nombre des Saints, ainsi que le prescrit le livre des archives secrètes de Clément VI.

« Puis il accorda lui-même l'Indulgence, sous forme de jubilé, à tous ceux qui étaient présents à cette fête ou à ceux qui visiteraient un des jours suivants, soit l'église de Saint-Pierre, soit celle de Saint-Laurent in Panisperna, où Brigitte avait voulu être ensevelie. Les procureurs de la nouvelle Sainte demandèrent alors qu'on dressât, selon la coutume, l'acte authentique de la canonisation. Le Pape entonna ensuite le Te Deum, qui fut suivi de la distribution des cierges et d'une procession solennelle. Lorsque le Saint-Père eut repris sa place devant le milieu de l'autel, le Diacre placé à sa droite chanta : Ora pro nobis, sancta Brigitta, alléluia !

« Finalement le Pape prononça l'oraison propre de sainte Brigitte, ordonna une seconde publication, de l'Indulgence et clôtura la fête de ce jour en donnant sa bénédiction ».

Il n'avait pu célébrer solennellement la messe de la nouvelle Sainte pour cause de (342) santé ; cette partie de la fête fut remise au lendemain.

Le dimanche donc, 8 octobre, Boniface IX, revêtu du pluvial et portant une mitre magnifique, enrichie de perles, se rendit du Vatican à Saint-Pierre, précédé des Cardinaux, de deux Patriarches et de tout le clergé. Le Chapitre de cette église, en pluvial, le reçut processionnellement avec la croix et les bannières, et le conduisit au maître-autel, au son des cloches et du chant du Te Deum. Après y avoir prié quelques instants, il s'assit sur son trône, et reçut selon la coutume, les hommages des Cardinaux. Puis, après le chant de tierce, il commença la sainte Messe ; il dit celle de sainte Brigitte, avec la commémoraison du dimanche. Après l'offertoire, les trois Cardinaux qui avaient été les commissaires de la canonisation, sortirent de la sacristie et vinrent présenter leurs offrandes au Souverain-Pontife.

Le Cardinal français apporta deux cierges dorés et baisa la main et le pied du Saint-Père ; le Cardinal anglais offrit deux pains sur lesquels étaient peintes les armes de sainte Brigitte (1) et celles des trois Cardinaux ; et le Cardinal de Bari présenta deux flacons de vin de Malvoisie, également dorés et ornés des mêmes armes.

Enfin arrivèrent les cinq procureurs et l'avocat, et chacun offrit un cierge richement orné, avec un petit panier renfermant deux pigeons blancs et deux tourterelles. Après la Messe, le Pape se rendit, avec le même cortège qu'à son entrée, au balcon (Loggia) de Saint-Pierre, et termina la grande solennité en donnant sa bénédiction au peuple en allégresse.

A la même époque, Boniface IX fit plusieurs décrets par lesquels il assura de grandes Indulgences aux fidèles qui, en souvenir de sainte Brigitte, célébreraient à l'avenir, comme jours fériés, le 23 juillet, le 7 octobre (1) et le 28 mai.

(1) L'ancien blason des Folkungen, les ancêtres de Brigitte, portait, dit-on, deux ailes d'anges, la pointe en bas. Le prince de Néricie, mari de Brigitte, changea ses armes et adopta un lion debout avec la couronne royale sur la tête. Le blason dont Brigitte se servait elle-même après la mort de son mari, consistait en un écusson à quatre champs. Le premier contenait les cinq plaies du divin Sauveur ; le second, la couronne d’épines ; le troisième, une croix, et le quatrième, le lion debout avec la couronne. On se servit de ces dernières armoiries lors de la canonisation.

(1) Dans la suite, lorsque la fête de sainte Brigitte se célébra dans toute l'Église, elle fut fixée au 8 octobre.

Le jour même de la canonisation, il y eut plusieurs miracles qui furent attribués à l'intercession de sainte Brigitte.

- Une femme aveugle depuis, vingt ans fut guérie de sa cécité.

- Un Cardinal qui passait au milieu de gens ennemis de Dieu et qui était obligé de voyager de nuit pour se soustraire à leurs poursuites, se trouva tout à coup séparé de ses compagnons de route qui s'étaient trompés de chemin. Soudain une torche brillante jeta une vive lumière qui permit à tous les voyageurs de se retrouver ; puis elle disparut.


En 1392, Brigitte obtint un autel enrichi d'Indulgences par Boniface IX. A la fête de la Trinité, en 1393, ses reliques furent de nouveau exposées solennellement à la vénération du peuple. Le Concile national tenu à Arboga, en 1396, décida que le 7 octobre serait à l'avenir célébré comme un jour de fête dans toute la Suède.

Dans le couvent de Wadstena, on éleva à sainte Brigitte une chapelle à laquelle le Pape et ses successeurs attachèrent de nouvelles grâces. Un Evêque nommé Robert, que le Souverain-Pontife envoya de Rome en Ecosse, voulut profiter de cette circonstance pour visiter (345) la Suède. Le jour de la Saint-Clément, ce Prélat se trouvait en pleine mer, entre l'Allemagne et la Suède, lorsque éclata subitement une tempête si furieuse que tout l'équipage se, crut perdu.

Comme on voulait jeter le chargement par-dessus bord, Robert s'y opposa et dit aux matelots :

« Mes frères, recommandons-nous à sainte Brigitte et faisons le vœu d'aller honorer son tombeau si nous arrivons heureusement dans sa patrie ».

La proposition fut accueillie à l'unanimité et la promesse faite. L'Evêque se mettant alors en prière fut ravi en esprit et transporté dans une magnifique chapelle dans laquelle un prêtre célébrait la sainte Messe. A la droite de l'autel, il remarqua une vénérable matrone vêtue d'une robe grise, d'un manteau noir et d'un voile blanc ; derrière elle, se trouvaient des Frères et des Sueurs qui priaient. L'Evêque lui-même reçut un cierge allumé, monta les degrés de l'autel au côté duquel il fixa le cierge, puis il redescendit.

A ce moment, il revint à lui et s'aperçut que la tempête avait complètement cessé, ce dont il loua Dieu et sa glorieuse servante. Lorsqu'après son débarquement il atteignit Wadstena, il (346) reconnut dans la chapelle de sainte Brigitte celle qu'il avait vue en esprit.

Tandis que le ciel glorifiait Brigitte par des miracles sans nombre et que l'Eglise triomphante se réjouissait de posséder une nouvelle Sainte, l'église militante souffrait toujours du schisme.

Ce ne fut qu'au Concile de Constance que l'unité fut rétablie. Le 11 novembre 1417 (1) l'Eglise trouva dans le doux et savant Cardinal Othon Colonna un nouveau Pontife qui fut unanimement reconnu sous le nom de Martin V.

Dans leur amour pour la mémoire de la glorieuse fille de la Scandinavie et dans la crainte de voir contester en quelque lieu du monde catholique la validité d'une canonisation proclamée durant le déchirement de l'Eglise, les peuples du Nord se décidèrent à reprendre la question au lendemain de la fin du schisme.

Des députés de la Suède, du Danemark et de la Norvège demandèrent au Concile de Constance de renouveler la déclaration de béatification. Un grand nombre de personnages illustres du Concile, entre autres le savant chancelier Gerson, s'élevèrent contre cette proposition, se fondant sur la certitude de l'authenticité d'une canonisation prononcée par le Chef légitime de l'Église.

Néanmoins Martin V céda aux humbles sollicitations du roi de Suède et des peuples septentrionaux, et, dans la deuxième année de son Pontificat, il confirma, par une seconde Bulle, la canonisation de sainte Brigitte ainsi que les Indulgences attachées à ses trois jours de fête.

(1) Alzog, Histoire de l'Église, § 271, p. 621.,


Dernière édition par Claude Coowar le Ven 30 Déc - 15:24, édité 1 fois
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VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE.  

40.01/40.


CHAPITRE XL. . Le couvent de Wadstena. L'Ordre de Brigitte. Le protestantisme en Suède (1369-4595). L'authenticité des révélations de sainte Brigitte, confirmée par les Conciles de Constance et de Bâle, et par les témoignages des théologiens les plus célèbres.
Le couvent de Notre-Dame de Wadstena était situé dans une baie du lac Wetter, à un mille et quart de la petite ville de Motala, fondée depuis 1323 seulement, et à vingt-cinq mille de Stockholm. Du temps de sainte Brigitte, Wadstena n'était qu'un bourg, et ce ne fut qu'en 1390 que cette localité devint une ville, à laquelle la reine Marguerite concéda, en 1400, d'importants privilèges. Le monastère était une construction splendide ; Urbain V lui-même l'appela un couvent superbe, élevé à grands frais.

L'Ordre de Sainte-Brigitte se répandit bientôt (349) dans tous les pays de l'Europe et, au quinzième siècle, il y avait déjà trente couvents de l'Ordre du Saint-Sauveur. A Rome, le premier couvent de cet Ordre, dit Hospice de Sainte-Cécile, fut fondé en 1383, et à Florence, celui de Marie du Paradis, en 1394.

On éleva des monastères consacrés à Marie, où les Frères et les Soeurs chantaient jour et nuit les louanges de la Vierge Immaculée, en Danemark, en Angleterre, en France, en Italie, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Espagne et en Portugal. Wadstena et les autres couvents du même Ordre exercèrent une heureuse influence dans les trois royaumes du Nord, notamment par le soin des pauvres, par l'étude des sciences et par la vie exemplaire de leurs hôtes.

Il était d'usage dans les couvents de Sainte-Brigitte, d'ouvrir chaque année, en présence d'une nombreuse assistance, une joute scientifique et d'y convoquer de jeunes savants. On ornait souvent de belles estampes les thèses présentées sous la forme de grandes images. Ainsi on stimulait à la fois l'amour et le zèle de l'étude et des sciences.

Wadstena possédait des richesses considérables, et, comme les Frères et les Sœurs de l'Ordre vivaient dans la pauvreté, ce monastère pouvait consacrer des sommes importantes au soulagement des pauvres.

Le roi Albert de Mecklembourg, qui monta sur le trône de Suède après la chute du roi Magnus, dota, richement Wadstena. Les enfants et les petits-enfants de sainte Brigitte y trouvèrent aussi leur dernière demeure, et celle-ci leur apparut souvent pour les exhorter, les avertir ou même les réprimander.

Charles, le fils aîné de Brigitte, avait laissé deux enfants, un fils, qui porta le nom de son père, et une fille, qui reçut le nom de Brigitte. Charles s'occupa des arts et des sciences profanes et négligea quelque peu la science des Saints, sans laquelle tout savoir humain n'est que vanité. Jeune encore, il épousa une jeune fille riche et distinguée de la Scandinavie. Peu de temps après son mariage, tandis qu'il priait dans le couvent fondé par son aïeule, celle-ci lui apparut, tenant un sablier à la main, et lui dit :

Mon fils, vois ce sable ; il sera rapidement écoulé, à l'exemple de ta vie dont la fin (351) est proche. Il ne te reste que peu de temps ; emploie-le à te préparer à une bonne mort ».  

Charles épouvanté pria la Sainte d'intercéder pour lui auprès de Dieu ; en promettant de se consacrer à l'avenir tout entier au service de Dieu. Mais sainte Brigitte lui répondit :

« Non, mon enfant, la sentence est rendue par le Juge suprême ; ton temps est passé ! ».

Immédiatement Charles tomba malade, reçut les derniers sacrements, et mourut le 17 septembre 1398, dans les sentiments d'une humble contrition. Il fut enseveli à Wadstena.

Une année plus tard, mourut dans la richesse de ses vertus et de ses mérites, la plus jeune des filles de Brigitte, Cécile, qui avait été mariée deux fois.

Aussi longtemps que la Suède garda le précieux dépôt de la foi, les reliques de sainte Brigitte y furent en grande vénération. Déjà en 1383, le roi Albert les avait fait déposer dans un précieux reliquaire, et à cette occasion, il y eut une fête solennelle à laquelle assista Birger, le fils de la Sainte. En 1403, on fabriqua à Stockholm un reliquaire splendide, qui contenait vingt-neuf marcs d'argent pur, et qui fut (352) placé à Wadstena. Les rois de Suède firent de nombreux pèlerinages au tombeau de l'illustre Sainte, issue de leur sang, et, à partir de 1430, le couvent consacré à la Sainte-Vierge, le fut également à sainte Brigitte. Pendant deux siècles, Wadstena ne cessa d'être le foyer de la vie religieuse en Suède. Il renfermait les corps du roi Erie, des saintes Ingrid et Mechtilde, et de plusieurs autres Bienheureux de la Scandinavie. Ils y brillaient de l'éclat des miracles et consolaient le coeur affligé de la Suède, lorsque des loups ravisseurs, venus de l'Allemagne, pénétrèrent dans son bercail.

A l'époque où se préparait dans ce dernier pays la malheureuse scission du seizième siècle, les Suédois allaient encore prier sur les tombeaux des Saints pour obtenir la conservation de l'antique foi.

La religion florissait en Suède parmi le clergé, la noblesse et le peuple ; ses préceptes y étaient observés avec une scrupuleuse sévérité. Le Saint-Siège y était estimé et honoré, et les Suédois gardaient religieusement dans leurs cœurs l'amour du Chef suprême de l'Eglise, auquel ils accordaient une respectueuse obéissance.

Les fêtes de l'Eglise y étaient devenues des (353) fêtes nationales, que le peuple célébrait dans l'allégresse. Cet heureux état de choses devait bientôt se modifier, pour disparaître enfin complètement. De sombres orages s'étaient formés à l'horizon. La vieille haine nationale, qui divisait les Suédois et les Danois, que l'Union de Calmar (1397) n'avait pu apaiser, et qu'une suite de régents imprudents avait, au contraire, surexcitée en l'entretenant, éclata vers la fin du quinzième siècle avec une violente extrême (1).

Dans cette lutte sanglante, la Suède finit par conquérir son indépendance, mais à un prix cruel, au prix de sa foi catholique. Sous le grand régent Sten Sture le Jeune, elle s'efforça de secouer le joug oppresseur du Danemark. Mais Sture, qui avait déjà à lutter contre le perfide Archevêque Trolle d'Upsala, fut complètement battu par l'armée de Christian II de Danemark (1519).

(1) Les renseignements sur la situation religieuse de la Suède et sur l'histoire du couvent de Wadstena ont été tirés de l'ouvrage d'Augustin Theiner, intitulé : K La Suède et sa situation vis-à-vis du Saint-Siège. » (D'après des documents secrets.) Augsbourg, 1838.

Le lendemain de son couronnement, ce dernier ordonna dans Stockholm un massacre général qui dura deux jours, du 8 au 10 novembre 1520 ; puis il nomma pour régent l'Archevêque Trolle. Du nombre des victimes se trouva le père du jeune Gustave Ericson, de la maison de Wasa. Ce jeune homme avait été livré comme otage à Christian ; mais il s'enfuit du Danemark et trouva un refuge à Lubeck. Il revint plus tard en Suède, y souleva ses compatriotes au nom de l'indépendance et battit avec eux les Danois. Elu d'abord par le peuple régent et chef de l'armée, il fut ensuite proclamé roi par l'Assemblée du royaume tenue à Strengnasen en 1523 (1).

Pour consolider son trône, le nouveau roi s'attacha à transformer la monarchie suédoise, jusque-là élective, en une monarchie héréditaire, au profit de sa descendance. Comme moyen d'action, il se servit de la doctrine de Luther, qu'il avait appris à connaître à Lubeck. Il entreprit une guerre d'extermination contre l'épiscopat national et contre la vieille noblesse, et, pour avancer son oeuvre, il fit entrer dans ces deux Ordres de nouveaux éléments.

" Je ne me ferai couronner, disait-il, que lorsque j'aurai anéanti l'épiscopat catholique et avec lui l'Eglise nationale. (1)3 ".

(1). Alzog, Histoire de l'Église, § 327, p. 762.

Connaissant l'énorme influence des moines sur l'esprit religieux du peuple, Gustave fit également une guerre ouverte aux couvents. Il leur enleva leurs biens et leurs trésors jusqu'aux vases sacrés, lorsqu'ils étaient en métal précieux. Il se fit donner par l'Abbesse de Wadstena la belle châsse qui contenait les reliques de sainte Brigitte, ainsi que la bière richement ornée qui renfermait les restes de sainte Catherine. Cette bière pesait 340 marcs d'argent et était recouverte d'or pour une valeur de 160 pièces hongroises.

En Suède comme en Allemagne, un grand nombre de moines, séduits par les avantages terrestres que leur offrait la nouvelle doctrine, embrassèrent l'hérésie.

Les Religieuses résistèrent seules à la tentation et repoussèrent avec mépris les offres les plus attrayantes. Les Filles de Sainte-Brigitte se distinguèrent tout particulièrement par leur courage à défendre leur chasteté. Elles ne se laissèrent intimider ni par la colère du roi, ni par les menaces des princes et des grands du royaume, qui recoururent à toutes sortes d'artifices et de séduction pour les décider à se marier. Elles ne cédèrent qu'à la brutalité et à la violence (1).

(1) Dav. Chytracus in Saxonia ad an. 1527, p. 308 et suiv.

Clément VII fit vainement entendre ses plaintes dans une lettre adressée, le 19 septembre 1526, aux Evêques réunis à Linkoeping. Il y déplorait en termes touchants les progrès que faisait en Suède la nouvelle doctrine et les ravages qu'elle causait dans les moeurs et la foi du clergé et du peuple. Gustave n'en tint aucun compte, non plus que des soulèvements populaires en faveur de l'antique religion ; il continua son œuvre avec une inexorable cruauté.

Dans l'été de 1527, il assembla le Parlement à Westeras. Avec une habileté infernale, il sut rendre le clergé suspect au peuple, dont il voulait gagner la faveur. Dans cette assemblée, on conféra à la noblesse le droit de réclamer aux églises et aux couvents les donations qui leur avaient été faites par ses ancêtres depuis l'année 1453.

(1) Olaus Magnus de moribus septent., liv. XVI, C. XXXV, p. 629.

Le roi se fit investir du pouvoir de nommer et de déposer les prêtres, et la doctrine de Luther put être prêchée partout, sans obstacle. Jean Magnus Goth, Archevêque d’Upsall et Nonce Apostolique, que Gustave avait déjà maltraité précédemment, abandonna la Suède, où toute résistance était devenue inutile. Quant aux prêtres qui ne voulurent pas renier l'Eglise, les uns furent chassés et les autres immolés à la nouvelle hérésie.  

Dès lors, l'Eglise se trouvant dépouillée de tous ses biens, la puissance des Evêques étant brisée et la vieille foi anéantie, Gustave consentit à se faire couronner.

En 1544, le Parlement combla le dernier vœu du roi, en déclarant l'hérédité du royaume de Suède et en l'attribuant à la descendance mâle de Gustave. Eric, son fils aîné, fut immédiatement reconnu comme successeur de son père. Ce dernier n'eut plus, dès lors, d'autre souci que d'anéantir ce qui restait encore de la foi catholique. Il s'en prit particulièrement aux images pieuses, aux crucifix et aux statues des Saints ; il ordonna de mettre en pièces ou de livrer aux flammes toutes ces images sans exception, et notamment celles que le peuple vénérait le (358) plus. Il y eut à cette occasion des miracles dans un grand nombre de localités.  

Dès sa rentrée à Upsala, après la clôture du Parlement, l'Archevêque hérétique de cette ville s'empressa, en servile courtisan de la volonté royale de prescrire l'exécution des décrets votés à Westeras. Il se rendit à Suinegarde, à peu de distance de sa résidence, et en fit enlever, pour le livrer publiquement aux flammes sur la place d'Upsala, un antique crucifix qui, depuis des siècles, recevait les hommages des Suédois et attirait encore beaucoup de pèlerins.

Quand on voulut faire passer le crucifix par la porte de la ville, ses bras s'étendirent tout à coup de façon qu'on dût s'arrêter. Le sacristain de l'Archevêque, dans sa colère, coupa l'un des bras ; mais à peine eut-il fait quelques pas que son propre bras s'abattit le long de son corps, se dessécha, et se refusa à tout mouvement. Le peuple fidèle cria, tout en larmes, que la main de Dieu s'était appesantie sur l'impie. Le crucifix fut néanmoins brûlé au milieu des railleries des assistants.

Gustave continua ses vols sacrilèges, et dépouilla partout les églises, les couvents et les (359) autres sanctuaires de leurs objets précieux. Ils servirent à former les dots de ses filles.

Après avoir dévalisé les temples et les monastères, il les fit raser. Le magnifique couvent de femmes de Risaberg fut, en 1546, réduit en cendres, avec sa belle église ; la plupart des autres monastères furent détruits de la même façon.

En 1545, il jeta les fondations de son château de Wadstena, et employa à cette construction les matériaux de plusieurs églises et couvents qu'il avait fait abattre. Seul le couvent de sainte Brigitte fut respecté, à cause de sa construction imposante et de ses admirables vitraux.

Le peuple cependant affluait encore en masse de tous les points de la Scandinavie, à Wadstena, pour y pleurer, devant une image vénérée de la Reine du ciel, la Reine de cette religion qu'on lui arrachait si brutalement.

Malgré le triste aspect et l'inhospitalité du pays, malgré les obstacles de toute nature et 1a longueur des voyages, qui duraient quelquefois quarante jours, les foules accouraient pour (360) demander secours et assistance au Fils de la Vierge, Sauveur du monde (1).

Afin de mettre un terme à ces manifestations, Gustave ne négligea rien pour disperser les derniers habitants de cette sainte demeure. Il espérait que leur disparition entraînerait la chute de ce boulevard de la foi. En 1548, il y envoya donc Georges Normann, le despotique patriarche de l'Eglise de Suède, et l'infâme Nicolas Huit, avec ordre d'employer tous les moyens de persuasion et au besoin la violence, pour amener à la doctrine luthérienne les moines et le pieux Magnus Turesson, Chanoine de Linkœping ; qui y avait cherché un refuge contre les persécutions du roi.  

Vaincus par la fermeté des moines et désireux de leur épargner les cruels châtiments du roi, les apôtres de l'hérésie les engagèrent à s'accommoder aux exigences du temps et à feindre de passer au luthéranisme. Les moines, par crainte d'une mort terrible, cédèrent, paraît-il, à ces basses intrigues ; ils demeurèrent toutefois fidèles à l'antique foi jusqu'au dernier soupir.

(1) Olaus Magnus de moribus septent. liv. XIII, c. L et LI, p : 542 et suiv.

Seul, le noble Turesson ne redouta point la mort qui le menaçait ; il repoussa avec énergie la proposition de racheter sa foi par un acte d'hypocrisie. Gustave le fit jeter dans les fers et conduire à Gripsholm, où il gémit dans une dure captivité jusqu'en 1554.  Après avoir usé de tous les moyens pour l'amener à une apostasie, le roi le rendit à la liberté, n'osant pas verser le sang de ce juste, qui descendait d'une des plus anciennes familles de la Suède. Turesson se retira dans la solitude, à Wadstena, où il vécut, dans les larmes et la pénitence, du peu que les moines pouvaient lui donner ; il pleurait avec eux la ruine de la religion, il les consolait, et les exhortait à la constance en les fortifiant.

Gustave Wasa, cet ennemi acharné de l'Eglise catholique, mourut le 30 septembre 1560. Son fils aîné lui succéda sous le nom d'Eric XIV.

La situation de l'Eglise n'en fut point changée ; elle resta telle que l'avait laissée Gustave ; mais dans le nouveau parti, il s'éleva une lutte violente entre les réformés et les luthériens. Le luthéranisme l'emporta sur le calvinisme, et la tentative que fit Eric pour introduire cette dernière doctrine amena sa chute (14 sept. 1568), son emprisonnement et sa mort par le poison. Il mourut le 25 février 1577 (1). Sa postérité fut exclue du trône. Son frère, Jean III, qui était sans contredit le plus intelligent des fils de Gustave, lui succéda.

Jean eut le bonheur d'avoir pour mère une femme très pieuse, l'aimable Marguerite Lejonhufwud, fille du maréchal du royaume de Suède, qui lui-même était issu de la maison de sainte Brigitte. Elle avait épousé Gustave le 1er octobre 1537, et mourut le 16 août 1551.

Pendant que son mari s'acharnait à anéantir les derniers restes du catholicisme en Suède, elle s'était ensevelie dans la retraite, au château de Gripsholm, où elle ne cessait de pleurer sur la coupable entreprise du roi et de supplier du fond de son cœur les Saints de Dieu de venir au secours de l'Eglise pour arrêter le bras sacrilège qui la dévastait. De sa propre main elle avait cousu dans des linges précieux plusieurs reliques de sainte Brigitte et d'autres Saints de la Suède ; souvent elle priait en secret devant ces restes sacrés. Jean, devenu roi, vénérait encore ce gage de la piété de sa noble mère.

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327 ; p. 764.

A l'âge de quatre ans, se trouvant un jour seul dans l'appartement de sa mère, au château de Gripsholm, Jean vit, à travers la fenêtre, l'image d'un crucifix venir doucement à lui. Saisi de crainte, il s'enfuit dans le premier moment ; reprenant bientôt courage, il voulut se rapprocher du crucifix, qui disparut aussitôt. Il se rendit en toute hâte auprès de sa mère et lui raconta le fait avec sa simplicité d'enfant. La nouvelle s'en répandit bientôt, et un pieux moine de Wadstena prédit à Jean qu'il serait un jour roi.

Jean III, peu satisfait du protestantisme, se plaisait à l'étude des écrits des Docteurs de l'Eglise et inclinait vers le catholicisme. Il fut encouragé dans cette voie par sa pieuse épouse Catherine, princesse polonaise, et par le confesseur de celle-ci, le jésuite Herbst. Plein d'une noble et ferme conviction, il entreprit de rentrer dans le giron de l'Eglise catholique et de restaurer l'ancienne foi dans son royaume. On trouve des traces de cette tendance dans les treize articles qu'il fit publier pour la réforme (364) des mœurs du clergé ; un témoignage plus frappant encore apparaît dans les suppléments au rituel que publia, en 1571, l'Archevêque Laurent Anderson.

Le roi y avait fait insérer entre autres les passages suivants :

« Saint Ansgar et les autres Saints de la Suède ont annoncé la vraie foi de Jésus-Christ ; pour comprendre les saintes Ecritures, il faut connaître les Pères de l'Eglise ».

De son côté, le jésuite Herbst introduisit dans le royaume le catéchisme de Pierre Canisius. Jean pensa qu'il était nécessaire au rétablissement de la foi catholique que la reine consentît à recevoir la sainte Communion sous les deux espèces ; mais les instances pressantes du Cardinal Stanislas Hosius dissuadèrent celle-ci de céder à ce vœu.

Le Pape Grégoire XIII, qui travaillait avec un zèle infatigable à la réconciliation de la Suède avec la sainte Eglise, y envoya, en qualité de Nonce, le savant jésuite Antoine Possevin, qui arriva à Stockholm le 19 décembre 1577. A la suite de plusieurs entretiens, le roi abjura, devant lui, ses erreurs et reconnut la formule de foi du Concile de Trente.

Au moment du départ du Nonce, le roi lui dit avec émotion :

« Je vous (365) embrasse ainsi que l'Eglise catholique pour toujours (1) ».

Le lendemain matin, 6 mai 1578, Jean reçut la sainte Communion des mains de Possevin. Cet heureux événement était dû aux prières que la pieuse reine n'avait cessé de faire devant les reliques de sa sainte parente Brigitte.

Le roi songea alors à créer en secret, dans le couvent de Wadstena, un séminaire pour les prêtres. Il s'y trouvait encore deux moines et il y avait plus de facilité qu'ailleurs à y installer cette œuvre, car la célébration de l'ancien service divin s'y était conservée, et ce sanctuaire continuait à être entouré de respect. Il s'y rattachait aussi de profonds souvenirs historiques, que la tempête de la révolution religieuse n'avait pu déraciner. Jean augmenta le nombre des prêtres de ce couvent ; mais ils ne durent s'occuper d'abord que du service intérieur de l'établissement, et s'abstenir de l'enseignement qui se trouvait entièrement aux mains des luthériens.

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327, p. 765 et 766.

Le Nonce du Pape s'intéressa vivement au couvent de Sainte-Brigitte. Informé des dangers qu'allaient faire courir aux Religieuses les intrigues actives des pasteurs luthériens, il en instruisit celles-ci et les engagea à persévérer dans la foi.

Dès son arrivée en Suède, il leur avait fait parvenir, par l'intermédiaire d'un ami sûr, une lettre par laquelle il les assurait des bonnes intentions du Pape à leur égard et leur parlait des décisions du Saint-Siège qu'il était chargé de leur communiquer. Au comble de la joie, l'Abbesse Catherine, aussi distinguée par sa science que par sa piété, lui répondit en le remerciant avec effusion, au nom de ses Soeurs, des témoignages de bonté du Souverain-Pontife.

Possevin envoya Jean Ardulph, Bavarois d'origine, élève du collège allemand et prêtre, à Wadstena pour remettre les documents pontificaux à l'Abbesse. Par la même occasion, il lui envoya une circulaire contenant différentes dispositions, qu'il prit au nom du Saint-Siège; il accompagna cet envoi de plusieurs présents; au nombre desquels se trouvait la tête d'une des vierges martyrisées à Cologne avec sainte Ursule; il exhortait les Sœurs à réunir cette relique à celles de sainte Brigitte, et à s'inspirer (367) sans cesse de l'exemple de ces vierges pour monter elles-mêmes à une sainteté semblable, et pour imiter leur persévérance et leur courage dans la foi.

En retour, Possevin pria l'Abbesse de vouloir bien lui faire don de quelques reliques de sainte Brigitte et de sainte Catherine, et il recommanda à ses prières le royaume, la famille royale, sa propre personne et ses compagnons. Il fit parvenir, en même temps, à la reine Catherine trois Brefs du Saint Père, relatifs à l'érection d'un autel privilégié, au gain des Indulgences du jubilé et à la régularisation de l'élection de chaque Abbesse.

Au mois de janvier 1580, Jean III se rendit à Wadsténa pour y ouvrir le Parlement. Sous l'inspiration du duc Charles de Südermanland, frère du roi, l'assemblée s'éleva contre les nouveautés religieuses et obligea le roi à signer un édit sévère contre l'introduction de livres catholiques, à ne confier le haut enseignement qu'à des luthériens, et à faire élever son fils, l'héritier direct de la couronne, dans la confession d'Augsbourg (1).

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VII, p. 57.

La fin de la session fut marquée par un triste incident. Jean fit célébrer à Wadstena le mariage de Pontus de la Gardie avec sa soeur naturelle. La cérémonie devait avoir lieu dans la belle église des Religieuses, avec une grande pompe et suivant le rite luthérien, pour plaire aux Etats. La messe fut chantée conformément à la liturgie nouvelle introduite par Jean III.

Au moment du Gloria in excelcis, la tribune qui avait été établie au milieu de l'église, au côté gauche du maître-autel, pour les parents du roi, les grands et les Etats du royaume, s'écroula tout à coup. Le nombre des morts et des blessés fut considérable.

Cet événement jeta l'épouvante dans l'âme du roi, qui y reconnut la main de Dieu vengeant la profanation du sanctuaire de sainte Brigitte. Dans le but de sauvegarder la chasteté des épousés du Christ et d'empêcher qu'une fête mondaine ne vînt troubler la paix de leurs tueurs, Brigitte avait sévèrement défendu par ses règles de célébrer dans l'église des cérémonies nuptiales, même celles d'un mariage royal. Les rois de Suède avaient toujours respecté la sainteté de ce lieu, et conformé leurs lois à la volonté de Brigitte.

Cet événement accrut encore la vénération du roi pour Wadstena. Il s'appliqua à restaurer ce sanctuaire de la piété suédoise, à réparer les dévastations commises par son père et ses frères, et à lui restituer son ancien éclat. Un grand nombre des plus beaux domaines furent rendus au monastère, et les Religieuses reçurent des pensions importantes.

Magnus, duc d'Ostrogothie et frère de Jean, auquel Wadstena était échu en héritage, avait cruellement sévi contre les Religieuses. Une nuit, il avait assailli le couvent, avait enlevé trois des plus jeunes Soeurs, les avait maltraitées de la manière la plus barbare et les avait fait décapiter ensuite pour mettre un terme à leurs tourments.

Il fit aussi traîner hors de l'église les belles statues de marbre de sainte Brigitte et de sainte Catherine, et donna 1'ordre d'en abattre les têtes et de les mutiler complètement. Magnus avait alors dix-sept ans. De ce moment, Dieu le frappa dans son intelligence, qui faiblit.

Ce châtiment ne l'arrêta point, et il continua à accumuler crime sur crime. Il détruisit le magnifique chœur des moines, arracha les poutres qui servaient de support à l'autel de sainte (370) Brigitte, et les employa à la construction d'un château et d'un pont qui conduisait à Wadstena par le lac de Wetter. La colère de Dieu grandit avec les crimes de Magnus. Le malheureux tomba en pleine démence ; il se précipita un jour du haut du pont, avec trois de ses compagnons, dans le lac, d'où il ne fut tiré qu'à grand-peine. Les autres y périrent. Lui-même, atteint de folie furieuse, devait mourir prisonnier dans ce couvent qu'il avait dévasté. Ce fut en compensation de ces cruelles épreuves que le roi Jean s'efforça de combler de bienfaits les Religieuses de Wadstena ; il fit solennellement donation au couvent de trois châsses en argent, pareilles à celles que Gustave avait volées et fait fondre.

Il témoigna une profonde vénération pour l'Abbesse Catherine, issue de l'antique race des Gyltaer, et qui était une des femmes les plus dignes et les plus remarquables de la Suède. Elle parlait avec une étonnante facilité le latin, comme le suédois. Elle jouissait de plus d'une grande réputation à cause du don de prophétie qu'elle possédait. Le roi et ceux des grands qui étaient ses partisans cherchaient auprès d'elle des conseils dans les circonstances difficiles.

Jean employait volontiers les loisirs que lui laissaient les affaires de l'Etat, à se promener avec Catherine dans les allées solitaires du beau jardin du couvent de Wadstena. Elle avait alors soixante-dix ans, et tous deux repassaient dans leurs souvenirs la tempête de persécutions que le cruel Gustave avait déchaînée sur la Suède, après les heureux temps de la foi et de la piété nationales. Un jour il lui demanda en plaisantant si elle et ses Religieuses n'éprouvaient jamais le désir de rentrer dans le monde pour s'y marier.

Elle lui répondit en souriant :

« N'est-il pas plus facile de défendre aux oiseaux du ciel de bâtir des nids dans un jardin, que d'y voler ? ».

Le roi ayant répliqué que la première de ces choses était possible, mais que la seconde ne l'était point, elle répartit :

« Nous ne pouvons non plus, mes Soeurs et moi, empêcher de telles pensées de nous visiter, mais, aidées de la grâce de Dieu, il nous est possible de leur refuser notre consentement, c'est-à-dire de leur défendre de s'installer et de se nicher dans nos cœurs ».

Wadstena devint ainsi le lieu de séjour favori du roi. Il augmenta les revenus du couvent et e fit restaurer et embellir.

Ce fut à Wadstena aussi, que le Nonce, avec un courage tout apostolique, infligea au roi une pénitence chrétienne et rigoureuse, en expiation du meurtre de son frère Erie. Celui-ci ayant dû prendre un mercredi le breuvage empoisonné qui occasionna sa mort, Jean fut condamné en réparation de ce crime, à jeûner et à prier le mercredi de chaque semaine jusqu'à la fin de sa vie.

Messenius dit à ce sujet :

« Le roi observa toujours scrupuleusement ce jeûne ; mais je laisse à Dieu le soin de vérifier s'il exécuta de la même manière les autres promesses qu'il avait faites au Nonce (1) ».

Celui-ci s'occupa avec ardeur de régler toutes les affaires du couvent de Wadstena. Outre l'Abbesse, il y trouva dix-sept Religieuses ; une dix-huitième, qui n'avait pas seize ans, ne put être admise que plus tard à la profession. Toutes étaient animées d'un zèle ardent pour la gloire du Seigneur. Huit Religieuses étaient mortes durant les jours de la persécution de Gustave sans aucune assistance spirituelle ; mais leur amour pour Dieu s'en était trouvé accru.

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VII, p. 59.

3 Avant d'expirer, elles se confessèrent à l'Abbesse, la priant, si un jour un prêtre catholique revenait dans le pays, de lui faire connaître leurs péchés et de lui en demander l'absolution.

De tous les prêtres de la Suède, il n'en restait que deux, réfugiés alors à Wadstena. Tous deux portaient le nom de Jean. L'un, prêtre séculier, était tellement affaibli par les souffrances et les maladies qu'il ne pouvait célébrer que très rarement la sainte Messe. L'autre, âgé de soixante-treize ans, avait été autrefois moine du couvent ; il avait cédé aux suggestions de Gustave, avait apostasié et s'était marié, mais à la mort de sa femme, il avait fait un retour sur lui-même et était revenu à l'Eglise catholique. Gustave le condamna à mort, mais la victime lui échappa par la fuite.

Sous le règne plus doux du roi Jean, il rentra dans son couvent, où il mena jusqu'à la fin une vie édifiante de pénitence. Nicolas Eriecson, également moine de Wadstena et apostat, fut moins heureux que Jean. Il s'était aussi marié, sur le conseil de Gustave et avait été nommé curé de Wadstena ; mais le Seigneur se vengea de ce crime.

Pour manifester sa haine contre sainte Brigitte dont il avait été le fils indigne, et dans le but d'exciter le peuple contre le monastère de Wadstena, il tint, au jour de la fête de saint Martin de Tours, un discours dans lequel il s'attacha, avec une perversité diabolique, à avilir la grande Sainte.

« Je sais bien, s'écria-t-il avec impiété, qu'on répand que Brigitte a reçu ses révélations d'un Ange, tandis qu'elle les tenait d'un démon de l'enfer ».

A peine eut-il proféré ces propos sacrilèges qu'il perdit l'usage de la parole, et le démon s'empara de lui, à la grande frayeur des assistants. Il fut pris d'une démence complète, et fut tué par les Danois dans une attaque contre Wadstena. Il fut enseveli dans le jardin du couvent, mais l'herbe ne poussa point sur sa tombe et les semences des fleurs n'y levèrent point.

L'Abbesse fit enfin exhumer ses ossements et bénir à nouveau ce lieu par le Nonce. Alors seulement l'herbe reparut sur cette terre maudite.

Cette Abbesse, élue depuis de longues années, mais privée de la confirmation ecclésiastique par suite du défaut d'Evêques catholiques, (375) fut solennellement installée par le Nonce. Il en fut de même pour la Prieure. Trois des plus anciennes Religieuses, qui doutaient de la régularité de leur profession, la renouvelèrent entre les mains de ce Prélat, et sept autres furent admises à prononcer leurs vœux. L'Abbesse et la Prieure durent prêter serment sur la profession de foi de Pie IV ; puis elles reçurent la sainte Communion, avec les autres Religieuses.

Peu après, la jeune Religieuse encore mineure fut également admise à la profession. Elles purent toutes gagner l'Indulgence du Jubilé et communièrent souvent pendant le séjour du Nonce à Wadstena. Celui-ci leur donna quelques règles salutaires, soit pour entretenir leur zèle dans la piété, soit pour augmenter en elles l'esprit de soumission à l'Eglise Catholique et au Saint-Siège.

Le roi Jean demeura jusqu'à sa mort l'ami fidèle et le protecteur des Religieuses de Wadstena ; mais il ne fit plus rien de décisif pour l'Eglise catholique.

Le 16 septembre 1583, la reine Catherine mourut de la mort d'une Sainte. Avec elle (376) s'évanouirent toutes les chances de restauration de la foi catholique en Suède ; car Jean se remaria avec Guneila Bjelke, qui se constitua la protectrice du luthéranisme. Le roi mourut en 1592.

Sigismond, son fils et son successeur, se trouvait en Pologne ; il y avait été élu roi, en sa qualité de dernier rejeton de la famille des Jagellons. Elevé par sa pieuse mère dans la religion catholique, il avait les sentiments d'un fils soumis de l'Eglise. Invité par les sénateurs, après la mort de la reine, à embrasser la confession d'Augsbourg, pour s'assurer la succession au trône, il répondit :

« Je ne trouve pas la puissance temporelle si désirable qu'il vaille la peine de l'échanger contre le ciel ».

En attendant son arrivée, le duc Charles fut nommé régent du royaume et profita de cette situation pour s'emparer de la couronne, avec l'appui du parti protestant.

Lorsque Sigismond revint en Suède, ses tendances catholiques donnèrent occasion au clergé luthérien, allié au duc Charles, de soulever le peuple contre lui (1).

(1) Alzog. Histoire d. l'Eglise, § 327, p. 766 et 767.

Le roi légitime fut bientôt réduit à choisir entre sa foi et sa couronne ; il choisit la meilleure part, et fut déclaré déchu du trône avec sa postérité.

La haine du duc Charles contre l'Eglise catholique ne connut plus de bornes. Il voulut se donner la gloire d'abattre de ses propres mains le couvent de Wadstena, cette citadelle de la foi catholique, qui avait résisté jusque-là à tous les orages de la persécution. Pour accomplir son dessein, il profita des funérailles du malheureux duc Magnus, son frère, qui se firent à Wadstena le 22 novembre 1595. Après la cérémonie funèbre, Charles pénétra dans le couvent avec toute sa suite et ordonna aux onze Religieuses, qui s'y trouvaient, de renoncer à la foi catholique et d'embrasser la doctrine luthérienne.

Elles lui répondirent à l'unanimité qu'elles préféraient mourir plutôt que d'apostasier. Les pasteurs luthériens leur reprochèrent alors leur obstination et leur endurcissement, et les menacèrent de châtiments cruels. Mais rien ne put ébranler le courage héroïque de ces saintes femmes. Charles les condamna alors à quitter leur couvent et leur patrie. Sept (378) d'entre elles s'embarquèrent sans retard pour se retirer dans les couvents de leur Ordre en Pologne. Le persécuteur s'empara de tout ce qui avait quelque valeur. Les Evêques luthériens se partagèrent les précieux ornements d'église dont ils firent faire des vêtements pour leurs femmes et leurs enfants. Les reliquaires d'argent furent fondus et les reliques de sainte Brigitte et de sainte Catherine furent enfouies, afin de les soustraire à la vénération des fidèles.

Mais en 1599, elles furent exhumées et cachées dans le château de Wadstena. Après la mort du roi Charles IX, elles furent réparties entre plusieurs églises et couvents. La bibliothèque fut également détruite, avec les trésors qu'elle contenait. Les Soeurs durent abandonner leur habit religieux et prendre des vêtements ordinaires. Ainsi périt cette fondation magnifique, qui avait été l'un des ornements de la patrie et de l'Eglise de Suède, le séjour de la vraie piété et de la science (1); l'œuvre admirable de la grande Sainte de la Scandinavie se trouvait anéantie (2).

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VIII, p. 23.
(2) Gustave-Adolphe fit une caserne de ce magnifique couvent ; en 1788, on le détruisit presque complètement. Un asile d'aliénés se trouve actuellement élevé sur ses ruines. On y voit encore l'oratoire de l'Abbesse, orné de peintures à fresque ; sur lé plancher se trouve une pierre où reposait le poêle et sur laquelle est gravé un chapelet ; des soixante cellules de Religieuses, il n'en reste qu'une seule. Les deux jardins du couvent ont aussi été conservés.

A l'assemblée des Etats de 1604, à Norkoeping, Sigismond fut déclaré encore une fois déchu du trône, et le duc Charles acclamé roi de Suède (1).

La reine Christine fut le dernier rejeton de cette dynastie, qui avait été le soutien du protestantisme et la terreur de l'Eglise catholique en Suède. Pleine de zèle pour la foi catholique dès son enfance, elle résolut, comme reine, de lui sacrifier le trône qui lui était échu. Le 16 juin 1654, la fille de Gustave-Adolphe céda la couronne à son cousin, le margrave Charles-Gustave, et elle quitta, la Suède. Elle prit la même direction que sainte Brigitte, Patronne de la Suède et de ses rois, et se rendit à la Ville éternelle.

A Rome, elle retrouva la trace des pas de sa sainte compatriote ; elle s'efforça de son mieux de la suivre et elle mérita ainsi d'entrer dans l'Eglise catholique, gardienne infaillible de la vraie foi. En Christine finit la famille des Wasa, qui avait été si violente, si avide de destruction et de sang, si ennemie d'elle-même. Par son abjuration, cette princesse assura auprès de Dieu le compte de toute sa race, en effaçant le passé avec le signe de la croix. Elle a racheté historiquement les crimes de sa maison (1).

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327, p. 768.

Les couvents de Sainte-Brigitte fondés hors de la Suède furent plus heureux que celui de Wadstena. Bien que l'Ordre du Saint-Sauveur ne se soit pas propagé dans les mêmes proportions que d'autres instituts religieux, il n'a pas opéré moins de bien qu'eux par la culture des sciences et l'admirable sainteté de ses membres. Il s'est maintenu jusqu'à nos jours. Les couvents les plus importants de notre temps sont ceux de Notre-Dame-des-Victoires, à Valladolid, en Espagne ;de Marie de Sion, en Angleterre; de Notre-Dame-des-Refuges, à Ueden, dans les Pays-Bas (restauré en 1840); et de Sainte-Marie-d ‘Altomünster, en Bavière (restauré en 1842).

(1) Lettres ecclésiastiques du Nord, IX (Sion, 1841) de H. H. Studach.

Dans ce dernier couvent, la fatale scission du seizième siècle fit encore plus de victimes parmi les fils de Sainte-Brigitte qu'en Suède.

Altomünster, qui avait été un couvent de Bénédictins, de 1047 à 1497, fut occupé par l'Ordre de Sainte-Brigitte le 21 janvier 1497. Conformément aux statuts, ce fut un couvent double, l'un pour les moines, l'autre pour les Religieuses ; ils étaient séparés par l'église et par une haute muraille.

Il parvint rapidement à une grande prospérité. En 1520 il comptait déjà des hommes distingués par leur piété et par leur science (1). Ce furent sans aucun doute ces hommes qui attirèrent de Weinsberg le savant Oecolampade. Celui-ci, d'abord professeur à Bâle, puis prédicateur de la cathédrale d'Augsbourg, reçut à Altomünster l'habit de l'Ordre, des mains de l'Archevêque Philippe de Freising. Doué de grands talents, il donnait les plus belles espérances. Dans sa jeunesse, il était déjà d'une telle piété qu'il était cité comme exemple à ses condisciples.

(1) Léonard Meister. « Les hommes célèbres de l'Helvétie. » T. II, p. 56.

Lorsqu'il entra au couvent, il fut pendant quelque temps un modèle de zèle et de mortification. Mais deux années s'étaient à peine écoulées, qu'il abandonna non seulement l'état religieux, mais encore la foi catholique. Il fut le premier en Bavière qui partagea publiquement les idées de Luther, et qui combattit avec acharnement, par la parole et par ses écrits ; la doctrine et les institutions de l'Eglise catholique. Il mourut à Bâle en 1531.

Lorsqu'il quitta le couvent de Sainte-Brigitte, il dit au portier :

« Mon. Frère, on peut en vérité vous appeler heureux ; car avec votre simplicité vous allez au ciel, tandis que nous docteurs, nous allons en enfer avec notre science ».

Le germe d'incrédulité qu'Oecolampade avait semé dans le couvent, ne tomba pas en mauvaise terre. Quatre prêtres, cinq Frères convers et une Soeur de Munich, appelée Charité, passèrent successivement aux luthériens.

Depuis cette époque néfaste, l'abbaye d'Altomünster a eu à souffrir tour à tour de guerres sanglantes et de la sécularisation des couvents ; mais elle fleurit toujours, loin des bruits tumultueux du monde, près des sources de la rivière de l’Ilm ; c'est un lieu de prière, de charité et de grâce.

Par suite d'une dispense papale, cette abbaye n'est plus, depuis 1844, qu'un couvent de, femmes, sans aucun lien avec le monastère des hommes ; l'esprit de sainte Brigitte s'y perpétue dans sa pureté et sa perfection.

Mais cette grande Sainte s'immortalise non moins par l'admirable livre de ses révélations que par la piété de ses filles. Durant la vie même de Brigitte, ses révélations furent passées au creuset de l'examen le plus sérieux et de la plus sévère critiqué. Son apparition fut si extraordinaire, Dieu la conduisit par des voies si merveilleuses et si rudes que ni sa personne, ni ses révélations, ni son action ne purent demeurer ignorées. Le sentiment qu'elle avait de son néant et de sa misère, et sa constante appréhension de devenir le jouet d'une erreur, malgré l'évidence de l'action divine, sont certainement le meilleur témoignage de l'authenticité de ses révélations. Pleine de défiance pour son propre jugement, elle racontait, avec une franchise d'enfant, toutes ces communications célestes, non seulement à son confesseur, mais encore à d'autres savants théologiens.

Maître Mathias, qui (384) mourut en 1350, et qui recevait toutes les confidences de Brigitte, publia le premier livre de ses révélations, et le fit précéder d'une introduction dans laquelle il défendait la véracité de ces documents d'après les règles scientifiques les plus sévères. Pierre Olafson, qui traduisit les révélations en latin, et Pierre d'Alvastra eurent l'occasion d'étudier son esprit pendant les huit années qu'ils vécurent avec elle. Ils remplirent cette tâche avec l'exactitude et le soin consciencieux qu'elle méritait. Du temps de Brigitte même, ses révélations furent également connues de l'ermite espagnol, Alphonse de Jaen, qui avait été Evêque autrefois et qui devint le plus fidèle compagnon de la Sainte.

Après la mort de la Bienheureuse, il mit en ordre les écrits qu'elle avait laissés, divisa les révélations en huit livres, et fit précéder le huitième d'une lettre, dans laquelle, après avoir établi tout ce que l'étude de la mystique exige de prudence, il affirmait l'entière certitude des révélations de sainte Brigitte, qui présentent, aux yeux de la critique la plus exigeante, tous les caractères du surnaturel divin.

Les additions et les explications qui se (385) trouvent en plusieurs endroits, ne viennent pas d'Alphonse de Jaen, mais de Pierre d'Alvastra, qui ajouta plus tard aux huit premiers livres celui des Extravagantes dont il avait lui-même réuni les parties. Il remit ce dernier livre, en attestant son authenticité, au couvent de Wadstena, en présence de l'Evêque Nicolas de Linkoeping. Les moines de ce couvent s'occupèrent de la première édition, publiée à Lübeck. On lit dans la chronique de Wadstena, qu'en 1491, les frères Ingemarsson et Gerhard se rendirent dans cette ville pour y surveiller l'impression de huit cents exemplaires sur papier et de six cents sur parchemin.

On donna le nom d'Extravagantes aux révélations du dernier livre, parce que, dans le principe, elles ne furent pas reliées aux révélations originales; la foi qu'on leur accorda tint à la pieuse confiance qu'inspirèrent les assurances du Prieur Pierre et de sainte Catherine, la fille de sainte Brigitte.

Tous les savants et tous les théologiens, auxquels Brigitte communiqua ses révélations, acquirent, après un examen approfondi, la pleine conviction, qu'elles avaient été inspirées (386) par l'Esprit de Dieu et non par celui du mensonge.

Elles furent soumises à une vérification non moins minutieuse après sa mort. En 1377, on en remit plusieurs exemplaires au Pape Grégoire XI. Il les donna à trois Cardinaux et à de savants Prêtres qui, après les avoir lus et étudiés avec soin, certifièrent au Souverain-Pontife qu'ils n'y avaient trouvé rien de condamnable ni de suspect, mais que tout ce qu'ils contenaient était vrai, saint et parfait.

Sous le Pontificat d'Urbain VI, durant la procédure de la canonisation, on reprit de nouveau l'examen des révélations. La commission de Cardinaux et de Théologiens de cette époque les trouva également marquées du signe de la vérité, vraiment inspirées de Dieu, très propres à exciter à la vertu et à la piété, et dignes par conséquent de recevoir une plus grande publicité.

A la suite de cette déclaration, un grand nombre de personnes désirèrent posséder les révélations, dont on multiplia les copies. Certains princes députèrent des envoyés spéciaux à Rome pour y obtenir les livres des révélations. L'Evêque de Worms y fit prendre (387) une copie dont il fit don à l'empereur Wenceslas. Charles V de France, les reines de Castille ; de Naples et de Chypre, les députés de l'Université de Prague et d'autres encore obtinrent des copies de tout ou partie de ces livres. Enfin la canonisation de Brigitte valut à ses écrits un surcroît de réputation.

Mais ces révélations eurent le sort généralement réservé à tout ce qui est bon et saint après avoir été répandues à profusion, elles furent vivement attaquées. La question fut même agitée au Concile de Constance, et fournit plus tard au célèbre chancelier Gerson l'occasion de publier son écrit sur l'examen des esprits. La discussion relative à l'authenticité des révélations se termina avec le renouvellement de la canonisation de sainte Brigitte, renouvellement qui témoigna, sans contredit, de la manière la plus éclatante, que le Vicaire de Jésus-Christ reconnaissait leur vérité.

Mais la lutte reprit au Concile de Bâle (1431-1443). Pour donner à l'affaire une solution décisive, le Concile appela à sa barre le confesseur et l'Abbesse de Wadstena, en leur enjoignant d'apporter tous les documents relatifs aux (388) révélations. On avait extrait des écrits de Brigitte quelques articles sur lesquels Pierre Olafson avait composé des commentaires, dont plusieurs avaient été déclarés erronés. Le Concile chargea une commission, dont le célèbre cardinal Jean de Turrecremata fit partie, d'examiner ces articles. Le père Gervin, confesseur de Wadstena et Acho, Evêque de Westeraes, prièrent le Cardinal de consigner par écrit son opinion sur les révélations de leur compatriote. A ce moment se présentèrent, comme défenseurs des articles attaqués, le roi Eric de Suède et les Evêques du Nord, qui se référèrent aux écrits qu'Adam, Cardinal anglais, Godefroy de BallaBand et Jean de Bâle, de l'Ordre des Ermites Augustins, avaient composés, avant le Concile de Bâle, en l'honneur de sainte Brigitte.

La commission entreprit un examen rigoureux et approfondi des révélations. Le Cardinal Jean de Turrecremata les défendit avec un zèle si ardent et en donna des preuves si convaincantes que son opinion fut partagée non seulement par la commission, mais encore par le Concile tout entier.

Dans son plaidoyer, le Cardinal appliqua à (389) Brigitte les paroles de la Sainte-Ecriture :

« Tout ce que vous avez dit est vrai, et dans vos paroles il n'y a rien à reprendre. Maintenant donc, priez pour nous, parce que vous êtes une femme sainte et craignant Dieu (1) ».

Il tira de ce texte cinq conclusions, comme pierres de touche de l'authenticité des révélations ; puis il y appliqua et défendit avec une grande éloquence les cent vingt-trois articles désignés comme erronés.

Il termina par la péroraison suivante :

« En conséquence, après avoir examiné tous ces articles et en avoir pénétré le sens conformément aux paroles de la Sainte-Ecriture, des saints Docteurs et des meilleurs Théologiens, je ne suis pas d'avis que ce livre ou sa doctrine puisse être considéré comme suspect ni in qualitate, ni in figura, ni in pondere, suivant les expressions mêmes de l'adversaire.

" Il ne l'est pas dans sa qualité, parce qu'il contient le véritable or de la pure doctrine.

" Il ne l'est non plus dans sa forme, parce que celle-ci est en concordance avec celle de la Sainte-Écriture et l'enseignement des Pères de l'Eglise.


(1) Judith VIII, 28 et 29.

" Enfin, il ne l'est pas dans son poids, car tout y concourt à la gloire de Dieu et à l'amélioration du peuple chrétien. Car le poids, comme dit saint Augustin, c'est l'amour : mon poids c'est mon amour. Une doctrine a d'autant plus d'importance et de poids qu'elle tend davantage à nourrir et à fortifier l'amour de Dieu dans les coeurs des fidèles ».

Le Cardinal finit sa lettre par ces mots :

« En retour de ce que j'ai fait, à votre demande, avec tant de piété et d'amour, pour la défense de la sainteté de la Bienheureuse Brigitte, votre fondatrice, je vous prie de vouloir bien me recommander aux prières des Frères et des Sueurs de votre Ordre, afin que, plein de confiance dans la protection de cette admirable servante du Christ, je mérite d'obtenir du Seigneur la grâce de l'amour dans la vie présente et la gloire éternelle dans la vie future ! Amen ».

Il signa enfin avec ces mots :


« Je reconnais qu'il en est ainsi, Jean de Turrecremata, habituellement appelé Cardinal, Prêtre du titre de Sainte-Marie au-delà du Tibre, avant les temps de saint Sixte ».

Un autre théologien du Concile de Bâle, (391) chargé de l'examen des révélations, en donna le témoignage suivant :


« Je crois qu'aucun de ceux qu'illumine l'Esprit de Dieu ne peut blâmer ou attaquer ce que renferme ce livre, car il est catholique et saint ».


Depuis cette époque, les écrits de sainte Brigitte ont circulé librement entre les mains des fidèles et ont été lus par eux.

Relativement aux révélations qui concernent des personnes privées ou l'Eglise toute entière, Tolète et Bellarmin disent que si on n'est pas tenu de croire aux premières avec une foi divine (fide divina), il serait néanmoins téméraire de leur refuser complètement sa croyance, d'autant plus qu'elles ont été examinées aussi exactement que les secondes et approuvées comme elles (1).

Les théologiens qui font ressortir la valeur des révélations de sainte Brigitte sont : Blosius, Corduba, Michel Medina, Alphonse Mendoza, Ambroise Catharin, Jean-Baptiste de Lezana, le Père Canisius, etc., etc.

(1) Tolet. L. 4. Institut. c. J. n° 4. Bellarm. Turree.

« Je ne me lasserai jamais de citer les écrits de sainte Brigitte, dit ce dernier, car un grand nombre de divins mystères ont été révélés à cette sainte veuve ; or, ces révélations ont tout à la fois en leur faveur l'autorité des hommes les plus compétents et les déclarations de l’Eglise romaine, de telle sorte qu'elles n'ont plus besoin d'être défendues devant les catholiques (1) ».

Quelque estimées que fussent partout les révélations, elles ne furent réellement connues du peuple, en Allemagne, que par les soins du Père Cochem. Ce Religieux discerna le trésor qu'elles offraient au profit de l'instruction des âmes, et il l'utilisa, il y a deux siècles, pour étendre dans un grand nombre d'âmes la connaissance et l'amour du divin Sauveur et de sa très sainte Mère.

(1) De M. D. Lib. I, cap. 7.

Dans sa préface de la vie et des douleurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa glorieuse Mère Marie, ce Père dit :

« Je renouvelle ici la remarque déjà faite dans les précédentes éditions ; à savoir que, pour écrire l'histoire de la vie de Jésus-Christ, je me suis servi particulièrement des quatre évangiles et des révélations de sainte Brigitte, qui rapportent avec détail et exactitude les circonstances les plus importantes de la vie de Notre-Seigneur. Ces révélations ont été approuvées non seulement par un grand nombre de Cardinaux, d'Evêques et de Docteurs, mais encore par trois Papes et deux Conciles, qui ont témoigné à l'unanimité de leur authenticité, de leur entière vérité, de leur inspiration divine ; et, dans l'intérêt de ceux qui les lisent, on doit à tout jamais les estimer et les vénérer, dans la sainte Eglise de Dieu, comme un salutaire enseignement pour les fidèles. Si donc elles ont été approuvées par l'Église, quel homme serait assez téméraire pour les contredire ? ».

La vie de sainte Brigitte offre certainement cette singularité que Dieu non seulement la sortit de la voie habituellement tracée aux femmes, mais encore qu'il fit instruire par elles les Papes, les princes et les peuples.

L'Apôtre saint Paul dit cependant :

« Je ne permets point à la femme d'enseigner (1) »
; et ailleurs encore : « Que les femmes se taisent dans les églises, car il ne leur est que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d'y parler ; mais qu'elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi ».

Dans sa préface de la vie et des douleurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa glorieuse Mère Marie, ce Père dit :

« Je renouvelle ici la remarque déjà faite dans les précédentes éditions ; à savoir que, pour écrire l'histoire de la vie de Jésus-Christ, je me suis servi particulièrement des quatre évangiles et des révélations de sainte Brigitte, point n’est permis de parler ; elles doivent être soumises, suivant le mot de la loi (1) ».

(1) I. Tim. II, 12.

Mais l'Esprit de Dieu souffre où il veut, et le Seigneur qui a posé ces règles pour les femmes par la bouche de son Apôtre possède aussi le droit d'élever celles-ci au-dessus de ces mêmes lois, lorsque l'exécution du plan divin y est intéressée.

Origène dit :

« On raconte qu'il y eut en Israël plusieurs Juges ; (mais il n'est dit d'aucun d'eux, comme de Déborah, qu'il fut un Prophète (2). Devant Dieu les sexes n'existent point, mais chaque âme reçoit, suivant la diversité des sentiments, le caractère d'un homme ou d'une femme. Que de personnes du sexe féminin sont comptées par Dieu parmi les hommes forts, et que d'hommes ne seront devant lui que de faibles femmes (3) ».

Saint Jérôme dit dans le même sens :


« Considérons bien que Holda, Anne et Déborah prophétisaient lorsque les hommes se taisaient, et qu'au service du Christ, ce n'est pas la différence des sexes mais celle des esprits qui compte (1) ».

(1) I Corinth. XIV, 34.
(2) In lib. Judic. Hom. 2 § 2.
(3) In lib. Jes. Hom. 9 § 9.

Adorons donc avec humilité le Seigneur, qui est grand dans ses Saints, et sollicitons la puissante intercession de sainte Brigitte, afin que Dieu nous montre dans l'éternité, les mystères de son amour, comme il les a manifestés à sa glorieuse servante dès sa vie terrestre.

C'est pourquoi nous terminons cette biographie, dont la forme est si indigne de son noble objet, par la prière que l'Eglise récite au jour de la fête de la Sainte :

" Seigneur notre Dieu qui avez révélé à la Bienheureuse Brigitte les secrets du ciel par Jésus-Christ, votre Fils unique, faites, par sa pieuse intercession, que vos serviteurs se réjouissent éternellement dans la manifestation de votre gloire. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec vous en l'unité du Saint-Esprit dans fous les siècles des siècles. Ainsi soit-il ".

(1) Comment. In Isai lib. XII, sub init.
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Claude Coowar




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Bulle de canonisation de la Bienheureuse Brigitte de Suède, la glorieuse épouse du Christ. 02.


Publiée par le Pape Boniface IX.

Boniface, Evêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables Frères, les Patriarches, les Archevêques, les Évêques, et à ses très chers fils, ainsi qu'aux Chapitres des Eglises patriarcales, métropolitaines et cathédrales, en quelque lieu qu'ils soient, Salut et Bénédiction Apostolique !

« Dès le commencement du monde, lorsque nos premiers parents eurent attiré par leur chute la mort éternelle sur l'universalité du genre humain, le Dieu tout-puissant et miséricordieux veilla du haut du ciel à ce que l'homme, qu'il avait créé, ne périt pas totalement, mais devint au contraire participant de sa divinité.

« Dans ce but, il envoya d'abord les Prophètes éclairés du Saint-Esprit pour annoncer à nos ancêtres, au moyen de symboles mystérieux et de révélations divines, l'avènement de son Fils dans la chair.

« Puis, lorsque les temps furent accomplis, il envoya ce Fils unique, que de toute éternité il avait engendré dans son sein, dans le sein de la Vierge choisie pour être sa Mère, laquelle conçut, après l'annonciation de l'Ange, sous (397) l'ombre impénétrable du Saint-Esprit. Né de cette Vierge sainte, il se mit dès son apparition dans le temps, à enseigner par l'exemple et par la parole, montrant à tous que ceux qui seraient régénérés par les eaux sacrées du baptême verraient, au sortir de la mort éternelle, s'ouvrir devant eux la voie qui conduit à la vie.

« Il s'entoura ainsi de disciples; et, pour que nul fidèle n'appréhendât de souffrir les peines et les difficultés de cette vie passagère et fugitive, ainsi que les amères angoisses de la mort temporelle afin d'acquérir la vie éternelle, il s'offrit lui-même, au terme de sa carrière, à Dieu le Père, comme une victime sans tache, sur l'autel de la croix, en y subissant une mort sanglante ; et, au prix du sang précieux qu'il répandit, il fonda l'Eglise militante, la consacra et l'affermit pour toujours.

« Enfin, au moment de retourner de ce monde à son Père, il transmit au Prince des Apôtres, Pierre, le porte-clef du ciel, pour lui et pour les Papes ses successeurs, avec le pouvoir des clefs, la puissance de lier et de délier, et lui confia le Souverain-Pontificat, ainsi que le soin de la direction générale de son troupeau.

« Il n'en promit pas moins de ne jamais abandonne son Eglise. Pour la plus grande utilité de celle-ci, il prodigua les grâces à ses fidèles par la voie du Saint-Esprit ; car, suivant l'Apôtre, chacun reçoit une manifestation de l'Esprit pour l'utilité commune. A l'un

- Est donné par l'Esprit la parole de sagesse ;

- A un autre, la parole de science, suivant le même Esprit ;

- A un autre, la foi dans le même Esprit ;

- A un autre, la grâce des guérisons dans un seul Esprit ;

- A un autre, le don des miracles ;

- A (398) un autre, celui de prophétie ;

- A un autre, le don de discerner les esprits ;

- A un autre, le don des langues ;

- A un autre enfin, celui de discourir doctement.

« Mais toutes ces grâces proviennent d'un seul et même Esprit, qui donne à chacun ce qu'il veut. Le Père des lumières a élevé cette Eglise militante dans le même Esprit sanctificateur, sur la pierre angulaire, qui est Jésus-Christ, en employant à son édification des pierres précieuses, et en l'ornant avec une admirable variété, au moyen des âmes que, dès l'origine du monde, il avait choisi pour devenir semblables à son Fils, afin que celui-ci fût le premier-né entre beaucoup de frères.

« Par lui aussi, il a comblé des grâces les plus abondantes ceux qui doivent parleur exemple montrer le droit chemin. En conséquence, les saints Apôtres ont parcouru le monde et ont appelé à la vie et au salut le genre humain courbé sous le joug du péché ; ils ont prêché la parole de Dieu avec une si grande fermeté que leur voix a retenti dans tous les pays et que leurs paroles sont arrivées jusqu'aux confins de la terre.

« A leur tour, les glorieux martyrs, revêtus de la cuirasse de la foi et ceints du baudriers d'une persévérance inébranlable, ont purifié leurs vêtements dans le sang de l'Agneau innocent, et ont suivi Jésus-Christ s'en allant à la tête de son armée radieuse édifier la Jérusalem céleste, c'est-à-dire l'Église triomphante ; car, après une glorieuse, victoire, ils vinrent, les palmes en mains, s'adjoindre; à l'édifice comme des pierres vivantes, laissant: à l'Eglise militante, l'exemple honorable et l'impérissable souvenir de leur héroïsme.

« De grands (399) Docteurs vinrent ensuite pour combattre les mauvais chrétiens et les faux prophètes qui s'efforçaient d'introduire dans la foi catholique des superstitions et des erreurs ; ils réfutèrent ces sectaires avec une admirable éloquence et une rare puissance d'argumentation ; et la foi en jaillit par l'opération du Saint-Esprit. Ils illuminèrent l'Église militante ; fortifiée par eux, cette Eglise s'avance comme l'aurore, belle comme la lune, choisie comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille.

« Viennent ensuite les saints confesseurs qui, rayonnant de l'éclat des vertus comme d'autant de pierres précieuses, s'avancent vers le Seigneur qui demande compte des talents reçus. Ils se sont complus à faire constamment des oeuvres saintes, et ils apportent, comme de bons et fidèles serviteurs, les fruits variés de leurs travaux et placent leurs dons dans le trésor.

« Les anachorètes et ceux qui ont aimé la solitude y apparaissent aussi avec éclat. Ils fuirent les joies vaines et trompeuses du monde et se cachèrent dans des cavernes souterraines pour arriver sûrement à la patrie ; ils affaiblirent leur corps en ne lui accordant qu'une nourriture misérable et un peu d'eau; et, afin d'amortir l'aiguillon de la chair, ils se couvrirent de vêtements grossiers, marchèrent pour la plupart pieds nus, n'accordèrent à leurs membres fatigués qu'un court sommeil sur la terre nue ou sur la paille, et s'adonnèrent sans relâche aux contemplations saintes et à la louange de la majesté divine.

« Enfin, retirés de cette vallée de larmes et de cet océan de misères, pour paraître en la présence de Dieu, ils sont entrés en jouissance de délices impérissables. Il (400) s'y trouve également des vierges admirables qui apportent dans leurs vases, avec un amour pur et un coeur sincère, l'huile d'une sainte charité ; elles s'avancent vers l'Epoux, qui vient à elles, pour s'unir au plus beau des enfants des hommes. Les pieuses et chastes veuves et d'autres personnes de l'un et de l'autre sexe, qui n'ont cessé de s'occuper d'oeuvres saintes, se tiennent les mains pleines de gerbes, devant le tribunal de Dieu et chantent avec les Anges Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terreaux hommes de bonne volonté. C'est le même Esprit, dont il a été parlé ci-dessus, qui fait tout cela avec une activité et une variété admirables.

« Et le Christ, conformément à sa sainte promesse, a visité, soigné, défendu, fortifié, soutenu et accru, avec de semblables ouvriers, sa vigne, l'Eglise militante, depuis sa merveilleuse ascension jusqu’à nos jours, et il fera de même par sa grâce dans l'avenir.

« Dans ces derniers temps, afin qu'il vînt aussi quelque chose de bon du septentrion, le Vigneron céleste, en visitant sa vigne selon sa coutume, a, pour la cultiver, suscité au loin, vers les frontières les plus éloignées, une femme forte d'une éminente valeur ; cette femme c'était la Bienheureuse veuve Brigitte, qui devait faire partie de la sainte phalange, dont il a été parlé ci-dessus, et à laquelle elle est en réalité réunie déjà.

« Nous prenons la peine de rappeler brièvement son origine, sa vie, ses actes ; ses mérites, ainsi que ses miracles, que pour récompenser sa sainteté, Dieu a daigné montrer à la terre; nous le faisons pour que les contemporains aient connaissance d'une femme (401) aussi célèbre, et que la postérité ne nous accuse pas d'ingratitude. Parmi un grand nombre de faits nous en avons choisi quelques-uns qui ne peuvent être passés sous silence ; nous les présenterons avec ordre à votre charité ".


« Cette femme glorieuse a reçu le jour, de son père Birger et de sa mère Sigride, qui étaient unis par les liens du mariage, qui descendaient de la très illustre race des rois catholiques de Suède, et qui se distinguèrent non moins par leur orthodoxie, par leur force d'âme et par leurs vertus que parleur noblesse. A l'époque où sa mère la portait dans son sein, elle fit naufrage sur mer. Pendant que la tempête engloutissait un grand nombre de passagers des deux sexes, elle-même arriva saine et sauve au rivage.

« La nuit suivante, elle vit à ses côtés une personne revêtue d'habits brillants, et, pour que la venue en ce monde d'une si glorieuse veuve fût connue à l'avance, la vision lui dit :

« Tu as été épargnée à cause du bien que tu portes dans ton sein. Elève-le donc dans l'amour de Dieu, car c'est Dieu qui te l'a donné ».

« Le jour de la naissance de Brigitte, le curé d'une paroisse voisine, homme d'une vie irréprochable et d'un grand âge, aperçut, pendant sa prière, un nuage éclatant. Une vierge tenant un livre à la main était assise au centre du nuage et lui dit :

« Il est né à Birger une fille dont la voix admirable sera entendue dans le monde entier. Jusqu'à la fin de sa troisième année, l'enfant sembla muette ; mais alors, contre l'ordinaire, elle se mit à parler, non en bégayant comme les petits enfants qui veulent imiter ce qu'ils ont entendu, mais en (402) s'exprimant avec perfection et netteté sur tout ce qu'elle avait vu et entendu. A mesure qu'elle grandit, elle montra une piété admirable, passant son enfance à prier, à jeûner, et ne cessant de s'adonner activement aux bonnes œuvres. Malgré son désir de servir le Seigneur dans l'état de virginité, elle dut, d'après la volonté de ses parents, donner sa main à Ulpho d'Ulfasa, prince de Néricie, jeune homme très noble et très chrétien.

« Après leur mariage et bien que nubiles, puisque l'époux avait dix-huit ans et l'épouse treize, ils imitèrent d'un commun accord l'exemple du jeune Tobie et de Sara, fille de Raguel, et vécurent dans la continence pendant plus d'une année, en priant Dieu, s'il approuvait qu'ils s'unissent, de les préserver de tout péché, et de leur accorder une postérité qui se consacrât à son service.

« Quand ils se décidèrent à l'union conjugale, ils le firent avec crainte et tremblement, non en vue du plaisir, mais dans le but unique d'obtenir des enfants. La pieuse femme, durant ce temps, ne se relâcha ni dans ses jeûnes, ni dans ses prières, ni dans ses oeuvres habituelles de piété ; mais c'est principalement la Très-Sainte Vierge qu'elle ne cessa d'aimer du plus tendre amour. Aussi, lorsque plus tard, à la naissance d'un de ses enfants, elle fut tellement en danger que l'on dut désespérer de sa vie, il apparut une femme majestueuse mais inconnue, vêtue de soie blanche, qui se plaça près du lit et toucha chaque membre de la malade. A la disparition de l'inconnue, la malade fut, sans douleur, délivrée de son enfant.

« Les deux époux étaient encore jeunes et forts, quand le mari, persuadé par les (403) saintes exhortations de sa bienheureuse compagne (car le coeur de l'époux n'eut aucun besoin de chercher des dépouilles ; il se reposait sur elle avec confiance, et elle lui rendit, non pas le mal, mais le bien tous les jours de sa vie) convint avec sa femme de s'imposer mutuellement, volontairement et pour toujours la continence, dont ils ne se départirent plus. Ainsi affermis dans l'amour de Dieu, ils n'en devinrent que plus ardents dans l'amour du prochain ; et, pour accomplir un vœu, ils se rendirent en pèlerinage au tombeau de l'Apôtre saint Jacques, à Compostelle.

« De retour dans leur patrie, ils décidèrent de se retirer chacun dans un couvent afin de pouvoir s'adonner plus librement à leur dévotion particulière. Le prince s'endormit dans le Seigneur en s'occupant de la réalisation de son pieux dessein. Quant à la sainte veuve, qui, dès le commencement de sa vie, s'était vouée à Dieu, elle n'usa de l'indépendance que lui rendait la mort de son mari que pour se consacrer sans relâche à la prière et au jeûne. Semblable au navire d'un marchand, apportant de pays lointains le pain qui lui est nécessaire, elle quitta, sous le souffle de l'Esprit-Saint, et sa famille et les rivages de la patrie, pour toucher à la Ville éternelle, puis à Jérusalem, où elle visita et vénéra très dévotement chacun des lieux où notre divin Rédempteur Jésus-Christ fut annoncé, mis au monde, élevé et baptisé, et où, après avoir vécu en faisant des miracles, il fut raillé, crucifié, enseveli, et d'où il monta ensuite au ciel.

« Elle retourna à Rome et elle y vécut le reste de ses jours, après avoir visité anciennement déjà, dans sa patrie et dans les (404) pays environnants, en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie, et plus tard dans les contrées situées en deçà et au-delà de la mer, tous les lieux, (à peu d'exceptions près) où reposaient des reliques de Saints et de Saintes.

« Après la mort de son mari, la sainte veuve porta, en l'honneur de la Sainte-Trinité, immédiatement sur le corps, même durant la maladie, une corde de chanvre toute en nœuds fortement serrés, et une autre de même nature autour des jambes au-dessous des genoux. Elle ne se servit point de linge si ce n'est d'un voile dont elle se couvrait la tête, et elle porta de rudes cilices, que recouvraient, non des vêtements conformes à son rang de princesse, mais des habits fort modestes et de vil prix. Non seulement elle observa les vigiles et les jeûnes prescrits par l'Eglise, notre sainte Mère, mais elle s'en imposa beaucoup d'autres, de sorte que, en outre du précepte de l'Eglise, elle jeûnait quatre fois la semaine ; elle avait fait de même du vivant de son mari. Après la mort de celui-ci et jusque vers la fin de sa propre vie, elle ne cessa de condamner son corps, épuisé par la prière, les jeûnes et les couvres de Dieu, à un sommeil court et léger qu'elle prenait, sans quitter ses vêtements, sur un tapis, ou une paillasse ou quelque chose d'analogue, quelquefois même sur la terre nue. Elle ne manqua jamais de jeûner le vendredi en souvenir de la très sainte Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se contentant de pain et d'eau, ce qui ne l'empêchait pas de faire abstinence de la même façon beaucoup d'autres jours, en l'honneur de divers Saints. Et (405) qu'elle jeûnât ou non, elle était toujours tellement sobre, qu'elle se levait de table sans être rassasiée, mais seulement un peu réconfortée. Le vendredi encore elle prenait des cierges allumés et en faisait couler sur sa peau des gouttes de cire fondue dont les brûlures laissèrent des traces ineffaçables. Elle tenait constamment à la bouche de la gentiane, qui est une herbe très amère.

« Durant son séjour à Rome, elle ne s'inquiétait ni du froid rigoureux, ni des grandes chaleurs, ni de la fatigue d'un long chemin, ni de la neige, ni de la pluie, ni de la grêle, mais elle visitait chaque jour à pied les stations et les églises, bien que ses forces la trahissent souvent et que sa position l'autorisât à aller à cheval. Elle se tint à genoux si souvent et si longtemps que ses genoux prirent, pour ainsi dire, la dureté de ceux des chameaux. Elle était d'une humilité admirable et si éprouvée, que parfois elle se mêla, sans être reconnue, aux pauvres pèlerins, devant le couvent de Saint-Laurent in Panisperna, pour y recevoir l'aumône qu'elle baisait avec reconnaissance.

« Souvent elle répara de ses propres mains, en l'honneur de Dieu, les vêtements des pauvres. Elle observa vis-à-vis des Prélats, de ses Supérieurs et de ses confesseurs une obéissance si exacte qu'elle se permettait à peine de lever les yeux sans l'autorisation de son confesseur. Du vivant de son mari, elle se confessait tous les vendredis ; après sa mort, elle s'appliqua à se confesser au moins une fois par jour avec une grande contrition, et elle pleurait les fautes légères aussi amèrement que d'autres pleurent les plus grandes ; elle scrutait tout, ses paroles, (406) ses mœurs, ses pensées et ses actions. Elle assistait exactement et avec attention à la prédication de la parole divine que faisaient des hommes éprouvés. Les dimanches et jours de fête, elle recevait avec larmes et dévotion le sacrement du Corps adorable du Christ.

« Elle veillait à la tenue de sa maison, ne mangeait pas son pain dans l'oisiveté, ouvrait sa main aux pauvres et l'étendait vers ceux qui étaient dans le besoin. Car elle exerça sans relâche, pour la gloire de Dieu, les devoirs d'une charité inépuisable envers les nécessiteux, les malades et les personnes méprisées. Pendant que son époux vivait encore, elle avait coutume de nourrir douze pauvres dans sa maison : elle les servait, leur présentait ce dont ils avaient besoin, et, chaque jeudi, elle leur lavait les pieds en souvenir de la Cène du Seigneur. Elle fit relever de ses propres deniers, dans divers lieux de sa patrie, un grand nombre d'hospices en ruines, et comme une pieuse, charitable et miséricordieuse servante, elle visita avec un grand amour les pauvres et les malades qui s'y trouvaient. Elle touchait, lavait, pansait et soignait leurs ulcères sans répugnance ni dégoût.

« A Wadstena, dans le diocèse de Linkeeping, elle fonda (le ses propres ressources, et selon les règles de l'Eglise, un vénérable monastère pour soixante Sœurs cloîtrées et vingt-cinq. Frères, suivant la règle de Saint-Augustin, et du nom, du Très-Saint Sauveur. Les Religieuses et les Religieux sont tenus d'observer certaines constitutions tracées par la sainte veuve elle-même et approuvées plus tard par le Saint-Siège. Elle pourvut le monastère de revenus suffisants. Elle fut d'une (407) patience admirable, de telle sorte qu'elle supporta avec le plus grand calme, sans murmurer et sans se plaindre, et ses propres maladies, et les offenses qu'elle recevait, et la mort de son mari et celle de son fils Charles, ainsi que toutes les contrariétés de la vie. Toujours et en tout elle louait le Seigneur avec la plus profonde humilité. De jour en jour plus ferme dans la foi, plus joyeuse dans l'espérance et plus ardente dans la véritable charité, elle aima extrêmement la justice et l'équité et méprisa les aiguillons de la chair et les séductions de toute espèce, la bassesse, la pompe et la vaine gloire et l'arrogance ; le tout, avec zèle et grandeur d'âme. Il a été assez parlé plus haut de sa rare continence et de sa modestie. Mais où trouverait-on une prudence plus consommée ?

« Guidée par le jugement le plus sûr, depuis l'âge le plus tendre jusqu'à sa dernière heure, Brigitte, autant que le permet la fragilité humaine, savait tout discerner et ne nommait point mal ce qui est bien, ni bien ce qui est mal. Elle ne transformait pas non plus la lumière en ténèbres, ni les ténèbres en lumière.

« Par ces saintes oeuvres pratiquées sans relâche, cette noble veuve mérita, moyennant la grâce du Saint-Esprit, de dévoiler à beaucoup de personnes leurs pensées et leurs dispositions les plus intimes, ainsi que leurs actions les plus secrètes ; puis aussi de voir et d'entendre maintes visions et révélations. Son esprit prophétique prédit divers événements dont plusieurs déjà ont reçu leur accomplissement, comme cela est inscrit, avec toutes sortes de détails, au Livre des révélations. Elle annonça sa mort cinq jours à (408) l’avance ; elle venait alors de dépasser la soixante et dixième année de sa vie.

« Quand arriva le moment indiqué, elle réunit autour d'elle les personnes, de sa maison et donna ses instructions. Après quoi seulement elle fit approcher son fils Birger et sa fille Catherine. Elle les exhorta à persévérer avant tout dans la crainte de Dieu, dans l'amour du prochain et dans les bonnes oeuvres ; elle se confessa pour la dernière fois, reçut le Saint-Viatique et l'Extrême-onction, et, comme elle posséda sa connaissance jusqu'au dernier moment, elle fit célébrer la Messe en sa présence, adora le Corps du Christ, et dit en levant les yeux au ciel :
 


« Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains ».

« Puis elle rendit son âme au Créateur qui l'appelait. Aussitôt que la nouvelle de sa mort se répandit dans la ville, le peuple accourut avec un pieux respect pour voir ses restes vénérés., et loua Dieu d'une voix unanime. Les dépouilles de la sainte veuve furent portées, au milieu d'un grand concours de peuple, au couvent de San Lorenzo, d'après le désir qu'elle en avait exprimé ; mais l'affluence considérable des visiteurs retarda pendant deux jours l'ensevelissement du corps, qui fut inhumé au chant des hymnes que la joie du peuple faisait monter vers Dieu.

« Pendant qu'elle était à Naples ; une femme appelée Picciotella avait fort à souffrir d'un malin esprit qui s'approchait d'elle sous une forme humaine et qui repoussait les gardiens les plus vigoureux. Cette femme s'adressa à la sainte veuve pour lui demander conseil et assistance. Celle-ci, qui pénétrait les secrets de la femme, lui demanda si elle ne portait (409) point sur elle un charme. Comme elle s'en défendait, Brigitte lui dit : « Cherchez dans vos cheveux, et vous y trouverez ce que vous ne devez point avoir ». La femme toute confuse se souvint qu'elle portait dans sa chevelure un billet couvert de signes mystérieux et elle reconnut de bon gré son erreur. La sainte veuve lui conseilla de se confesser pieusement, de faire une vraie pénitence, de communier et de jeûner ; et l'ayant fait, elle fut délivrée par les mérites et les prières de Brigitte.

« La vénérable veuve se rendit deux fois à Ortona, dans le diocèse de Chieti, où l'on conserve une grande partie des reliques de l'Apôtre saint Thomas (longtemps auparavant il lui avait été révélé, dans une vision, qu'à sa deuxième visite au même pays, elle verrait l'accomplissement d'un pieux désir). Or donc pendant qu'elle vénérait ces reliques avec sa dévotion habituelle, ledit Apôtre lui apparut et lui dit : « Vous recevrez ce que vous avez souhaité si longtemps ». Et aussitôt, sans que personne n’eût touché ou poussé le reliquaire, un fragment d'os du saint Apôtre en sortit et se plaça dans la main de la veuve. Elle le reçut avec une pieuse allégresse et le conserva avec la plus grande vénération.

« Pendant que cette veuve admirable vaquait à la prière et la contemplation, diverses personnes l'ont vue plusieurs fois élevée de terre, à hauteur d'homme, le visage tout rayonnant de lumière.

« Pendant l'exposition du corps de la Sainte, une femme de la ville, Agnès de Contessa, qui était affligée depuis sa jeunesse d'un cou difforme et très gros, vint le vénérer en compagnie d'autres personnes (410). Après avoir fait toucher pieusement les mains de la Sainte par son collier et avoir remis ce bijou à son cou, celui-ci perdit tout à coup son extrême gonflement et reprit, grâce à un miracle divin, sa forme naturelle.

« Françoise de Sabéllis, Religieuse du couvent de Saint-Laurent, qui avait été une amie intime de la Sainte, souffrait depuis deux ans de faiblesse et d'une maladie de l'estomac. Pendant que le corps reposait dans le couvent, elle se leva péniblement et se rendit avec l'aide de ses Soeurs auprès de la bière, où elle demeura toute la nuit, en suppliant Dieu de lui accorder, par les mérites et l'intercession de la sainte veuve, au moins un léger soulagement à ses longues souffrances, afin de pouvoir assister au service divin avec les autres Religieuses et aller et venir dans le couvent sans être soutenue, si toutefois ce devait être pour son bien. Quand vint le matin, elle trouva qu'elle était exaucée au-delà de sa demande, car sa guérison était complète.

« Le Dieu de bénédiction voulut que les mérites de la chère veuve fussent manifestés à la terre d'une manière plus évidente encore. Il arriva que Elsebysnara, une femme du diocèse de Linkceping, mit au monde un enfant mort. Dans sa douleur, elle implora Dieu, lui demandant de vouloir bien donner la vie à cet enfant par les mérites de la vénérable veuve, et faisant en même temps le vœu que, si elle était exaucée, elle irait avec l'enfant brûler un cierge au tombeau de la Sainte. L'enfant prit aussitôt de la chaleur, remua et revint entièrement à la vie. La femme accomplit son veau avec une pieuse allégresse ".


« Mais pourquoi nous arrêter à ces faits particuliers, lorsque nous savons que, par les mérites de cette sainte veuve, le Dieu tout-puissant a ouvert les oreilles aux sourds, donné la parole aux muets, fortifié les paralytiques, redressé les contrefaits, rendu la liberté des mouvements aux infirmes et aux éclopés, accordé la vue aux aveugles, délivré les femmes en enfantement, guéri les incurables et enfin conduit au port les naufragés et les voyageurs surpris par la tempête ? Si nous voulions raconter en détail tout ce que Dieu, par les mérites de cette veuve, a opéré de bienfaits et de merveilles surnaturelles, tant dans le cours de sa vie qu'après sa mort, notre récit serait interminable. Toutefois les fidèles désireux de connaître ces faits pourront les lire avec zèle dans le livre où ils sont consignés. Les nombreux ex-voto du monastère susnommé de Wadstena, où fut transporté le vénérable corps de la veuve, ainsi que les tableaux et les statues qu'on y voit, confirment hautement la vérité de ces miracles.

« Et parce que cette veuve, que le Saint-Esprit a rendue si vigilante, a été appelée, à cause de ses mérites signalés, à la gloire de Dieu le Père, elle éclaire l'Eglise militante d'une manière admirable. Et Nous goûtons et Nous voyons que son commerce a été bon et l'est, encore ; c'est pourquoi la lumière de ses vertus et de ses mérites ne doit point disparaître dans la nuit de la mort temporelle. Car cette lumière n'est pas placée sous le boisseau, mais sur le chandelier, et elle procure un éclat impérissable à toute la maison du Seigneur. Que les enfants de notre sainte Mère l'Église se lèvent donc pour la (412) proclamer bienheureuse ; qu'ils lui donnent du fruit de ses mains, et que ses couvres la louent, aux portes de la sainte Eglise.

« Quant à Nous, en vertu du Souverain-Pontificat qui Nous a été imposé, Nous devons le déclarer aux sages et aux ignorants : les faits que Nous venons de mentionner ici et qui ont été recueillis tant par les ordres de nos prédécesseurs, les Pontifes Romains Grégoire XI et Urbain VI, d'heureuse mémoire, que par nos propres prescriptions, sont l'exacte vérité, puisque Nous en avons pour garants des témoins dignes de foi, et d'autres preuves légales. Nous avons été, au surplus, sollicité souvent et instamment, au nom du Seigneur, par notre fille bien-aimée dans le Christ, Marguerite, la très noble reine de Suède, par les Prélats et par les grands de ce royaume, et aussi par nos fils et nos fonctionnaires très chers de la vénérable ville de Rome, et par les filles bien-aimées dans le Christ, les Abbesses des monastères de Saint-Laurent et de Wadstena, de vouloir bien couvrir enfin de Nos bénédictions la très illustre veuve du Seigneur, et de faire resplendir sur son front le diadème de Notre gloire.

« Afin de glorifier le Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit; afin d'exalter l'orthodoxie de la foi et d'accroître la religion chrétienne; afin d'éteindre le schisme et de rétablir l'unité de la foi et de l'Église, par l'autorité du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, par celle des saints Apôtres Pierre et Paul, et par Notre propre autorité, et, de plus, selon l'avis et avec l'assentiment de nos Frères et de tous les Prélats qui se trouvent rassemblés à là (413) Cour de Rome, Nous reconnaissons, déclarons, décidons et publions que la Bienheureuse Brigitte, d'heureuse mémoire, appelée aussi Brigide, et souvent mentionnée ci-dessus, est Sainte, qu'elle sera désormais honorée à ce titre dans toute l'Eglise, qu'elle doit être inscrite au catalogue des Saints, et nous l'y inscrivons par ces présentes. Nous ordonnons que l'Eglise entière célèbre chaque année pieusement et solennellement sa fête et son office comme ceux d'une Sainte qui n'a été ni vierge ni martyre, le 23 juillet, c'est-à-dire au jour où, après avoir vaincu le monde, elle a passé glorieusement de la vie présente dans l'éternité sans fin. Et afin que les fidèles accourent plus nombreux à son tombeau vénérable, afin que sa fête soit célébrée avec plus d'éclat et que son nom soit plus honoré, Nous accordons gracieusement, de Notre autorité susdite, une indulgence de sept années et de sept quarantaines, chaque année, à tous ceux qui, vraiment repentants de leurs péchés, se confesseront et visiteront pieusement le tombeau de la Sainte au couvent de Wadstena, le jour de sa fête, et le 28 mai, jour de la translation de son vénérable corps dans ce monastère, et les jours qui suivent immédiatement, à chaque jour qu'ils feront cette visite.

« C'est pourquoi Nous vous rappelons, vous requérons et vous exhortons tous, et même, au nom de la sainte obéissance et pour l'accroissement de la récompense éternelle, Nous vous enjoignons formellement de publier solennellement Notre présent écrit, en Notre nom, à vos prêtres et à votre peuple, de célébrer et de faire célébrer avec une solennité convenable la (413) fête de la vénérable Sainte, de prier humblement de toute la ferveur de votre coeur le Dieu tout-puissant, de qui viennent les saints désirs, les sages conseils et les oeuvres justes, afin que touché, par l'intercession et les mérites de cette Sainte, il donne à ses serviteurs cette paix que le monde ne peut donner, afin que nos coeurs soumis à ses commandements et que nos temps délivrés de toute crainte hostile, demeurent paisibles sous sa protection enfin qu'il Nous accorde également qu'à la fin de Notre Pontificat Nous arrivions à la paix éternelle, avec le troupeau qui Nous est confié.

« Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 7 octobre dans la deuxième année de Notre Pontificat. Confirmation de la canonisation de sainte Brigitte par le Pape Martin V ».

« L'Evêque Martin, serviteur des serviteurs de Dieu pour perpétuelle mémoire. Nous accédons volontiers à la demande des princes distingués, notamment de ceux qui sont dévoués à Dieu et à l'Église romaine, et Nous accueillons de préférence les requêtes qui tendent à consoler les chrétiens fidèles, à conserver la vraie foi, à purifier les consciences et à accroître la religion chrétienne.

« Naguère le Pape Boniface IX s'est informé par des voies sûres, dans les territoires qui se trouvent sous son obédience, de la famille, de la vie, de la (415) conduite et de beaucoup d’œuvres bonnes et pieuses de Brigitte, ainsi que des miracles déjà accomplis, que Dieu avait opérés et opère encore pour récompenser la sainteté de la bienheureuse veuve, toutes choses qui avaient été déjà établies par des témoins éprouvés et par d'autres preuves légales, sous les Papes Grégoire XI et Urbain VI, d'heureuse mémoire, ses prédécesseurs immédiats.

« Sur les sollicitations de la reine Marguerite de Suède, de digne mémoire, ainsi que des Prélats et des grands du royaume, et également des fils bien-aimés du peuple et des fonctionnaires de la sainte ville, et d'un grand nombre de fidèles du Christ, en l'honneur du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, il a, dans le but d'exalter l'orthodoxie de la foi et d'accroître la religion chrétienne, d'éteindre le funeste schisme qui régnait alors, et de procurer l'unité de la foi et de l'Église, par l'autorité de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, ainsi que par celle des Apôtres saint Pierre et saint Paul, conformément à l'opinion de ses Frères et avec l'assentiment de tous les Prélats de sa cour, décidé, déclaré, déterminé et publié que Brigitte est une Sainte, qu'elle devait être honorée comme telle dans toute l'Eglise et inscrite au catalogue des Saints.

« Et de fait il l'y a inscrite, en décidant que, chaque année, l'Eglise célébrerait pieusement et solennellement sa fête et son office comme ceux d'une Sainte, qui n'a été ni vierge ni martyre, le 23 juillet, c'est-à-dire le jour où, après avoir vaincu le monde, elle a passé glorieusement de la vie présente dans l'éternité sans fin. Et afin que les fidèles accourent plus nombreux et avec plus de (416) piété à son tombeau vénérable, afin que la fête de cette Sainte soit célébrée avec plus d'éclat et que son nom soit plus honoré, il a accordé une Indulgence de sept années et de sept quarantaines, chaque année, à tous ceux qui, vraiment repentants de leurs péchés, se confesseront et visiteront pieusement le tombeau de la Sainte au couvent de Wadstena, le jour de sa fête, et le 28 mai, jour de la translation de son vénérable corps dans ce monastère, et les jours qui suivront immédiatement, à chaque jour qu'ils feront cette visite, ainsi que tout cela est dit dans la Bulle du Pape Boniface IX, dont nous avons transcrit le contenu mot pour mot dans la présente Balle.

« Or, aujourd'hui que le susdit malheureux schisme se trouve éteint par la grâce de Dieu, aujourd'hui que pour la gloire du nom de Dieu, Brigitte est de plus en plus honorée dans le royaume qui l'a vue naître, ainsi que dans beaucoup d'autres royaumes et lieux, Notre très cher fils en Jésus-Christ, Erie, très-noble roi de Suède, qui en cela, assurait-il, cède à une dévotion toute particulière, Nous a humblement supplié de vouloir bien, dans l'intérêt de la religion chrétienne et pour la purification des coeurs et des consciences, agréer et confirmer par l'autorité apostolique et fortifier par le jugement pontifical ces décision, déclaration, détermination et publication, ainsi que l'inscription au catalogue des Saints, et l'Indulgence, et tout ce qui est contenu dans la dite Bulle, puis aussi, s'il y manque quelque chose, de le compléter en vertu de Notre pouvoir souverain.

« Tenant compte des sentiments d'éminente et sincère piété que le (417) roi montre envers Dieu , envers Nous et l'Eglise romaine, Nous Nous sommes rendu à ses sollicitations, et Nous approuvons la décision, la déclaration, la détermination et la publication, ainsi que l'inscription, l'Indulgence et autres concessions de la Bulle, que Nous confirmons ici mot pour mot, de science certaine et en vertu de Notre jugement apostolique, Nous confirmons et affermissons ces choses moyennant le présent écrit, en complétant les manquements qui seraient survenus. Mais le texte de la Bulle susmentionnée porte, Boniface, Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, etc.… etc...

« C'est pourquoi il ne sera permis à personne de détruire ou de traiter avec une audacieuse témérité cette pièce de Notre approbation, confirmation, affermissement, et complément. Si donc quelqu'un osait le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des Apôtres saint Pierre et saint Paul.

« Donné à Florence, dans la deuxième année de Notre Pontificat ».


P. Aureau. - Imprimerie de Lagny.


Dernière édition par Claude Coowar le Dim 1 Jan - 12:27, édité 1 fois
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Claude Coowar




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JEAN-PAUL II.

LETTRE APOSTOLIQUE
EN FORME DE « MOTU PROPRIO ».


POUR LA PROCLAMATION DE

SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE
SAINTE CATHERINE DE SIENNE
ET SAINTE THERESE-BENEDICTE DE LA CROIX. 03.


CO-PATRONNES DE L'EUROPE.


JEAN-PAUL II
EN PERPETUELLE MEMOIRE

1. L'espoir de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme, aiguisé par l'attente du troisième millénaire désormais à nos portes, ne peut faire abstraction de la conscience que les efforts humains seraient vains s'ils n'étaient accompagnés par la grâce divine :

« Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Ps 127 [126], 1). C'est une vérité dont doivent tenir compte également ceux qui, aujourd'hui, se posent la question de donner à l'Europe de nouvelles bases qui aident le vieux continent à puiser dans les richesses de son histoire, écartant les tristes aspects de l'héritage du passé pour répondre, avec une originalité enracinée dans les meilleures traditions, aux besoins du monde qui change.

Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédé au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable.

La route vers l'avenir ne peut pas ne pas tenir compte de ce fait ; les chrétiens sont appelés à en prendre une conscience renouvelée afin d'en montrer les potentialités permanentes. Ils ont le devoir d'apporter à la construction de l'Europe une contribution spécifique, qui aura d'autant plus de valeur et d'efficacité qu'ils sauront se renouveler à la lumière de l'Evangile . Il se feront alors les continuateurs de cette longue histoire de sainteté qui a traversé les diverses régions de l'Europe au cours de ces deux millénaires, où les saints officiellement reconnus ne sont que les sommets proposés comme modèles pour tous.

Il y a en effet d'innombrables chrétiens qui, par leur vie droite et honnête, animée par l'amour de Dieu et du prochain, ont atteint, dans les vocations consacrées et laïques les plus diverses, une sainteté véritable et largement diffusée, même si elle était cachée.

2. L'Eglise ne doute pas que ce trésor de sainteté soit précisément le secret de son passé et l'espérance de son avenir. C'est en lui que s'exprime le mieux le don de la Rédemption, grâce auquel l'homme est racheté du péché et reçoit la possibilité de la vie nouvelle dans le Christ. C'est en lui que le peuple de Dieu en marche dans l'histoire trouve un soutien incomparable, se sentant profondément uni à l'Eglise glorieuse, qui au ciel chante les louanges de l'Agneau (cf. Ap 7, 9-10) tandis qu'elle intercède pour la communauté encore en pèlerinage sur la terre.

C'est pourquoi, depuis les temps les plus anciens, les saints ont été considérés par le peuple de Dieu comme des protecteurs et, par suite d'une habitude particulière, à laquelle l'influence de l'Esprit Saint n'est certainement pas étrangère, tantôt à la demande des fidèles acceptée par les Pasteurs, tantôt sur l'initiative des Pasteurs eux-mêmes, les Eglises particulières, les régions et même les continents ont été confiés au patronage spécial de certains saints.

Dans cette perspective, alors qu'est célébrée la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Evêques, dans l'imminence du grand Jubilé de l'An 2000, il m'a semblé que les chrétiens européens, tout en vivant avec tous leurs compatriotes un passage d'une époque à l'autre qui est à la fois riche d'espoir et non dénué de préoccupations, peuvent tirer un profit spirituel de la contemplation et de l'invocation de certains saints qui sont de quelque manière particulièrement représentatifs de leur histoire. Aussi, après une consultation opportune, complétant ce que j'ai fait le 31 décembre 1980 quand j'ai déclaré co-patrons de l'Europe, aux côtés de saint Benoît, deux saints du premier millénaire, les frères Cyrille et Méthode, pionniers de l'évangélisation de l'Orient, j'ai pensé compléter le cortège des patrons célestes par trois figures également emblématiques de moments cruciaux du deuxième millénaire qui touche à sa fin: sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix. Trois grandes saintes, trois femmes qui, à des époques différentes — deux au cœur du Moyen Âge et une en notre siècle — se sont signalées par l'amour actif de l'Eglise du Christ et le témoignage rendu à sa Croix.

3. Naturellement, le panorama de la sainteté est si varié et si riche que le choix de nouveaux patrons célestes aurait pu s'orienter aussi vers d'autres figures très dignes dont chaque époque et chaque région peuvent se glorifier. Je crois toutefois particulièrement significatif le choix de cette sainteté au visage féminin, dans le cadre de la tendance providentielle qui s'est affermie dans l'Eglise et dans la société de notre temps, reconnaissant toujours plus clairement la dignité de la femme et ses dons propres.

En réalité, l'Eglise n'a pas manqué, depuis ses origines, de reconnaître le rôle et la mission de la femme, bien qu'elle ait été conditionnée parfois par une culture qui ne prêtait pas toujours à la femme l'attention qui lui était due. Mais la communauté chrétienne a progressé peu à peu dans ce sens, et précisément le rôle joué par la sainteté s'est révélé décisif sur ce plan. Une incitation constante a été offerte par l'image de Marie, « femme idéale », Mère du Christ et de l'Eglise. Mais également le courage des martyres, qui ont affronté les tourments les plus cruels avec une surprenante force d'âme, le témoignage des femmes engagées de manière exemplaire et radicale dans la vie ascétique, le dévouement quotidien de nombreuses épouses et mères dans l'« Eglise au foyer » qu'est la famille, les charismes de tant de mystiques qui ont contribué à l'approfondissement théologique lui-même, tout cela a fourni à l'Eglise des indications précieuses pour comprendre pleinement le dessein de Dieu sur la femme.

D'ailleurs, ce dessein a déjà dans certaines pages de l'Ecriture, en particulier dans l'attitude du Christ dont témoigne l'Evangile, son expression sans équivoque. C'est dans cette ligne que prend place le choix de déclarer sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix co-patronnes de l'Europe.

Le motif qui m'a fait me tourner spécifiquement vers elles repose dans leurs vies elles-mêmes. Leur sainteté s'est en effet exprimée dans des circonstances historiques et dans un contexte « géographique » qui les rendent particulièrement significatives pour le continent européen.

- Sainte Brigitte renvoie à l'extrême nord de l'Europe, où le continent se regroupe dans une quasi-unité avec le reste du monde et d'où elle partit pour aborder à Rome.

- Catherine de Sienne est aussi connue pour le rôle qu'elle joua en un temps où le Successeur de Pierre résidait à Avignon, et elle acheva une œuvre spirituelle déjà commencée par Brigitte en se faisant la promotrice de son retour à son siège propre près du tombeau du Prince des Apôtres.

- Enfin Thérèse-Bénédicte de la Croix, récemment canonisée, non seulement passa sa vie dans divers pays d'Europe, mais par toute sa vie d'intellectuelle, de mystique, de martyre, jeta comme un pont entre ses racines juives et l'adhésion au Christ, s'adonnant avec une intuition sûre au dialogue avec la pensée philosophique contemporaine et, en fin de compte, faisant résonner par son martyre les raisons de Dieu et de l'homme face à la honte épouvantable de la « shoah ». Elle est devenue ainsi l'expression d'un pèlerinage humain, culturel et religieux qui incarne le noyau insondable de la tragédie et des espoirs du continent européen.

4. - La première de ces trois grandes figures, Brigitte, est née 1303, d'une famille aristocratique, à Finsta, dans la région suédoise d'Uppland. Elle est connue surtout comme mystique et fondatrice de l'Ordre du Très Saint Sauveur .

Toutefois, il ne faut pas oublier que la première partie de sa vie fut celle d'une laïque qui eut le bonheur d'être mariée avec un pieux chrétien dont elle eut huit enfants. En la désignant comme co-patronne de l'Europe, j'entends faire en sorte que la sentent proche d'eux non seulement ceux qui ont reçu la vocation à une vie de consécration spéciale, mais aussi ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde et surtout à la haute et exigeante vocation de former une famille chrétienne. Sans se laisser fourvoyer par les conditions de bien-être de son milieu, elle vécut avec son époux Ulf une expérience de couple dans laquelle l'amour conjugal alla de pair avec une prière intense, avec l'étude de l'Ecriture Sainte, avec la mortification, avec la charité. Ils fondèrent ensemble un petit hôpital, où ils soignaient fréquemment les malades . Brigitte avait l'habitude de servir personnellement les pauvres. En même temps, elle fut appréciée pour ses qualités pédagogiques, qu'elle eut l'occasion de mettre en œuvre durant la période où l'on demanda ses services à la cour de Stockholm. C'est dans cette expérience que mûriront les conseils qu'elle donnera en diverses occasions à des princes ou à des souverains pour un bon accomplissement de leurs tâches . Mais les premiers qui en bénéficièrent furent assurément ses enfants, et ce n'est pas par hasard que l'une de ses filles, Catherine, est vénérée comme sainte.

Cette période de sa vie familiale n'était qu'une première étape. Le pèlerinage qu'elle fit avec son mari Ulf à Saint-Jacques de Compostelle en 1341 mit symboliquement fin à cette étape, préparant Brigitte à la nouvelle vie qu'elle inaugura quelques années plus tard lorsque, après la mort de son époux, elle entendit la voix du Christ qui lui confiait une nouvelle mission, la guidant pas à pas par une série de grâces mystiques extraordinaires.

5. Ayant quitté la Suède en 1349, Brigitte s'établit à Rome, siège du Successeur de Pierre. Son transfert en Italie constitua une étape décisive pour l'élargissement non seulement géographique et culturel, mais surtout spirituel, de l'esprit et du cœur de Brigitte. Beaucoup de lieux d'Italie la virent encore en pèlerinage, désireuse de vénérer les reliques des saints. Elle visita ainsi Milan, Pavie, Assise, Ortona, Bari, Benevento, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, le Sanctuaire de saint Michel Archange sur le Mont Gargano. Le dernier pèlerinage, effectué entre 1371 et 1372, l'amena à traverser la Méditerranée en direction de la Terre Sainte, lui permettant d'embrasser spirituellement, en plus de beaucoup de lieux sacrés de l'Europe catholique, les sources mêmes du christianisme dans les lieux sanctifiés par la vie et par la mort du Rédempteur.

En réalité, plus encore que par ce pieux pèlerinage, c'est par le sens profond du mystère du Christ et de l'Eglise que Brigitte participa à la construction de la communauté ecclésiale, à une période notablement critique de son histoire. Son union intime au Christ s'accompagna en effet de charismes particuliers de révélation qui firent d'elle un point de référence pour beaucoup de personnes de l'Eglise de son époque. On sent en Brigitte la force de la prophétie. Son ton semble parfois un écho de celui des anciens grands prophètes. Elle parle avec sûreté à des princes et à des papes, révélant les desseins de Dieu sur les événements de l'histoire. Elle n'épargne pas les avertissements sévères même en matière de réforme morale du peuple chrétien et du clergé lui-même (cf. Revelationes, IV, 49 ; cf. aussi IV, 5). Certains aspects de son extraordinaire production mystique suscitèrent en son temps des interrogations bien compréhensibles, à l'égard desquelles s'opéra le discernement de l’Eglise ; celle-ci renvoya à l'unique révélation publique, qui a sa plénitude dans le Christ et son expression normative dans l'Ecriture Sainte. Même les expériences des grands saints, en effet, ne sont pas exemptes des limites qui accompagnent toujours la réception par l'homme de la voix de Dieu.

Toutefois, il n'est pas douteux qu'en reconnaissant la sainteté de Brigitte, l'Eglise, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l'authenticité globale de son expérience intérieure. Brigitte se présente comme un témoin significatif de la place que peut tenir dans l'Eglise le charisme vécu en pleine docilité à l'Esprit de Dieu et en totale conformité aux exigences de la communion ecclésiale . En particulier, les terres scandinaves, patrie de Brigitte, s'étant détachées de la pleine communion avec le siège de Rome au cours de tristes événements du XVIe siècle, la figure de la sainte suédoise reste un précieux « lien » œcuménique, renforcé encore par l'engagement de son Ordre dans ce sens.

6. L'autre grande figure de femme, sainte Catherine de Sienne, est à peine postérieure. Son rôle dans les développements de l'histoire de l'Eglise et même dans l'approfondissement doctrinal du message révélé a été reconnu d'une manière significative, jusqu'à l'attribution du titre de Docteur de l'Eglise.

Née à Sienne en 1347, elle fut favorisée dès sa plus tendre enfance de grâces extraordinaires qui lui permirent d'accomplir, sur la voie spirituelle tracée par saint Dominique, un parcours rapide de perfection entre prière, austérité et œuvres de charité. Elle avait vingt ans quand le Christ lui manifesta sa prédilection à travers le symbole mystique de l'anneau nuptial. C'était le couronnement d'une intimité mûrie dans le secret et dans la contemplation, grâce à la constante permanence, bien que ce soit hors des murs d'un monastère, dans la demeure spirituelle qu'elle aimait appeler la « cellule intérieure ». Le silence de cette cellule, qui la rendait très docile aux divines inspirations, put bien vite s'allier à une activité apostolique qui a quelque chose d'extraordinaire. Beaucoup de personnes, même des clercs, se regroupèrent autour d'elle comme disciples, lui reconnaissant le don d'une maternité spirituelle. Ses lettres se répandirent à travers l'Italie et l'Europe elle-même. En effet, la jeune siennoise entra avec un regard sûr et des paroles de feu dans le vif des problèmes ecclésiaux et sociaux de son époque.

Catherine s'engagea inlassablement pour la résolution des multiples conflits qui déchiraient la société de son temps. Son action pacificatrice atteignit des souverains européens comme Charles V de France, Charles de Durazzo, Elisabeth de Hongrie, Louis le Grand de Hongrie et de Pologne, Jeanne de Naples. Son intervention pour la réconciliation de Florence avec le Pape fut significative. Désignant « le Christ crucifié et la douce Marie » aux adversaires, elle montrait que, pour une société qui s'inspirait des valeurs chrétiennes, il ne pouvait jamais y avoir de motif de querelle tellement grave que l'on puisse préférer le recours à la raison des armes plutôt qu'aux armes de la raison.

7. Mais Catherine savait bien que l'on ne pouvait aboutir efficacement à cette conclusion si les esprits n'avaient pas été formés auparavant par la vigueur même de l'Evangile. D'où l'urgence de la réforme des mœurs, qu'elle proposait à tous sans exception. Aux rois, elle rappelait qu'ils ne pouvaient gouverner comme si le royaume était leur « propriété »: bien conscients qu'ils auraient à rendre compte à Dieu de la gestion du pouvoir, ils devaient plutôt assumer la tâche d'y maintenir « la sainte et véritable justice », se faisant « pères des pauvres »  (cf. Lettre n. 235 au Roi de France). L'exercice de la souveraineté ne pouvait en effet être séparé de celui de la charité, qui est l'âme à la fois de la vie personnelle et de la responsabilité politique (cf. Lettre n. 357 au Roi de Hongrie).

C'est avec la même force que Catherine s'adressait aux ecclésiastiques de tout rang, pour leur demander la cohérence la plus stricte dans leur vie et dans leur ministère pastoral. Le ton libre, vigoureux, tranchant, avec lequel elle admoneste prêtres, évêques et cardinaux est impressionnant .

Il fallait  disait-elle déraciner dans le jardin de l'Eglise les plantes pourries et les remplacer par des « plantes nouvelles » fraîches et odorantes. Forte de son intimité avec le Christ, la sainte siennoise ne craignait pas d'indiquer avec franchise au Souverain Pontife lui-même, qu'elle aimait tendrement comme le « doux Christ sur la terre », la volonté de Dieu qui lui imposait d'en finir avec les hésitations dictées par la prudence terrestre et par les intérêts mondains, pour rentrer d'Avignon à Rome, près du tombeau de Pierre.

Avec la même passion, Catherine s'employa à remédier aux divisions qui surgirent lors de l'élection du Pape qui suivit la mort de Grégoire XI : dans cette affaire aussi, elle fit appel une fois de plus, avec une ardeur passionnée, aux raisons indiscutables de la communion. C'était là l'idéal suprême qui avait inspiré toute sa vie, dépensée sans réserve au service de l'Eglise. C'est elle-même qui en témoignera devant ses fils spirituels sur son lit de mort :

« Tenez pour certain, mes très chers, que j'ai donné ma vie pour la sainte Eglise » . (Bienheureux Raymond de Capoue, Vie de sainte Catherine de Sienne, Livre III, chap. IV).

8. Avec Edith Stein — sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix —, nous sommes dans un tout autre monde historique et culturel. Elle nous entraîne en effet au cœur de notre siècle tourmenté, indiquant les espérances qui l'ont éclairé, mais aussi les contradictions et les échecs qui l'ont marqué. Elle ne vient pas, comme Brigitte et Catherine, d'une famille chrétienne. En elle, tout exprime le tourment de la recherche et l'effort du « pèlerinage » existentiel. Même après être parvenue à la vérité dans la paix de la vie contemplative, elle dût vivre jusqu'au bout le mystère de la Croix.

Elle était née en 1891 dans une famille juive de Breslau, alors territoire allemand. L'intérêt qu'elle développa pour la philosophie, abandonnant la pratique religieuse à laquelle sa mère l'avait pourtant initiée, aurait fait prédire, plus qu'un chemin de sainteté, une vie menée à l'enseigne du pur « rationalisme ». Mais la grâce l'attendait précisément dans les méandres de la pensée philosophique : engagée sur la voie du courant phénoménologique, elle sut saisir l'exigence d'une réalité objective qui, loin de trouver sa solution dans le sujet, devance et mesure sa connaissance, réalité qui doit donc être examinée dans un effort rigoureux d'objectivité. Il convient de se mettre à son écoute pour la saisir surtout dans l'être humain, en vertu de la capacité d'« empathie » — mot qui lui est cher — qui consent dans une certaine mesure à faire sien le vécu d'autrui  (cf. E. Stein, Le problème de l'empathie).

C'est dans cette tension d'écoute qu'elle rencontra, d'une part, le témoignage de l'expérience spirituelle chrétienne offert par sainte Thérèse d'Avila et par d'autres grands mystiques, dont elle devint disciple et émule, d'autre part, l'ancienne tradition chrétienne structurée dans le thomisme. Sur cette voie, elle parvint d'abord au baptême, puis choisit la vie contemplative dans l'ordre du Carmel. Tout se déroule dans le cadre d'un itinéraire existentiel plutôt mouvementé, scandé, non seulement par la recherche intérieure, mais aussi par des engagements d'étude et d'enseignement, qu'elle conduit avec un admirable don d'elle-même. Son militantisme en faveur de la promotion sociale de la femme fut particulièrement appréciable pour son temps, et les pages dans lesquelles elle explora la richesse de la féminité et la mission de la femme du point de vue humain et religieux sont vraiment pénétrantes (cf. E. Stein, La femme. Sa mission selon la nature et la grâce).

9. Sa rencontre avec le christianisme ne la conduit pas à renier ses racines juives, mais les lui fait plutôt redécouvrir en plénitude. Cependant, cela ne lui épargne pas l'incompréhension de la part de ses proches. Le désaccord de sa mère, surtout, lui procura une douleur indicible. En réalité, tout son chemin de perfection chrétienne se déroule sous le signe non seulement de la solidarité humaine avec son peuple d'origine, mais aussi d'un vrai partage spirituel avec la vocation des fils d'Abraham, marqués par le mystère de l'appel et des « dons irrévocables » de Dieu (cf. Rm 11, 29).

En particulier, elle fit sienne la souffrance du peuple juif, à mesure que celle-ci s'exacerbait au cours de la féroce persécution nazie, qui demeure, à côté d'autres graves expressions du totalitarisme, l'une des tâches les plus sombres et les plus honteuses de l'Europe de notre siècle. Elle ressentit alors, dans l'extermination systématique des juifs, que la Croix du Christ était mise sur le dos de son peuple, et elle vécut comme une participation personnelle à la Croix sa déportation et son exécution dans le tristement célèbre camp d'Auschwitz Birkenau. Son cri se mêla à celui de toutes les victimes de cette épouvantable tragédie, s'unissant en même temps au cri du Christ, qui assure à la souffrance humaine une fécondité mystérieuse et durable. Son image de sainteté reste pour toujours liée au drame de sa mort violente, aux côtés de tous ceux qui la subirent avec elle. Et elle reste comme une annonce de l'Évangile de la Croix à laquelle elle voulut s'identifier par son nom de religieuse.

Nous nous tournons aujourd'hui vers Thérèse-Bénédicte de la Croix, reconnaissant dans son témoignage de victime innocente,

- d'une part, l'imitation de l'Agneau immolé et la protestation élevée contre toutes les violations des droits fondamentaux de la personne ;

- d'autre part, le gage de la rencontre renouvelée entre juifs et chrétiens qui, dans la ligne voulue par le Concile Vatican II, connaît un temps prometteur d'ouverture réciproque. Déclarer aujourd'hui Edith Stein co-patronne de l'Europe signifie déployer sur l'horizon du vieux continent un étendard de respect, de tolérance, d'accueil, qui invite hommes et femmes
à se comprendre et à s'accepter au-delà des diversités de race, de culture et de religion, afin de former une société vraiment fraternelle.

10. Puisse donc l'Europe croître ! Puisse-t-elle croître comme Europe de l'esprit, dans la ligne du meilleur de son histoire, qui trouve précisément dans la sainteté son expression la plus haute. L'unité du continent, qui mûrit progressivement dans les consciences et se définit aussi toujours plus nettement sous l'angle politique, incarne assurément une perspective de grande espérance. Les Européens sont appelés à laisser définitivement de côté les rivalités historiques qui ont souvent fait de leur continent le théâtre de guerres dévastatrices. En même temps, ils doivent s'engager à créer les conditions d'une plus grande cohésion et d'une plus grande collaboration entre les peuples. Ils sont face au grand défi de la construction d'une culture et d'une éthique de l'unité, sans lesquelles n'importe quelle politique de l'unité est destinée tôt ou tard à s'effondrer.

Pour édifier la nouvelle Europe sur des bases solides, il ne suffit certes pas de lancer un appel aux seuls intérêts économiques qui, s'ils rassemblent parfois, d'autres fois divisent, mais il est nécessaire de s'appuyer plutôt sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le cœur de tout homme. Une Europe qui remplacerait les valeurs de tolérance et de respect universel par l'indifférentisme éthique et le scepticisme en matière de valeurs inaliénables, s'ouvrirait aux aventures les plus risquées et verrait tôt ou tard réapparaître sous de nouvelles formes les spectres les plus effroyables de son histoire.

Pour conjurer cette menace, le rôle du christianisme, qui désigne inlassablement l'horizon idéal, s'avère encore une fois vital. A la lumière des nombreux points de rencontre avec les autres religions que le Concile Vatican II a reconnus (cf. décret Nostra ætate), on doit souligner avec force que l'ouverture au Transcendant est une dimension vitale de l'existence.

Il est donc essentiel que tous les chrétiens présents dans les différents pays du continent s'engagent à un témoignage renouvelé. Il leur appartient de nourrir l'espérance de la plénitude du salut par l'annonce qui leur est propre, celle de l'Evangile, à savoir la « bonne nouvelle » que Dieu s'est fait proche de nous et que, en son Fils Jésus Christ, il nous a offert la rédemption et la plénitude de la vie divine. Par la force de l'Esprit Saint qui nous a été donné, nous pouvons lever les yeux vers Dieu et l'invoquer avec le doux nom d'« Abba », Père
(cf. Rm 8, 15; Ga 4, 6).

11
. C'est justement cette annonce d'espérance que j'ai voulu confirmer, en proposant à une dévotion renouvelée, dans une perspective « européenne », ces trois figures de femmes qui, à des époques diverses, ont apporté une contribution très significative à la croissance non seulement de l'Eglise, mais de la société elle-même.

Par la communion des saints qui unit mystérieusement l'Eglise terrestre à celle du ciel, elles nous prennent en charge dans leur intercession permanente devant le trône de Dieu. En même temps, en les invoquant de manière plus intense et en nous référant plus assidûment et plus attentivement à leurs paroles et à leurs exemples, nous ne pouvons pas ne pas réveiller en nous une conscience plus aiguë de notre vocation commune à la sainteté, qui nous pousse à prendre la résolution d'un engagement plus généreux.

Ainsi donc, après mûre considération, en vertu de mon pouvoir apostolique, je constitue et je déclare co-patronnes célestes de toute l'Europe auprès de Dieu sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, leur accordant tous les honneurs et privilèges liturgiques qui appartiennent selon le droit aux patrons principaux des lieux.

Gloire à la sainte Trinité, qui resplendit de façon singulière dans leur vie et dans la vie de tous les saints ! Paix aux hommes de bonne volonté, en Europe et dans le monde entier !

Rome, près de Saint-Pierre, le 1er octobre 1999, en la vingt et unième année de mon Pontificat.

JEAN-PAUL II

© Copyright 1999 - Libreria Editrice Vaticana


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Claude Coowar




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LA VIE ET L’ŒUVRE DE SAINTE BRIGITTE DE SUEDE. 04.


Selon l'autorité théologique de

SA SAINTETE LE PAPE BENOÎT XVI.


AUDIENCE GENERALE


Place Saint-Pierre
Mercredi 27 octobre 2010  

Chers frères et sœurs,

En la veille fervente du grand Jubilé de l’An 2000, le vénérable serviteur de Dieu Jean-Paul II proclama sainte Brigitte de Suède co-patronne de toute l’Europe. Ce matin, je voudrais présenter sa figure, son message, et les raisons pour lesquelles cette sainte femme a beaucoup à enseigner — aujourd’hui encore — à l’Eglise et au monde.

Nous connaissons bien les événements de la vie de sainte Brigitte, car ses pères spirituels rédigèrent sa biographie pour promouvoir son procès de canonisation immédiatement après sa mort, en 1373. Brigitte était née 70 ans auparavant, en 1303, à Finster, en Suède, une nation du nord de l’Europe qui, depuis trois siècles, avait accueilli la foi chrétienne avec le même enthousiasme que celui avec lequel la sainte l’avait reçue de ses parents, des personnes très pieuses, appartenant à de nobles familles proches de la maison régnante.

Nous pouvons distinguer deux périodes dans la vie de cette sainte.

- La première est caractérisée par son mariage heureux . Son mari s’appelait Ulf et était gouverneur d’un important territoire du royaume de Suède. Le mariage dura vingt-huit ans, jusqu’à la mort d’ Ulf. Huit enfants furent issus de ce mariage, dont la deuxième, Karin (Catherine) est vénérée comme sainte. Cela est un signe éloquent de l’engagement éducatif de Brigitte à l’égard de ses enfants. D’ailleurs, sa sagesse pédagogique fut appréciée au point que le roi de Suède, Magnus, l’appela à la cour pour une certaine période, dans le but d’introduire sa jeune épouse, Blanche de Namur, à la culture suédoise.

Brigitte, qui reçut une direction spirituelle d’un religieux érudit qui l’introduisit à l’étude des Ecritures, exerça une influence très positive sur sa famille qui, grâce à sa présence, devint une véritable « Eglise domestique ». Avec son mari, elle adopta la Règle des Tertiaires franciscains. Elle pratiquait avec générosité des œuvres de charité envers les pauvres : elle fonda également un hôpital. Auprès de son épouse, Ulf apprit à améliorer son caractère et à progresser dans la vie chrétienne.  

Au retour d’un long pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, accompli en 1341 avec d’autres membres de sa famille, les époux formèrent le projet de vivre dans l’abstinence ; mais peu de temps après, dans la paix d’un monastère dans lequel il s’était retiré, Ulf conclut sa vie terrestre.

Cette première période de la vie de Brigitte nous aide à apprécier ce que nous pourrions définir aujourd’hui comme une authentique « spiritualité conjugale » : ensemble, les époux chrétiens peuvent parcourir un chemin de sainteté, soutenus par la grâce du sacrement du mariage. Souvent, comme ce fut le cas dans la vie de sainte Brigitte et d’Ulf, c’est la femme qui, avec sa sensibilité religieuse, sa délicatesse et sa douceur, réussit à faire parcourir à son mari un chemin de foi. Je pense avec reconnaissance à de nombreuses femmes qui, jour après jour, illuminent aujourd’hui encore leur famille par leur témoignage de vie chrétienne.

Puisse l’Esprit du Seigneur susciter aujourd’hui également la sainteté des époux chrétiens, pour montrer au monde la beauté du mariage vécu selon les valeurs de l’Evangile : l’amour, la tendresse, l’aide réciproque, la fécondité dans l’engendrement et l’éducation des enfants, l’ouverture et la solidarité envers le monde, la participation à la vie de l’Eglise.


Devenue veuve, Brigitte commença la deuxième période de sa vie. Elle renonça à contracter un autre mariage pour approfondir l’union avec le Seigneur à travers la prière, la pénitence et les œuvres de charité. Les veuves chrétiennes peuvent donc trouver elles aussi chez cette sainte un modèle à suivre.

En effet, à la mort de son mari, Brigitte, après avoir distribué ses biens aux pauvres, tout en ne choisissant jamais la consécration religieuse, s’installa au monastère cistercien d’Alvastra. C’est là que commencèrent les révélations divines, qui l’accompagnèrent pendant tout le reste de sa vie. Celles-ci furent dictées par Brigitte à ses secrétaires-confesseurs, qui les traduisirent du suédois en latin et les rassemblèrent dans une édition de huit livres, intitulés Revelationes (Révélations). A ces livres s’ajoute un supplément, qui a précisément pour titre Revelationes extravagantes (Révélations supplémentaires).

Les Révélations de sainte Brigitte présentent un contenu et un style très variés. Parfois, la révélation se présente sous forme de dialogue entre les Personnes divines, la Vierge, les saints et également les démons ; des dialogues dans lesquels Brigitte intervient elle aussi. D’autres fois, en revanche, il s’agit du récit d’une vision particulière ; et d’autres encore racontent ce que la Vierge Marie lui révèle à propos de la vie et des mystères de son Fils. La valeur des Révélations de sainte Brigitte, qui fut parfois objet de certains doutes, fut précisée par le vénérable Jean-Paul II dans la Lettre Spes Aedificandi:

«En reconnaissant la sainteté de Brigitte, l'Eglise, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l'authenticité globale de son expérience intérieure» (n. 5).

De fait, en lisant ces Révélations, nous sommes interpellés sur des thèmes importants. Par exemple, on retrouve fréquemment la description, avec des détails très réalistes, de la Passion du Christ, pour laquelle Brigitte eut toujours une dévotion privilégiée, contemplant dans celle-ci l’amour infini de Dieu pour les hommes. Sur les lèvres du Seigneur qui lui parle, elle place avec audace ces paroles émouvantes : « O mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible, j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la mort que je souffris pour la rédemption de toutes, que d’en être privé » (Revelationes, Livre I, c. 59). La maternité douloureuse de Marie, qui en fit la Médiatrice et la Mère de miséricorde, est aussi un thème qui revient souvent dans les Révélations.

En recevant ces charismes, Brigitte était consciente d’être la destinataire d’un don de grande prédilection de la part du Seigneur :

« Or, vous, ma fille — lisons-nous dans le premier livre des Révélations —, que j'ai choisie pour moi [...] aimez-moi de tout votre cœur [...] mais plus que tout ce qui est au monde » (c. 1). Du reste, Brigitte savait bien, et elle en était fermement convaincue, que chaque charisme est destiné à édifier l’Eglise. C’est précisément pour ce motif qu’un grand nombre de ses révélations étaient adressées, sous formes d’avertissements parfois sévères, aux croyants de son temps, y compris les autorités politiques et religieuses, pour qu’elles vivent de façon cohérente leur vie chrétienne ; mais elle faisait toujours cela avec une attitude de respect et en pleine fidélité au Magistère de l’Eglise, en particulier au Successeur de l’apôtre Pierre.

En 1349, Brigitte quitta définitivement la Suède et se rendit en pèlerinage à Rome. Elle entendait non seulement prendre part au Jubilé de 1350, mais elle désirait aussi obtenir du Pape l'approbation de la Règle d'un Ordre religieux qu'elle entendait fonder, consacré au Saint Sauveur, et composé de moines et moniales sous l'autorité de l’abbesse. Cela ne doit pas nous surprendre : il existait au Moyen-Age des fondations monastiques avec une branche masculine et une branche féminine, mais pratiquant la même règle monastique, qui prévoyait la direction d'une Abbesse. De fait, dans la grande tradition chrétienne, une dignité propre est reconnue à la femme, et — toujours à l'exemple de Marie, Reine des Apôtres — une place propre dans l'Eglise qui, sans coïncider avec le sacerdoce ordonné, est tout aussi importante pour la croissance spirituelle de la Communauté. En outre, la collaboration d'hommes et de femmes consacrés, toujours dans le respect de leur vocation spécifique, revêt une grande importance dans le monde d'aujourd'hui.
A Rome, en compagnie de sa fille Karin, Brigitte se consacra à une vie d'intense apostolat et de prière. Et de Rome, elle partit en pèlerinage dans divers sanctuaires italiens, en particulier à Assise, patrie de saint François, pour lequel Brigitte a toujours nourri une grande dévotion. Enfin, en 1371, elle couronna son plus grand désir : le voyage en Terre Sainte, où elle se rendit en compagnie de ses fils spirituels, un groupe que Brigitte appelait « les amis de Dieu ».

A cette époque-là, les Papes se trouvaient en Avignon, loin de Rome : Brigitte se tourna vers eux avec une grande tristesse, afin qu'ils reviennent au siège de Pierre, dans la Ville éternelle.

Elle mourut en 1373, avant que le Pape Grégoire XI ne rentre définitivement à Rome. Elle fut enterrée provisoirement dans l'église romaine « San Lorenzo in Panisperna », mais en 1374, ses enfants Birger et Karin la ramenèrent dans leur patrie, au monastère de Vadstena, siège de l'Ordre religieux fondé par sainte Brigitte, qui connut immédiatement une remarquable expansion. En 1391, le Pape Boniface IX la canonisa solennellement.

La sainteté de Brigitte, caractérisée par la multiplicité des dons et des expériences que j'ai voulu rappeler dans ce bref portrait biographique et spirituel, fait d'elle une éminente figure dans l'histoire de l'Europe. Originaire de Scandinavie, sainte Brigitte témoigne de la manière dont le christianisme a profondément imprégné la vie de tous les peuples de ce continent. En la déclarant co-patronne de l’Europe, le Pape Jean-Paul II a souhaité que sainte Brigitte — qui vécut au XIVe siècle, lorsque la chrétienté occidentale n'était pas encore frappée par la division — puisse intercéder efficacement auprès de Dieu, pour obtenir la grâce tant attendue de la pleine unité de tous les chrétiens.

Chers frères et sœurs, nous voulons prier à cette même intention, qui nous tient beaucoup à cœur, et pour que l'Europe sache toujours se nourrir à ses propres racines chrétiennes, tout en invoquant la puissante intercession de sainte Brigitte de Suède, fidèle disciple de Dieu et co-patronne de l'Europe. Merci de votre attention.

* * *

Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les jeunes et les groupes paroissiaux ! Je vous exhorte, chers époux chrétiens, à montrer au monde la beauté du mariage vécu selon les valeurs évangéliques. Quant à vous, chers jeunes, ayez à cœur de nourrir votre foi chrétienne pour la faire grandir. Bon pèlerinage à tous, avec ma bénédiction !
________________________________________
APPEL
Ces dernières heures, un nouveau et terrible tsunami s'est abattu sur les côtes indonésiennes, frappées également par une éruption volcanique, provoquant de nombreux morts et personnes portées disparues. J'exprime aux familles des victimes mes plus vives condoléances pour la perte de leurs proches et j'assure toute la population indonésienne de ma proximité et de ma prière.
En outre, je suis, proche des chères populations du Bénin, frappées par des pluies continues, qui ont laissé de nombreuses personnes sans abri et dans des situations d'hygiène et de santé très précaires. J'invoque sur toute la nation la bénédiction et le réconfort du Seigneur.
Je demande à la communauté internationale de se prodiguer pour fournir l'aide nécessaire et pour soulager les difficultés de ceux qui souffrent à la suite de ces dévastations.

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Dernière édition par Claude Coowar le Lun 2 Jan - 0:19, édité 1 fois
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE MARGUERITE-MARIE ALACOQUE DE L'ORDRE DE LA VISITATION SAINTE-MARIE. 01.

PREFACE.

Lettre d’approbation de S. G. Mgr Chassagnon, Evêque d’Autun, pour la présente édition.


APPROBATION DES ÉDITIONS PRECEDENTES

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE PREMIER NAISSANCE DE MARGUERITE. SA JEUNESSE. SES ÉPREUVES. SA VOCATION. 1647-1671.
CHAPITRE II LA POSTULANTE. LA NOVICE. LA JEUNE PROFESSE. l671- 1673
CHAPITRE III MARGUERITE-MARIE EST CHOISIE DE DIEU POUR MANIFESTER AUX HOMMES « LE DERNIER EFFORT DE SON AMOUR. ». LES GRANDES RÉVÉLATIONS DU SACRÉ COEUR. LE PÈRE DE LA COLOMBIÈRE. 1673-1677.
CHAPITRE IV. ENCORE PLUS DE SOUFFRANCE ET D'AMOUR1677-1681.
CHAPITRE V. LE PÈRE DE LA COLOMBIÈRE REVIENT A PARAY, ET Y MEURT. LES AMES DU PURGATOIRE.1681-1684.
CHAPITRE VI. LA LUMIÈRE EST MISE SUR LE CHANDELIER. LA SERVANTE DE DIEU EST ÉLUE ASSISTANTE UNE PREMIÈRE FOIS, PUIS NOMMÉE MAITRESSE DES NOVICES. TRIOMPHE DU SACRÉ CŒUR DANS LA COMMUNAUTÉ DE PARAY. 1684-1686.
CHAPITRE VII. DERNIÈRES ANNÉES. CONSOMMATION EN DIEU. « L'HUMILITÉ PRÉCÈDE LA GLOIRE. » 1687-1690.

TABLE DES MATIÈRES
 
PUBLIÉE PAR Le Monastère de Paray-le-Monial 12e Mille
PARIS ANCIENNE LIBRAIRIE POUSSIELGUE J. DE GIGORD, éditeur RUE CASSETTE, 15
1923
Droits de traduction et de reproduction réservés.
Nihil obstat. Paraedi, die 29a Julii 1923. Librorum censor J. DARGAUD.

IMPRIMATUR : Augustoduni, die 24a Julii 1923.

+ HYACINTHUS Episc. Augustodun., Cabillon., et Matiscon.

Lettre d’approbation de S. G. Mgr Chassagnon, Evêque d’Autun, pour la présente édition.
EVECHE D'AUTUN


Autun, le 24 juillet 1923.

Ma Révérende Mère,

Les éditions de la Vie de sainte Marguerite-Marie, écrite par l'une des religieuses du monastère de Paray-le-Monial, se succèdent avec une rapidité qui marque l'attrait exercé par l'humble Visitandine et le prestige que lui donne son rôle de confidente du Sacré Coeur.

La dévotion au Coeur de Jésus, qui aujourd'hui éclaire l'Eglise, la pénètre de piété et de grâce, lui communique un nouvel et plus généreux élan vers la perfection, éveille aussi en nous le désir de connaître la Sainte à qui le Sauveur révéla les infinis secrets de sa bonté et d'entr'ouvrir cette âme élue pour en admirer la beauté, en respirer les parfums, en mesurer l'amour divin.

Et l'on veut entendre l'histoire de la Voyante, écouter le récit des radieuses apparitions, apprendre les origines de la dévotion qu'elle a enseignée, savoir (VI) par quels travaux, par quelles vertus, par quelles souffrances, par quel apostolat a jailli, du monastère de Paray-le-Monial, la lumière qui a manifesté le Coeur sacré de Jésus.

C'est cette pieuse avidité des âmes qui multiplie les éditions de la Vie de Marguerite-Marie, en assure le succès qui vous réjouit et que 'nous constatons avec bonheur.

A mesure donc que la dévotion au Sacré Cœur se développe et qu'elle irradie le monde, s'étend aussi la gloire de notre Sainte. Son nom honoré est dans toutes les mémoires et sur toutes les lèvres. Elle a été l'apôtre du Sacré Cœur avec joie, avec persévérance, avec une intensité de zèle qui ravit. Mais, à son tour, le Sacré Coeur prend soin d'exalter sa fidèle servante et de lui procurer, dans le ciel de l'Église, la plus triomphante ascension.

Et ainsi montrée au monde, maintenant que l'auréole des Saintes la couronne et l'impose à l'attention de tous, Marguerite-Marie nous apprend, avec plus de force et d'autorité, comment nous devons pratiquer la dévotion au Sacré Coeur, faire de l'amour divin le centre de notre âme, la loi de notre vie, la cause de notre sainteté.

Avec quel art et quelle persuasion elle peut remplir ce rôle, nul ne saurait en douter. Mais la Vie que vous faites paraître et qui se répand partout mettra en plein relief la méthode par laquelle on devient le disciple du Sacré Coeur. A lire toutes ces pages où sont racontées les vertus de notre Sainte, les âmes seront dirigées, fortifiées, excitées à l'effort, et de plus en plus nombreuses seront celles qui, par amour pour (VII) Notre-Seigneur, avec l'aide de sa grâce, accompliront la loi divine dans toute sa plénitude.

Que votre livre continue donc d'avoir la plus grande et la plus salutaire diffusion ! Je prie le Sacré Cœur de vous bénir, ma Révérende Mère, et de bénir votre chère Communauté.
+ HYACINTHE,
Evêque d'Autun, Chalon et Mâcon.


APPROBATION DES EDITIONS PRÉCÉDENTES


Lettre de Mgr Gauthey, Archevêque de Besançon, à l'auteur de la « Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, de l'Ordre de la Visitation Sainte-Marie, publiée par la Visitation de Paray-le-Monial ».


Nevers, le 28 juin 1909. (1)

Ma chère Soeur,

Deux fois j'ai lu attentivement votre manuscrit. Après la seconde lecture, mon impression, plus vive encore qu'à la première fois, c'est que vous avez composé la vraie Vie de Marguerite-Marie. Oui, sa vraie Vie, écrite dans le milieu où elle a vécu, par une main qui a feuilleté pendant trente ans tous les documents originaux ou contemporains, avec un esprit profondément imprégné de toutes les traditions salésiennes, des observances, coutumes, manières de penser, de parler et d'agir de la Visitation.

(1).  Mgr Gauthey était alors évêque de Nevers.

Quels que soient le talent, la compétence et la piété des autres historiens, ils n'auront jamais ce que l'on peut appeler, en usant d'un mot très à la mode : « la mentalité visitandine »; et c'est ce qui fait que clans toutes les biographies ou histoires de votre sainte Soeur, il y a des lacunes et quelque chose qui n'est pas au point. Il faut avoir passé sa vie à la Visitation, et à la Visitation de Paray, pour se rendre compte de beaucoup de détails inintelligibles aux personnes du dehors. Il faut avoir subi la formation du noviciat, passé par toutes les initiations et les épreuves du monastère, pour apprécier et la conduite des supérieures de Marguerite-Marie et les relations de la Servante de Dieu avec elles et avec ses compagnes.

Il y a là des indications, des nuances, qui donnent du relief aux petites choses et mettent en valeur les paroles et les gestes C'est tout cela que l'on trouve dans vos pages, avec une précision, une justesse, une vérité qui charme. C'est, comme on dit encore de nos jours, du « vécu » avec un réalisme simple et très attachant.

Outre le scrupule de l'exactitude, vous avez montré une probité historique complète, en n'atténuant rien de ce qui appartient à l'histoire du disciple du Sacré Coeur dans son monastère. L'autorité du récit y gagne singulièrement.

Vous avez, en abeille diligente de la ruche salésienne, butiné avec un soin jaloux sur toutes les fleurs du jardin fermé de Paray et vous avez fait un miel savoureux.

Laissant parler votre Bienheureuse le plus souvent, là où vous parlez vous-même, c'est encore avec son langage, avec ses pensées, avec les manières de dire des Contemporaines : travail très délicat et merveilleusement exécuté, que seuls pourront estimer à son prix (X) ceux qui ont compulsé les écrits, les mémoires, les documents de la Cause.

Je suis assuré que l'Institut de la Visitation accueillera cette Vie avec une grande joie et une pleine dilatation de coeur. Les âmes religieuses, comme aussi les âmes vraiment chrétiennes du monde, feront leurs délices de sa lecture. Vous leur donnez, par les leçons de votre Bienheureuse Soeur, la vraie doctrine de la vie religieuse et de la sainteté chrétienne, qui consistent avant tout, l'une et l'autre, dans l'humilité, l'abnégation et le sacrifice.

Assurément le Sacré Coeur a des suavités ineffables, mais elles sont pour les âmes d'énergie et de sacrifice. Vous avez fait ressortir toutes les divines exigences d'un amour de prédilection, les délicatesses de fidélité qu'il réclame, l'horreur qu'une âme, éprise de conformité avec le divin modèle, a de toute souillure, fut-elle un grain de poussière, en face de la sainteté divine.

Cela, c'est du bon pain de froment qui fait les tempéraments forts. Heureuses, dans notre temps de mollesse et de sensualité, les âmes qui auront le goût de s'en alimenter !

Votre Marguerite-Marie a été « chargée d'office d'attirer toutes les âmes » au divin Coeur. La Visitation a reçu la mission de le faire connaître, aimer, et de « distribuer aux autres » la « précieuse monnaie » de « ce trésor inépuisable » où « plus l'on prend, plus il y a à prendre. » Vous remplirez ce rôle par votre livre et vous contribuerez à convaincre les chrétiens et les chrétiennes de notre temps que le sacré Coeur de Jésus « est la source de tous biens, qui ne cherche qu'à se répandre et à se communiquer ».

La Bienheureuse aspirait par-dessus tout à rester inconnue : Son Maître divin l'a exaucée pendant assez longtemps. Mais tout annonce que le moment approche — où il veut la glorifier, selon le mot de nos Saints Livres

« S'il est bon de renfermer dans le silence le secret du roi, il est glorieux de révéler et de manifester les oeuvres de Dieu ».

Quel beau jour à Paray-le-Monial et dans votre monastère que celui où vous pourrez donner publiquement à celle que vous êtes accoutumées à appeler « notre Bienheureuse Soeur » le nom de « notre Sainte Soeur ! »
J'unis mes prières aux vôtres pour hâter le jour de la Canonisation.
J'appelle, en attendant, sur votre monastère, sur vous et sur votre travail les plus abondantes bénédictions du sacré Coeur de Jésus,

+ FRANÇOIS-LEON, Evêque de Nevers.


Lettre de S. G. Mgr Villard, Évêque d'Autun.


EVECHE D’ AUTUN

Autun, le 6 juillet 1909.

Ma chère Soeur,
Evêque du diocèse du Sacré Coeur, je suis heureux d'être appelé à approuver la nouvelle Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie que vous offrez aux fidèles.

Monseigneur Gauthey, évêque de Nevers, était plus à même que personne, d'en apprécier le mérite, lui qui depuis tant d'années s'est familiarisé avec les écrits de la Servante de Dieu. Sa lettre caractérise si bien votre oeuvre, qu'il ne me reste qu'à vous remercier de l'avoir entreprise et à lui souhaiter une large diffusion.

Tout ce qui glorifie Marguerite-Marie profite à la gloire du Coeur de Jésus, et accroît le rayonnement de la dévotion envers lui. L'existence entière de notre Bienheureuse s'est consumée à le faire connaître et surtout aimer. Sa vie du ciel continue celle écoulée dans votre tant aimé monastère de Paray, tout parfumé de son esprit et de ses vertus.

Que votre livre paraisse donc et ranime la charité des âmes ; qu'il leur porte aussi une part de la bénédiction que je vous envoie du fond de mon cœur !
Agréez, ma chère Soeur, l'assurance de mon paternel dévouement en Notre-Seigneur.

+ HENRY RAYMOND,

Evêque d'Autun, Chalon et Mâcon.


Lettre de Son Eminence le Cardinal Amette, Archevêque de Paris.
b]
ARCHEVECHE DE PARIS[/b]

Paris, le 9 juin 1914.

Ma Révérende Mère,

Vous allez publier une seconde édition de la Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie, composée par une des religieuses de votre monastère de Paray.
J'ai lu avec autant d'édification que d'intérêt cet ouvrage, et je suis heureux du succès qu'il a obtenu. Nul autre ne fait mieux connaître l'âme de la Bienheureuse, ses relations intimes avec Notre-Seigneur, et l'esprit de la dévotion au Sacré Cœur, dont elle a été l'évangéliste et l'apôtre.
Je fais des voeux pour que ce livre se répande de plus en plus, pour apprendre aux âmes à aimer davantage et à mieux honorer le Coeur sacré de Jésus.
Je prie Notre-Seigneur de vous bénir, vous et votre chère Communauté.
Agréez, ma Révérende Mère, l'expression de mes sentiments religieusement dévoués.

+ LEON-ADOLPHE Card. AMETTE,
Arch. de Paris.


Lettre de S. G. Mgr Berthoin, Évêque d'Autun

A la Très Honorée Mère Supérieure de la Visitation de Paray-le-Monial.

EVECHE D'AUTUN

Autun, le 7 janvier 1919.

Ma chère Fille,

A l'occasion des fêtes prochaines de la Canonisation de Marguerite-Marie, vous faites paraître une nouvelle édition de sa Vie écrite par une de vos Soeurs de Paray-le-Monial, et vous me demandez une lettre d'approbation pour cet écrit. Je suis très heureux de vous dire le bien que cette Vie a fait à mon âme : je l'ai lue et relue à plusieurs reprises et toujours avec beaucoup d'édification.
Je résumerai mes impressions en trois points qui me semblent être le fond de l'existence de Marguerite-Marie et qui sont mis en lumière d'une façon remarquable.

1°. Une ressemblance extraordinaire entre les paroles et les principes de vie de notre Sainte et les enseignements du saint Evangile. C'est vraiment la traduction pratique et populaire des enseignements du divin Maître. Cette ressemblance se trouve évidemment chez (XV) tous les saints, puisque la sainteté n'est que la reproduction du modèle de toute perfection qu'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne sais si c'est une illusion chez moi, mais nulle part je n'ai éprouvé cette impression au même degré. — D'un bout à l'autre de la vie de Marguerite-Marie, l'amour de Dieu est inséparable de l'amour de la souffrance sous toutes les formes possibles. Elle s'y sent attirée d'une manière irrésistible et s'y porte avec un courage vraiment admirable. Et cela ne vient pas en elle de l'étude, d'un enseignement quelconque de la terre. C'est le fruit immédiat de l'Esprit-Saint qui imprime dans cette âme le sens et la pratique de la maxime du Maître : « Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive ». Marguerite-Marie entre dans cette voie dès sa plus tendre jeunesse et y sera de plus en plus fidèle jusqu'à la fin de sa carrière en ce monde. — Il semble qu'elle prélude par là à la dévotion du Sacré-Coeur telle qu'elle lui sera manifestée, qu'elle la pratiquera elle-même, qu'elle l'enseignera à toutes lés personnes avec qui elle sera en relation. Admirable sagesse de Notre-Seigneur, qui veut ainsi former l'instrument dont il se servira bientôt et donner, dans la vie de sa confidente et messagère, le modèle vivant de la dévotion qu'il se propose d'établir.

2° Une autre constatation, c'est que les communications extraordinaires de Marguerite-Marie avec Dieu, non seulement ne la détournent pas de sa vie et de sa règle de visitandine, mais l'y enfoncent davantage et l'y rendent de plus en plus fidèle. Notre-Seigneur veut que tout ce qu'il enseigne et ordonne à son disciple privilégié soit connu et jugé par ses supérieures. Elle (XVI) doit leur obéir en tout et toujours, sans ne s’écarter jamais de ce qu'elles lui auront marqué. Cette vie de dépendance absolue, à l'égard de l'autorité extérieure qui a été établie de Dieu par sa Providence ordinaire, sanctifie son âme, constitue sa sauvegarde et est en même temps le contrôle le plus assuré de l'origine divine des faveurs qu'elle reçoit. Elle ne fait pas de miracles pour établir la réalité de la mission qui lui a été confiée : sa vie est un miracle permanent par l'héroïsme constant avec lequel elle pratique toutes les vertus de son saint état. — Et cela encore est une grande leçon. La dévotion au Sacré Coeur devait être un renouvellement de la vie chrétienne dans le monde. Or la vie chrétienne consiste essentiellement à aimer Dieu et à se sanctifier dans la situation où l'on a été placé par la divine Providence, en accomplissant d'une manière parfaite et par amour pour Dieu tous nos devoirs et spécialement nos devoirs d'état. En cela encore, Marguerite-Marie est le modèle parfait de la, dévotion dont elle a été faite l'apôtre.

3° L'exposé des différentes apparitions relatives à la manifestation de la nouvelle dévotion est fait d'une manière complète et saisissante. Mais immédiatement après, on nous raconte en détail tout ce que Marguerite-Marie eut à souffrir avant de pouvoir réaliser la mission dont elle avait été chargée. Elle dut d'abord accepter d'être victime d'expiation pour les imperfections de ses Soeurs. Le Monastère de Paray-le-Monial était le berceau d'où allait partir, pour se répandre dans le monde, la dévotion an Sacré Coeur. Il fallait le purifier des taches qui ternissaient l'éclat de sa vie religieuse. Le récit, aussi complet que possible, de ce (XVII) qu'exigea d'elle le Dieu de toute pureté nous montre que l'amour divin ne peut s'épanouir et se développer dans les coeurs que lorsque ceux-ci ont été dégagés de tout alliage. Cette purification était une condition nécessaire, mais elle ne suffisait pas. Marguerite-Marie dut gagner, par des années de souffrances, de mortifications, d'épreuves de tout genre, le radieux éclat que la dévotion au Sacré-Coeur jetterait : enfin dans les dernières années de sa vie ici-bas. — Et c'est là un troisième enseignement, également très important, qui découle de sa vie. Lorsque nous entreprenons de travailler à l'extension du règne du Sacré Coeur, il nous semble que tout doit marcher rapidement au gré de nos désirs. A peine avons-nous mis la main à l'oeuvre, que nous voudrions déjà atteindre le but.

Telle n'est pas la marche de la Providence, et les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. Il veut que nous travaillions avec ardeur et persévérance, mais en laissant à sa sagesse et à sa puissance le soin de féconder nos efforts à l'heure qu'il aura lui-même marquée. Le succès ne vient pas de nous, mais uniquement de sa grâce. En attendant, il faut se sanctifier, souffrir et prier pour que la cause de Dieu avance.
Voilà les grandes leçons qui, pour moi, ressortent admirablement de la hie de Marguerite-Marie, telle que la présente l'ouvrage fait dans votre monastère. C'est pourquoi je lui souhaite la plus grande diffusion, en bénissant l'auteur, toute la Communauté, et vous, en particulier, ma chère Fille.
Votre bien dévoué dans le Sacré Coeur.

+ DÉSIRÉ-HYACINTHE,
Evêque d'Autun, Chalon et Mâcon.



AVANT-PROPOS

VIVE + JÉSUS !


Depuis le 13 mai 1920, jour de sa Canonisation, il s'est fait une grande diffusion de la Vie de Sainte Marguerite-Marie.
Ce mouvement ne semble pas devoir se ralentir, puisque la dévotion envers la disciple du Coeur de Jésus progresse parallèlement avec la dévotion envers Lui. Partout, en effet, où germe et se développe le culte du Sacré Coeur, les âmes se montrent avides de mieux connaître l'humble confidente du Dieu d'amour et de miséricorde, celle qu'il a Lui-même choisie, non seulement pour lui révéler personnellement son divin Coeur, mais encore pour en être l'apôtre et l'évangéliste au sein de l'Eglise catholique. Et c'est ainsi que la chère Sainte de Paray-Le-Monial, qui n'ambitionnait qu'une chose :

« Etre ensevelie dans un éternel oubli et mépris des créatures » , voit maintenant, de par la volonté divine, son nom invoqué dans tous (XIX) les pays et son intercession réclamée comme une grâce par les grands et les petits.

Sainte Marguerite-Marie reste bien le trésor particulier de son monastère, de son Ordre et de la France; mais, du fait même de sa mission, sanctionnée par la suprême autorité de l'Eglise, elle appartient à tout le monde. N'est-elle point chargée d'office de distribuer à tous les hommes les richesses infinies du Coeur de son Dieu ? Quelle incomparable investiture !

Notre-Seigneur lui disait un jour :

« Je te constitue héritière de mon Coeur et de tous ses trésors pour le temps et l'éternité, te permettant d'en user selon ton désir ».


Ce n'est pas en vain qu'un Dieu prononce une telle parole. Or, ce qu'il dit, c'est ce qu'il veut et il le maintien. Et, chaque jour davantage — surtout depuis que Marguerite-Marie est devenue une sainte canonisée —  le Maître se plaît à répandre ses faveurs par elle. Nombreuses sont les grâces obtenues par sa médiation ; et on, en compte de toutes sortes — des temporelles comme des spirituelles. Il nous est doux de le publier, faisant ainsi écho à la reconnaissance de tous ceux qui ont éprouvé le bienfaisant secours de la Vierge de Paray.

C'est afin de mettre encore à la portée de tous les fidèles une Vie complète bien (XX) qu'abrégée de la Servante de Dieu que nous donnons cette nouvelle édition du présent petit volume, les précédentes ayant déjà reçu un si bienveillant accueil dans le cloître et dans le monde.
Daigne le Coeur de Jésus bénir une fois de plus ces modestes pages ! Elles n'ont d'autre but que de mettre en lumière l'oeuvre divine dans l'âme d'une Sainte dont la devise était :

« Tout de Dieu et rien de moi !
« Tout à Dieu et rien à moi
« Tout pour Dieu et rien pour moi ! ».


De notre Monastère de Paray-le-Monial, 26 juin 1923.

DIEU SOIT BENI


Dernière édition par Claude Coowar le Dim 1 Jan - 21:56, édité 1 fois
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Claude Coowar




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VIE DE SAINTE MARGUERITE-MARIE ALACOQUE DE L'ORDRE DE LA VISITATION SAINTE-MARIE. 01.


CHAPITRE PREMIER NAISSANCE DE MARGUERITE. SA JEUNESSE. SES ÉPREUVES. SA VOCATION. 1647-1671.

Claude Alacoque, juge et notaire royal des seigneuries du Terreau, de Corcheval et autres lieux, épousait, en 1639, Philiberte Lamyn. Dieu les avait choisis l'un et l'autre pour être le père et la mère d'une fille qui devait à jamais illustrer leur nom : Marguerite-Marie Alacoque.

Elle naquit au village de Lhautecour, territoire de Verosvres en Charolais, le lundi 22 juillet 1647 et fut baptisée le jeudi 25 du même mois, ayant pour parrain son oncle à la mode de Bretagne, Antoine Alacoque, curé de la paroisse de Verosvres, et, pour marraine, Marguerite de Saint-Amour, mariée à messire de Fautrières, seigneur de Corcheval.

L'Esprit-Saint, au regard duquel tout est présent, prit sans doute possession de cette âme avec (2) une complaisance ineffable. Il savait qu'il ne serait jamais chasse de la demeure dans laquelle il entrait, et qu'au contraire il pourrait librement y accomplir des merveilles de grâce .

Cette frêle créature, qui ne comptait que trois jours d'existence et que rien ne distinguait au dehors, devait être, dans le plan de la Providence, l'instrument par lequel de grands desseins de miséricorde sur le monde seraient réalisés. Avant tout, le Seigneur éprouverait la docilité de cet instrument; il protégerait lui-même son élue, l'entourant d'un rempart d'humilité ...

Puis un jour, il se pencherait vers elle ; il lui découvrirait son Coeur ; il le lui ouvrirait et il la chargerait de le manifester à son Eglise, dans toute la profondeur et la magnificence de son amour.

Lumière discrète, annonçant tout d'abord l'éclat d'un jour incomparable, Marguerite-Marie en demeurerait, à travers les siècles, le céleste rayonnement. Après avoir montré à tous le Sacré Coeur et s'être abîmée en lui, elle resterait comme chargée d'office d'attirer toutes les âmes à ce Coeur divin.
Telle devait être sa mission spéciale. Comment le ciel l'y prépara-t-il ?


Pour avoir la réponse, pénétrons dans son âme. Dieu a voulu que la clef de ce sanctuaire fût conservée. C'est le manuscrit original de l'Autobiographie de la Sainte, écrit par ordre du Père Rolin, jésuite, son directeur, pendant les années ; 1685-1686. D'une écriture très serrée, mais aussi belle que caractéristique, cet autographe de (3) soixante-quatre pages forme un des plus précieux trésors du monastère de la Visitation de Paray-le-Monial.
Là, nous puiserons le plus souvent, afin de laisser la disciple et l'apôtre du Coeur de Jésus se révéler elle-même.

Mais, une réflexion préalable.

Quand on lit de suite, ou même quand on ouvre au hasard le Mémoire de la Servante de Dieu, une chose frappe : évidemment ces pages sont tracées sans aucune prétention littéraire ; l'humain en est absent. Par contre, le divin s'y fait sentir. De la première à la dernière ligne, il règne un souffle de vérité et de transparente humilité qui saisit. Et cette conclusion s'impose . derrière Marguerite, à côté d'elle, ou plutôt en elle, il y a quelqu'un qu'elle contemple sans cesse, qui l'inspire sans cesse et c'est de Celui-là seul qu'elle s'inquiète.

Dès lors, pourquoi s'occuperait-elle de semer son récit de dates, que le lecteur aimerait tant à rencontrer, mais qui, pour elle, n'ajouteraient rien à la, grandeur des choses qu'elle raconte ? (1)

Obligée d'écrire par obéissance, elle écrit selon que ses souvenirs lui reviennent. C'est tout. Aussi, se tournant tout d'abord vers son souverain Maître, lui proteste-t-elle que c'est pour l'amour de lui seul qu'elle se soumet, et lui demande-t-elle de n'écrire rien que pour sa plus grande gloire, à lui, et sa plus grande confusion, à elle.

1. Les documents contemporains et la tradition du monastère permettent cependant d'établir bien des dates. Nous les indiquerons en leur lieu.

Puis elle continue :

« O mon unique Amour, combien vous suis-[je] redevable de m'avoir prévenue dès ma plus tendre jeunesse, en vous rendant le maître et le possesseur de mon coeur !... Aussitôt que je me sus connaître, vous fîtes voir à mon âme la laideur du péché, qui en imprima tant d’horreur dans mon coeur, que la moindre tache m'était  un tourment insupportable; et pour m'arrêter  dans la vivacité de mon enfance, l'on n'avait  qu'à me dire que c'était offenser Dieu : cela  m'arrêtait tout court et me retirait de ce que  j'avais envie de faire (1) ».


Lorsque Marguerite eut atteint l'âge de quatre ans, sa noble marraine désira la garder quelque temps auprès d'elle en son château de Corcheval, confiant à deux de ses femmes le soin particulier de s'occuper de sa chère filleule. Bien différente était l'humeur de ces deux personnes. L'une se montrait aimable et engageante : Marguerite s'en éloignait. L'autre, sévère et dure, semblait l'attirer.

1. Vie et Œuvres de Sainte Marguerite-Marie Alacoque. Edition 1920. Tome II, Autobiographie, pp. 29-30. Ouvrage publié par la Visitation de Paray-le-Monial, après avoir été totalement refondu et notablement augmenté par Mgr Gauthey, archevêque de Besançon. Trois forts volumes in-8°, Librairie J. de Gigord, 15, rue Cassette, Paris, Vie. Dans nos références, nous n'indiquerons plus le titre de Vie et Oeuvres. Pour alléger d'autant les notes, nous nous bornerons à mettre 1e numéro du tome — ou simplement Autobiographie — et la page.

Pourquoi ? Parce que Celui qui illumine les yeux du coeur faisait comprendre à cette jeune enfant que sa grâce habitait dans l'âme de la seconde, tandis qu'elle ne résidait point dans celle de la première. Fidèle à suivre l'instinct secret qui la poussait à fuir la compagnie de l'une de ces deux servantes et à rechercher celle de l'autre, Marguerite sut toujours passer à côté des pièges tendus devant son innocence, se gardant toute pure sous l'œil de son Dieu. Au reste, lui-même veillait à ce que rien ne vînt ternir la candeur de cette Fleur des champs, dont il voulait se réserver exclusivement le parfum et la beauté.

Il donnait à cette petite enfant de tels élans vers la pureté que, de son aveu.

« sans savoir ce que c'était »
,

elle se sentait continuellement pressée de dire ces paroles :

« O mon Dieu, je vous consacre ma pureté et je vous fais vœu de perpétuelle chasteté (1) » .

Une fois même elle les prononça entre les deux élévations de la messe. Ainsi donc, sans qu'elle en eût encore positivement l'intelligence, Marguerite était déjà marquée d'un sceau divin.

Son unique plaisir, à cet âge où le bruit et les jeux font le bonheur des autres enfants ; était de d’aller se cacher en quelque bois, pour y rester solitaire et y prier plus à loisir. D'autres fois, elle mettait ses délices à invoquer la sainte Vierge, récitant le rosaire, les genoux nus en terre, ou faisant autant de génuflexions en baisant la terre qu'elle prononçait d'Ave Maria.

Le premier pas que Dieu fit faire à notre Sainte dans le chemin du sacrifice devait avoir plus d'une conséquence douloureuse.

1. Autobiographie, p. 30.

Marguerite n'avait guère que huit ans lors qu'elle perdit son père, Claude Alacoque. Il était fort estimé dans le pays ; c'était un homme d'honneur, parce que, avant tout, c'était un vrai chrétien.

Madame Alacoque, chargée de la tutelle de ses cinq enfants, et accablée d'embarras domestiques, se voyant forcément réduite à négliger l'éducation de sa fille, résolut de la mettre en pension chez les Urbanistes de Charolles (1).

Ce fut là que Marguerite fit sa première communion, n'étant âgée que d'environ neuf ans. Initiée déjà aux mystères de Dieu par Dieu lui-même, ce fut bien autre chose après ce premier contact sacramentel de son âme avec Notre-Seigneur Jésus Christ. L'Homme-Dieu devint son Maître. Or, les leçons qu'il donne ne ressemblent en rien à celles des maîtres d'ici-bas.

Aimable et enjouée, la jeune pensionnaire se faisait aimer sans peine. Son humeur naturelle l'eût inclinée à trop goûter les plaisirs. Mais, dès cette époque, Dieu répandit tant d'amertumes sur ceux qui se présentaient à elle, que petit à petit, son coeur se' détachant de la créature, chercha son unique repos dans le Créateur.

Regardant toutes ses maîtresses comme des saintes et la sainteté comme l'apanage obligatoire des religieuses, elle voulait elle-même être religieuse pour être sainte ; et, ne connaissant point d'autre Communauté que cette maison, elle pensait « qu'il fallait demeurer là, » selon sa naïve expres​sion(2).

1. On appelait ainsi les Clarisses qui suivaient la règle mitigée établie parle Pape Urbain IV.
2. Autobiographie; p. 31.

Cependant, pour attacher plus indissolublement cette âme au joug de son amour, Notre-Seigneur permit qu'une étrange maladie vînt encore faire faire de plus sérieuses réflexions à Marguerite. Elle tomba dans un tel état de faiblesse et de maigreur, qu'au bout de deux années, sa mère la retira du couvent. Revenue dans sa famille, elle y fut encore longtemps la proie de cet inexplicable mal.

« Je fus environ quatre ans sans pouvoir marcher, dit-elle, Les os me perçaient la peau de tous côtés (1) ».

Aucun remède ne se montrait efficace; mais dès que la jeune infirme eut fait vœu à la sainte Vierge d'être un jour une de ses filles, si elle la guérissait, toute trace de ses précédentes souffrances disparut. Dès lors, Notre-Dame se fit la céleste directrice de celle qu'elle venait de rendre à la vie. Elle la reprenait des moindres fautes. Un jour, Marguerite avait pris la liberté de s'asseoir en disant son rosaire.

Jamais elle n'oublia la réprimande maternelle que lui en adressa cette Reine de miséricorde :

« Je m'étonne, ma fille, que tu me serves si négligemment (2) ».

Ne serait-ce point pour faire oublier cette sorte de nonchalance à sa Mère du Ciel et prendre sa filiale revanche, que Marguerite fit plus tard le vœu de jeûner tous les samedis en l'honneur de la sainte Vierge, de lui dire l'Office de son Immaculée Conception et de faire sept génuflexions tous les jours de sa vie, « avec sept Ave Maria, pour honorer ses sept douleurs ? (3) ».

1. Autobiographie, p. 31.
2. Ibid., p. 31
3. Ibid., p. 46.

En attendant, à peine eut-elle miraculeusement recouvré la santé que le monde chercha, lui aussi, à ressaisir son empire sur cette jeune fille qui, sans offenser Dieu, pouvait légitimement se laisser aller aux divertissements de son âge. Il n'est pas sans intérêt d'entendre notre Sainte avouer elle-même ses tentations et ses faiblesses à ce sujet :

« Je ne pensais plus qu'à chercher du plaisir dans la jouissance de ma liberté ».

Et plus loin :

« Je commençai donc à voir le monde et à me parer pour lui plaire, cherchant à me divertir autant que je pouvais (1) ».

En un autre endroit de sa Vie écrite par elle-même, Marguerite confesse, dans l'amertume de son repentir, qu'une fois au temps du carnaval, elle alla même jusqu'à se déguiser avec d'autres jeunes filles, par une vaine complaisance pour le monde. Mais ici encore, le Seigneur, jaloux de la sanctification de sa servante, sut bien placer la croix à côté de l'entraînement et de la légèreté du siècle :

« O mon Dieu, je ne pensais pas alors ce que vous m'avez bien fait connaître et expérimenter du depuis (sic), qui est que votre sacré Coeur, m'ayant enfantée sur le Calvaire avec tant de douleur, que la vie que vous m'y aviez donnée ne pouvait s'entretenir que par l'aliment de la croix, laquelle serait mon mets délicieux (2) ».

1. Autobiographie, pp. 32-40.
2. Ibid., p. 32.

Madame Alacoque, dépouillée de son autorité dans sa propre maison depuis la mort de son mari, se voyait soumise avec sa fille à une véritable servitude. La persécution était continuelle, et pendant plusieurs années, Marguerite eut à subir un genre de martyre, dont Dieu seul connut la blessante mais purifiante pression.

Trois personnes — dont la Sainte a soin de taire les noms, se contentant de les appeler " ces chères bienfaitrices de mon âme" , « ces véritables amis de mon âme (1) » — trois personnes ne cessaient de contrôler ses actions; mais chacune l'opprimait à sa manière, en sorte que la sujétion était triple et l'humiliation toujours renaissante (2). Ce qui augmentait encore l'angoisse de cette position, c'étaient les fréquentes maladies de Madame Alacoque, dans lesquelles Marguerite se voyait privée même des moyens les plus élémentaires de la soulager.

1. Autobiographies, p. 34
2. Tout permet maintenant d'assurer que ces trois personnes étaient : 1° la grand-mère paternelle de Marguerite, savoir : Jeanne Delaroche, veuve de Claude Alacoque ; 2° sa tante paternelle, savoir : Benoîte Alacoque, femme de Toussaint Delaroche ; 3° sa grand ‘tante paternelle, savoir : Benoîte de Meulin, originaire de Chappendye, veuve de Simon Delaroche et mère de Toussaint. Cf. Persécutions domestiques, III, P. 538.

Une fois surtout, sa peine alla jusqu'à l'extrémité, cette bonne mère souffrant cruellement d'un érésipèle si malin, que personne ne voulait approcher, ni panser sa plaie. Sa fille, étant allée à la messe un jour de la Circoncision, supplia Notre-Seigneur d'être lui-même le médecin et le remède de sa pauvre mère. De retour auprès d'elle, Marguerite trouva le mal ouvert et formant une plaie large et envenimée. Sans « autre onguent que ceux de la divine Providence » , elle se mit à la panser avec tant de confiance en la bonté de son Seigneur, qu'en peu de jours, ce mal invétéré fut guéri, contre toute apparence humaine. Où cette jeune fille, qui, jusque-là, ne pouvait ni voir ni toucher des plaies, avait-elle pris un tel courage ?

En Celui qui la fortifiait : « Mon divin [Maître] » , dit-elle, « me consolait et substantait d'une parfaite conformité à sa très sainte volonté ».

Et, ne se prenant qu'à lui de tout ce qu'il lui envoyait, elle s'écriait :

« O mon souverain Maître, si vous ne le vouliez, cela n'arriverait pas; mais je rends grâces de quoi vous  le permettez pour me rendre conforme à vous (1). »

Elle ne rêvait plus que d'apprendre à faire l'oraison, mais, écrit-elle,

« je n'en savais autre  chose que ce mot d'oraison, qui ravissait mon  cœur. Et m'étant adressée à mon souverain  Maître, il m'apprit comme il voulait que je la  fisse, ce qui m'a servi toute ma vie. Il me faisait prosterner humblement devant lui, pour lui  demander pardon de tout en quoi je l'avais  offensé, et puis, après l'avoir adoré, je lui offrais  mon oraison, sans savoir comme il m'y fallait  prendre. Ensuite il se présentait lui-même à  moi dans le mystère où il voulait que je le considérasse, et il appliquait si fort mon esprit en tenant mon âme et toutes mes puissances  englouties dans lui-même, que je ne sentais  point de distractions, mais mon cœur se sentait consommé du désir de l'aimer, et cela me donnait un désir insatiable de la sainte communion et de souffrir (1) ».

1. Autobiographie, p. 37.

Dans ses désolations intérieures et les combats que le monde et l'amour de sa mère livraient à son coeur, elle n'avait pas d'autre refuge ni d'autre force que d'aller se prosterner aux pieds de Notre-Seigneur au saint Sacrement, où elle serait restée les jours et les nuits sans se lasser jamais. Quelque confusion qu'elle en éprouvât, lorsqu'elle allait à l'église, l'Esprit de Dieu la poussait à s'approcher le plus près possible de l'autel et du tabernacle.


C'est là que son bon Maître lui enseignait à faire oraison et lui découvrait ses mystérieux desseins sur elle. Il imprima aussi dans son coeur, vers ce même temps, un si grand amour pour les pauvres, que Marguerite se fit un délassement du labeur de les servir et de les instruire. Elle les soignait dans leurs maladies, pansait et baisait leurs plaies avec une ardeur toute surnaturelle.

Tout ce qu'elle pouvait obtenir, elle le donnait à ses chers protégés, invitant les petits enfants à la venir trouver, et les réunissant pour leur apprendre le catéchisme. Ils accouraient en si grand nombre qu'ils remplissaient parfois toute une vaste chambre ; mais souvent, hélas ! une des trois personnes indiquées plus haut arrivait pour les chasser, avec leur bienheureuse catéchiste, trop saintement habituée à ces rebuts et mépris pour ne pas les accepter le sourire sur les lèvres.

1. Autobiographie, pp. 37, 38.

Une fois, la scène fut moins tragique. Ce fut son frère Chrysostome qui, entrant, surprit Marguerite environnée de tout ce petit peuple.

« Ma soeur, , lui dit-il en riant, vous voulez donc devenir maîtresse d'école ?

« Pardonnez-moi, mon frère, mais ces pauvres enfants sont peut-être sans instruction (1) ».

Continuant à l'instruire elle-même, Notre-Seigneur lui faisait voir la beauté des vertus, surtout des trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, lui disant:

« Qu'en les pratiquant l'on devient saint »,

Et il me disait, remarque-t-elle,

« Parce qu'en le priant, je lui demandais de me faire sainte. Et comme je ne lisais guère d'autre livre que la Vie des Saints, je disais en l'ouvrant : il m'en faut chercher une bien aisée à imiter, afin que je puisse faire comme elle a fait, pour devenir sainte comme elle; mais ce qui me désolait, c'était de voir que j'offensais tant mon Dieu (2) ».

De plus en plus partagée entre le désir de répondre à la voix de Dieu, et celui de céder aux instances de sa mère, qui la conjurait de rester dans le Monde, Marguerite pensait pouvoir satisfaire sa conscience en lui donnant le change. Notre-Seigneur lui demandait son coeur ; au lieu de le lui livrer, elle se contentait de lui offrir le sang de ses veines, s'accablant d'austérités, dont le seul récit fait frémir.

1. I, p. 493. Déposition de Chrysostome Alacoque. Procès de 1715.
2. Autobiographie, p. 43.

Par-là, elle se trompait elle-même, ruinant sa santé, sans réussir à pacifier les troubles de son esprit, car le corps n'était pas la victime que convoitait le divin Sacrificateur c'était l'âme de Marguerite qu'il voulait posséder en holocauste. Le combat se poursuivait donc, chaque jour plus terrible et plus intime.

- D'un côté. Jésus-Christ multipliant ses appels et ses reproches intérieurs à cette âme, jusqu'à lui apparaître sous la figure d'un Ecce Homo ou dans l'état qui fut le sien après la flagellation, lui remontrant combien il souffrait de voir son amour méconnu par une créature autant aimée qu'elle l'était, et pour laquelle il avait enduré de si atroces tourments.

- De l'autre côté, la voix de la nature et de la famille se faisant entendre toujours plus forte et réclamant leurs droits avec tant de véhémence dans ce coeur de vingt ans, qu'il semblait n'y avoir plus moyen de résister. Sur cela, plusieurs partis flatteurs se présentaient ; tout se réunissait pour persuader à Marguerite que, n'ayant pas eu conscience de ce qu'elle faisait en prononçant le vœu de chasteté dans son enfance, elle était libre, et que c'était même un devoir de piété filiale de se créer un foyer dans le monde. Ne semblait-il pas que ce fût l'unique planche de salut pour retirer sa mère de l'humiliante servitude qui pesait sur elle ?

L'histoire de toute vocation suppose une lutte. De même que la mort,cette séparation de l'âme et du corps, est précédée d'une agonie, de même la mort mystique, cette séparation de l'âme et du monde, est précédée d'une angoisse morale qui, pour certaines âmes, atteint parfois (14) l'intensité d'une agonie. Marguerite l'expérimentait alors inénarrablement.

Pour des motifs qu'il serait hors de propos de consigner ici, Mgr Doni d'Attichi et Mgr de Roquette, évêques d'Autun, restèrent longtemps sans visiter leur diocèse. Ce fut donc par suite de circonstances absolument indépendantes de sa volonté que Marguerite ne reçut le sacrement de Confirmation qu'en 1669, à l'âge de vingt-deux ans, des mains de Mgr Jean de Maupeou, évêque de Chalon-sur-Saône. La Providence ne fait rien au hasard. Elle avait sans doute ses vues dans ce délai. Du moins, est-il touchant de remarquer que ce fut précisément dans la période où l'âme de notre Sainte traversait la tempête et la persécution, qu'elle fut revêtue de la force d'en haut, par une nouvelle effusion des grâces de l'Esprit-Saint. Plus que jamais, elle allait en avoir besoin.

Cependant Notre-Seigneur ne la laissait pas sans encouragement.

« Une fois , dit-elle, j'étais comme dans une abîme (1) d'étonnement de ce que tant de défauts, d'infidélités que je voyais en moi n'étaient pas capables de le rebuter ».

Il me fit cette réponse :

« C'est que j'ai envie de te faire comme un composé de mon amour et de mes miséricordes dans ton coeur ; car je le voulais tout pur et sans être souillé des affections terrestres, et pour me le conserver comme cela, j'ôtai toute la malice de ta volonté, afin qu'elle ne le pût corrompre. Et puis je te mis en dépôt au soin de ma sainte Mère, afin qu'elle te façonnât selon mes desseins (1) ».

Et une autre fois il me dit :

« Je t'ai choisie pour mon, épouse et nous nous sommes promis la fidélité, lorsque tu m'as fait vœu de chasteté ! C'est moi qui te pressais de le faire, avant que le monde y eût aucune part, dans ton coeur ; car je le voulais tout pur et sans être souillé des affections terrestres, et pour me le conserver comme cela, j'ôtai toute la malice de ta volonté, afin qu'elle ne le pût corrompre. Et puis je te mis en dépôt au soin de ma sainte Mère, afin qu'elle te façonnât selon mes desseins (1) ».

1. Anciennement, abîme s'est employé parfois au féminin.

Le démon, soupçonnant que cette âme allait lui échapper, faisait jouer de nouvelles batteries contre elle. Marguerite les indique en toute humilité.

« Satan ? me disait continuellement : Pauvre misérable ! que penses-tu faire en voulant être religieuse ? Tu te vas rendre la risée de tout le monde, car jamais tu n'y persévéreras ; et quelle confusion de quitter un habit de religieuse et sortir d'un couvent ! Où pourras-tu te cacher après cela ? ».

Et elle ne dissimule pas ses anxiétés, car elle ne savait à quoi se résoudre.

« Je me fondais en larmes parmi tout cela, (2) »
, ajoute-t-elle.

Notre-Seigneur en eut pitié. Il la consola en l'éclairant lui-même.

« Après la communion, si je ne me trompe, il me fit voir qu'il était le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et accompli de tous les amants ; et que, lui étant promise depuis tant d'années, d'où venait donc que je voulais tout rompre avec [lui] pour en prendre un autre. Oh ! apprends que si tu me fais ce mépris, je t'abandonne pour jamais ; mais si tu m'es fidèle, je ne te quitterai point, et me rendrai ta victoire contre tous tes ennemis. J'excuse ton ignorance, parce que tu ne me connais pas encore, mais si tu m'es fidèle et me suis, je t'apprendrai à me connaître et me manifesterai à toi ! (1) ».

1. Autobiographie, p. 46
2. Ibid., pp. 46-47.

Tel fut le trait vainqueur qui décida la vocation de Marguerite. Subjuguée par l'amour de son Dieu, elle était désormais son esclave : elle ne serait qu'à lui! Restait à savoir dans quel Ordre elle entrerait. Ici encore, nouvelles traverses et nouvelles épreuves. On consentait à ce que Marguerite se fît religieuse, mais chez les Ursulines de Mâcon, parce qu'elle y avait une parente. Or, elle avait beau faire pour s'accorder elle-même à ce sentiment, toujours une secrète voix lui disait :

« Je ne te veux point-là, mais à Sainte-Marie (2) » .

Elle en était d'autant plus assurée qu'un jour, voyant un tableau de saint François de Sales, le grand évêque lui parut jeter sur elle un regard si paternel, l'appelant sa fille, qu'elle ne douta plus que ce saint ne dût bientôt devenir son père. Mais auparavant, il y avait encore un calvaire à gravir pour Marguerite.

Madame Alacoque tombe malade à l'extrémité. On recommence l'assaut et l'on met tout en oeuvre pour, convaincre sa fille qu'elle doit ne plus songer actuellement au cloître, sans quoi elle sera responsable de la mort de sa mère.

C'est alors que le Crucifix devint le Maître incomparable, à l'école duquel Marguerite apprit si bien à goûter les leçons de la douleur, que parfois, éprise des charmes surhumains de la souffrance, elle allait se jeter aux pieds de son Sauveur crucifié et lui disait :

« O mon cher Sauveur, que je serais heureuse si vous imprimiez en moi votre image souffrante ! (1) ».

1. Autobiographie, p. 47.
2. Ibid., p. 49.

Le Cardinal Perraud dira un jour, parlant de cette prière :

« Elle est bien courte, mais assurément une des plus belles et des plus généreuses qu'une âme chrétienne puisse adresser au Dieu de la Croix (2) ».

Lorsque Marguerite exposait ainsi à son cher Sauveur la sublime ambition de son âme de lui ressembler dans la souffrance, il daignait lui répondre :

« C'est ce que je prétends, pourvu que tu ne me résistes pas et que tu y contribues de ton côté (3) ».


Et cette âme s'ouvrait toujours plus grande à l'action. divine. Communier souvent eût été son grand bonheur, mais « on ne me le voulait permettre que rarement, » confesse-t-elle en son Mémoire.

« et j'aurais cru être la plus heureuse du monde si je l'avais pu faire souvent, et passer des nuits, seule, devant le saint Sacrement. Car je me sentais là une telle assurance, qu'encore que je fusse extrêmement peureuse, je n'y pensais plus, dès que j'étais en ce lieu de mes plus chers délices. Et les veilles de communion, je me sentais abîmée dans un si profond silence, que je ne pouvais parler qu'avec violence, pour la grandeur de l'action que je devais faire ; et lorsque je l'avais faite, je n'aurais voulu ni boire, ni manger, ni voir, ni parler, tant la consolation et paix que je sentais était grande. Et je me cachais autant que je pouvais, pour apprendre à aimer mon souverain Bien, qui me pressait si fort de lui rendre amour pour amour. Mais je ne croyais pas de jamais pouvoir l'aimer, quoi que je pusse faire, si je n'apprenais à faire l’oraison ; car je n'en savais que ce qu'il m'en avait appris, qui était de m'abandonner à tous ses saints mouvements, lorsque je pouvais me « renfermer en quelque petit coin avec lui; mais on ne me laissait pas assez de loisir. (1) ».

1. Autobiographie, p.50.
2. Lettre inédite. Archives de la Visitation de Paray.
3. Autobiographie, p. 50.

L'attente se prolongea encore quelque temps pour Marguerite, jusqu'à ce qu'enfin; un religieux de Saint-François ayant donné du scrupule à Chrysostome Alacoque, son frère, de ce qu'il la retenait au monde, malgré la certitude de sa vocation à la vie religieuse, celui-ci se mit en peine de conduire sa soeur en quelque monastère. On persistait à vouloir que ce fût à Sainte-Ursule. Mais ; à force de prières et de larmes, versées aux pieds de la sainte Vierge, qui lui dit :

« Ne crains rien, tu seras ma vraie fille et je serai toujours ta bonne mère (2), » Marguerite obtint d'entrer en un couvent de Sainte-Marie. On lui en proposa plusieurs. Aucun ne lui semblait être celui où son divin Maître avait marqué sa place. Mais, dira-t-elle plus tard, « aussitôt qu'on me nomma Paray, mon coeur se dilata de joie et j'y consentis d'abord (1) ».

1.Autobiographie, p. 51.
2. Ibid., p. 53

Cependant d'autres obstacles lui barraient encore le passage. Elle les surmonta tous, se répétant sans cesse à elle-même :

« Il faut mourir ou vaincre ! (2) ».

C'est grâce à cet héroïque courage qu'elle vint se présenter, heureuse et confiante, au lieu de son bonheur, « le cher Paray (3) ».

Marguerite ne fut pas plus tôt au parloir de la Visitation qu'une voix intérieure se fit entendre à son âme et lui dit :

« C'est ici que je te veux (4) ».

Cela lui causa tant de joie, qu'elle pria son frère, qui l'accompagnait, de tout conclure promptement pour sa prochaine entrée en ce monastère, d'autant qu'elle ne serait jamais religieuse ailleurs qu'en cette maison de Sainte-Marie.

« Après quoi , écrit-elle, il semblait que j'avais pris une nouvelle vie, tant je me sentais de contentement et de paix. Ce qui me rendait si gaie que ceux qui ne savaient pas ce qui se passait disaient :  Voyez-la, qu'elle a bien la façon d'une religieuse ! Et, en effet, je portais plus d'ajustements de vanité que jamais je n'avais fait, et me divertissais de même, pour la grande joie que je sentais, de me voir bien toute à mon souverain Bien (1) ».

1. Autobiographie, p. 54.
2. Ibid., p. 54
3. Cette première visite de Mlle Alacoque au monastère de Paray date vraisemblablement du 25 mai 1671.
4. Autobiographie, p. 54.

Ce récit est-il assez vivant ? Et ceux qui, sans la connaître, accusent Marguerite-Marie d'être une personne triste et repliée sur elle-même, ont-ils jamais lu ce passage ? Y trouve-t-on un témoignage assez spontané du caractère de notre Sainte ? Certes, il n'y a pas à la traîner au lieu de l'immolation ! D'elle-même, elle s'y élance comme à une fête, et son jeune front porte déjà une auréole, sur laquelle on peut lire : Joie dans le sacrifice!

Toutefois, Marguerite dut revenir encore quelque temps dans sa famille pour y régler ses dernières affaires. On a la minute de son testament, « faict, leu et passé en la maison de ladite damoizelle testatrice, et en une chambre du costé du matin... le dix-neuvième jour du mois de juin mil six cent soixante et onze (2) ».

1. Autobiographie, p. 54
2. Cet original est conservé en l'étude de Me Thévenin, notaire à Charolles. La Visitation de Paray en possède une expédition notariée, délivrée le 18 juillet 1692.

Bientôt sonna l'heure de la dernière séparation.

« Enfin ce jour tant désiré étant venu pour dire   adieu au monde, jamais je ne sentis tant de joie ni de fermeté dans mon coeur, qui était   comme insensible, tant à l'amitié comme à la douleur que l'on me témoignait, surtout ma mère ; et je ne versai pas une larme en les quittant. Car il me semblait être comme une esclave qui se voit délivrée de sa prison et de ses chaînes, pour entrer dans la maison de son Epoux, pour en prendre possession et jouir en toute liberté de sa présence, de ses biens et de son amour. C'était ce qu'il disait à mon coeur,  qui en était tout hors de lui-même et je ne savais  rendre autre raison de ma vocation pour Sainte Marie, sinon que je voulais être fille de la sainte  Vierge. Mais j'avoue que, dans le moment  qu'il fallut entrer, qui était un samedi, toutes  les peines que j'avais eues, et plusieurs autres, me vinrent assaillir si violemment, qu'il me  semblait que mon esprit allait se séparer de  mon corps en entrant. Mais aussitôt, il me [fut] montré que le Seigneur avait rompu mon sac , de captivité et qu'il [me] revêtait de son manteau de liesse (2) ; et la joie me transportait tellement que je criais : c'est ici où Dieu me veut !  Je sentis d'abord gravé dans mon esprit que cette maison de Dieu était un lieu saint, et que toutes celles qui l'habitaient devaient être saintes, et que ce nom de Sainte-Marie me signifiait qu'il la fallait être à quel prix que ce fût, et que c'était pourquoi il fallait s’abandonner et sacrifier à tout, sans aucune réserve ni ménagement (3) » .  

L'âme qui comprend ainsi la vie religieuse est-elle assez apte à l'embrasser ? Affirmer que oui, c'est reconnaître l'oeuvre de préparation de l'Esprit-Saint. Étudions maintenant son oeuvre de transformation.

1. 20 juin 1671.
2. Conscidisti saccum meum et circumdedist me laetitia. Ps.XXIX,12
3. Autobiographie, pp. 55-56.
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