(Petit résumé)
Voici quelques notes personnelles que je mets ici à toute utilité, pour ceux que ça intéresserait!
Je ne suis pas du tout spécialiste de la théologie trinitaire chez Thomas d'Aquin, mais voilà ce que je pourrais dire de la vertu d'humilité dans cette perspective, d'abord en définissant l'humilité en elle-même, puis par rapport à la question de la grandeur à laquelle elle ne s'oppose pas mais dont elle est une condition, enfin par rapport à la Trinité. Le but est d'essayer encore une fois de ne pas opposer kénose et vérité/humilité, de montrer que Thomas avait conscience du problème et l'a résolu à sa manière. L'abaissement de la créature par rapport à Dieu est assumé et résumé dans la relativité du Christ par rapport à son Père. Cette relativité est justement POUR le Père, donc la kénose (=abaissement) est bien une humilité (=vérité) car il y a un ordre réel en Dieu. L'humilité est donc le propre du Verbe, me semble-t-il!
Définition de l'humilité comme vertu
L'humilité est la vertu qui a pour objet l'abaissement de soi par rapport à ce qui est supérieur, et l'abaissement absolu de soi par rapport à Dieu, qui est absolument supérieur. L'humilité se fonde sur le rapport d'infériorité de la créature par rapport au créateur, du fini par rapport à l'infini.
L'humilité chrétienne a donc pour objet la relation de petitesse de la créature par rapport à Dieu et non pas la petitesse
pour elle-même.
Humilité et Grandeur
L'humilité n'est donc pas le contraire de la grandeur, sinon les Écritures ne pourraient pas dire sans contradiction que "quiconque d'élève sera abaissé, mais quiconque d'abaisse sera élevé", "il a renversé les orgueilleux de leurs trônes et il a élevé les petits" etc...
Il faut que l'humilité soit en elle-même liée à une grandeur pour que l'humble soit élevé, sinon on tombe dans le mensonge, dans une dialectique.
Au contraire, St Thomas d'Aquin montre le lien intime de ces deux vertus que sont l'humilité et la magnanimité (=grandeur d'âme chez Aristote), qu'on essaie parfois d'opposer.
Elles visent ultimement la même chose mais sous un aspect (="objets formels") différents.
1> Je veux dire que l'humilité est le fait pour quelqu'un (homme ou ange) de reconnaître sa petitesse par rapport à la grandeur Dieu, 2>alors que la magnanimité bien ordonnée est le fait de viser à la grandeur de Dieu en nous-mêmes.
Car nous-mêmes nous ne sommes rien sans Dieu, ni par notre nature car nous sommes créés, ni par notre grâce car elle nous est donnée entièrement par Dieu, et reconnaître cela c'est l'humilité. Mais en même temps nous sommes tout en Dieu, par la nature et par la Grâce, et reconnaître cette grandeur et cette dignité de l'homme en Dieu, cela c'est la magnanimité.
Bref ultimement c'est la grandeur qui est première par rapport à la petitesse, la petitesse suppose la grandeur et existe pour recevoir la grandeur.
L'humilité en Dieu ?
Dieu est Un (Dieu comme Un), mais en Trois Personnes (Dieu comme Trinité), Dieu comme Un ne peut pas avoir de relation à l'égard de lui-même, donc pas d'humilité non plus, c'est pourquoi St Thomas la nie en Dieu
comme Un.
Pourtant, je pense qu'on peut et même qu'on doit, tout en restant fidèles à Thomas d'Aquin, la conserver dans la vie intime de Dieu, ad intra, c'est à dire sa vie trinitaire (qui ne s'oppose pas à son Unité mais l'explique de l'intérieur). C'est pourquoi Jésus-Christ en 2 Philippiens :
- Citation :
- 5. Et soyez dans la même disposition et dans le même sentiment où a été le Christ Jésus,
6. Qui ayant la forme et la nature de Dieu, n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu
7. Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature du serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au-dehors.
8. Il s’est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix.
Il faut comprendre, à mon avis, que Thomas d'Aquin lorsqu'il commente ce passage ne nie pas du tout l'humilité de Dieu dans sa vie Trinitaire (je ne peux pas le montrer ici faute de place), mais l'inscrit dans l'ordre des processions de Fils et du Saint Esprit à partir du Père, et non pas comme un principe un peu abstrait (comme dans les théories de la kénose inspirées de Hegel). D'ailleurs, il ne dit jamais que l'humilité n'est qu'un attribut de la volonté humaine du Christ, mais que c'est l'obéissance qui est le signe et la façon (le mode) dont cette humilité se réalise qui est un attribut de sa volonté humaine.
L'humilité de Dieu Trinitaire consiste en ce que tout retourne au Père, qui est Alpha et Oméga (Apocalypse). L’humilité n'est donc pas une façon de considérer Dieu dans son Essence commune mais dans ses Personnes. Il faut donc que l'humilité soit un Nom pour les Personnes divines, et non pas un nom de son Essence.
Comment l'expliquer? On sait que le Fils vient du Père et retourne au Père, et dans ce retour au Principe il "spire" l'Esprit Saint qui est leur amour mutuel. Dans ce retour le Fils est totalement relatif au Père, mais d'une autre façon que le Père est relatif à son Fils. Le Fils est relatif au Père comme le Verbe qui est l'Image parfaite de son Principe, alors que le Père est Principe, il y a donc un ordre qui part du Père et revient au Père. Donc à proprement parler je dirai qu'il n'y a pas d'humilité du Père mais du Fils : le Père est la Miséricorde qui se penche sur le fils prodigue (cr la parabole du fils prodigue), mais dans cette miséricorde s'exprime l'enfantement éternel de son Fils qui est son Verbe, seconde personne de la Trinité. L'attribut du Père est la Puissance (la Miséricorde en gros, au sens le plus profond) qui se penche sur nous en se penchant sur son Fils unique, et à cette miséricorde répond l'HUMILITE du Fils (c'est là qu'elle prend sens!) qui reçoit tout de son Père, et dans cette procession il émane un amour infini qui est l'esprit.
La miséricorde du Père, Thomas la nomme puissance, l'humilité du Fils, il la nomme vérité.
Bref, on a donc Dieu qui se penche sur l'humilité de son Fils et l'élève au dessus de tout nom pour l'Eternité, mais cet ordre de processions s'exprime dans la création et le salut du monde, qui émanent de Dieu et reviennent à Dieu justement dans l'HUMILITE de son Fils, afin que les hommes soient sauvés et élevés en Dieu qui a assumé la nature humaine.En assumant la nature humaine, le Verbe a relevé l'humilité de la nature humaine, d'où les paroles du magnificat sur l'élévation des petits.
Conclusion
Donc, la kénose et l'humilité c'est la même chose chez saint thomas, effectivement, mais en même temps il donne à l'humilité une profondeur qui dépasse ces deux écueils que seraient l'abaissement pour l'abaissement (théories modernes de la kénose) et l'exaltation de sa grandeur personnelle (orgueil). En réalité, l'humilité c'est la vérité, mais la Vérité qui est le Christ procédant du Père et résumant toute chose en Lui. L'humilité c'est le principe éternel de son obéissance temporelle, et le modèle de notre propre humilité. Elle ne vise pas la petitesse pour la petitesse mais le retour dans le sein miséricordieux du Père éternel, Alpha et Oméga. Paradoxalement, l'humilité vise de grandes choses, à tel point qu'elle s'anéantit devant elles !
«Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître »
Petite auto-critique : Il y a l'humilité dans le lavement des pieds, du Christ par rapport à ses disciples et pas simplement par rapport au Père. C'est difficile à penser, j'y reviendrai peut-être plus tard! Mais à mon avis ce lavement des pieds aussi est centré sur le Père, car le Christ "fait toujours la volonté de son Père", il a toujours les yeux fixés sur Lui. C'est son absence de volonté propre qui fait son humilité, et cette humilité tend à répandre la miséricorde du Père sur les disciples. Donc il y a probablement une différence de nature entre l'humilité devant le Père et l'humilité devant les disciples, de même entre le premier et le second commandement de l'amour : Dieu par dessus tout, et le prochain POUR Dieu. Donc Jésus se soumet à l'homme par obéissance à son Père, dans leur amour mutuel....
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