QUE DES GENS BIEN !
(Poésie scénique en 2 tableaux)
- PREMIER TABLEAU -
Oui ! Que des gens bien, vous dis-je ! Que des gens bien !
Tous ceux à qui la vie ne leur reproche rien
Qui se retrouvent tous au sortir du sabbat
Et de n’y pas aller, ne se permettraient pas
Que des gens bien ! Ainsi, y avait Jean le fermier
( A qui peu s’en fallut que son enfant premier
Ne naquît, lui aussi, dans le fond d’une étable)
Jean et sa femme Anna, besogneux et affables
Qui pouvait parmi nous leur trouver quelque tort ?
Et puis, y avait Victor, vous connaissez, Victor ?
Il est même venu au bras de sa maîtresse
Sa femme les suivait comme une chienne en laisse
Et Victor, lui, marchait, souriant, radieux
Même en courant la gueuse il ne posait pas mieux
Quelqu’un de bien, Victor, du moins, dans les affaires
Soignant ses amitiés avec beaucoup de flair
Madame Parvenue aussi était venue
Comment prétendrait-on ne l’avoir reconnue ?
Elle brillait comme une clique en plein soleil
S’en marchait à grand bruit, une pure merveille
De bagues, de colliers, de boucles, bracelets
Et comme une outre pleine sa coiffure gonflée
Vraiment, que des gens bien, que des gens bien, vous dis-je !
La liste de leurs noms me donne le vertige
Et, s’il le faut ici, je cite pour mémoire
Colette et son mari, un couple sans histoire
Méfiant par-dessus tout des choses sans vergogne
Vivant pour leur métier, pour leur sainte besogne
Et regardez Suzann’ ! maison toujours tenue
Ne sortant presque pas, …eh bien ! Elle est venue !
Et Simon si gentil, si doux, si souriant
Le matin même il jouait avec ses deux enfants
Il était là aussi ! …Vraiment, que des gens bien !
André, le commerçant avec son fils Julien !
Honnête, s’il en est ! que je ne comprends pas
Tous plus braves quand on ne les dérange pas
Et des tas d’autres gens qui, de tas d’autres villes
Arrivaient à grands flots d’un air le plus tranquille
Je pensais me trouver avec des délinquants
Des filles que l’on vend à la foire à l’encan
Avec les plus voleurs, les voyous, les vauriens
Mais non ! Nous étions là, parmi des gens de bien !
Moi-même, vous savez, je porte un plus grand soin
Au souci des enfants, ma femme à ses besoins
Et mes amis, à tout ce qui peut arranger
Il ne me semble pas pourtant avoir changé
Je ne me serai jamais cru capable, un jour…
…Mais quand la foule est là, le cœur vous joue des tours…
Je me mis le poing dans ma bouche pour me taire
Lorsqu’il passa, partout, des voix qui l’injurièrent
Je revois son regard qui brillait d’innocence
Et j’entends sourdre en moi, terrible, son silence
Et j’ai crié : « A mort ! A mort ! » à qui le mieux
Crachant sur son visage à lui voiler les yeux
Et je n’ai eu de cesse dans mes hurlements
Que pour mieux écouter chaque martèlement
Des clous qui s’enfonçaient dans ses mains, dans ses pieds
Sitôt la Croix debout, je repris à crier :
« Alors le Fils de Dieu, descendras-tu dîner ? »
Lui, il ne disait mot que pour nous pardonner
Et cela a duré jusqu’à la fin du monde
Quand il est mort !…au bout de notre mal immonde
…Puis la terre trembla. Et nous avons couru !
Comme des fous hurlant à chaque coin de rue
J’ai couru ! J’ai couru ! Les yeux presque fermés
N’importe où ! N’importe où ! Le cœur jamais calmé
Ni la vie, ni la mort n’arrêtera l’émoi
Est-ce moi qui ai fait tout cela ?…Est-ce moi,
L’homme de bien ?…Le bien-pensant ?…et de bon goût ?…
Je ne veux plus, je ne veux plus rentrer chez nous…
- DEUXIEME TABLEAU -
Peut-être avez-vous vu errant parmi les ombres
Dos courbé, bras ballants, bouche torse et l’œil sombre
Un pauvre homme en haillon qui, chaque vendredi
Hurle comme un vieux loup, trois heur’ après-midi
Il s’en vient vers le soir aux abords de nos bourgs
Apprendre à nos enfants tous les plus mauvais tours
Il flaire nos poubell’s, la nuit, avec les chiens
Et trouble le sommeil de tous les gens de bien
Commère, ma voisin’ prétend qu’on lui a dit
Qu’il est mort, et sans doute il est au Paradis
-Quel Paradis de chiens hors des sentiers battus ?-
Il aurait rencontré celui qu’on a pendu
Ce Jésus, beau parleur, qu’on dit ressuscité
On conte qu’à ses pieds, il s’est précipité
Pleurant, et que Jésus caressa ses cheveux
Qu’une femme très bonne accueillit ce morveux
Qu’une douce lueur brillait dans son regard
Qu’il serait mort en paix, quelques journées plus tard…
Tout ceci n’est qu’un conte, histoire de vauriens
A troubler le sommeil de nous, les gens de bien !
(R. Martineau - 1989)