L’esprit de saint Thomas d’Aquin
« Saint Thomas a reçu du Ciel un pouvoir: celui de transformer en statue de sel
l’esprit de ceux qui ne mettent pas la charité au cœur de leur théologie ». (19-04-05)
En philosophie
Saint Thomas est RÉALISTE, c’est-à-dire que, pour lui, la philosophie n’a de valeur que si elle tend à se conformer à ce qui est. Aussi, il ne s’appuie pas sur des spéculations coupées du réel, mais sur l’observation du réel. N’étant pas lui-même un homme de terrain, il fait confiance pour ce travail préparatoire à sa vraie vocation -celle de théologien- au plus grand des philosophes réalistes, Aristote. Il a commenté la plupart de ses œuvres, non parce qu’il s’appelait Aristote, mais parce qu’il lui semblait être l’homme le plus soumis au réel.
Ainsi, un vrai thomiste se doit de l’imiter, non matériellement mais spirituellement. Tout ce qui est réaliste dans les apports modernes, DOIT ÊTRE ASSUMÉ et ajouté à l’irremplaçable corpus Aristotélicien… Saint Thomas ne méprisait aucun auteur, ni les anciens, ni les nouveaux, dans la mesure de leur conformité au réel.
ATTENTION: Saint Thomas reste un homme des livres et non un philosophe ou un scientifique de terrain, ce à quoi doivent prendre garde ceux qui cherchent dans ses livres la seule philosophie.
Saint Thomas est d’abord théologien
Il n’a aimé la philosophie réaliste qu’en vue d’être meilleur théologien, ne voyant pas d’opposition mais au contraire une co-actuation entre ces deux manières d’approcher la création divine.
Ainsi, il a su faire marcher, comme deux amants, la raison et la foi au service de la vérité. « Si je dois demander un conseil de guérison, je préfère m’adresser à un médecin qu’à un pape, ce qui n’est pas le cas quand il s’agit de la Trinité ».
Dans le domaine de la foi, il fait confiance à l’Église. N’étant pas allé au Ciel, il sait trouver la vérité dans les trois canaux unis, tels que Dieu les a données pour nourrir d’eau vive les théologiens: 1- l’Ecriture Sainte, 2- qu’il éclaire par les écrits des saints canonisés, des grands théologiens (et parmi eux, les Pères et les Docteurs de l’Eglise), 3- que vient confirmer le Magistère authentique de Pierre.
Ce qui est périmé dans sa pensée
Malgré cette méthodologie harmonieuse, saint Thomas ne fut pas infaillible.
— Dans le domaine des sciences naturelles, il s’est parfois trompé. Ses descriptions aristotéliciennes de sciences positives (astronomie, physique moderne, biologie, zoologie) sont manifestement périmées sur bien des points - ce qui est de peu d’importance pour celui qui se conforme non à la lettre mais à l’esprit réaliste de saint Thomas -.
Ce n’est pas le cas de ses approches philosophiques qui sont absolument modernes, performantes et précises, davantage que beaucoup de ce qu’on lit de nos jours.
— Dans le domaine théologique, on peut citer deux erreurs confirmées depuis par le Magistère de l’Eglise. La seconde est majeure et influence en négatif toute sa pensée:
1° Il dit: - Marie fut purifiée du péché originel (IIIa, Q. 27). Cette théorie ne s’harmonise pas avec le dogme de l’Immaculée conception de Marie, 1854.« Marie fut préservée du péché originel, par la grâce prévenante de la Trinité, les mérites futurs de son fils. »
2° Et surtout, il dit: - Certains hommes, n’ayant pas reçu la révélation de Dieu, meurent en conséquence sans la grâce sanctifiante et la charité et sont damnés pour l’éternité -d’où sa théorie des Limbes éternelles pour les enfants morts sans baptême (Suppl. Q. 70bis), et sa théorie de la damnation des païens (Ia IIae Q. 113, 114)-. Cette opinion s’oppose à Vatican II: “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal” (Gaudium et Spes n° 22, 5, trad. officielle). Ce texte ne fait que reprendre des dogmes solennels plus anciens: « Dieu qui veut que tout homme soit sauvé… propose à tous son salut… ce qui ne signifie pas que tous l’acceptent… » C’est pourquoi, en 2007, la Commission théologique internationale s’est penché sur la théorie thomiste et augustinienne des Limbes éternelles des enfants morts sans baptême.
D’autres problèmes ont été soulevés:
3° Le fait qu’il n’ait pas centré son traité du mariage sur l’amour des époux ET le don de la vie (et non sur le seul don de la vie). D’où l’intérêt de lire le Traité du mariage de saint Thomas à la lumière des textes du Concile Vatican II.
4° Le fait qu’il ait centré le sacrement de l’Ordre sur le seul culte eucharistique de Dieu et non sur l’alliance de charité entre Dieu-eucharistie et l’homme. D’où l’intérêt de lire le Traité de l’Ordre de saint Thomas à la lumière des textes du Concile Vatican II.
5° Il manque chez saint Thomas le traité de l’Eglise. D’où l’intérêt de lire le Traité néo-thomiste de l’Eglise.
6° Le fait qu’il n’ai pas centré son eschatologie sur la Vision béatifique mais sur la résurrection de la chair. D’où l’intérêt de lire le Traité des fins dernières de saint Thomas à la lumière de ce traité néo-thomiste.
A chaque fois, ce sont des traités entiers de saint Thomas qu’il faut réécrire. Et l’Eglise ou la théologie établit ces rectifications tout en disant: « Saint Thomas est le docteur commun de l’Eglise catholique ».
Ce qui peut être dangereux dans l’usage de sa pensée
Au cours des siècles, les écrits de saint Thomas ont formé des générations de théologiens de haute qualité… quand ils vivaient par et pour l’amour de Dieu et du prochain. Dans le cas contraire, l’expérience montre que la passion intellectuelle qu’il suscite peut générer trois types de corruption de l’intelligence.
1- Les rationnels desséchés, qui se laissent excessivement séduire par la précision des raisonnements, comme si la réalité toute entière était maîtrisable par la raison. Ceux-là quittent le jugement sur la réalité en philosophie, sur l’amour de Dieu en théologie.
2- Ceux qui se laissent enfermer dans l’esprit de système, à cause de l’universalité et de la cohérence de sa théologie. Ces personnes se reconnaissent à un certain mépris qu’elles ressentent pour les autres auteurs.
3- Les répétiteurs qui, comme incapables de rendre vivante la théologie par leur propre énergie intellectuelle, répètent la pensée de saint Thomas, la clonent.
Un autre danger, affectif celui-là, peut venir de l’orgueil et rendre insupportable un authentique disciple de saint Thomas.
Pour éviter ces risques, deux remèdes sont ESSENTIELS
Distinguer l’esprit de saint Thomas d’Aquin qui fait de lui le docteur commun.
Dans les domaines de la philosophie, il faut maintenir que le seul vrai maître n’est pas saint Thomas, mais le réel. Il faut donc suivre ces trois règles: Humilité devant le réel, Expérience, Expérimentation.
En théologie, le lien avec les trois canaux de la Révélation: Tradition apostolique et des saints, Ecriture, Magistère.
Pour la sainteté: il est plus qu’utile d’avoir une vivante et active fréquentation de la Vierge Marie par la prière. Sa simplicité féminine, est, à coup sûr, une véritable protection contre le rationalisme desséchant.
Il est vraiment le Docteur des docteurs de l’Eglise
« Un an passé à l’étude de saint Thomas peut apporter plus que toute une vie dans n’importe quel autre auteur » (Jean XXII, bulle de canonisation)…
Et ceux qui ont pris ce défi au sérieux savent que c’est vrai: il développe de manière UNIQUE l’amour de la vérité, l’humilité devant le réel, la simplicité de l’expression, la fidélité à la foi catholique, la perfection de sa compréhension, etc. Il forme des théologiens inimitables.
En bref, il forme l’intelligence plus que tout autre.
Un saint
Au delà de son travail intellectuel, Thomas est un saint. Il sait la valeur de ses écrits: « Ils sont bons pour les débutants dans la sagesse. Car le plus petit au Ciel en sait plus que moi. » Vers la fin de sa vie, cette vérité va surgir de manière brûlante dans sa vie. Un matin, pendant la messe, il vit une expérience proche de la mort. Sans doute voit-il la gloire du Christ. Il n’écrira plus jamais rien « Tout ce que j’ai écrit est de la paille », lui arrachera son fidèle secrétaire, Frère Réginald, désolé de voir ses œuvres inachevées.
Sans doute a-t-il eu, ce jour-là, la solution brûlante et expérimentale à cet ultime problème de la théologie catholique: « Quelle est cette façon que Dieu seul connaît, qui donne la possibilité à tous ceux qui l’acceptent, d’être associés au mystère pascal? »
« Je viens tout simplement, lui a probablement révélé l’apparition du Messie, leur prêcher l’évangile à l’heure de leur mort, dans ce passage qui fait encore partie de leur vie terrestre. Beaucoup sont sauvés en devenant les ouvriers de la 11ème heure ».
Arnaud Dumouch, 2004