Suisse : Initiative populaire fédérale « contre la construction de minarets »
Résumé : Le
1er mai, un comité d’initiative formé de membres de l’Union
démocratique du Centre (UDC) et de l’Union démocratique fédérale (UDF)
a annoncé une campagne contre la construction de minarets en Suisse...
Le
1er mai, un comité d’initiative formé de membres de l’Union
démocratique du Centre (UDC) et de l’Union démocratique fédérale (UDF)
a annoncé une campagne contre la construction de minarets en Suisse. Il
s’agit de réunir 100.000 signatures avant le 1er novembre 2008 pour
pouvoir faire ajouter un alinéa à l’article 72 de la Constitution
fédérale sur l’Eglise et l’Etat. Cet article stipule que « dans les
limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les
cantons peuvent prendre des mesures propres à maintenir la paix entre
les membres des diverses communautés religieuses ». L’alinéa
préciserait que « la construction de minarets est interdite » en
Suisse. L’Assemblée fédérale se prononcera sur la validité de
l’initiative lorsque celle-ci aura abouti, a publié la
Feuille fédérale du 1er mai 2007.
Ulrich Schlüer, co-président du comité d’initiative et conseiller national UDC, a publié un communiqué intitulé
Minarets et muezzins : en fait une déclaration de guerre ! :
« Les demandes de construction de minarets déposées par des
associations musulmanes sont généralement accompagnées de l’assurance
que jamais un muezzin n’appellera les fidèles à la prière du haut du
minaret. C’est précisément grâce à cette garantie que de nombreuses
organisations musulmanes ont reçu l’autorisation en Allemagne de
construire des minarets.
Mais à peine les
minarets avaient-ils été érigés que les propriétaires exigeaient – et
obtenaient – l’autorisation de faire appeler un muezzin (…) au nom de
la "liberté religieuse" – alors que ni le minaret, ni le muezzin n’ont
un rapport direct avec la foi.
« On assiste
actuellement en Allemagne à un autre développement : de plus en plus de
sociétés musulmanes se disent certes prêtes à renoncer à un muezzin,
mais à la condition qu’en "contrepartie" les églises chrétiennes
cessent de faire sonner leurs cloches. Ce qui prouve une fois de plus,
si besoin en était, l’absence de rapport entre la foi et la volonté
d’imposer des minarets et des muezzins. En réalité, il s’agit d’un
combat : le minaret est l’expression d’un combat pour le pouvoir
politico-religieux. Tout cela n’a rien à voir avec la foi.
« (…)
Si, en se référant à la liberté religieuse, on conteste les droits
fondamentaux de tiers, par exemple de personnes d’une autre religion,
le législateur peut intervenir par la voie démocratique et créer des
bases légales qui protègent les droits fondamentaux. Ce constat est à
la base de l’idée de lancer une initiative populaire visant à faire
interdire les minarets en Suisse. Cette initiative est dirigée contre
le minaret en tant que symbole de pouvoir politico-religieux qui est en
opposition avec le principe de la tolérance religieuse. (…) Prête à
être lancée, l’initiative pour l’interdiction des minarets ne vise rien
d’autre qu’à préserver la liberté religieuse et la tolérance
religieuse, piliers de la paix religieuse en Suisse. »
La campagne a été officiellement lancée le 3 mai. Ulrich Schlüer, co-président du comité avec
Walter Wobmann (conseiller national UDC) et
Christian Waber (conseiller
national UDF), a précisé : « Le problème n’est pas la croyance en
l’islam. Chacun a le droit d’avoir sa religion. Le problème c’est la
revendication que les ordres religieux doivent être au-dessus de l’état
de droit. Et cette exigence, on ne la trouve que chez les musulmans.
Les minarets en sont le symbole ».
Jörg Paul Müller, professeur de droit public à l’université de Berne, a affirmé au quotidien bernois
Bunddu 2 mai que l’interdiction des minarets irait à l’encontre de
l’article 15 de la Constitution fédérale du 18 décembre 1998, qui
stipule que « Toute personne a le droit de choisir librement sa
religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de
les professer individuellement ou en communauté ». De même que ce
principe ne pourrait être appliqué sans dénoncer la Convention
européenne des droits de l’homme.
Le 3 mai, Mgr
Pierre Bürcher,
évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg et président du
groupe de travail « Islam » (GTI) de la Conférence des évêques suisses
(CES) s’est prononcé sur l’initiative pour interdire la construction
des minarets en Suisse dans un communiqué intitulé «
Minarets, oui ou non ? » :
« La construction de minarets en Suisse doit-elle être défendue ou
autorisée ? La question et la réponse sont plus complexes qu’on ne
l’imagine à première vue. La peur est mauvaise conseillère et la
coexistence a ses limites. Cependant, pour être bref : c’est oui, si la
construction du minaret est conforme en tout point à la législation ;
c’est non, si sont évidents ou sous-jacents des objectifs pouvant
menacer la paix religieuse en Suisse. (…)
« Il
est vain de se battre contre la construction d’un minaret tout en
ignorant les activités de sa mosquée. En plus du lieu de prière,
celle-ci peut abriter bibliothèque, bureau de l’imam, cafétéria, salles
d’enseignement, magasins, voire boucherie. En Suisse, la légalité et le
contrôle des activités d’une mosquée sont plus importants que la
pertinence ou non de la construction d’un minaret. Surtout s’il doit
rester insonore en ne servant pas à l’appel à la prière. Rappelons que
dans de nombreux pays à majorité musulmane, les églises sont sans
clocher.
« Pas de campagne contre les
minarets, pas de laisser-aller sur l’organisation interne des mosquées
en Suisse ! Le GTI ne s’oppose pas à la construction des minarets mais
invite toutes les personnes concernées au respect des lois et à un
discernement sérieux. »
Rappel :
Le Groupe de travail « Islam » (GTI), créé en 2001 par la Conférence
des évêques suisses (CES) a pour but de promouvoir le dialogue
interreligieux dans l’esprit de Vatican II. Le 10 mai,
Ueli Maurer,
président national de l’Union démocratique du Centre (UDC), s’est
déclaré sceptique sur « l’interdiction des minarets en Suisse » et a
souhaité que son parti décide après les élections nationales en automne
de maintenir ou non l’initiative contre les minarets qu’il qualifie de
« ballon d’essai ».
A sa suite,
Samuel Schmid,
ministre de la défense et conseiller fédéral UDC, s’est prononcé le 13
mai : « Nous ne résoudrons aucun problème de cette manière ». Et
d’expliquer : « Si l’interdiction des minarets relève des prescriptions
dans la construction, cela relève du droit cantonal et non de la
Constitution. S’il s’agit d’une interdiction religieuse, cela entre en
conflit avec la liberté de religion qui, elle, est ancrée dans la
Constitution ». Il faut, cependant, a précisé le ministre de la
défense, considérer le problème de l’islam en Suisse et « l’initiative
comme l’expression d’une certaine inquiétude » qui est à prendre au
sérieux.
Hisham Maizar,
président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS)
et membre du Conseil suisse des religions (CSR), a déclaré le 20 mai :
« La Suisse est multiculturelle et multiethnique » et « nous savons où
nous vivons ». Et de préciser qu’il ne s’agit pas d’installer un
muezzin pour appeler à la prière, mais un minaret qui est « l’emblème »
de la mosquée. Par ailleurs, « tout musulman qui se rend à l’étranger
contracte en quelque sorte un contrat avec le pays hôte, selon lequel
il respecte les lois et les règlements. Il ne doit cependant pas
renoncer à son identité ».
Rappel :
Le Conseil suisse des religions (CSR), fondé le 15 mai 2006, se compose
de personnalités dirigeantes de la Conférence des évêques suisses
(CES), du Conseil de la Fédération des Églises protestantes de Suisse
(FEPS), de l’Église catholique-chrétienne de Suisse, de la Fédération
suisse des communautés israélites (FSCI) et des organisations
islamiques de Suisse. Le Conseil veut contribuer à établir la confiance
entre les communautés religieuses et à promouvoir la paix religieuse.
Le Conseil des religions est actuellement présidé par le pasteur Thomas
Wipf, président du Conseil de la Fédération des Églises protestantes de
Suisse (FEPS). Le 20 mai, Mgr Pierre Bürcher a répondu aux questions de
Swissinfo : « Le dialogue interreligieux et interculturel est le défi majeur de ce début de 21ème
siècle et, ces dernières décennies, l’Eglise catholique s’est fixé pour
priorité d’établir des contacts avec les autres religions. Le pape
Benoît XVI et son prédécesseur, Jean-Paul II, ont affirmé que ce
dialogue est vital pour l’avenir de notre société. Au niveau politique,
que ce soit en Suisse ou à l’étranger, comme en Iran et en Syrie, nous
avons toujours été bien reçus par les différentes autorités. La
difficulté vient d’une minuscule frange extrémiste, qui pose d’énormes
problèmes mais ne représente pas le véritable Islam. (…)
« Il
est essentiel de respecter l’Etat de droit qui règne en Suisse et nous
ne pouvons tolérer que des lois soient remises en question par une
autre façon de penser, comme la Charia. Il est vrai que les minarets
représentent un symbole pour les musulmans mais, comme ce n’est pas la
partie la plus importante d’une mosquée, il ne faudrait pas se fixer
là-dessus. Par contre, ce qui se passe à l’intérieur d’une mosquée est
beaucoup plus important, parce que c’est là que le Coran est enseigné
et qu’il peut y avoir des gens qui dépassent les limites. C’est dans ce
lieu de culte qu’est prononcée la ’
khutba’ (sermon), très
souvent politisé, et que des enseignements anti-Occident, voire
terroristes, peuvent y être dispensés. Les autorités savent-elles
réellement ce qui s’y passe et si c’est légal ? Cela me semble beaucoup
plus important que de savoir si on peut construire un minaret ou
non. (…)
« Une des raisons de cette peur est
que nos deux religions sont différentes et que nous manquons encore
d’une certaine compréhension mutuelle. Deuxièmement, des nouveaux venus
suscitent souvent un certain malaise ou même de la peur parce qu’ils
peuvent apporter des déséquilibres. Mais nous devons apprendre à vivre
ensemble, sinon nous allons vers de graves problèmes. »
Selon
l’Institut central des archives islamiques installé à Soest
(Allemagne), un peu plus de 300.000 musulmans vivent en Suisse.
(sources : CES/RSR/swissinfo/Apic/
NZZ am Sonntag/SCR)