Mise au point à propos du « Sola Scriptura »
« Puisque votre illustre majesté et vos altesses exigent de moi une réponse catégorique, je la leur donnerai sans ambiguïté et sans détour. À moins que je ne sois convaincu par le témoignage des Écritures ou par des raisons évidentes, car je ne puis me soumettre aux décisions seules du pape et des conciles, lorsqu’il est constant qu’ils ont souvent erré et qu’ils se sont même contredits, je demeure ferme dans ma foi, qui repose sur les paroles mêmes de Dieu. Je ne peux donc ni ne veux me rétracter, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa conscience. » Après cette déclaration, il ajouta : « Me voici, je ne peux pas agir autrement ; que Dieu me soit en aide. » (Luther. Worms. 1521)
Cette déclaration a souvent été entendue comme la charte du « Nuda Scriptura» invoquée par le fondamentalisme, en termes de « Sola Scriptura », afin de justifier son approche coranique des Écritures. Car, selon cette herméneutique, la Bible serait la seule source de la Foi chrétienne. A ce titre, comment, dès lors, assumer le concept de traduction en langue vernaculaire d’un texte sacré? Quelle version privilégier entre les manuscrits massorétiques de l’Ancien Testament, la version grecque des Septante, citée dans le Nouveau, la Vulgate de saint Jérôme et le Nouveau Testament byzantin, de saint Jean Chrysostome? Ensuite, comment réconcilier le Dieu multiple du Nouveau Testament et unique de l’Ancien, sans sombrer dans le marcionisme? En conséquence, on s’aperçoit vite qu’une telle démarche s’effondre d’elle-même, puisqu’elle n’est pas en mesure de faire émerger du multiple contradictoire du dépôt sacré, matériellement (lettre) et formellement (sens), une doctrine unifiée de l’Évangile. Le fondamentalisme biblique devra, donc, pour surnager à ce naufrage logique, qui le confine au charabia, en appeler à des « experts », gourous et autres réformateurs.
Par contre, si on réexamine la déclaration « luthérienne » de Worms, on s’aperçoit que le docteur de Wittenberg ne se réclame pas de cette approche coranique des Écritures. Car, il ne dit pas l’Écriture seulement mais, plutôt, PAS seulement le pape ni les conciles. Le témoignage des Écritures est invoqué, non pas au départ du processus théologique mais à la fin, comme ultime garantie. Or, cette perspective n’a rien de révolutionnaire, en ce qu’elle ne fait que répéter ce que l’article pascal du Credo affirme depuis des siècles : « Il est ressuscité le troisième jour, CONFORMÉMENT aux Écritures ». Ainsi, puisque le fondement de notre foi, la résurrection de Jésus-Christ, selon I Cor.15, doit s’appuyer sur les Écritures pour être avalisé, alors la doctrine chrétienne entière est justiciable du même traitement méthodologique. De sorte que, c’est tordre la pensée du réformateur que de lui attribuer le rejet pur et simple de la Tradition. C’est en faire un gourou ou un pape infaillible, dont l’autorité serait aussi gratuite que contestable.
Cependant, tel n’est pas le cas. Car, si l’on examine la confession d’Augsbourg, unanimement reconnue par les Calvin, les Luther, les Melanchthon et les Bucer, qui intègre les doctrines « luthérienne » au corpus traditionnel de l’Église, en se présentant comme la somme des enseignements des communautés qui se réclament du Réformateur, on s’aperçoit clairement qu’il n’est question que de précisons de la Foi traditionnelle, non pas de répudiation. Comment, d’ailleurs, aurait-il pu en être autrement, à partir du moment où la foi protestante s’est connue comme chrétienne?
Par conséquent, la déclaration de Luther, à Worms, se présente bien plutôt comme un témoignage sensé rendu à la Tradition. En effet, la Tradition chrétienne se manifeste par la permanence ou la rémanence du Symbole de Nicée-Constantinople et du Canon scripturaire. Ce sont là ses références les plus catholiques, globales et universelles. Or, l’ordre régissant les Écritures et le Credo est précisément indiqué par son article pascal : « juxta scriptura ». De cette façon, le Credo est reconnu formulation standard de la Foi apostolique, dont la Bible garantit la crédibilité et permet la compréhension. C’est pourquoi, lorsque Luther a rejeté le « Sola traditio », à Worms, il ne l’a pas remplacé par un « Sola scriptura» arrogant, voire gnostique, mais a repris, à son compte, le vrai sens de la tradition catholique de la Foi chrétienne : «Sola Scriptura = SELON les Écritures ».