En France, la lutte des musulmans contre la radicalisation
Depuis un an, une quinzaine de conférences sur la radicalisation religieuse ont été proposées par les organisations musulmanes, sous l’impulsion du ministère de l’intérieur.
Mêlant interventions de théologiens et d’universitaires, elles ont eu le mérite d’initier une réflexion collective sur l’implication des cadres musulmans dans la prévention du djihadisme.
Doter imams et aumôniers « de l’argumentaire théologique nécessaire pour faire face à (celui) des djihadistes qui dévoient les textes sacrés et les valeurs de l’islam » et, au passage, les faire entrer « dans l’ère numérique ».
Mettre en place, dans les mosquées et les associations, des « cellules d’écoute » des jeunes et des « chefs de famille » pour « comprendre, orienter ceux qui sont confrontés à ces tentations ou à ces problématiques ».
Mais aussi bâtir des « programmes éducatifs » pour convertis ou reconvertis à l’islam, afin de « ne pas les laisser livrés à eux-mêmes » ; « valoriser les ”success storys” des jeunes de la diversité » ou encore « former des jeunes » pour qu’ils s’adressent à d’autres jeunes « dans le langage et les termes qu’ils apprécient »…
Voici quelques-unes des « propositions de remède » réunies par Anouar Kbibech, le président du Rassemblement des musulmans de France, à l’issue des conférences sur la « radicalisation religieuse » organisées par sa fédération ces derniers mois.
« RAPPELER LES VALEURS DE L’ISLAM »
À Lyon, Marseille, Nantes, Lille mais aussi Forbach, Troyes ou Angers, une quinzaine au moins de ces colloques ou tables rondes se sont tenus depuis un an, sous l’égide d’une grande mosquée, d’une fédération ou de plusieurs, réunies par un conseil régional du culte musulman.
Destinées aux cadres musulmans, religieux ou associatifs, ces conférences ont mêlé interventions de théologiens musulmans, d’acteurs de terrain et d’universitaires ou de spécialistes de questions de sécurité.
L’objectif, indiquait l’invitation pour celle du 8 mars à Nantes, « est de rappeler les valeurs de l’islam basées sur la tolérance et l’ouverture à l’autre, comprendre les racines et les sources de la radicalisation (…) et identifier les remèdes et moyens de prévenir ces phénomènes ».
« IL EST IMPORTANT QUE LES MUSULMANS SE MOBILISENT »
Le mouvement a, au départ, été impulsé par le ministère de l’intérieur, même s’il s’en défend. « Nous leur avons juste soufflé l’idée, en rappelant combien il est important que les musulmans se mobilisent pour condamner la violence au nom de la religion, car personne ne peut le faire à leur place », assure un de ses représentants.
Ici ou là, le bureau des cultes s’est impliqué pour mobiliser les imams, comme à Marseille, trouver des financements – la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, pour la toute première, le 25 mai 2014 à Lyon, à l’initiative du recteur de la Grande Mosquée, Kamel Kabtane –, ou encore des intervenants.
« Mais maintenant, le mouvement est lancé et c’est une très bonne chose. On peut espérer une prise de conscience des cadres religieux musulmans quant à la nécessité de s’impliquer dans la prévention », se félicite-t-on place Beauvau, tout en reconnaissant que « selon les cas », cette prise de conscience en est à « des degrés divers »…
L’AMBIGUÏTÉ DE LA RADICALISATION
Certains responsables musulmans affichent encore leur désinvolture à l’égard de ces initiatives, y voyant « une mode » destinée à ne séduire que « les costumes-cravates » et non les jeunes radicalisés eux-mêmes, et surtout vouée à l’échec puisque « personne, dans nos mosquées, ne connaît les jeunes qui partent en Syrie ».
Le signe, peut-être, d’une ambiguïté – qui ne se cantonne pas à la seule communauté musulmane – sur ce qu’il faut entendre par « radicalisation ». « Ne concerne-t-elle que les jeunes qui partent en Syrie – ce que presque tous les musulmans sont d’accord pour condamner –, ou plus généralement le salafisme et la lecture littéraliste des textes de l’islam ? », interroge un spécialiste, qui observe que la question divise par exemple les Frères musulmans en France.
Sociologue et musulman engagé, Omero Marongiu constate encore des clivages au sein de la communauté musulmane sur le sujet : « Animés par le souci de montrer une image de l’islam ouvert, certains responsables religieux rejettent la dimension religieuse du radicalisme, voire dénient aux radicaux la qualité de musulmans. Du côté des acteurs de terrain, certains redoutent les discriminations qui pourraient naître d’une focalisation sur les signes religieux ; et d’autres sont partisans de faire enfin “le ménage” et d’améliorer l’éducation de nos jeunes. »
CRÉER UN CADRE, UNE IMPULSION
De fait, interventions et témoignages ont montré la complexité du sujet au-delà de sa dimension religieuse, et comment ces processus de radicalisation – « protéiformes », « multifactoriels » – se greffent aussi sur « un imaginaire de complotisme et de victimisation ».
Mais, pour Ahmed Miktar, imam à Villeneuve d’Ascq et fondateur de l’association Imams de France, ces réunions ont eu le mérite de « créer un cadre, une impulsion » à des actions jusqu’ici éparses.
Il souhaiterait à l’avenir qu’elles prennent un tour « plus pratique » et abordent directement les questions de l’accompagnement des convertis en prison, de l’auscultation des patientes musulmanes à l’hôpital, ou encore de la possibilité pour un aumônier musulman d’intervenir dans une école. « Le travail ne fait que commencer mais cela nous donne de l’énergie pour continuer », résume-t-il.
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► Un Conseil théologique musulman de France créé par des imams
Réunis à Paris, une cinquantaine de théologiens, imams et experts « venus de toute la France » ont créé lundi dernier un Conseil théologique musulman de France (CTMF). Composé de neuf membres, celui-ci s’est fixé comme « principal objectif d’aider les musulmans français à vivre pleinement à la fois leur citoyenneté française et leur religion, à travers essentiellement la consécration du recours aux positions médianes, dans la pratique et le rapport aux autres ».
La Croix