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Le billet pour le Ciel et le contrôleur miséricordieux
Est-ce un conte ?
Il était une fois un homme qui, arrivé à la gare pour prendre un train, s’aperçut qu’il
n’avait la somme suffisante avec lui, tandis que le train allait partir dans les cinq minutes.
Décontenancé, il se sent poussé à monter dans le train quand même. À sa grande surprise,
il n’y a personne dans le compartiment. Après le mot de bienvenue du personnel de bord
transmis par les haut-parleurs, le train démarre. Par curiosité, il va voir dans le
compartiment voisin : personne non plus.
Il devrait chercher le contrôleur mais s’assoit en se disant que ce train vide n’en a
certainement pas ; et il est vite accaparé par les paysages qui défilent : il lui rappellent des
lieux qu’il a déjà vus et des événements de sa vie.
Peu après, le contrôleur s’approche ; devinant que l’unique passager n’a pas de billet, il
lui demande de quelle somme il dispose. Ceci n’est pas vraiment conforme au règlement :
pris dans le train, un billet doit être acheté au tarif complet avec un supplément.
Au lieu d’accéder avec joie à cette proposition si aimable et inattendue, le passager se
met à injurier le contrôleur, qui ne perd ni son calme, ni sa gentillesse. Comme le train
approche de la frontière, des policiers sont à bord et ils entendent les vociférations de
l’unique passager ; très vite, celui-ci leur paraît suspect et, à l’arrêt suivant, l’emmènent
vers la prison. Là où il y a les pleurs et les grincements de dents.
Ces derniers mots sont empruntés à une parabole de Jésus que l’on trouve dans
l’évangile selon saint Matthieu, où il est question d’une noce, d’un Roi et de quelqu’un qui
vient d’entrer dans la salle :
« Et la salle de noce fut remplie de convives. Entré pour regarder les convives, le
Roi aperçut là un homme qui ne portait pas de vêtement de noce. “Mon ami, lui dit-il,
comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce”? Celui-ci resta muet. Alors
le roi dit aux servants : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors :
là seront les pleurs et les grincements de dents”. » (Mt 22,10b-13)
Dans cette parabole, le cadre est statique : il s’agit d’une salle remplie de convives. On
peut penser que le vêtement de noce exigé représente moins un billet d’entrée qu’une
certaine pureté intérieure que l’homme sur le seuil ne possède pas.
Dans les deux cas, l’homme est abordé avec la plus grande bienveillance, mais il ne
répond pas à la bonté qui lui est faite – il aurait fallu ici que, au moins, il reconnaisse son
manquement et bafouille des excuses ; or, il s’enferme en lui-même et se tait. Il ne veut
pas de celui qui aurait pu arranger la situation et s’exclut lui-même.
L’image de la salle de noce est bien plus riche que celle du train, sauf que, dans le
contexte actuel, la seconde est sans doute un préalable nécessaire. En effet, elle dit deux
vérités qui, évidentes pour les apôtres, doivent vraiment être rappelées aujourd’hui :
• la mort n’est pas un instant « t » mais un départ que la symbolique antique a souvent
comparé à un voyage sur une barque – mais le moyen de transport importe précisément
peu –;
• durant le voyage, quelqu’un vient à la rencontre avec beaucoup de bienveillance – il
s’agit là d’un point central de l’enseignement de Jésus mais surtout crucial aujourd’hui.
1
Car si l’on sait que dans le train se rencontre un contrôleur plein de miséricorde, on a
compris « comment Dieu fait » pour offrir son salut à tout homme, en cohérence avec les
affirmations du Nouveau Testament, notamment ces paroles de Jésus lui-même :
« Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera
condamné » (Marc 16,16).
Le salut sur cette terre est lié au baptême, dit-il, mais la seconde partie de la phrase, qui
n’évoque plus le baptême, porte manifestement sur une dimension plus vaste que ce qui se
passe en ce bas monde. Et elle évoque un danger universel découlant d’un éventuel refus
de croire. De croire en qui, sinon en quelqu’un que l’on a pu rencontrer ? De nombreux
passages éclairent ce point, par exemple 1Pierre 4,6 1
.
Si l’on nie le passage et ce qui s’y passe…
Cependant, si l’on nie par principe qu’il y ait un train et que dans le train il y ait un
contrôleur auprès duquel un billet puisse être obtenu, on aboutit à une impasse
troublante : qu’advient-il de ceux qui ne l’ont pas déjà ? Ne faut-il pas considérer que
beaucoup d’entre eux auraient cru (et se seraient fait baptiser) durant leur vie s’ils avaient
rencontré l’Evangile (dont ils ont parfois été détournés par leur milieu) ? Ne méritent-ils pas
d’avoir un billet ?
Des théoriciens vont donc bâtir des systèmes expliquant qu’ils l’obtiennent avant leur
« dernier soupir ». En résumé, il faut imaginer que Dieu glisse dans la poche des braves
gens méritants le billet nécessaire pour leur ultime voyage, sans qu’ils s’en aperçoivent,
évidemment.
Comment ? La première idée qui vient à l’esprit, c’est que Dieu utilise en quelque sorte
le travail d’autres agences de voyage que de chretiens.com qui, elle, fournit le baptême.
Par exemple, l’agence mekka.sa : elle envoie le pèlerin musulman à La Mecque et lui
garantit que s’il y meurt – ce qui n’est pas rare –, il ira directement au Ciel. Cela simplifie
les choses. Dieu endosse certainement les billets délivrés par une telle agence qui prévoit
tout.
On imagine aussi que l’agence bouddha.np en fournit, et ils sentent le patchouli ; un tel
souci des acheteurs d’assurer leur Au-delà le leur vaut assurément. Mormons.us prétend
que ses billets valent mieux que ceux de chretiens.com ; comme Dieu est « si bon », Il
entérine également.
Certes, on doit envisager aussi le cas de gens méritants qui ne croient pas en l’Au-delà
et qui ne s’adressent donc à aucune de ces agences. On dira donc que, pour eux, un billet
de voyage pour n’importe quelle destination fera l’affaire, en particulier ceux que leur
délivre humanistes-associes.fr. De toute façon, auprès de hongkong.cn, on trouvera des
imitations parfaites. Sans doute Dieu détectera la fraude mais Il fermera les yeux.
Ainsi, l’impasse est surmontée – grâce à un jeu de suppositions qui fonctionnent à
rebours. Le théoricien peut afficher son contentement.
Sauf que ces spéculations séduisantes soulèvent d’innombrables difficultés, dont cellesci
: à quel moment et en vertu de quoi les « méritants » reçoivent-ils subrepticement leur
billet pour le Ciel ? N’étaient-ils pas méritants auparavant déjà, et peut-être depuis leur
enfance ? Ou même depuis leur conception ? D’aucuns l’ont dit. Dans ce cas, le baptême ne
sert plus à rien sinon de prétexte à une petite fête familiale vernissée de quelques pensées
chrétiennes.
Au regard de la Révélation, cette simple question se pose : est-il envisageable de
recevoir un billet pour le Ciel en dehors d’un discernement-jugement dans lequel on est
partie prenante (ou dans lequel les parents sont partie prenante pour l’enfant, vu que celuici
tend à adhérer spontanément à ce que ses parents croient juste) ? N’est-ce pas
justement le sens de la vie terrestre que de préparer ce discernement, voire même de le
préfigurer déjà et réellement (dans le cas des « sacrements » qui le réalisent dans les
chrétiens) ?
1
“Pour cela en effet, la Bonne Nouvelle a été annoncée même aux morts, afin que, jugés selon les
hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l’Esprit” (1P 4,6) ; “En l’Esprit, il est allé même
prêcher aux esprits en prison” (1P 3,19).
2
Une rencontre de Lumière et de Jugement
Au théoricien Nicodème qui ne niait rien mais voulait savoir, Jésus avait donné déjà les
réponses nécessaires :
“Et le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont
préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet
celui qui commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que
ses œuvres ne soient réprouvées. Par contre, celui qui fait la vérité vient à la lumière
pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu” (Jean
3,19-21).
Tout est dit.
L’image de la lumière est simple et fondamentale. Jésus a employé également d’autres
images, en particulier celle de la porte (ou portail, comme on dirait aujourd’hui) 2
. Cette
image a été si parlante en Orient qu’elle a été détournée au profit du Sultan d’Istanbul,
qualifié de « al-Bab », « la [sublime] Porte ». À l’inverse, dans un Occident qui s’est
enfermé dans des jeux de concepts sous prétexte de rationalité, elle a été jugée trop
concrète et oubliée.
Pour parler de ce qui n’appartient pas à notre monde matériel, les images sont pourtant
bien plus adéquates que des concepts ; elles sont même analysables rationnellement, en
particulier celles des récits produits par ceux qui disent avoir fait une expériences aux
frontières de la mort, comme on les a appelées (NDE en anglais).
Deux chercheurs nordiques, Isis et Haraldsson, ont consacré plusieurs années de leur vie
à des études statistiques relatives à ces récits. Ils ont montré qu’ils défient toute
explication matérialiste (supposant par exemple des effets analogues à ceux de drogues) et
présentent des convergences indéniables ; mais l’intelligibilité statistique va plus loin : elle
permet d’expliquer même les divergences 3
. Leur long travail reste inégalé à ce jour,
quoique beaucoup d’autres études aient suivi en apportant souvent des données
complémentaires 4
.
Si l’on reprend l’image du train de l’Au-delà, on peut dire que certains y sont montés
mais ont ensuite sauté en marche avant qu’il n’ait quitté la zone de la gare. Parfois, ils ont
eu le temps d’apercevoir, venant à leur rencontre, non pas un contrôleur à casquette mais
quelqu’un revêtu de lumière et de paix. Jésus lui-même a passé la mort, ce qu’on appelle
sa descente aux enfers ; pour les chrétiens, cette descente a radicalement changé le
mystère de la mort.
Les discours chrétiens et en particulier ceux de la catéchèse ne peuvent plus continuer à
nier ce que l’on sait et croit sur l’au-delà, au risque notamment de ne plus pouvoir dire
comment Dieu offre son salut à tous (libre à chacun d’accepter ou non ce salut). La foi
meurt en Occident de n’être plus annoncée de manière cohérente.
.
P. Edouard-M. Gallez
2 Voir en particulier les n° 634-635 du Catéchisme de l’Eglise Catholique, consultable sur le web. Ce
texte a oublié les passages où il est question d’une porte, par exemple : “Je suis la porte des brebis...
si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé” (Jn 10,7.10), ce qui est explicité ici : “Je suis le Chemin, la
Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi” (Jn 14,6).
3 Osis Karlis & Haraldsson Erlendur, Ce qu’ils ont vu... au seuil de la mort, Paris, France-Loisirs, 1983.
La préface, introduite dans les éditions postérieures, d’Elisabeth Kübler-Ross dévalue quelque peu la
dimension rigoureusement scientifique du travail de fiches et d’analyse réalisé durant plusieurs
années auprès des malades ayant vécu une NDE dans un hôpital américain puis dans un hôpital
indien.
4
Parmi celles-ci, l’étude faite dans le cadre de l’Université de Southampton sort du lot :
www.southampton.ac.uk/news/2014/10/07-worlds-largest-near-death-experiencesstudy.page#.VDfxFBbRvhJ.
Il faut signaler aussi la synthèse remarquable qu’a réalisée ce reportage
suisse : www.dailymotion.com/video/x19ckhh_d-un-monde-a-l-autre-la-vie-apres-la-mort-ndeemi_tech
; sur des points mineurs, notamment sur les expériences dites « négatives », il apporte
même des éclairages complémentaires.
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Arnaud