Plus encore que Xavier Giannoli, Cédric Kahn est étranger à la foi. Il se dit agnostique et aucun de ses films précédents n’avait témoigné de préoccupations religieuses. Dans la Prière, ce qui l’a intéressé, c’est sans doute avant tout le contraste, découvert dans des communautés chrétiennes réelles qui viennent en aide à des toxicomanes, entre l’univers de la drogue et celui de la foi. « La drogue, déclare-t-il à l’hebdomadaire la Vie, c’est presque la définition de la non-croyance. La drogue, c’est une non-foi en la vie, un non-projet. En revanche, la foi, c’est aller vers le plein. »
D’une justesse merveilleuse, refusant tout effet scénaristique facile, sans acteurs connus (sauf Hanna Schygulla, qui joue la fondatrice de la communauté dans une scène dérangeante où l’on peut se demander si elle n’a pas succombé à la tentation de la “gouroutisation”), la Prière décrit avec une simplicité évangélique un itinéraire, celui du jeune Thomas (Anthony Bajon, dont l’apparence un peu fruste cache un acteur d’une sensibilité merveilleuse), qui débarque, comme on abat sa dernière carte dans une partie dont l’enjeu est la vie ou la mort, dans une communauté chrétienne perdue dans la montagne. Les règles y sont simples : sevrage absolu, compagnonnage permanent d’un aîné plus avancé dans le processus de désintoxication, travail physique et, surtout, prière constante, qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas.
Thomas n’y croit pas et, lorsqu’il arrive, il n’est qu’un bloc de révolte et de souffrance, qui ne peut être qu’horripilé par ce qu’il voit comme des enfantillages. Mais l’envie de s’en sortir est la plus forte, Thomas s’accroche ; il commence par percevoir l’effet apaisant de la prière puis, peu à peu, le sens des paroles l’imprègne, jusqu’à comprendre que l’ailleurs radical qu’il cherchait faussement dans la drogue, c’est dans la prière qu’il peut l’atteindre. Dès lors, les psaumes qu’il connaît désormais par coeur ne sont plus seulement une nouvelle drogue, tranquillisante : ils deviennent une protection, un ami intime dont une épreuve va lui permettre de mesurer qu’il tient ses promesses : « Seigneur, que mes persécutions sont nombreuses ! Plusieurs s’élèvent contre moi ! […] Mais toi, Seigneur, tu es un bouclier pour moi, tu es ma gloire et tu me relèves la tête. » (Psaume 3).
Le rendez-vous de la faiblesse et de la grâce
Il y a quelque chose de miraculeux dans la manière dont Cédric Kahn a réussi à capter cet itinéraire sans jamais tomber dans le pathos ou la mièvrerie, gardant la bonne distance qui laisse le spectateur, seul, juger de l’expérience qu’il observe, l’accepter ou la rejeter. Sans que cette émotion soit sollicitée par des effets de mise en scène racoleurs, il est difficile en tout cas de ne pas se laisser émouvoir jusqu’aux larmes par le chemin parcouru par Thomas, par ses douleurs, ses épreuves, sa ténacité, par la façon dont il passe de la noirceur de la révolte à la lumière de la confiance retrouvée. En captant la façon dont la faiblesse, dans la prière d’abandon qui lui sert de refuge, a rendez-vous avec la grâce qui protège et qui sauve, Cédric Kahn a réalisé, peut-être à son propre insu, un grand film mystique.
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