Migrants. De retour de Calais, elle témoigne- Spoiler:
« Fraternité ! ». C'était le mot d'ordre de cette matinée d'informations et d'échanges à laquelle a participé, samedi, à Douarnenez, Laëtitia Gaudin, journaliste indépendante, originaire de Plouguerneau (29).
L'exil est un sujet sur lequel travaille, avec pugnacité, la jeune journaliste finistérienne Laëtitia Gaudin.
De retour de Calais, elle était invitée à témoigner samedi à Douarnenez (29). Édifiant.
Quelles ont été vos premières impressions ?J'ai fait pas mal de récits d'exil. Mais en arrivant dans ce que l'on appelle la « jungle » de Calais, j'ai pris une grosse claque. J'y suis allée une première fois, en juillet dernier. Ils étaient déjà 2.000. Mais, contrairement à ce que j'ai vu dans les camps de réfugiés kurdes d'Irak, par exemple, là, il n'y avait pas de structures d'accueil, pas de tentes, pas de sanitaires, pas d'associations type Croix-Rouge. J'étais à Calais, j'étais en France et il n'y avait rien. Juste des bénévoles vieillissants et à bout de forces. Forcément, il y a la boue, la saleté, les ordures. Et forcément, on a l'impression d'avoir en face de nous des miséreux. La plupart n'ont plus de chaussures, sont en claquettes. Parce que la jungle, elle est à douze kilomètres du centre-ville de Calais. Ils font donc 24 kilomètres par jour, à pied. On se demande combien ils en ont fait pour arriver là et combien sont-ils prêts à en faire encore ? Alors, forcément, le bien le plus précieux dans la jungle, ce sont les chaussures. Je me suis jurée que si j'y retournais, j'en apporterais.
Vous y étiez cet été. Vous y êtes retournée en octobre...Oui. Avant de partir, j'ai fait appel à la générosité autour de moi. J'ai amassé 200 paires de chaussures que j'ai apportées dans mon fourgon, ainsi que des vêtements de pluie, l'hiver arrivant. Moins de trois mois après ma première venue, ils sont passés de 2.000 à 6.000, toujours dans les mêmes conditions. Sur place, j'ai parlé avec des gens de Médecins du Monde qui m'ont assuré n'avoir jamais vu ça. Encore une fois, on est en France... Et ce ne sont pas des miséreux. Ce sont des gens de la classe moyenne dans leur pays. J'ai parlé avec des architectes, des ingénieurs... Ils parlent un anglais parfait, bien meilleur que le nôtre. Ils ont une vraie réflexion sur ce qui se passe en Syrie où ils avaient une vraie vie, économique et culturelle. La majorité d'entre eux est bien plus cultivée que ceux qui les jugent. C'est un peuple qui réfléchit. On ne quitte jamais son pays par choix.
Qu'est-ce qui vous a le plus frappée ?C'est incroyable mais, avec trois fois plus d'habitants que quand j'étais venue, en juillet, la vie s'est organisée. Il y a des rues, des commerces, deux ou trois écoles, une mosquée. Il y a même une discothèque. Et les CRS qui patrouillent avec des bottes, pour ne pas répandre la gale, qui sévit dans le camp. Et il y a ce que j'appelle « la machine de guerre » que sont les Anglais. Leur culture de la charité est très différente de la nôtre. Ils sont incroyables. Ils arrivent là en bandes avec un fourgon ou une caravane et s'installent dans le camp, plein d'enthousiasme et de gaieté, alors que les autorités le déconseillent. Je me suis dit que nous, Français, nous sommes bien frileux...
Comment voyez-vous l'avenir de ce camp ?Je projette d'y retourner en février et j'ai peur que cela ne se soit guère amélioré. Comment être optimiste ? Alors que notre pays peut accueillir 50.000 réfugiés sans difficultés, il n'y a pas d'acte pour Calais, pas de parole politique. Là, on laisse la place à la haine. Il y a une page sur Facebook qui s'appelle « Sauvons Calais », suivie par 12.000 personnes. Sur cette page, j'ai lu récemment : « Il n'y a qu'à les remettre sur les bateaux et les laisser couler ». Voilà où on en est.
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