Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
DOCTEUR ANGÉLIQUE FORUM CATHOLIQUE
Théologie Spirituelle Catholique Pour déposer une intention de prière : Agapé ATTENTION : Les publicités ci-dessous sont indépendantes de notre volonté !
Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident.
5 participants
Auteur
Message
Invité Invité
Sujet: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 19/8/2010, 20:20
Vladimir Soloviev.
Le penseur.
Soloviev est en milieu orthodoxe l'ambassadeur du dialogue œcuménique. Il juge que le Raskol est une plaie de l'Église russe et réfléchit à réconcilier les vieux-croyants avec l'Église russe. Il espère un temps en un concile, puis pense que l'Église orthodoxe russe ne peut résoudre ce problème.
L'assassinat du tsar Alexandre II en 1881 est une profonde remise en cause de l'idée qu'il se fait de la Russie. À partir de cette époque, il voit en Rome l'unique moyen de faire revivre l'Eglise orthodoxe. Pour lui, la scission orient/occident préfigure le Raskol. Il pense que la chrétienté a besoin de centralisation et d'un chef pour accomplir sa mission : la réalisation sur terre du royaume de Dieu. Il oppose l'Orient, avec ses aspirations contemplatives vers le divin, à l'Occident et à ses tendances actives et pratiques vers l'humain. La charité manque pour faire l'union, mais il n'y a que cette union qui permettrait de reconstituer la divino-humanité, l'Église universelle. Rome en serait le centre. La mission de la Russie serait de faire cette union. Ne veut pas latiniser l'Orient : chacune des deux Églises est déjà profondément l'Église universelle, pour Soloviev la scission n'est qu'apparente et causée par un manque de charité. Il pense y associer plus tard le protestantisme, avec son principe de liberté, capital car l'Église « achevée » serait la « théocratie libre »6. Vladimir Soloviev théorise toutes ces idées dans Le grand Débat et la politique chrétienne, en 1883.
Soloviev est parfois comparé à son contemporain, le cardinal John Henry Newman. Ils ont les mêmes préjugés contre le papisme au départ, le même ostracisme, la même volonté de faire la volonté divine, le même goût pour les Pères de l'Église (notamment Saint Augustin), pour l'histoire ecclésiastique, la philosophie des évolutions religieuses, l'ascension de la connaissance humaine jusqu'à Dieu, les devoirs quotidiens de la piété7. Il rencontre l'évêque catholique Strossmayer à Đakovo, mais son retour en Russie est sous le signe du découragement, car les critiques lui viennent aussi bien du côté orthodoxe que du côté catholique. En 1891, l'Église orthodoxe lui refuse les sacrements. Il meurt en 1900 assisté par un prêtre orthodoxe, le père Serge Beliaev, dans le domaine des Troubetzkoy.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Soloviev
Invité Invité
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 19/8/2010, 20:37
Devenu Catholique sans abandonner son église mère Orthodoxe.
Des catholiques russes s’offraient à solliciter pour lui et à lui faire obtenir la permission de vivre secrètement en catholique. Mais il n’avait nul besoin du secret ; et il n’en voulait pas : le catholicisme, il le professait tout haut, bravant les préjugés de la foule et l’hostilité de l’administration.
Quant à rompre avec son Église russe, il s’y refusait en raison des trois motifs suivants. Il aimait cette Église où il était né. Il ne voulait pas la renier ; il ne voulait pas embrasser le rite latin. – Ensuite, il pensait fermement que, pour agir sur elle, pour la tourner vers Rome, il devait continuer d’appartenir à elle. Séparé du public, des amis et des adversaires auxquels il s’adressait, il prévoyait qu’il perdrait aussitôt son influence. Loin d’eux, disait-il, on ne l’écouterait plus que d’une oreille distraite et avec une défiance qui rendrait inutile son continuel effort. – Enfin, comme je l’ai indiqué et comme lui-même le déclarait dans ses livres et dans ses discours, il affirmait que l’Église romaine et l’Église gréco-russe étaient en communauté de foi et qu’entre ces deux Églises il n’y avait pas eu de rupture complète et véritable.
http://www.biblisem.net/etudes/tavernvs.htm
Vladimir Sooviev décrit l'avénement de l'Antichrist dans son dernier livre : "court récit sur l'Antichrist".
Ce récit d'une quarataine de pages décrit, entre autre, l'avènement de l'Antichrist, ascète et philantrope qui s'impose comme nouvel Empereur romain de l'Eruope unie, s'adjoint un pontife, Appolonius, évêque catholique in partibus infedelium, grand Magicien, et entreprend de contrôler les Eglises en organisant un Concile à Jérusalem. Il se heurte à une faible minorité de chrétiens authentiques rassemblée autour de Pierre, le pontife romain, de Jean le moine orthodoxe et de Pauli, professeur luthérien de Tubinge, symbolisant à eux trois le petit reste des vrais disciples du Christ tandis que le grand nombre apostasie. Les Juifs revenus en Israël, commencent par voir dans l'Antichrist le messie tant attendu, mais bientôt désillusionnés, ils le combattent et constituent une armée sur le Mont du Temple, qui s'apprête à affronter celle que l'Antichrist a rassemblée en Syrie avec les païens de toutes les nations. A ce moment là un gigantesque tremblement de terre sous la Mer Morte engloutit l'armée de l'Anrichrist et les juifs implorent le Dieu d'Israël lorsque le Ciel s'ouvre et le Christ apparaît dans sa gloire.
Ce que Soloviev sait, c’est qu’il se prendra pour le vrai Christ, proposera un autre salut : séducteur aux flatteuses illusions, il « n’aimera que lui-même » au point de « se préférer à Dieu, inconsciemment et involontairement ». Tout lui réussira merveilleusement : devenu le maître du monde, il réalisera son évangile en donnant à tous « l’égalité du rassasiement général », la paix, la liberté, la culture dans le respect de toutes les valeurs spirituelles. Sous son règne, les hommes apprendront à s’aimer, s’admirer, s’idolâtrer eux-mêmes, non comme serviteurs et vivantes icônes du Christ, mais à la place de Dieu, dans l’oubli du Seigneur.
« Il faut défendre le catholicisme des fausses accusations portées contre lui... Prônant la réconciliation avec le catholicisme, par là même, je présuppose que le catholicisme, en principe, n'est pas erroné car on ne peut se réconcilier avec l'erreur. » Que voilà un vrai œcuménisme ! La vie de Soloviev, écrit notre Père, « fut une ascension continue vers la vérité ».
À l'accusation de “ papisme ” portée contre lui, Soloviev répondait en mars 1883 par une admirable profession de foi, déjà catholique :
« Il me semble que vous considérez seulement le “ papisme ” quand je regarde avant tout la grande, la sainte, l'éternelle Rome, partie fondamentale et intégrante de l'Église universelle. Je crois en cette Rome, je m'incline devant elle, je l'aime de tout mon cœur, et de toutes les forces de mon âme je désire sa réhabilitation pour l'unité et l'intégralité de l'Église universelle. Et que je sois maudit comme un parricide si jamais je profère une parole de condamnation contre la Sainte Église de Rome. »
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 20/8/2010, 23:55
Citation :
Ne veut pas latiniser l'Orient : chacune des deux Églises est déjà profondément l'Église universelle...
Le pape Léon XIII a mis fin à la latinisation des Églises Orientale . Et comme disait le pape Benoit XV :"Parce que l'Église de Jésus Christ n'est ni latine , ni grecque , ni slave . Elle est catholique , elle ne fait pas de difference entre ses fils ".
Jacques.
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 14/3/2016, 20:01
Juste avant la Révolution Russe de 1917…
L'Église de la Résurrection est un édifice orthodoxe de la ville de Kostroma sur les bords de la Volga, en Russie. Le premier édifice date du XIIIe siècle, mais c’est au XVIIe siècle que, selon la Tradition, une grande église fut réalisée sur la demande d'un riche marchand qui avait commandé en Angleterre dix tonneaux de teinture et qui, à la place, reçut des tonneaux d'or.
Il considéra cet or non gagné honnêtement comme un cadeau maléfique donné par le démon et décida de le consacrer à la construction d'une magnifique cathédrale qui abrite le vestige le plus précieux de la ville : une icône byzantine appelée Notre Dame de Saint-Théodore, ou encore Notre Dame de Kostroma.
On raconte que juste avant les évènements révolutionnaires de 1917 en Russie, l'icône noircit à tel point que l'image était devenue pratiquement invisible. Ce fut interprété comme un mauvais présage pour la dynastie des Romanov.
A part les monastères, la plupart des églises de la ville ont été transformées ou démolies pendant l'ère soviétique. La seule église à avoir survécu est l’église de la Résurrection abritant cette icône de Notre Dame de Kostroma.
_________________ Si vis pacem, para bellum Mon stage chez TSAHAL : ICI Gnôsis le documentaire : ICI À la recherche du Pyramidion perdu : ICI Le Delta lumineux des francs-maçons : ICI Symbolisme de la Pyramide :ICI
Le Grand Sceau des États-Unis d'Amérique et la Pyramide:
***
Bulletin historique et archéologique
***
Ray
Messages : 7250 Inscription : 13/11/2011
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 12/4/2016, 00:00
Daria Douguine, (fille d'Alexandre Douguine) ce qu'elle dit est intéressant !
C'est vous qui avez monté la vidéo cher Pignon ?
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 12/4/2016, 00:15
Celle-ci non, ni filmé ni monté, pour la plupart des autres c'est bien moi. Pour des raisons diverses je m'en occupe bcp moins, je poste juste des petites vidéos sur le "channel 2" .
_________________ Si vis pacem, para bellum Mon stage chez TSAHAL : ICI Gnôsis le documentaire : ICI À la recherche du Pyramidion perdu : ICI Le Delta lumineux des francs-maçons : ICI Symbolisme de la Pyramide :ICI
Le Grand Sceau des États-Unis d'Amérique et la Pyramide:
***
Bulletin historique et archéologique
***
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 8/9/2016, 02:57
La vision de la fin des temps de Soloviev
Le Court récit sur l’Antéchrist, que Soloviev attribue à un moine, Pansophius, commence par décrire l’avenir actuel du monde (68). Les nations, unanimes à vouloir le bien des hommes, s’unifient. En réalité, c’est une imposture, car nous assistons à l’irrésistible ascension de l’impérialisme mondial (69). L’empereur va être intronisé car il veut accomplir pour lui-même ce que Jésus avait refusé à Satan, à savoir, diriger tous les hommes, à la fois dans leurs âmes et dans leurs corps. Il réalise le rêve du Grand inquisiteur de Dostoïevski, qui avait d’ailleurs, au nom du bien de l’humanité, reproché au Christ de n’avoir pas obéi à la suggestion du Démon. Pour que le mensonge soit bien clair, le nouvel empereur se fait couronner non plus à Rome, mais à Jérusalem. Les Eglises chrétiennes ne sont pas en reste. Elles se rassemblent dans un grand Concile réuni par l’Empereur, le 14 septembre, jour de l’exaltation de la Sainte Croix découverte par Hélène, la mère de Constantin. En masse, les chrétiens se rallient à l’œcuménisme trompeur qui apporte son appui et met son sceau à l’esprit du temps (70). Mais les vrais chrétiens s’enfuient au désert et assistent à l’apparition de la Femme revêtue de soleil, le jour de la Sainte Sophie (71). Puis ils quittent la Ville profanée pour le mont Sinaï, lieu du don de la Loi. Ceci est le premier rappel, par Soloviev, de la permanence de l’économie de la première Alliance dans le temps de la fin.
Cet Empereur qui gouverne si bien le monde et l’inspire en secret, n’est ni juif, comme quelques-uns l’ont parfois suggéré, ni franc-maçon, mais bel et bien chrétien. Ce n’est pas un habile politicien, ni un économiste éprouvé, encore qu’il soit déjà tout cela, mais "un homme remarquable", un des derniers croyants, un "spiritualiste convaincu". Il a l’âge du Christ. Il n’a d’ailleurs aucune haine pour Jésus, en qui il salue son prédécesseur. Il n’éprouve aucune haine à se déclarer son disciple et à proclamer qu’il l’aime. Mais il apporte quelque chose de plus, qui manquait à Jésus lui-même : il peut expliquer le sens de sa venue et il vient accomplir son œuvre. Il est un excellent écrivain et il a lu les meilleurs auteurs, ceux qui méritent d’être retenus, Comte, Hegel, Renan, Spencer. Il a d’ailleurs tout lu. Il est parvenu à la gnose intégrale. Il apporte la lumière au monde et fait l’unanimité. Son livre majeur est un best-seller, traduit dans toutes les langues, célébré par tous les médias, couvert de tous les prix. Jésus n’apportait que le glaive ; il apporte la paix. Il réussit, alors que Jésus a échoué. D’ailleurs le nom de Christ a disparu de cet ouvrage, avec lequel Jésus n’a plus rien à voir. A quoi bon d’ailleurs le citer, puisque maintenant le sens dernier du monde est délivré ?
La Vierge aussi est oubliée. Elle vivait sous le voile : quelle place pourrait-on lui garder ? Il est vrai que le nouvel Empereur serait, comme déjà Constantin, le fils d’une prostituée. Plutôt que l’héritage d’Abraham, c’est celui de Néron qu’il a recueilli. A la vie cachée il préfère la vie du cirque, les batailles et la bonne chère. Il offre aux hommes la fécondité, l’égalité, la satiété générales. Même les animaux doivent bénéficier de son règne car il est lui-même devenu végétarien et a interdit la vivisection. Le bien-être permet d’empêcher toute cruauté.
La question politique et sociale étant réglée, il reste encore le plus difficile : conduire les hommes à l’unification religieuse. Mais cette dernière est, depuis un siècle ou deux, dans l’air, et, au Concile, l’Empereur sans nom sort de sa manche un mage au nom prestigieux : Apollonius - sorte de devin suprême, thaumaturge grec redivivus, contradiction vivante de l’humble Jean qui baptisait dans l’eau. Apollonius, lui, déclare être capable de faire descendre le feu du ciel. Commence alors un débat conciliaire très sérieux sur les signes de la venue du Christ et le type d’exégèse qui permettra de le reconnaître lors de son retour. L’Empereur peut jouer le rôle dont il se déclare investi pour le bien de l’Eglise. Il appelle d’abord sur le Concile la bénédiction de l’Etre suprême, dont il semble avoir perdu le nom. Il soutient chacune des Eglises dans ce qu’elle présente de meilleur. Il offre au pape de Rome, qui a perdu son siège, de le retrouver avec les privilèges antiques disparus qui lui avaient été consentis par Constantin. Il annonce aux protestants la création d’un Institut biblique qui pourra bénéficier de l’apport de toutes les disciplines auxiliaires et pourra bâtir, librement et de façon apodictique, la science des religions comparées. Il confiera aux orthodoxes la garde d’un grand musée de l’archéologie chrétienne. La religion de l’avenir sera donc heureuse et unanime.
C’est alors que le starets Jean murmure un verset oublié des Ecritures : "C’est l’Antéchrist". Le pape Pierre fulmine alors l’interdit pontifical : "Contradicitur", et le professeur Pauli prononce son Non possumus. Ce réveil des consciences éclate comme le son du shofar. Mais l’Empereur, fort de ses certitudesn se doit d’éteindre de tels scrupules, qui ramèneraient dangereusement des contestations sur la terre. Aussi, en pleine Jérusalem, il déclare être lui-même la seule incarnation de Dieu, plénière et définitive. Alors soudain, surgissent les juifs, fidèles à leur foi, rassemblés dans la Ville sainte et ils s’aperçoivent que le Messie, auquel les chefs de toutes les institutions juives dans le monde s’étaient ralliés car il semblait un véritable Israélite bien digne de représenter le Klal Israel selon le daat ha-qahal, n’est même pas circoncis ! Ils se soulèvent, et ce sursaut est le dernier rempart contre l’idolâtrie suprême, à laquelle les foules étaient à deux doigts de céder...
*
* *
Le récit du moine Pansophius s’arrête là. Il nous reste encore le temps voulu pour tirer la philosophie de ce récit et celle de l’histoire, car l’histoire du monde n’est pas terminée. Le lecteur, qui est familiarisé avec l’œuvre de Pansophius, est toutefois en mesure d’annoncer les événements encore à venir. Les chrétiens découvriront que les juifs ne vivaient pas, comme ils le disaient et le croyaient, des richesses de Mammon, et que les juifs avaient gardé jusqu’au bout leur identité et leur foi messianique. Les juifs comprendront aussi que les vrais disciples du juif Jésus sont ceux qui savent rejeter l’idolâtrie. Rien n’irritera autant l’Empereur que cet accord entre juifs et chrétiens, le plus imprévisible, le plus dérangeant qui soit. L’Empereur condamnera à mort tous les purs, les insoumis, qu’ils soient juifs ou chrétiens. Ebranlé, il s’enfuira de Jérusalem. Il se réfugiera vers le Nord. Il se retrouvera alors face aux juifs et le monde se mettra à trembler. Un volcan jaillira sous la mer Morte, l’Empereur Antéchrist s’évanouira et tombera à terre avec son mage. Les juifs pourront invoquer à Jérusalem le Dieu d’Israël et Jésus viendra alors vers eux, en robe royale, leur montrant comme à Thomas ses mains transpercées. Les juifs revenus et les chrétiens fidèles, enfin réconciliés, vivront alors pour Mille ans dans l’attente de la dernière résurrection promise à tous les hommes (72).
Le caractère exceptionnel du Court récit sur l’Antéchrist vient de ce que Soloviev a tenté d’y faire se rejoindre l’eschatologie juive et l’eschatologie chrétienne. Ce n’est pas l’effet d’un simple retour aux sources, ni d’une redécouverte de l’apocalyptique ancienne, car il a tenté de faire justice à chaque partie et d’honorer les prétentions messianiques de chacune des deux parties.
Sans doute, dira-t-on, le chrétien a ici la partie belle, puisque les juifs finissent par reconnaître en Jésus leur Messie. C’est l’eschatologie juive qui est résorbée dans l’eschatologie chrétienne. Mais on doit remarquer que les juifs sont crédités, et cette fois au détriment des chrétiens, d’une triple fidélité collective :
- ce sont eux, et non les chrétiens qui dénoncent l’idolâtrie qui a pénétré le monde et même le corps du christianisme ;
- ce sont eux, et non les chrétiens qui, en se soulevant en corps constitué, réalisent le revirement de la fin, qui provoque le retour du Christ ;
- ce sont eux, les premiers, vers qui vient Jésus, le fils de leur peuple, et c’est même ce qui explique qu’ils le reconnaissent et qu’ils viennent à lui (73).
Quant aux chrétiens fidèles, où sont-ils donc alors ? Ils ont eu la présence d’esprit de retourner au Sinaï, indice, pour Soloviev, que la conscience morale, perdue par les masses, a été gardée par eux jusqu’à la fin.
Remarquons aussi cette différence fondamentale : chez les juifs, c’est le peuple qui se tourne vers Jésus, et rien n’est dit de leurs chefs qui l’avaient entraîné à suivre le Prince de ce monde. Et chez les chrétiens, les masses se sont finalement égarées : seules les élites, un petit reste, se sont montrées prêtes pour le retour du Christ. Elles ramèneront les masses vers le Christ, qui les invitera alors à partager sa condition de Ressuscité.
Sans vouloir conclure, on remarquera que Soloviev nous laisse sur une sorte de non liquet. Son récit a fait fuir le loyal général russe et laissé la dame du salon pantoise. En effet, la vérité est bien celle du christianisme : le Christ reviendra pour accomplir son œuvre et il sera reconnu comme le Messie d’Israël. Mais ce sont les juifs qui seront les premiers à le reconnaître. Le débat historique entre les juifs et les chrétiens doit rester non résolu, mais la manifestation ultime tranchera. Jésus sera enfin reconnu comme le Fils de Dieu. A l’instant final, personne ne doit plus se renier, car tous apercevront alors cruellement la vérité. Les juifs comprendront enfin qu’ils vivaient ce qu’ils ne pouvaient croire, et les chrétiens qu’ils ne faisaient que croire ce qu’ils se montraient bien loin de vivre. En nous livrant cela, Soloviev, avant de mourir, nous a légué une source de méditations infinies.
Bernard Dupuy
_________________ Si vis pacem, para bellum Mon stage chez TSAHAL : ICI Gnôsis le documentaire : ICI À la recherche du Pyramidion perdu : ICI Le Delta lumineux des francs-maçons : ICI Symbolisme de la Pyramide :ICI
Le Grand Sceau des États-Unis d'Amérique et la Pyramide:
***
Bulletin historique et archéologique
***
boulo
Messages : 21085 Inscription : 25/12/2011
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 8/9/2016, 06:36
Un grand merci pour ces présentations de Soloviev !
_________________ Elargissement du Credo latin par Bardet en 1970 : Y H W H signe la Trinité , ne se prononce pas , se chante par l'Esprit , est UN MOUVEMENT , de toute éternité ( 24/05/2021 ) .
NB La couleur rouge est réservée à la modération .
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 8/9/2016, 13:57
boulo a écrit:
Un grand merci pour ces présentations de Soloviev !
Conférence donnée au deuxième "Colloque Vladimir Soloviev", à Moscou, le 24 septembre 1992, Istina XXXVII (1992), pp. 253-283.
On a appelé parfois Vladimir Soloviev "l’Origène des temps modernes". On peut établir, en effet, entre Origène et Soloviev, de nombreux points de comparaison. Comme Origène, Soloviev fut aux prises avec l’esprit de son époque et a abordé les questions métaphysiques les plus profondes. Comme Origène, il a laissé des écrits intuitifs, inspirés, qui sont des essais plutôt que des traités théologiques et souvent des visions plutôt que des discours. Comme Origène, il a rencontré incompréhensions et contradictions. Comme lui, il fut fasciné par les idées du bien, du vrai et du beau et il dut s’employer à montrer la transcendance de la tradition biblique. Ses aperçus sont parfois fulgurants. Il a eu le regard tourné vers le temps qui vient, vers l’avenir, vers les réalités éternelles.
Soloviev a composé une œuvre pénétrante et variée qui rejoint les grandes questions de l’époque des Pères de l’Eglise et, comme nous le verrons dans les pages qui suivent, sa pensée fortement marquée par l’histoire et par l’eschatologie, se forma et se tint constamment, de même que celle d’Origène, en lien avec celle du judaïsme. Relue dans cette perspective, dans un contexte élargi et pas seulement étroitement confessionnel, la pensée de Soloviev garde de nos jours sa force de rupture et soulève des questions à peine entrevues en son temps (1). Il se pourrait qu’elle ait un jour une influence comparable à celle d’Origène dans l’antiquité.
*
* *
A la fin de sa brève existence, dans le Court récit sur l’Antéchrist, qui clôt les Trois Entretiens (2), Vladimir Soloviev a rédigé un texte inattendu, ayant pour effet de mettre en cause la vision chrétienne courante de l’histoire, les conceptions œcuméniques (3), et, en particulier, ses recherches antérieures sur la "théocratie" (4). Opérant un revirement total des idées en vigueur, il a mis ainsi le sceau à son œuvre personnelle par un ouvrage insolite, à la fois d’exégèse et de fiction, à la frontière de l’utopie et de l’apocalypse.
Cet essai, qui fut pour lui une façon d’exprimer un dernier jugement sur l’avenir du christianisme, se présente comme un testament, laissé inachevé et partiellement révélé, attribué à un certain moine Pansophius. La dernière partie de ce document nous demeure inconnue et serait enterrée avec son auteur à Moscou au monastère Danilovsky. Selon ce personnage énigmatique, qui dissimule dans son nom quelque trait de la personnalité de Soloviev lui-même, les événements qui se produiront à la fin des temps ne sont pas encore arrivés mais ils sont déjà là, et faciles à entrevoir, car ils sont déjà joués (5).
Soloviev s’est affronté toute sa vie au système spéculatif de l’Absolu proposé par l’idéalisme allemand comme système de pensée totalisant l’histoire. Dans le Court récit sur l’Antéchrist, la question fondamentale est toujours celle de l’Absolu, mais celle-ci surgit maintenant soudain dans l’horizon de la guerre, du mal et de la mort.
Car voici qu’en ce tournant du XXe siècle, toute la pensée abstraite, idéale et, somme toute heureuse du siècle précédent, que Soloviev n’avait cessé de fréquenter et de discuter, est récusée. Soloviev s’inscrit ainsi dans la haute trilogie des penseurs posthégéliens - Kierkegaard, Soloviev, Rosenzweig - qui ne se veulent plus des "maîtres", qui ont fait lever une méditation d’un autre type et perçu qu’il fallait pour cela revenir "au point de vue de la Révélation". Pour chacun de ces trois penseurs, le retour à la foi a connu un moment existentiel, signifié dans sa propre vie (6), et s’est revêtu d’une dimension philosophique : ils ont remis la transcendance au-dessus de l’absolu du Système. Mais, c’est chez Soloviev que cette décision de prendre à revers le Jugement de l’Histoire par un appel au Jugement divin a revêtu la forme la plus dramatique : le moment de l’Histoire est renvoyé délibérément à un moment autre, celui de la fin même de l’Histoire. Ici la philosophie occidentale comparaît devant le tribunal d’une eschatologie prophétique.
L’étonnant, dans le cas de Soloviev, c’est que ce revirement ne tombe pas de la bouche de quelque prophète moderne désincarné, mais d’un philosophe, qui n’a pas cessé un seul instant de s’efforcer de comprendre ce que cela signifie que de mentionner le Nom divin. Théologien, Soloviev le fut par vouloir de philosophe. Et la volte-face finale, l’appel au non-philosophique et le retour à la Révélation procède [je maintiens le singulier] de cette volonté même. Soloviev, comme Rosenzweig, avait commencé par vouloir être un penseur de l’histoire et de l’Etat et par se mettre à l’école de Hegel. Lecteur de Platon, il n’avait pas ignoré l’importance du problème politique et, fils du plus grand historien des théories de l’Etat en Russie, il avait longuement médité sur l’interférence du pouvoir dans l’histoire du droit et dans celle des dogmes chrétiens. Il ne fait pas partie de ces théologiens qui congédient la Phénoménologie de l’Esprit avant de l’avoir lue (7). Toute son œuvre a consisté à consisté à philosopher contre la logique du concept, mais en s’appuyant sur elle. Par là, sa philosophie comporte de nombreux points communs avec celle du "second Schelling".
La parenté de Soloviev avec les grands penseurs du XXe siècle est frappante. Son recours à l’eschatologie n’est pas anhistorique de la totalité, d’une subjectivité issue de la crise de l’identité ; il est l’effet en quelque sorte d’une implosion de la pensée. Son eschatologie devient l’horizon même de l’histoire.
Le rapport du chrétien au monde est chez Soloviev, mais résulte d’une lecture critique de l’histoire, d’un refus intensément eschatologique. C’est dire que sa pensée implique à la fois un jugement et une position renouvelée du christianisme. En rejetant la vision optimiste de la fin de l’histoire, Soloviev venait secouer l’atmosphère sereine de l’Europe du début de ce siècle. Il venait stigmatiser un monde bercé d’illusions et d’idéologies où les Eglises, liées à des Etats et solidement établies, apparaissaient tantôt comme inspiratrices, tantôt comme prisonnières.
Cette façon de placer le présent sous les feux des événements ultimes afin de mettre les questions actuelles les plus brûlantes sous le regard de la fin pouvait se réclamer de la lecture chrétienne antique. Déjà l’auteur de l’Apocalypse interpellait les Eglises d’Asie dans ses Lettres aux sept Eglises (Apoc 1-3) pour dénoncer leur assoupissement. Origène s’était appuyé sur l’annonce des "cataclysmes universels" du moyen-platonisme pour faire entrevoir la purification du monde par le feu cosmique, ce qu’il appelait l’apocatastase, étape nécessaire avant la fin des temps, qui verrait la restauration de toutes choses - et de l’Eglise - dans leur intégrité première. De même, Soloviev a su invoquer le ton nouveau - évoqué déjà par Kant - le ton supérieur (8), apocalyptique, de l’historiographie et de la philosophie de la fin du XIXe siècle, perceptible dans les universités et dans les Eglises, pour se tourner vers les événements encore attendus et à venir. Origène, plus cosmologique, à l’instar des platoniciens de son temps, avait invoqué le livre de la Genèse pour expliquer l’Apocalypse ; Soloviev, plus historique et plus prophétique, comme les moralistes modernes, a eu recours au Livre de Daniel pour éclairer la fin de l’histoire. Mais c’est comme Origène, sous l’exigence et dans la perspective d’une reductio ad integrum, entendue cette fois non comme une loi du monde mais comme une espérance, qu’il présente sa vision de la fin (9). Pour l’un comme pour l’autre, il faut que les forces du mal à l’œuvre dans l’histoire aient été rendues manifestes, aient épuisé leurs virtualités latentes et soient vaincues pour que le monde puisse être ramené enfin à l’intention première du Créateur. L’un comme l’autre ont su ainsi faire apparaître la figure du Christ inscrite sur la courbe du temps et présente à l’aube comme à l’horizon de l’histoire humaine. Nécessité de la référence cosmique pour une vision intégrale de l’histoire ? Telle est en effet la question qui leur est commune. On ne saurait trop souligner la permanence et la résurgence chez Soloviev de la grande vision initiale chrétienne du lien entre la foi et l’histoire.
*
* *
Dans la Préface qu’il a rédigée à la fin de sa vie pour les Trois Entretiens, Soloviev a expliqué comment l’idée de composer un récit d’anticipation s’était imposée à lui, non pas dans un désir de science-fiction provoquée par le choc du futur, ni comme un rêve utopique venu d’une fuite en avant par rapport au mouvement de l’histoire, mais comme la seule façon possible d’aborder la plus insoluble des questions auxquelles fait face l’homme moderne : la question de la réalité du mal. "A l’origine, écrit-il, j’avais rédigé ce texte sous la forme d’un entretien semblable à ceux qui précédaient et avec la même dose de badinage, mais une critique amicale me persuada qu’un tel moyen d’exposition, en l’occurrence, ne convenait pas" (10). C’est donc à la fois par rigueur philosophique et par lucidité théologique que Soloviev a composé cet essai qui, au premier abord, ne répond guère aux exigences habituelles de la philosophie ni de la théologie.
On sait que, depuis l’époque des Lumières, le problème du mal est devenu la pierre d’achoppement de toute théodicée et de toute éthique. Par l’insuffisance même de leurs réponses, la philosophie de Leibniz et l’idéalisme allemand ont révélé leur insurmontable étroitesse dans la façon de poser la question du mal, mais en même temps ils ont conduit à la conclusion qu’aucun discours cohérent ne peut en donner l’explication dernière ni le saisir réellement (11). Toute ébauche d’analyse du mal par la raison se révèle attentatoire à la bonté de Dieu qu’elle prétend expliquer. Les philosophes, en effet, ont toujours buté sur la souffrance de l’innocent. Le mal n’est pas une erreur de la création. Il est un scandale. La pensée russe du XIXe siècle, plus familière que d’autres avec l’irrationnel, a eu une perception vive de ce paradoxe. Tolstoï et Dostoïevski s’en sont fait l’écho de façon vibrante dans leur œuvre romanesque.
Comme on l’a parfois remarqué, les moralistes eux-mêmes parlent de tout sauf du mal ; ils ne voient pas le mal. La difficulté que tout législateur éprouve pour saisir où se cache la malice du mal oblige d’en appeler au-delà de la morale. Tout se passe en effet comme si le mal ne pouvait être perçu que par celui qui en est la victime. Car le mal est d’abord un malheur. Tout se passe comme si le mal révélait l’existence d’un pouvoir caché et pernicieux de porter atteinte à autrui. Le mal a pour origine une volonté pervertie. Celui qui fait le mal, comme le dit l’expression populaire, fait le malin. Tout se passe comme si le mal démontrait peu à peu sa puissance par son efficacité dans l’histoire. Le mal est mieux décrit sous la forme personnelle du Malin que sous la forme abstraite d’un principe. Et ce dernier semble préparer sa manifestation en puissance et en gloire dans le monde à titre de rival ou de grimace du Christ.
I
Le revirement de l’idéalisme
Dans la première partie de sa vie, qu’on a coutume d’appeler sa période "sophiologique", Soloviev n’avait cessé de lutter contre ce qu’il appelait les "principes abstraits". Son œuvre ultime peut donc apparaître comme l’aboutissement de sa critique de la philosophie idéaliste.
La Critique des principes abstraits est sous-tendue par la perception qu’il y a deux moments fondamentaux aux origines de la pensée : l’avènement des Idées, qui culmine dans l’œuvre de Platon, et la révélation de l’Exode, qui a trouvé son accomplissement dans la manifestation à Moïse du Nom divin. Entre ces deux moments, Soloviev établit un rapport étroit, au point de penser qu’il y a un lien entre le premier, l’émergence des Idées, et le second, l’événement de la révélation biblique de la personne divine.
Dans les Fondements spirituels de la vie, ouvrage qui clôt en quelque sorte cette première période, Soloviev a repris encore cette analyse et il souligne que le trait spécifique de la religion juive est que les Juifs croient en un Dieu personnel (12). Les prophètes ont annoncé, non pas un avenir utopique mais la venue du Messie personnel. Il ne s’agit pas ici d’une idée mais d’un événement historique. Mais Soloviev ajoute maintenant une considération non plus idéale et théorique, mais existentielle et historique. Pendant longtemps, écrit-il, le monde fut dominé par les idées grecques, qui paraissaient représenter la pointe avancée de la raison et de la religion, jusqu’au jour où celles-ci ont conduit à une crise universelle. C’est alors que le christianisme a fait son entrée dans l’histoire. Voici le texte capital :
Lorsque les idées et les principes dominants qui remplissaient le monde gréco-romain firent faillite, révélant précisément l’insuffisance des idées en général pour lutter contre le mal, alors l’incarnation de la vérité en une force vivante et personnelle fut réellement requise. Et lorsque la vérité extérieure, humaine, de l’Etat se fut concentrée en une seule personne vivante, dans un homme divinisé, le César romain, alors la Vérité divine, annoncée aux patriarches, aux rois et aux prophètes d’Israël, se manifesta en la personne du Dieu incarné, Jésus-Christ" (13).
L’eschatologie de l’être chez Schelling et Soloviev
Tout au long des essais qui jalonnent cette partie de son œuvre, Soloviev, dans une visée non seulement philosophique mais théologique, s’était engagé dans un débat avec ce que l’idéalisme allemand a appelé le "processus historique" (Weltprozess). "Selon une façon de voir connue, rappelle-t-il dans sa Préface aux Trois Entretiens, l’histoire universelle est le jugement universel de Dieu : die Weltgeschichte ist das Weltgericht" (14). Il y eut une époque, en effet, où cette thèse, hégélienne par excellence, qui emprunte à l’Evangile de Jean sa notion de Jugement (krisis), a pu paraître, même à certains chrétiens, comme la quintessence de l’histoire du christianisme. En réalité, cette thèse qui érige l’histoire du monde en clef du Jugement, est le plus grand détournement de l’eschatologie chrétienne jamais vu dans l’histoire.
C’est pour cette raison que Soloviev n’a cessé de critiquer l’idéalisme allemand. Il a toujours gardé toutefois un préjugé favorable à l’égard de Schelling (15). Peut-être accordait-il au philosophe de l’identité d’avoir, en face de Hegel, lutté contre les "principes abstraits" en vue de sauvegarder la spécificité et l’unicité de la révélation biblique. Il y a ainsi une parenté entre la philosophie de Schelling et la théologie de Soloviev. Tous deux entendent que la foi ne soit pas suspendue simplement à la lettre du dogme, mais soit rattachée à des données éthiques, historiales (16). Le christianisme, comme le judaïsme, ne peut s’expliquer par lui-même comme une vérité tombée du ciel. Il n’est pas entré dans l’histoire en un instant, sans coup férir. Dans son origine comme dans sa fin, il doit être mis en relation avec la destinée humaine, il donne son sens au temps et il est porteur d’une eschatologie (17). Soloviev avait lui-même, pendant un certain temps, cru avec intensité au progrès et il s’était attaché à élucider les formes du développement des idées sous l’influence du christianisme. Convaincu que, par delà sa prétention conceptuelle, l’idéalisme philosophique puisait son ressort profond dans des sources traditionnelles cachées, provenant de la Bible et de la pensée grecque (18), il avait cherché à découvrir ce qui s’annonce dans l’histoire du monde en tant qu’histoire voulue par Dieu. Il avait, après une phase d’athéisme, épousé l’idée que dans l’histoire humaine s’accomplit l’incarnation de la Sagesse divine, la manifestation de la Sophia (19).
Influencé successivement par le slavophilisme, par les théories étatiques russes dont son propre père, Serge Soloviev s‘était fait l’historien, et par les idées byzantines, il avait commencé d’élaborer dans divers écrits toute une philosophie de l’histoire chrétienne. Celle-ci, à vrai dire, nous paraît aujourd’hui assez déroutante et fort peu réaliste, mais elle était dans l’air du temps et correspondait à un besoin qu’avait l’orthodoxie de se penser elle-même. Soloviev a cru longtemps que l’Eglise avait pour fin d’instaurer sur terre une politique conforme au vouloir de Dieu, de conduire le monde à la "théocratie". Il a certainement pensé qu’il revenait à l’Eglise de faire coïncider le réel avec l’idéal. Ce n’est qu’avec le temps qu’il en vint peu à peu à comprendre de l’Eglise ne saurait être d’imposer au monde la perfection idéale d’un régime politique. Le Royaume de Dieu ne doit pas être imposé, mais annoncé. Soloviev percevra même que l’Eglise ne doit annoncer ni "l’évangile de la vérité" (comme Valentin), notion qui peut être l’objet de déviations gnostiques, ni même "l’évangjle de l’amour" (comme Tolstoï), qui peut être une source de captation d’autrui au nom de la charité et de comportements mensongers, mais "l’évangile du Royaume", qui est l’œuvre de Dieu lui-même et requiert le concours des hommes (20). Ce sera désormais l’un des mots-clefs de sa pensée.
Les falsifications du christianisme
Mais le Royaume de Dieu est toujours "aux mains des violents" (Mt 11, 12). Et le Christ n’a pas imposé le Royaume par la force (1 Tm 3, 3). Le Royaume, quand il viendra, fera irruption, entrera par effraction (Lc 19, 11 ; I Th 5, 2 ; Ap 3, 3 ; 16, 15). Et en attendant, il tarde (Ap 6, 10). Quelle est donc la cause du retard du Royaume ? Quel est "l’obstacle" qui empêche la venue du Christ ? (2 Th 2, 7. Telle est la question chrétienne par excellence. Elle a reçu dans l’histoire des réponses diverses. Selon les interprétations, l’obstacle serait l’Empire (romain), ordre établi légitime qui s’oppose aux dévastations venant du Malin, ou bien la prédication apostolique (qui empêche l’adversaire du Christ d’accomplir son œuvre, ou bien, à l’inverse, caché mais déjà à l’œuvre, l’Antéchrist qui contrarie l’action de l’Eglise. Pour Soloviev, dans un premier temps, l’imposture majeure qui retarde la venue du Royaume est l’intrusion ou infiltration du mal dans le domaine même du bien. Telle est la fraude, la fourberie, la perfidie suprême, ce qu’il a appelé la "falsification du bien", dimension que les apologètes des Eglises omettent le plus souvent de considérer (21). Dans une phase sombre de sa critique de l’Eglise, ce fut l’idée qui domina toutes ses réflexions.
Les trois principales "falsification du bien" correspondent pour Soloviev aux trois tentations auxquelles Satan a soumis le Christ et auxquelles le Christ a successivement résisté (22). L’humanité, c’est-à-dire l’Eglise, doit y être soumise à son tour, mais, selon Soloviev, dans l’ordre inverse du Christ. La dernière tentation du Christ et la première à laquelle a été soumise l’humanité, c’est celle qui a consisté à forcer autrui à faire le bien et à vouloir le faire entrer de force dans le Royaume. C’est pour l’Eglise, la tentation politique et ce serait la tentation à laquelle aurait cédé l’Eglise romaine en prenant à sa charge les structures du pouvoir impérial, en devenant "féodale" au lieu de demeurer "théologale". Il en a résulté en Occident le conflit du pouvoir spirituel et du pouvoir séculier et la querelle des investitures (23). La seconde tentation, l’orgueil de l’esprit, est celle qui provient d’une confiance en soi-même conduisant à la supériorité à l’égard de l’autre, "infidèle". Elle est cette déviation qui, au nom même de la foi, soit à l’objectivisme dogmatique (affirmation de l’adage "Hors de l’Eglise point de salut"), soit à la certitude subjective du "salut par la foi". Elle a mené au rationalisme tant philosophique que théologique qui a conduit à l’époque de la Renaissance et de la Réforme à la séparation des "deux règnes". De là sont nées les deux attitudes inverses du déisme areligieux et du fondamentalisme piétiste. Pour Soloviev, la seconde tentation serait surtout l’erreur du protestantisme (24). La troisième tentation est celle de l’empirisme et elle a conduit l’homme moderne à demander au progrès matériel de réaliser le paradis sur terre. Elle a abouti à la coupure entre le domaine de la foi et celui de la vie et aux deux idéaux mobilisateurs de l’époque moderne : le nationalisme et le socialisme. La vie est de plus en plus réglée par les lois de l’Etat laïc et la foi a dû se réfugier dans la vie privée. L’Eglise est réduite au culte et abandonne au pouvoir séculier la gestion du politique. A cette dernière tentation, toutes les confessions chrétiennes sont menacées de succomber. Telles sont, pour Soloviev, les déviations de la doctrine du Royaume qui portent atteinte à la vérité du christianisme et surtout au véritable rapport de l’Eglise avec le monde.
En bon slavophile, Soloviev a pu un instant penser que Byzance et la Russie avaient miraculeusement échappé aux trois tentations auxquelles l’Occident avait succombé. L(Orthodoxie a gardé la vérité. Mais le trésor de l’Orthodoxie n’a pas fructifié. Il est demeuré caché dans l’âme de ses moines et de ses fidèles. L’orthodoxie n’est demeurée pure que parce qu’elle n’a pas créé de "culture chrétienne" (25). Ce risque, l’Occident a accepté de le courir, et il a dû en payer le prix : la naissance concomitante d’une culture antichrétienne. C’est là la cause de sa crise moderne. Mais c’est là aussi sa supériorité sur l’Orthodoxie. L’Occident est en prise avec la dynamique du monde vers son avenir.
Dans sa critique de l’Occident, Soloviev s’était montré d’abord le véritable héritier des slavophiles. Il avait fait sienne l’opposition, forgée par Khomiakov, entre "l’erreur manifeste de l’Occident" et "l’infaillibilité secrète de l’Orthodoxie". Mais à partir de 1885, il écarte de plus en plus cette analyse. D’une part il inclut la Russie dans le processus historique de l’Occident, ce dont il félicite Pierre le Grand, et d’autre part, il justifie l’Eglise de Rome pour son effort d’évangélisation des cultures, effort qui n’est que le prolongement de l’oeuvre entreprise jadis dans le monde grec par les Conciles et les Pères de l’Eglise. Soloviev tente alors de réconcilier l’Orient et l’Occident au nom d’un principe théologique commun tiré des conciles. Par le Pseudo-Denys et Maxime le Confesseur, dit-il, les deux parties de l’Eglise, celle d’Orient et celle d’Occident, ont confessé toutes deux au troisième Concile de Constantinople l’appel chrétien à la liberté. Comme le Christ a été doté dans sa nature humaine d’une authentique volonté et d’une véritable liberté, l’Eglise est elle aussi dans le monde son principe de liberté. C’est grâce à cette liberté qu’elle peut promouvoir le Royaume dans ses trois aspects principaux : la vie sacramentelle, le développement dogmatique et l’instauration de la "théocratie". Le Royaume de Dieu ne vient donc pas d’en haut, et il n’est pas gardé que par l’orthodoxie. Il est, au cœur de l’histoire du monde, l’œuvre de l’Eglise tout entière (26).
II
Le judaïsme et la question chrétienne
C’est au cours de la seconde période, dite "théocratique" (1881-1883), au cours de laquelle Soloviev était préoccupé surtout par le problème de l’Etat et par le rapport de l’Eglise avec le monde, qu’il écrivit l’opuscule Le judaïsme et la question chrétienne (1884) (27). Cet écrit témoigne d’une compréhension du judaïsme exceptionnelle pour un homme du XIXe siècle. A cet égard, Soloviev est un précurseur. Mais cette phase de sa pensée est demeurée longtemps inaperçue et est encore aujourd’hui mal comprise.
Dès les premières pages, Soloviev rappelle la permanence du conflit historique entre les juifs et les chrétiens avec cette vigueur éclatante qui le caractérise. Il part de l’accusation de "déicide" faite au peuple juif, accusation qui servait de leitmotiv aux pogroms : "Si le Christ n’est pas Dieu, alors les juifs ne sont pas plus fautifs que les Grecs qui ont tué Socrate. Si nous reconnaissons que le Christ est Dieu, alors nous devons reconnaître dans les juifs le peuple qui engendre Dieu... Négliger le judaïsme, c’est folie ; se disputer avec les juifs, c’est inutile ; mieux vaut les comprendre, bien que ce soit plus difficile."
On a considéré parfois l’intérêt de Soloviev pour le judaïsme comme une conséquence de ses prises de position publiques en faveur des juifs de Russie, alors cantonnés dans la zone de résidence et victimes de dures mesures répressives (28). Cette explication ne doit pas être négligée, mais elle n’est pas suffisante ; il s’agit de beaucoup plus. La découverte des juifs et du judaïsme a joué, chez Soloviev, un rôle constitutif dans son analyse du christianisme lui-même.
La grande antinomie historique
Soloviev n’a pas en vue seulement le judaïsme biblique, qu’il y aurait lieu d’appeler plutôt l’hébraïsme, mais le judaïsme actuel tel qu’il s’est défini depuis l’époque talmudique, dans l’exil, c’est-à-dire un judaïsme jeté par l’histoire dans une situation de retrait par rapport à l’histoire. Or dans le même temps, le christianisme, né hors de l’histoire, est en revanche entré dans l’histoire. Aussi faut-il commencer par prendre en compte cet étonnant renversement, d’où est sorti le fait que judaïsme et christianisme sont devenus historiquement antinomiques. Cette asymétrie doit être analysée avant d’en venir aux questions ultimes, car elle est devenue structurelle. Elle place en effet le peuple juif et le peuple chrétien dans des positions inversées par rapport au royaume de Dieu.
Dans cette tentative de situer christianisme et judaïsme dans leur face à face originel et permanent, l’exégèse par Soloviev des répercussions historiques des "trois tentations" du Christ peut servir ici de point de repère. Les trois tentations chrétiennes : primauté du spirituel, risque de quiétisme sacramentel, abandon de la gestion du monde au pouvoir séculier, trouvent en effet leur contrepartie dans les trois tentations juives, qui sont des tentations inverses : primauté du temporel, risque de magie cultuelle, interférence du religieux dans le temporel. Pour Soloviev, l’antinomie historique des deux religions peut ainsi être expliquée. Soloviev est ainsi le premier à être entré avec des clefs d’interprétation inédites dans ce problème séculaire.
Voici alors la thèse nouvelle et fameuse de Soloviev : La "question juive" - l’expression faisait fortune depuis le débat de 1843 entre Bruno Bauer et Karl Marx (29) et elle était devenue une référence courante en Russie dans les milieux politiques - n’est pas une question à part de la "question chrétienne". Et comme la position des juifs dans le monde a été déterminée par un pouvoir politique devenu chrétien, la "question juive" est entièrement dépendante de la "question chrétienne". L’une est corrélative de l’autre. La "question juive", dit-il, est née de ce que les chrétiens, au cours de leur histoire, n’ont pas instauré la véritable théocratie, comme ils auraient dû le faire. Ils ne l’ont pas réalisée dans l’antiquité quand ils ont eu le pouvoir en leurs mains. Et ils n’ont pas accompli davantage leur devoir à l’égard des juifs quand ils ont perdu le pouvoir à l’époque moderne. Dès lors les juifs ont revendiqué l’autonomie politique. Ainsi le problème du rapport avec les juifs est devenu politique parce qu’il n’a jamais été posé à son plan véritable, qui était le plan religieux. Depuis l’origine, les chrétiens n’ont pas reconnu la place qu’occupent les juifs dans le plan de Dieu ni la place qu’ils occupent en face d’eux-mêmes ; ensuite, au Moyen âge, ils ne se sont pas comportés à leur égard comme leur vocation de chrétiens leur imposait de le faire ; et finalement, dans la société séculière moderne, c’est une énigme troublante de constater que "Les juifs se montrent empressés à accomplir leur Loi, tandis que les chrétiens sont si prompts à oublier la leur" (30). Bref, si l’on veut comprendre la "question juive", il est nécessaire de poser la "question chrétienne".
Le problème du rapport avec les juifs s’est donc déplacé sur le plan politique. Mais la société laïque et sécularisée ne s’est pas montrée davantage capable de le résoudre que la société chrétienne n’avait su le faire. Elle l’a même aggravé, et rares sont les chrétiens qui maintenant comprennent la nécessité de rendre aux juifs les libertés et les titres auxquels ils ont droit dans le domaine de la vie publique. Par une analyse rigoureuse de la modernité, Soloviev rend à l’économie juive, à la morale juive, à la politique juive, une positivité dont l’efficacité et la crédibilité sont liées à une négativité chrétienne en ces domaines. Il donne ainsi une explication rationnelle du retour en force des juifs dans l’histoire. Mais la politique qui s’est instaurée de fait en Europe depuis l’époque des Lumières n’est plus du tout la "théocratie"voulue par Dieu. Le conflit de deux politiques a remplacé celui de deux religions et de deux idéaux. Ironie de l’histoire, qui donne un cours nouveau à la "jalousie" dont parlait saint Paul dans l’épître aux Romains.
La réflexion sur la question juive a enfin contribué à éloigner définitivement Soloviev des thèses slavophiles. En observateur attentif de la renaissance juive en Russie, il donne au début de son article, une explication de ce réveil. Le peuple juif n’a pas eu sa place dans l’Europe occidentale. Aussi est-il venu en chercher une en pays slave, en Pologne et en Russie. Les slavophiles ont imputé à l’Occident catholique le fanatisme religieux à l’égard des juifs, mais la "sainte Russie" des slavophiles risque de répéter les errements qui furent ceux du Moyen Age latin. Car la raison directe de la renaissance juive est l’absence de réflexion et de responsabilité chrétiennes sur le sort fait aux juifs dans l’Europe des Lumières. Soloviev voit d’ailleurs une annonce de cette situation insolite et anormale dans le prophète Zacharie : " les relations actuelles de l’Europe avancée avec le judaïsme font penser, dit-il, "à ces dix païens qui s’accrochent à la robe d’un Juif" (Za 8, 23), mais c’est maintenant pour se faire introduire, non pas dans le Temple de Jéhovah, mais dans celui de Mammon ; car, ajoute-t-il "ils se soucient aussi peu de Jéhovah que du Christ" (31). Après l’échec de la théocratie chrétienne, voilà donc la situation présente de l’Europe éclairée, qui n’a rien fait de mieux que de soulever la "question juive". Mais la renaissance juive est venue signifier à une société indifférente aux idées les plus hautes et livrée aux besoins les plus matériels le caractère illusoire de son message d’égalité et de tolérance.
Après les Lumières, le peuple juif est toujours dans l’attente de la parole chrétienne à son endroit. Or la véritable attitude à avoir à l’égard du peuple juif a été décrite par saint Paul dans son épître aux Romains. Soloviev entend donc montrer pourquoi celle-ci retrouve son actualité dans le monde moderne. Dès 1882, il avait été tenté d’aborder cette question du haut de la chaire dans ses Leçons sur la signification universelle du judaïsme (non publiées), données à la Faculté de Saint-Pétersbourg et aux Facultés féminines. (32). Cependant Soloviev n’a jamais publié ces leçons, ce qui permet de supposer qu’il n’en était pas entièrement satisfait. Il se remit donc à la tâche en écrivant Le judaïsme et la question chrétienne.
Les trois moments constitutifs du judaïsme
On peut résumer en trois points la démarche de Soloviev. Il faut, nous dit-il, saisir le judaïsme successivement dans ses trois phases : 1) dans son moment biblique originel ; 2) dans sa séparation d’avec l’Eglise chrétienne : 3) dans son réveil moderne. Aussi y a-t-il trois questions fondamentales :
1) Première question : pourquoi le judaïsme était-il prédestiné à la naissance en son sein d’un messie ; pourquoi fallait-il qu’il y ait un peuple élu ?
La réponse est dans le caractère "national" du peuple juif. Mais le peuple est une "nation" différente des autres, car cette nation n’est elle-même une nation que pour toutes les autres nations. Elle est d’intérêt universel. C’est en la personne du messie que doit s’opérer le lien du particulier à l’universel, qui ne peut être réalisé que par un universel concret, c’est-à-dire par un individu. Le messie doit devenir le "second Adam". Il est l’Individu universel. En lui doit s’accomplir l’identification du particulier et de l’universel, du réel et du logos. Il sera le logos réalisé.
Le peuple juif a été constitué le gardien de cette promesse parce qu’il a toujours eu une spiritualité concrète - "matérialiste", dit Soloviev - alors que la spiritualité chrétienne a été marquée par la spiritualité platonicienne (33). Il y a dans le judaïsme une résistance aux idées, une méfiance à l’égard des réalités spirituelles. Il s’attache en revanche à un "matérialisme religieux", qui est caractéristique aussi bien de la Halakha (34) que de la Kabbale :
" L’israélite ne veut pas reconnaître un idéal qui n’ait pas la force de vaincre la réalité et d’y prendre corps ; l’israélite est capable de reconnaître la plus haute vérité spirituelle, il est prêt à le faire, mais à la condition d’en voir et d’en percevoir l’action réelle. Il croit à l’invisible (car toute foi est une foi est une foi dans l’invisible) mais il veut que cet invisible devienne visible et prouve sa force (...).Tandis que les matérialismes pratiques et théoriques se soumettent au fait matériel comme à une loi ; tandis que le dualiste se détourne de la matière comme du mal, le matérialisme religieux des israélites les obligeait à prêter la plus grande attention à la nature matérielle, non point pour la servir, mais pour servir, en elle et à travers elle, le Dieu Très Haut. Ils devaient séparer en elle le pur de l’impur, le sacré du profane, pour la rendre digne de devenir le temple de l’Etre suprême. L’idée de la sainte corporalité et le souci de la réalisation de cette idée occupent dans la vie d’Israël une place incomparablement plus grande que chez n’importe quel autre peuple (...). On peut dire que toute l’histoire religieuse des Israélites était dirigée vers la préparation, pour le Dieu d’Israël, non seulement d’âmes saintes mais également de corps saints." (35).
Le judaïsme, ajoute Soloviev avec une clairvoyance qui trahit sa connaissance étendue du judaïsme moderne, maintient un lien intérieur entre le peuple, sa langue et sa terre, lien qu’il tient pour le critère spécifique de son élection.
C’est pour cette raison que c’est au sein du peuple juif qu’a pu naître l’idée messianique, étrangère à tous les autres peuples de la terre. Les "messianismes" des autres peuples sont porteurs de l’idée de libération nationale - nous laisserons ici de côté le marxisme qui a une prétention universelle et qui est en conflit avec l’idée nationale - mais ils ne peuvent jamais déboucher sur un centre d’espérance universelle, sur une Jérusalem, ni sur la venue d’un second Adam. Sans le peuple juif, nous dit même Soloviev, nous ne pourrions, nous chrétiens, reconnaître que le Christ est Dieu, car il y a à cela un préalable inouï : il faut pour cela avoir reconnu une chose à nos yeux plus incroyable encore : « Il faut avoir reconnu dans les Juifs le peuple qui engendre Dieu" (36). De cette naissance-là, naissance "virginale" au cœur de l’humanité, seuls des penseurs juifs ont su parler. C’est pourquoi, conclut-il, "Spinoza a mieux parlé du Messie que Voltaire, et Joseph Salvador qu’Ernest Renan" (37).
2) Deuxième question : pourquoi le peuple juif a-t-il renié le Christ et continue-t-il à rejeter le christianisme ? (38) Pour le chrétien il y a là un redoutable paradoxe : la conscience juive de soi s’affronte, au lieu d’y adhérer, à la conscience messianique de Jésus. Quand le Messie se fait présent, le juif massivement s’absente.
Il est faux, déclare Soloviev, d’affirmer que les juifs n’attendaient que le triomphe politique d’Israël sur les nations. Leur attente messianique était politique, mais aussi spirituelle. Ils attendaient la fin de l’idolâtrie, ils fêtaient l’inscription de la Loi dans les cœurs et ils attendaient la marque de l’esprit. La question véritable qu’il faut alors poser est celle-ci : pourquoi le juif préfère-t-il finalement vivre sans Temple que d’entrer dans le Temple chrétien ? Le juif est celui qui a dû apprendre dans l’exil, à vivre "sans Temple", aux quatre vents de l’histoire et "loin de soi", tandis que le chrétien a bâti dans tout l’univers ses propres sanctuaires et s’est enraciné dans les cinq parties du monde en s’attachant à sa propre histoire. Etonnant renversement ! Le peuple juif, témoin anachronique des époques révolues, a été renvoyé à la spécificité de sa relation à Dieu, tandis que le peuple chrétien, peuple de la confession de foi personnelle et de la parole annoncée au monde, se trouve confondu chaque jour avec les peuples de la terre dans l’uniformité générale. La position du juif dans le monde stimule son moi individuel et national (39), renforce sa conscience propre et exacerbe sa capacité d’initiative, tandis que la similitude du chrétien avec tous requise par l’Evangile le émousse. Soloviev voit le rappel de l’identité juive dans le poème pascal, Adir hu : "Dieu puissant, viens édifier ton Temple, viens vite et sans tarder !". Ce cantique est, pour Soloviev, l’expression de l’impatience juive, du désir perpétuel qu’a le juif de voir le divin prendre corps. C’est le témoignage d’une conscience de soi qui ne cherche pas un point de fuite mystique dans l’extase, mais se sait en relation immédiate et quasi-physique avec l’Absolu (40).
Pénétré de son auto-affirmation, le peuple juif se fait le promoteur des valeurs d’action. C’est pourquoi il entre enfin en procès avec tout dynamisme chrétien qui voudrait se fonder sur un désir de la Croix (41). Bien que l’attente de la résurrection fasse partie de sa profession de foi, il ne peut admettre l’idée que le désir de la vie puisse passer aussi par la mort. Terrible alternative qui atteint jusqu’au sens de la mort et de la vie.
C’est pourquoi, nous dit Soloviev, juifs et chrétiens se séparent sur "les fondements spirituels de la vie", à la définition desquels il a consacré son ouvrage le plus profond. Entre juifs et chrétiens, le malentendu aura donc une portée eschatologique. Il durera jusqu’à la fin.
3) Troisième question : pourquoi le judaïsme a-t-il trouvé de nos jours son expression majeure et normative en dehors du monde grec et latin, hier en Babylonie, aujourd’hui en Pologne et en Russie ? Quelle est la signification du judaïsme ashkénaze, qui s’est constitué successivement comme peuple dans l’exil de Babylone, comme langue en contexte germanique et comme terre sur le sol des pays slaves ? Quel est le sens historique de la yiddishkeit ?
C’est au cœur de l’exil que le judaïsme ashkénaze a posé les problèmes de la nation et de l’Etat (42). Soloviev ne pose pas les problèmes de la nation juive seulement dans le cadre de la Russie, bien qu’il ait dit à plusieurs reprises qu’il appartenait à la Russie de résoudre ses trois problèmes majeurs : celui des peules slaves, celui des catholiques slaves et celui du peuple juif. Le juif dans l’exil fait l’expérience de devoir vivre dans un autre Etat et sans Etat. L’Etat que Soloviev a ici en vue est évidemment plus large que l’Etat profane, chargé des affaires externes, que nous connaissons de nos jours. C’est l’Etat au sens idéal, intégral. Il le voit constitué par les trois fonctions qui, dans leur diversité et leur complémentarité, sauvegardent la légalité et la justice de l’Etat : la royauté, le sacerdoce et la prophétie (43). Par un étrange fractionnement du monde, chacune de ces fonctions a été partagée et est gardée, mais séparément, isolément : le sens de la royauté n’aurait été gardé que dans la tradition byzantine, c’est-à-dire finalement par la Russie, le sacerdoce par le monde latin, c’est-à-dire par Rome, et la prophétie par l’héritage hébraïque. Le rôle propre des juifs serait donc, d’après Soloviev, de garder la prophétie, c’est-à-dire de dénoncer l’idolâtrie. Nous retrouvons ce privilège dans le Court récit sur l’Antéchrist.
Vladimir Soloviev et Martin Buber
Alexandre Voronel a comparé les trois idées-forces du judaïsme, développées dans Le judaïsme et la question chrétienne par Soloviev : sens de la transcendance, autoconscience de soi et "matérialisme" (mot-clef que Soloviev traduit souvent aussi par "réalisation" ; il aurait pu dire aussi « incarnation") aux idées-forces exprimées par Martin Buber dans ses Trois discours de 1901-1911 (44). Ce dernier avait tiré de son contact avec le hassidisme et avec la renaissance littéraire juive trois idées principales : "religiosité", "auto-affirmation" et "réalisation". Ces trois perceptions fondamentales ont conduit peu à peu Martin Buber à une philosophie de la relation intégrale, et on n’ignore pas les discussions qu’elles ont provoquées. Dans la pensée moderne, l’être juif et, à sa suite, l’être chrétien, comme "être au monde", sont des "catégories" de l’être, révélatrices et constituantes. Ces idées-principes ont fini par s’imposer et elles ont été reprises par Franz Rosenzweig et par la plupart des auteurs contemporains. Nous ne savons pas si Martin Buber avait lu Soloviev, ou s’il faut penser plutôt que tous deux ont perçu dans les mêmes termes l’expérience religieuse des juifs de Pologne et de Russie. Mais la proximité des expressions employées par Soloviev et par Martin Buber est évidente et ne peut être entièrement le fait du hasard. Il est clair que chacun des deux auteurs a une théologie sous-jacente différente : pour Vladimir Soloviev c’est celle de l’incarnation du Verbe qui devient l’inspiration de chaque instant et l’horizon de toute l’histoire. Pour Martin Buber c’est le messianisme de la vie quotidienne. On sait toutefois que ces perceptions ont conduit Martin Buber à instaurer une confrontation pertinente entre judaïsme et christianisme, là où antérieurement on ne voyait qu’une opposition radicale (45).
Il y a, certes, des raccourcis hâtifs et même des contradictions dans Le judaïsme et la question chrétienne. Soloviev envisage toute l’histoire humaine comme une aspiration vers la libre théocratie, alors qu’il affirme dans le même temps que celle-ci ne s’est pas réalisée (46). D’autre part ses anticipations géopolitiques sont désuètes : nul ne croit plus au "péril jaune", et l’impérialisme marxiste, qu’il voyait venir, est aujourd’hui tombé : la Pologne ne s’est pas rangée sous l’égide du Tsar, et le judaïsme, même ashkénaze, n’a pas trouvé sur le sol russe sa terre promise. Mais l’intuition directrice de Soloviev dépasse ses analyses historiques et elle garde sa force, même si elle n’a pas été justifiée par l’actualité immédiate. Bref, quand il se livre à l’utopie, Soloviev s’égare, mais il touche quand il regarde au-delà.
Il reste que, dans Le judaïsme et la question chrétienne, Soloviev a tenté pour la première fois de situer la place du judaïsme postchristique dans une lecture chrétienne de l’histoire. Il reprendra cette analyse dans le Court récit sur l’Antéchrist, où la compréhension du judaïsme, comme celle du christianisme se trouve entièrement revue à la lumière des événements de la fin. Mais ce qui demeurera de cet essai, c’est la portée fondamentale et décisive, pour l’histoire du monde, de la confrontation historique entre le judaïsme et le christianisme. Et tandis qu’au Moyen-Age un tel débat avait donné lieu à une controverse, source de rancoeur et d’animosité, la nouveauté est que, chez Soloviev, il donne lieu à une concurrence, source de foi et d’émulation. Certes, Soloviev parle toujours en théologien orthodoxe, mais il fait droit sincèrement à l’affirmation juive, à sa signification, et à sa permanence dans le temps chrétien.
Cependant, jusqu’à quel point peut-on dire que cette affirmation du retour en force et en grâce des juifs comme alternative nécessaire du christianisme et comme issue au conflit séculaire entre les deux religions est une proposition crédible et recevable ? Il est probable que Soloviev, en dépit de la pertinence de ses analyses et de la générosité de son propos, ait perçu que la tension séculaire entre judaïsme et christianisme ne pourrait se résoudre dans la trame de l’histoire et qu’elle durerait jusqu’à la consommation des siècles. Finalement, il accordera aux juifs un rôle décisif non pas dans la durée de l’histoire mais dans les événements de la fin. Dans le Court récit sur l’Antéchrist, il a fait droit aux conceptions modernes de l’eschatologie juive (47), qu’il a réanimées, réintégrées et confrontées à celles de l’espérance chrétienne. Sans doute la lecture attentive et approfondie de l’Epître aux Romains chap. IX-XI l’a également orienté dans cette voie. La question principale que soulève alors son eschatologie, question que nous devrons aborder pour terminer, est de savoir si la place accordée aux juifs par Soloviev dans les événements de la fin de l’histoire est conforme à la tradition chrétienne, ou bien si elle est une innovation par rapport à celle-ci, et si elle a quelque chance de recevoir accueil et approbation du côté juif.
http://www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=1710
_________________ Si vis pacem, para bellum Mon stage chez TSAHAL : ICI Gnôsis le documentaire : ICI À la recherche du Pyramidion perdu : ICI Le Delta lumineux des francs-maçons : ICI Symbolisme de la Pyramide :ICI
Le Grand Sceau des États-Unis d'Amérique et la Pyramide:
***
Bulletin historique et archéologique
***
r.
Messages : 1767 Inscription : 11/06/2010
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident. 8/9/2016, 15:54
PROPHÉTIES VLADIMIR SERGUEÏEVITCH SOLOVIEV ANTÉCHRIST ET FIN DES TEMPS
Contenu sponsorisé
Sujet: Re: Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident.
Vladimir Soloviev grand penseur Russe pour une réconciliation entre l'église d'Orient et d' Occident.