débat du mois : l'ordre de la charité

2591. Augustin dit que tous pèchent dans le monde, mais que tous ne sont pas damnés, mais seulement ceux qui ne se repentent pas et ne satisfont pas. Mais celui qui pèche et promet de satisfaire par des œuvres de miséricorde est sauvé. Origène dit que, sous les œuvres de miséricorde, tout ce qui est bon est exprimé ou omis en raison de l’omission de ces œuvres. Et il est indiqué que l’aumône n’est pas faite seulement au prochain, mais à soi-même : en effet, si nous nourrissons celui qui a faim, à bien plus forte raison devons-nous nous nourrir nous-mêmes qui avons faim, et il en va ainsi des autres œuvres. De même, il n’y a pas que les aumônes temporelles, mais aussi les spirituelles. Ainsi, tout ce que l’homme fait soit pour son propre bien, soit pour celui du prochain, est inclus dans les œuvres de miséricorde. De sorte que tout est inclus soit sous celles-ci, soit sous leur contraire.***

ce passage est tiré du commentaire de st Thomas sur l'évangile de Matthieu (ici, sur la fin du chapitre 25 : j'avais faim et vous m'avez donné à manger etc).
Et je suis tombée par hasard sur un passage de la Somme théologique, qui exprimait aussi l'idée que nous devons nous aimer nous-même plus que le prochain, mais je ne saurais pas retrouver ce texte.

Le Christ a pourtant dit que nous devons aimer le prochain COMME nous-mêmes.
Je pense aussi aux dernières paroles du curé de campagne de Bernanos : "il est plus facile qu'on ne croit de se haïr. L'humilité serait de s'aimer soi-même, comme n'importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ".

qu'en pensez-vous ?

Il me semble qu'à partir du moment où l'on admet que notre vie ne nous appartient pas, mais que nous n'en sommes que les intendants, il devient facile de comprendre que tout ce que nous nous faisons à nous-même est oeuvre de miséricorde.

Parce que nous ne le faisons pas pour nous, mais parce que c'est ce que Dieu veut : que l'on prenne soin de la vie, du corps, de l'âme qu'Il nous a donné.

Et que les cadeaux du bon Dieu, fô en prendre soin...

bien sûr, mais pourquoi s'aimer PLUS que le prochain ?
(en fait, le passage que je n'ai pas retrouvé était plus explicite, à ce point de vue)
Je sais bien qu'il y a le proverbe "charité bien ordonnée commence par soi-même", mais il paraît que c'est une mauvaise traduction de "at home" , "à la maison", sous-entendu en s'occupant des gens de son entourage avant de s'occuper de ceux qui sont loin.

PS de toute façon, c'est Arnaud qui m'a dit de mettre ce sujet, donc il doit avoir des tas de choses à dire là-dessus.

Quand il est écrit qu'il faut aimer le prochain comme soi-même, cela signifie nécessairement que l'amour de soi-même est comme une condition à l'amour du prochain : il faut commencer par s'aimer soi-même, ce qui signifie en dernière analyse se laisser aimer par Dieu, pour pouvoir véritablement aimer son prochain.
Et au plus l'on s'aime soi-même, c'est-à-dire au plus l'on se laisse aimer par Dieu, au plus nous devenons capable de donner plus d'amour à notre prochain.

Bref, il n'y a là absolument rien d'égoïste, mais cela me semble le "fonctionnement" normal de l'Amour : Il vient de Dieu, passe par notre coeur et se déverse sur le monde. L'enjeu premier, c'est qu'il n'y ait pas de "bouchons" dans notre coeur.

Qu'en pensez-vous ?

oui, je suis tout à fait d'accord avec vous.
Mais tout de même, st Thomas dit qu'on doit s'aimer plus que les autres...

"Plus" ou "comme" soi-même ? Je ne vois pas grand intérêt à pinailler sur la distinction. J'ai fait souvent l'expérience de n'avoir jamais éprouvé autant de plaisir que quand j'ai eu l'occasion de faire plaisir à qualqu'un. Faire du bien aux autres, c'est automatiquement se faire du bien à soi-même ; le lien est immédiat ; et, de même, faire du mal aux autres, c'est se faire du mal à soi-même ; ça me paraît tellement clair !

Peut-être parce qu'il convient de "hiérarchiser" les dons de Dieu ? Et que le premier don que nous fait Dieu, le plus excellent et celui qu'il convient donc de chérir par-dessus tout autre, c'est notre propre existence ?

Dans la Secunda secundae, saint Thomas établit l'ordre suivant dans la charité:
1° Dieu
2° Nous-même selon notre âme.
3° Le prochain et parmi nos prochain: 1° Notre femme et nos enfants; 2° Nos amis; 3° Les voisins; 4° Les personnes éloignées.
4° Soi-même selon qu'on est un corps. (être prêt à donner sa vie pour son prochain).

Il met Dieu en premier car celui qui aime Dieu aime en conséquence son prochain. Cet pordre n'est donc pas dans l'opposition ndialectique, mais dans l'harmonie:

Exemple: Imaginons un homme marié qui se croit une vocation exclusive pour Dieu. Il veut rentrer au couvant et abandonné sa femme. Eh bien, cet ordre de la charité montre que cette vocation vient de son imaginaire, comme une tentation. Car c'est le fait d'aimer d'abord Dieu qui fonde sa nécessité d'aimer sa femme fidèlement.

Exemple: Imaginons une femme qui demande à son mari de commettre une faute grave, piller l'héritage de ses frères par ex. Cet homme ne peut le faire car l'ordre de la charité exige d'aimer son âme avant sa femme en tant qu'elle est pécheresse.

C'était pas plutôt le débat de la semaine

Code:

l'ordre de la charité exige d'aimer son âme avant sa femme en tant qu'elle est pécheresse.

On voit bien qu'il ne savait pas ce que c'est que d'aimer une femme, le Saint Thomas d'Aquin. Tu ne crois pas, Arnaud, qu'il avait la même infirmité que Platon ?

Cela veut juste dire qu'il faut haïr le péché. Si votre femme vous demande de commettre un péché, c'est niet. Si elle vous dit, tu le fais ou tu pars, ben on part.
Se soucier de son âme avant tout, cela veut dire en dernière analyse que l'on ne peut pas justifier un péché par l'amour envers une autre personne, fut-ce sa femme ou son gosse.

Mais bon aussi, le Seigneur est miséricordieux : il sait que nous ne sommes que chair...

Merci Olivier. Tout est dit !




Cher Lagaillette: imaginez que vous ayez un ami d'enfance et que votre femme, cédant à sa jalousie exclusive, vous demande de couper définitivement avec lui. Que faites-vous?

L'ordre de la charité donne une réponse précise.

Donnez moi votre avis, s'il vous plait, juste pour voir si c'est compris !

Perso, je l'enferme pendant trois jours devant le Saint Sacrement...

Code:

imaginez que vous ayez un ami d'enfance et que votre femme, cédant à sa jalousie exclusive, vous demande de couper définitivement avec lui. Que faites-vous?

Je coup, évidemment. Quelle question ! Entre ma femme et un ami d'enfance, je n'hésite pas. Pour ma femme, j'ai eu l'occasion de rompre avec une de mes soeurs, celle qui m'était pourtant la plus proche.

Citation :

Entre ma femme et un ami d'enfance, je n'hésite pas. Pour ma femme, j'ai eu l'occasion de rompre avec une de mes soeurs, celle qui m'était pourtant la plus proche.

Et bien, vous avez tort, dira "l'ordre de la charité".

Cédez à votre femme qui vous commande un péché (l'infidélité à un ami qui n'a pas trahi est un péché), c'est préférer sa femme en tant que pécheresse à son âme.

Dans ce cas, on négocie non l'amitié, mais le temps passé avec l'ami.

C'est essentiel. L'honneur fonde la valeur d'un amour. On le voit en politique. Vichy s'est déhonnoré à la base en livrant les réfugiés Allemand. Le reste ne pouvait être que corrompu.

Qu'en pensez-vous?

Encore un qui est pour la paix dans les ménages

Mais, Arnaud, "je n'ai pas d'âme", vous le savez bien. Je n'ai donc pas à choisir entre ma femme et mon âme. Ma femme, c'est celle que j'aime de toute mon âme.

Quitte à trahir vos amis?

Alors, cet amour se dissoudra dans le manque de respect. Car on n'aime que dans l'honneur. Je le vois chez mes élèves.

Ceci dit, espacer les visites, manifester de la discrétion, c'est une marque de délicatesse et d'amour pour sa femme.

Code:

espacer les visites, manifester de la discrétion, c'est une marque de délicatesse et d'amour pour sa femme.

Vous avez sans doute raison, Arnaud. Quand je la retrouverai, "là-haut", ma femme, on devra s'expliquer sur la façon dont je l'ai aimée. J'espère que je ne me découvrirai pas trop "salaud" dans la conduite que j'ai eue envers elle. Mais je sais que quand j'aime une femme, je suis capable de tout ... ou presque.

Beaucoup de personnes pensent que l'amour doit même tolérer le péché mortel de l'autre.

Ainsi, les femmes mafieuses ne dénoncent jamais leur père ou fils, même s'il a tué mille fois car elles mettent la fidélité familliale au dessus du meurte des autres, au dessus de la fidélité aux commandements de Dieu.

A ôté de cela, on m'a rapporté le cas d'un musulman, père de famille, qui a amené son fils, tout ficelé à la Police, parce qu'il l'avait surpris à vendre de la drogue...

Comme vous l'exprimez justement, cher Olivier, ce serait pécher contre notre Créateur, donc manifester de l'orgueil, que de rejeter cette existence donnée et ne pas en prendre soin. C'est un devoir que de s'aimer soi-même. C'est ce qu'affirme si bien Bernanos, chère Dominique, en requérant de la part de chacun, le pardon à soi-même et la reconnaissance de ses pauvretés : l'humilité! Cette reconnaissance de nos insuffisances nous permet de mieux comprendre les autres, de nous mettre à leur portée..., mais elle nous demande PLUS d'efforts et plus de charité envers nous-même qu'envers les autres. Je comprends parfaitement que "charité bien ordonnée commence par soi-même"...

Arnaud Dumouch a écrit:

Beaucoup de personnes pensent que l'amour doit même tolérer le péché mortel de l'autre.

Ainsi, les femmes mafieuses ne dénoncent jamais leur père ou fils, même s'il a tué mille fois car elles mettent la fidélité familliale au dessus du meurte des autres, au dessus de la fidélité aux commandements de Dieu.

A ôté de cela, on m'a rapporté le cas d'un musulman, père de famille, qui a amené son fils, tout ficelé à la Police, parce qu'il l'avait surpris à vendre de la drogue...

les deux cas sont différents. Les femmes mafieuses savent que si elles dénoncent leur père ou leur fils criminel, elles ne les reverront plus pendant des années, et il y a de quoi hésiter.
Tandis que le père de famille, je suppose, espère sauver son fils en l'arrêtant dans sa chute. Même s'il doit faire un peu de prison, il a encore un avenir possible.