L'accumulation de l'expérience dans le temps et la mémoire qui s'y rapporte semblent constituer l'identité de la personne. Il est clair que ce qui est inscrit dans le temps est périssable. Pour les croyants, la nature profonde de l'Identité signifie beaucoup plus que cela; elle est une Ame.
Il y a les réponses que nous donne la Bible ou d'autres religions. Mais est-il possible par soi meme d'approcher le mystère? Quelle forme devrait prendre notre regard pour apercevoir, derrière le miroir opaque de nos pensées, les contours de l'Ame?
En autres choses, je fais des animations en maison de retraite. Mais les retraités ici sont presque tous atteints de la maladie d'alzheimer. Je base ces animations sur le dessin. Parfois, le simple fait de prendre un pinceau et poser une couleur bleue sur un fond blanc suffit. Après cela le " cours " est fini. Car prendre un pinceau, c'est déja fort compliqué pour certains. Voyant certaines personnes je me pose la question: Que reste t-il de leur identité? Ce sont surtout ceux chez qui la maladie n'a pas encore fait trop de ravages qui viennent me voir.
J'essaye toujours de m'adresser à la personne dans sa globalité. C'est ainsi; je ne m'en tiens jamais à ce qui apparait d'elle dans l'instant. Pour peu qu'elle puisse encore s'exprimer, j'essaye de parler avec elle. Car pour moi cette personne, c'est aussi son passé. Tout ce que je peux apprendre sur elle enrichit le présent.
Cette dame ne semblait vraiment pas intéressée par le dessin. Elle était venue au cours parcequ'elle se trouvait la, par hasard, au meme moment que moi. Aucun échange verbal avec elle. Un jour, elle vient près de moi, me prend le bras et me le serre très fort. Pourquoi fait-elle ça, pour la première fois? Le soir meme, elle décède.
Cette autre dame arrive sur un fauteuil roulant, poussé par son mari. Avec le monsieur, c'est le déclic! Nous en somes aujourdhui à 500 dessins conservés dans une chemise. Il a 96 ans, ils se sont connus à 4 ans ( nés dans le meme village ).
Une autre dame encore, coupée du monde par la maladie, mais reconnectée au monde par son mari, qu'elle ne reconnait pas, enfin pas toujours. Elle a des moments de lucidité. Le monsieur m'a confié sa douleur et son bonheur de la voir parfois, revenir.
Et cette dame se déplaçant très lentement et tremblant de tous ses membres. Elle vient au cours et fait ce qu'elle peut. Comme elle ne réagit pas, on l'infantilise un peu. Et pourtant...en fin de cours, je lui pose une question et elle me répond, parceque j'ai pris la peine d'attendre. Je lui en repose une autre et c'est parti! C'est une ancienne artiste, aquarelliste. Elle a débuté le piano à 4 ans. Elle a fait des tournées en France et à l'étranger, avec une amie, compositrice. Ah bon? Et moi qui essaye de jouer du piano sans jamais y arriver! Elle me donne des conseils, j'écoute.
Et enfin cette dame qui me montre sans cesse ses poésies ( a chaque fois qu'elle me voit elle oublie qu'elle me les a déja montrées ). En voici une. Une jolie poésie qui parle d'elle et d'elle ( son passé ):
JEUNESSE
Quand je ne savais rien
Combien j'étais heureuse
Je n'avais pour tout bien
Qu'une ardeur dévoreuse
Et je croquais la vie
Ignorant la prudence
Dans une frénésie
Proche de l'insolence
Tout me paraissait beau
Sous un ciel sans nuages
Libre comme l'oiseau
Défiant les orages
Et puis j'ai tout appris
Sur les malheurs du monde
A mon tour j'ai subi
La détresse profonde
La peur au quotidien
La peine maraudeuse
Quand je ne savais rien
Combien j'étais heureuse