| | Vincent Shigeto Oshida | |
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Régis
Messages : 6 Inscription : 05/08/2019
| Sujet: Vincent Shigeto Oshida 14/3/2020, 16:20 | |
| Chers tous, J’ai hésité à poster ce sujet dans la rubrique Débat avec les religions non-catholiques, mais Vincent Shigeto Oshida était un prêtre dominicain. Ci-dessous vous trouverez certaines paroles de Vincent Oshida retranscrites par moi et extraites du film Zen, le Souffle Nu réalisé par Patrice Chagnard (→ https://vodeus.tv/video/zen-le-souffle-nu-2231). Je suis frappé par la bonté et la lumière qui se dégagent de cet homme, et également par certains passages en particulier que j’ai mis en gras et en rouge ci-dessous. __________________________________ - Citation :
- Patrice Chagnard. Et aujourd’hui, vous savez quelle est votre vocation ?
Vincent Shigeto Oshida. Je suis moi-même. Je suis venu ici pour devenir moi-même, pour vivre simplement, comme un homme qui croit au Christ. C’est ce que j’ai voulu. J’ai voulu abandonner tout pour vivre mon mystère dans le Christ. Ce n’est pas une conclusion de ma pensée, c’était quelque voie qui m’a conduit ici. […]
Nous goûtons des choses juste du point de vue de notre conscience ordinaire, et là nous utilisons la logique, nous imaginons notre forme. Par exemple, nous pensons que la forme doit être un triangle, un rond ou un carré, mais en réalité, dans la nature, il n’y a rien comme ça, c’est plus délicat. Mais nous pensons que la forme, c’est quelque chose comme ça, et nous vivons dans cette sphère : nous bâtissons des bâtiments comme ça, et nous pensons de notre manière logique. Mais c’est une sorte de prison ! Quand on voit la fleur, la logique nous dit : « La fleur n’est pas moi, moi je ne suis pas la fleur ». C’est logique. On dit que c’est absolu. Mais, quand je regarde une fleur, je ne suis pas coupé de la fleur ; je suis la fleur, la fleur est moi. C’est là !
Par la concentration sur la respiration, on se libère de cette captivité, de la prison de la conscience. On commence à entrer dans la sensation de l’être, au niveau de l’être. Pas l’intérieur, pas l’extérieur : au-delà. Dans le bouddhisme zen, il y a deux points : ce sont la respiration naturelle et le regard vers l’au-delà. Le regard n’est pas fixé sur les phénomènes, mais c’est le regard déjà contemplatif, ni l’extérieur ni l’intérieur : un regard libéré. […] C’est la liberté, où l’on commence à vivre selon la lumière de l’au-delà, selon le souffle de Bouddha. « Mu », ce n’est pas le vide, ce n’est pas le néant ; c’est plutôt une plénitude de l’autre chose, de l’autre vie. C’est au fond de l’être.
Patrice Chagnard. Au fond de l’être ? Il y a une source ? Vincent Shigeto Oshida. Il y a une source. Alors, nous avons vu la source, et nous jouons d’images bon marché, et nous appelons ça civilisation, culture ! […]
Je n’emploie pas cette expression souvent, seulement d’autres fois dans ma vie : je suis un bouddhiste qui a rencontré le Christ. Mais cette expression, pour moi, c’est vrai, pour toujours.
Saint-Dominique ne pouvait pas s’arrêter. Il a marché tout le temps, il a marché tout le temps. C’est la sincérité. [...] Alors, même l’ordre dominicain est devenu un peu trop du côté de l’idée. Il faut vivre vraiment la foi, vraiment prier au lieu de prier vraiment ! Vraiment entrer dans la contemplation ! On bavarde trop ! Excusez-moi.
Patrice Chagnard. Pouvoir prier, ce n’est pas donné à tout le monde.
Vincent Shigeto Oshida. Non, on doit désirer, tout le monde doit désirer ça. Tout le monde, parce que c’est ça, le baptême […] C’est pour grandir. Tout le monde doit désirer grandir, s’approfondir. […]
Si cette source n’existait pas ici, on ne pourrait pas avoir cette circonstance, cet écho. C’est très précieux. Si l’on veut vendre cette eau à quelque compagnie touristique pour gagner de l’argent, cela veut dire qu’on est seulement manipulé par la troisième patte du poulet, qui est l’argent. Mais l’eau, ce n’est pas quelque chose qu’on doit vendre. Aujourd’hui, on vend des terrains. Ce n’est pas quelque chose à vendre. Mais à cause de la troisième patte du poulet, de l’Occident, on commence à vendre, ici-même. On organise des terrains pour vendre. Qui a le droit pour ça ?
Le paysan, quand on parle de la patte du poulet, on pense à la patte vraie, réelle. Mais la patte du poulet qu’on emploie comme l’idée, seulement l’idée, peut devenir la gauche, peut devenir la droite, et peut devenir toutes les deux. C’est-à-dire, ce n’est pas la patte droite ni la patte gauche, c’est la troisième patte du poulet. Si la troisième patte du poulet est toujours liée à la patte réelle, c’est bien. Mais si elle commence à marcher toute seule, ah ! c’est un désastre ! Corps, esprit, la troisième patte du poulet commence à marcher toute seule, isolément. Mais, par exemple, en japonais, si on dit « Karada », ça implique tout. « Watashi No Karada » signifie aussi mon esprit, mon intelligence, mon corps. C’est mon existence. « Ikimi » signifie le corps vivant. C’est ça que Jésus a dit : « Mangez mon corps ». Ce n’est pas le corps matériel, mais mangez-moi, tout intégralement, mon mystère.
Il y a trop de troisième patte du poulet en Europe aujourd’hui. Mais, dans le monde avec les technologies, les Japonais commencent à sentir qu’ils sont divisés en deux : on aime le silence, mais ça devient de plus en plus bruyant. Ça divise. La nostalgie de l’identité commence à apparaître plus clairement.
Patrice Chagnard. Est-ce que ce n’est pas simplement la nostalgie d’un monde un peu mythique, comme ce décor qu’on voit là en ce moment ? Je veux dire : une source, une forêt, comme si le vrai réel était là…
Vincent Shigeto Oshida. C’est la nostalgie de l’être humain qui existe partout et toujours. Nous sommes nés là. Mais on doit connaître quelques beautés de la création humaine, quelques petites beautés… On pleure d’être saisi par le mystère de la vie sur cette planète, une seule planète vivante. Alors pourquoi on fait la frontière, pourquoi on fait la bataille ? C’est tellement précieux, cette terre ! On pleure… C’est l’homme… La troisième patte du poulet, qui est l’instrument du diable. On doit revenir à la racine. Les techniques sont la composition parfois de la troisième patte du poulet. Mais le temps est venu pour s’éveiller. Dans quelque situation, on peut rencontrer Jésus ressuscité. Si l’on rencontre quelqu’un dans la paix profonde dans la crise, vraiment on sent la marche de Jésus ressuscité. Le mystère du Christ, vraiment, c’est dans l’histoire aujourd’hui, mais les mass-media ne peuvent pas prendre ça, mais ça existe. […]
Patrice Chagnard. Par rapport à la souffrance, le bouddhisme et le christianisme ont deux visions tout à fait différentes, non ?
Vincent Shigeto Oshida. Si les souffrances d’un homme juste, d’un homme qui cherche Dieu, je crois que c’est la même souffrance. La souffrance du pécheur, celui qui souffre à cause de son attitude contre Dieu, ce n’est pas quelque chose d’important, quelque chose de positif. Mais la souffrance qui se sert de la disparition de soi-même, ça vaut de la même manière pour le bouddhisme et le christianisme, je crois. Mais le mystère du Christ… Chaque religion, chaque tradition mystique de l’humanité porte cette vision semblable de la vérité humaine : le sens de la souffrance, le sens de nouveau monde, de nouvelle vie, de l’absolu. Mais cette vision qui est devenue l’élément concret dans l’histoire, là il y a quelque chose de spécial dans notre tradition, je crois.
Par exemple, dans la messe, c’était une religieuse bouddhiste qui nous a visité, et qui a assisté à la messe. Elle était tout à fait dans la messe. Elle était la première dans la messe, je l’ai senti. Sans la regarder je l’ai senti. Mais, après, elle ne pouvait pas quitter la chapelle. Elle s’est approchée de notre religieuse et a confessé, comprends-tu, le sentiment de gratitude, presque triste ! Elle pleurait, pleurait. Et quand elle est sortie, je lui ai demandé : « qu’est-ce qui t’est arrivé ? » Elle m’a dit : « dans le bouddhisme, il y a la communion entre Bouddha et nous, une communion entre deux êtres ; mais, chez vous, la main de Dieu apparaît visiblement, devant nos yeux ». Elle a pleuré, elle a pleuré. C’était vraiment l’épiphanie pour lui. Patrice Chagnard. Ça, ça vous a touché ? Vincent Shigeto Oshida. Oui, elle a rencontré le Christ […] Elle croit au Christ, ce n’est pas à travers des paroles, c’est arrivé comme ça. Mais la vision de la souffrance, la vision de l’homme, la vision de la nouvelle vie, ces choses existent dans tous les courants authentiques de l’humanité, je crois. Alors si on est sincère, dans chaque tradition, le bon Dieu le sait. D’une part, en ce qui concerne l’image de la troisième patte du poulet, elle me semble absolument fondamentale. Vincent Oshida en parle longuement dans un article (voir surtout la page 17 de ce fichier : https://p5.storage.canalblog.com/59/12/1166526/120169060.pdf) : - Citation :
- Lorsqu’un paysan parle de la patte d’un poulet, il désigne une patte concrète (la droite ou la gauche, ou les deux pattes), et dans ce cas, il n’y a pas de problème. Mais pour celui qui ne désigne pas un poulet concret, mais ne parle de "patte de poulet" que dans sa tête, un problème arrive : cette patte, conçue intellectuellement, qui peut devenir ou la droite ou la gauche ou les deux pattes, n’est de ce fait, de façon concrète, ni la droite elle-même ni la gauche elle-même, ni les deux pattes. Une telle parole conçue seulement dans l’esprit, je l’appellerai la « troisième patte de poulet ». […] Mais une manipulation libre et sans soin de ces mots, sans attention portée à la plénitude de la réalité, peut s’avérer être désastreuse. En d’autres termes, un tel résultat arrive lorsque la troisième patte du poulet "commence à marcher par elle-même".
Je suis frappé par le fait que, dans la Genèse, le serpent est décrit comme un animal rusé, qui trompe Eve en la manipulant par les mots : - Citation :
- Genèse 2, 25 Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre.
Genèse 3, 1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : “Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?” Genèse 3, 2 La femme répondit au serpent : “Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Genèse 3, 3 Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort.” Genèse 3, 4 Le serpent répliqua à la femme : “Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Genèse 3, 5 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal.” Dans la Genèse, on constate que le péché originel résulte d’un enfumage verbal qui fait tomber dans l’erreur. Vincent Oshida, quand il dit que la troisième patte du poulet est l’instrument du diable, décrit la même chose je crois. C’est du moins ce que je crois ressentir : un usage des mots pour déconnecter les gens de la réalité est diabolique ; or aujourd’hui l’enfumage verbal est partout. D’autre part, quand le Père Oshida parle de la souffrance qui se sert de la disparition de soi-même, on ne peut qu’être frappé par le fait que Oshida parle de la kénose, souvent décrite par Arnaud Dumouch dans ses vidéos et exprimée par un mot grec signifiant action de vider, de se dépouiller, de connaître un anéantissement de soi. - Citation :
- Philippiens 2, 5 Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus :
Philippiens 2, 6 Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Philippiens 2, 7 Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, Philippiens 2, 8 il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! Philippiens 2, 9 Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, Philippiens 2, 10 pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, Philippiens 2, 11 et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. J’espère que vous apprécierez ce film de Patrice Chagnard et que la présence et les paroles du Père Oshida vous feront du bien au cœur. | |
| | | Régis
Messages : 6 Inscription : 05/08/2019
| Sujet: Re: Vincent Shigeto Oshida 31/3/2020, 18:01 | |
| Le mystère de la Parole et la Réalité
Article écrit en japonais par le père Oshida pour le Congrès International de la Mission (IMC) à Manille (Philippines) en décembre 1979. Publié en anglais dans Monastic Interreligious Dialogue, Bulletin 75. (Traduction française par moi, à partir de la version en anglais.) www.monasticdialog.com
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« Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Réalité nue. »
I. Réalité et Zen
Je voudrais commencer en clarifiant le mot Zen, car il est trop souvent supposé avoir un rapport uniquement avec le zazen, ou quelque autre connotation attribuée au seul bouddhisme. C’est pourtant trop restrictif, et le point de vue qui sous-tend une telle association est due à une ignorance de certains faits. Le mot Zen est étymologiquement dérivé de Dhyâna, un mot d’origine sanskrit. En chinois, Dhyâna est devenu Zenna, et plus tard il a été abrégé en Zen. Il se peut que la réalité que recouvre le mot Zen ait ensuite été quelque peu modifiée, en raison de son association avec certaines périodes de l’histoire, mais elle reste fondamentalement la même.
Le Zen est une voie vers la Réalité, et une manière de vivre dans la Réalité. Il n’est pas exclusivement réservé au bouddhisme. Zazen est le Zen pratiqué en position assise, mais le zazen n’est qu’un élément de la vie Zen. La secte Zen, qui se concentre sur le zazen, n’a pas pour intention de le monopoliser. La pratique du zazen s’accompagne de l’étude de textes sacrés. Aussi, à chaque fois que l’on utilise le mot « Zen », il ne faut pas l’assimiler simplement au zazen, ou à quelque chose appartenant exclusivement à la secte Zen du bouddhisme. Je l’utilise toujours dans son sens originel de Dhyâna, ou de contemplation. La signification du terme « contemplation » n’est pas toujours évidente. Il me semble que ce terme vise la même réalité que le Zen.
Cette manière d’utiliser le mot « Zen » ne m’est pas propre. J’ai reçu il y a quelques années la visite d’un prêtre de la secte Jaïn. Il était accompagné de ses disciples et de maîtres yoga. Le prêtre Jaïn proposa que nous ayons une discussion selon la méthode Dhyâna – il se servit de ce mot même. En tant que chrétien, j’acceptai cette proposition. Il s’avéra que ce fut moi qui commençai à faire la plupart des éclaircissements. Nous constatâmes que l’essence de ces techniques visant à approfondir le silence et à accroître la liberté par le détachement des expériences phénoménales est la même dans les deux traditions.
Je voudrais maintenant examiner la Réalité du Zen dans le contexte de la révélation de Jésus Christ. Je voudrais concentrer mon attention sur le mystère de la « Parole », parce que je considère le mystère de la Parole comme une clef fondamentale dans notre vie centrée sur le Christ. Je crois que les recherches sur ce mystère font défaut, en dépit de son importance extrême.
II. Les sphères de la Parole A. La « Parole perroquet »
La « parole perroquet » est mystérieuse, et peut inclure tout le mystère renfermé dans la Parole, mais je la retiendrai ici comme représentant la sphère superficielle de la parole. En raison d’un processus d’assimilation, un perroquet répète mécaniquement sans aucune modification les mots qu’il a entendus des personnes autour de lui. Nous pouvons déceler à la fois les mots dont il s’agit, et dans quelles circonstances ils ont été prononcés. C’est vraiment une parole qui flotte alentours comme des grains de poussière dans l’air. Il n’y a aucune relation avec des expériences de pensée ou des expériences personnelles, cela est répété inconsciemment. Une telle parole perroquet peut être « la démocratie », « la liberté », ou même un mot des Saintes Écritures. C’est une simple répétition dans l’imagination ou une sensation des sens. C’est un peu comme l’ombre d’une parole réelle. Ce qui est étonnant, c’est que, même là, nous pouvons expérimenter un goût du mystère de la parole.
B. Deux façons de voir la parole (1) La Parole « Noir et Blanc »
À la lecture de ce titre, on pourrait penser aussitôt qu’il est trop poétique, pas logique ou pas rationnel. Je voudrais aborder ici ce type de processus de pensée. On veut toujours être clair délibérément sans être attiré dans le mystère de la Réalité, dans ce qui pourrait être considéré à tort comme une sorte d’instabilité sainte. À la base de ce type de pensée « noir et blanc », il y a une conception de la parole dans laquelle on considère un mot comme étant l’image d’une certaine idée. Il m’est possible de simplifier mon propos ici en disant qu’il s’agit d’une conception gréco-romaine de la parole rationnelle. Sous cet aspect, un mot n’exprime qu’un seul sens, ou alors un ensemble de significations qui peuvent être réduites à un seul sens. Cette vision de la parole est devenue presque exclusivement adoptée par de nombreuses personnes soi-disant civilisées et cultivées dans le monde occidental. Je ne condamne pas cette vision, car elle représente bien un certain aspect du mystère de la parole. En raison de la nature même de ce type de parole, cependant, de sérieux problèmes peuvent se poser. Je traiterai ici d’un aspect particulier de la parole « noir et blanc », à savoir la parole abstraite, « la troisième patte du poulet ». La patte droite d’un poulet n’est pas la gauche, et vice-versa. C’est vrai non seulement logiquement, mais aussi en tant que fait, on ne peut pas assembler complètement la patte droite et la patte gauche. Lorsqu’un paysan parle de la patte d’un poulet, il se réfère à une patte précise, la droite ou la gauche, ou les deux pattes. Dans ce cadre de référence, il n’y a pas de problème. En revanche, si quelqu’un parle de la patte d’un poulet simplement dans son esprit, un problème se pose : cette patte, conçue intellectuellement, peut être la patte droite ou la patte gauche, ou les deux pattes. Conçue d’une manière intellectuelle, cette patte, qui peut être la patte droite ou la patte gauche ou les deux pattes, n’est pas par ce fait la patte droite elle-même, ni la patte gauche elle-même, ni les deux. J’appellerai « la troisième patte du poulet » une telle parole conçue seulement dans l’esprit. C’est là ce qui est appelé une idée générale, abstraite, ou logique.
Dans ce monde de la parole, on aime à exprimer une signification unique ou des significations similaires d’un mot. Un mot ne peut pas renfermer de significations contradictoires. Ce type de mots est directement rattaché à la conscience égotique, et l’utilisation de tels mots est toujours accompagnée d’un sentiment d’autosatisfaction ou de plaisir. Toute justification ou excuse est combinable en composant des phrases avec des mots de cette nature. Tant qu’une telle combinaison se rapporte à une lecture de faits existant dans la Réalité, et tant qu’elle se mêle avec une vision de la réalité comme un tout (qui contient de nombreux éléments contradictoires), elle peut être féconde. Mais une manipulation libre et irréfléchie de ces mots, sans attention portée à la plénitude de la réalité, peut s’avérer désastreuse. En d’autres termes, un tel résultat survient lorsque la troisième patte du poulet commence à marcher par elle-même. C’est dans ce genre de circonstance que l’on justifie le massacre du peuple juif, ou que l’on autorise certains groupes à conquérir d’autres nations pour prétendument promouvoir un plus grand bienfait, ou au nom de « l’amélioration de l’humanité ». Pendant plusieurs siècles, des Églises ont condamné de nombreux Frères à l’intérieur de la même foi, à cause des expressions différentes par lesquelles la foi était extérieurement exprimée.
Tous ceux qui parlent de culte sans son impact réel, concret, devant un Dieu défini, ou qui parlent de prière sans la douleur, les larmes et la détresse intérieure qui l’accompagnent, sont des gens manipulés par la troisième patte du poulet. On devrait prendre soin de n’utiliser que les mots les plus simples dans les situations concrètes. Les discussions au sujet de la paix au Proche-Orient ne devraient pas commencer par le mot intellectuel « liberté », car, avec ce type de discussions, la paix véritable serait perdue encore. Dans de tels cas, on devrait demander : « Au minimum, que vous voulez-vous ? ». La réponse, dans ce cas, serait : « Je ne veux pas être tué », ou « Je ne veux pas voir mon pays persécuté ». Celui posant la question aurait ensuite à dire : « Nous non plus ne voulons pas être tués ou persécutés ». Il suffit de penser combien, et à quel point, des mots aussi grossièrement interprétés que « la démocratie », « le progrès », et « la civilisation », ont provoqué de perturbations et de crimes dans le monde. Je crois que tous les êtres humains devraient réfléchir sérieusement à ce fait.
(2) La « Parole Idée » (le Véritable Raisonnement) Lorsque nous désirons clarifier quelque chose dans la réalité, nous avons une tendance naturelle à utiliser nos facultés de raisonnement. Le raisonnement s’exerce dans le monde des idées. S’il commence par de simples « paroles idées » et se termine par de simples « paroles idées », ce n’est pas un vrai raisonnement, c’est là simplement jouer avec le raisonnement. La véritable pensée est celle qui toujours véhicule ce qui, au contact de la réalité, est au-delà de la logique (raisonnement). Si ce n’est pas le cas, il n’y a pas de contenu dans ce raisonnement. Tant que la pensée véhicule un écho de ce qui est au-delà du raisonnement ou de la logique dans son premier contact avec la réalité, elle n’est pas étrangère à la vie Zen (ou contemplative).
Lorsque nous commençons à raisonner au moment où nous entrons en contact avec quelque réalité inconnue, si nous raisonnons avec insécurité – en d’autres termes si nous ne cherchons pas la sécurité de satisfaire notre compréhension – et si nous endurons sincèrement le sombre tunnel de désespoir qui se présente dans une telle tentative d’éclaircir la réalité, alors nous sommes préparés d’une certaine manière pour la rencontre avec une nouvelle forme de réalité. Cette nouvelle forme s’étendra bien au-delà de l’horizon originel de notre pensée. Même dans le domaine de la science pure, nous pourrions alors atteindre là un stade pour aller à la rencontre de ce que j’appelle la « Parole Événement ». Tous les scientifiques en première ligne de leur domaine, qui ont contribué au progrès de la science, ont fait l’expérience de ce genre de processus. Le véritable raisonnement est fécond en soi. Ce qui le rend infécond, ce n’est pas le processus de raisonnement lui-même, mais le fait précis que l’on a perdu le sens du mystère contenu dans le processus. Ce que l’on effectue au départ est l’ordonnancement d’une certaine image née du premier contact avec une réalité, et puis une fois qu’il a été conçu, cet ordonnancement devient indépendant. Une idée toutefois ne se transforme pas en une autre de manière aisée, continue. Car, dans le remplacement d’une idée par une autre, la première idée doit être bien digérée, décomposée, puis renaître dans une nouvelle entité. La tragédie de nombreux intellectuels modernes est qu’ils ont perdu de vue la substance de mystère contenue dans une idée. Le raisonnement, même le raisonnement véritable, n’est pas tout ce qu’il y a dans le processus de notre pensée.
Une autre de nos façons de lire des choses concrètes dans la réalité est parallèle au véritable raisonnement. Il ne s’agit pas de l’intuition comparée au raisonnement. Il semble qu’il y ait certaines personnes qui, dans leur examen de certains aspects de la réalité, ne parviennent pas à voir qu’il y a en ces derniers quelque chose de présent qui enveloppera toujours le véritable raisonnement. Par exemple, voyons ce qui se passe dans la réalité mystérieuse d’un nouveau bébé. Voici l’attitude qui devrait être celle d’une personne cherchant à examiner le mystère tout entier de cette réalité. Une telle attitude, commune à l’ancien monde de sagesse, a été rejetée, de nos jours, comme infantile et primitive. C’est parce qu’il y a là confusion sur la différence entre cette attitude en apparence simpliste et un degré minimum de ce que l’on appelle l’intuition. En raison d’un certain degré d’ignorance de leur part, des personnes qui ne raisonnent pas assez profondément ont souvent condamné les points de vue du monde de sagesse antique. Cela se produit parce que se trouve une lacune dans le processus de leur raisonnement, qui revient alors à ignorer la vision plus large.
III. La « Parole Événement »
Quand un enfant commence à pleurer, il pleure « ah, ah ». Personne n’a appris aux bébés à pleurer de cette façon. Leur existence même crie « ah, ah » ; et quand ils commencent à appeler leur mère pour les soins, ils commencent à pleurer « ma ma ». Ces mots expriment l’ensemble du bébé. Ces simples mots sont les mots d’un bébé, né du sein d’une union mystérieuse avec l’inconnu, main caché d’un créateur. De tels mots sont considérés par les Orientaux comme des mots réels. C’est la « Parole Événement ».
En japonais, cela est appelé koto, et koto signifie à la fois et en même temps un événement et un mot. Shabda en sanskrit, a un sens similaire. En chinois, Tao désigne à la fois « dire » et « le chemin concret de vie ». En hébreu, dhabar ne fait pas exception. Mais, dans le cas du peuple juif, en raison des profondes et pénétrantes expériences des événements produits au cours de nombreux siècles par la main de Dieu, ce mot dhabar exprime une véritable et vigoureuse image de la main de Dieu. Cette image est ce qui est montré par un merveilleux symbole artistique, de Celui qui produit un drame : comme une grande main avec un œil en son centre. S’accrochant à chaque doigt de la main, il y a très peu de mains et peu d’yeux dans chacune de ces mains. Dans sa simplicité et son caractère concret, ce symbole représente Dieu lui-même et la vie de ceux qui ont été envoyés par Dieu.
Quand un paysan prend soin de ses champs de riz, à chaque fois qu’une telle plantation et un tel événement de croissance se produisent, il ne court pas à la bibliothèque pour obtenir de l’aide. Il écoute les champs de riz eux-mêmes. Il sait que ses champs lui diront lorsqu’ils auront besoin d’arrosage ou de fertilisation. Le riz lui-même est donc une parole de fait. Il parle de lui-même d’une façon globale.
Le raisonnement avec des « paroles idées » survient en raison de la « parole événement » originelle. Comme nous l’avons vu précédemment, la « parole idée » n’est pas tout, et, par conséquent, n’est pas la parole entière. Lorsque nous utilisons un mot, ce n’est pas toujours un « mot idée ». Si un mot porte sur l’existence entière de l’être humain, il contiendra des significations contradictoires, il a des paradoxes en lui. En hébreu, le mot hesed signifie en même temps la grâce et la honte. Lorsque nous vivons en quelque sorte dans la grâce, nous avons une sensation de paix dans le fond de nos cœurs, mais, en même temps, dans nos esprits, nous sommes conscients de notre dépendance à l’égard de l’autre pour notre propre existence. Tant que nous faisons l’expérience de cette forme de l’écho d’une parole, même s’il peut s’agir d’une parole perroquet, cela n’est pas étranger à une vie de prière ou à une vie contemplative en accord avec notre description du Zen.
L’ultime « Parole Événement » est en soi une parole indescriptible. Mais il existe quelques possibilités de la transcrire en paroles idées, même si c’est toujours au prix d’abstractions et de restrictions. La parole des Saintes Écritures est essentiellement « parole événement », et nous devons la traiter comme telle. Cependant, tant que nous la traiterons comme une « parole idée », nous ne serons jamais en mesure de la pénétrer véritablement. Dans la prière contemplative Zen Chrétienne, nous devons continuellement essayer de nous amputer le plus possible des raisonnements abstraits. Ce processus d’amputation nous libère des explications vides, des types égoïstes de satisfactions, de prétentions, et d’une conscience centrée sur l’égo. Avec tous les autres mouvements au sein de notre égo, cela exprime nos désirs cachés. Pour nous aider à nous rendre compte de ces émotions en nous-mêmes, comme une forme de prière parmi tant d’autres, existe cette forme où l’on pratique la simple activité de concentration constante. Cette forme de prière s’observe dans toutes les prétendues traditions mystiques tout au long de l’humanité, dont notre propre héritage chrétien.
Dans les premières générations de l’Église, les Pères du désert découvrirent, par exemple, l’aide dont nous pouvons bénéficier de notre concentration sur la respiration. Au Moyen-Age, la prière de Jésus nous a été transmise par les moines des Églises grecques. Les paroles des Saintes Écritures ne sont pas étrangères à cette forme de prière concentrative, mais, parce que nous sommes tellement englués dans le style de raisonnement gréco-romain, nous avons tendance à traduire les Paroles des Écritures en « mot idées », et de les décrire en « mots idées ». C’est presque un mécanisme inconscient en nous. Pour nous aider, nous devons apprendre à être réceptifs à la Parole des Écritures dans sa forme et son sens originels, et, à chaque réception, nous pouvons essayer de calmer notre égo en assimilant entièrement une telle parole. Dans la pratique méditative, cette forme d’attitude de pénitence, plus une amputation qui peut être accomplie par une attention prolongée portée à la Parole de Dieu, doivent aller de pair. Si nous avançons dans notre état de méditation, nous devenons plus sensibles à la « Parole Événement ». Et à mesure que nous progressons plus loin, la « Parole Rencontre » est susceptible de se rapprocher de nous et nous obtenons d’une manière ou d’une autre un goût de la Parole du Christ lui-même dans les Saintes Écritures.
IV. La « Parole Rencontre »
Lorsque nous progressons dans une sphère plus profonde de la réalité, nous en venons à la « Parole Rencontre ». Là, il n’existe pas de possibilité de traduire cette rencontre en une « Parole Idée ». Il peut y avoir des moments où l’on est porté dans une humeur de transcription par certains mots mystiques, qui ont leurs racines dans le réel. Certaines personnes dont la conscience et le subconscient sont tout à fait purifiés du bruit, et en qui la transparence d’être commence à pénétrer, peuvent tomber dans une telle humeur. Mais, lorsque l’on désire que la même expérience survienne à nouveau, et que l’on poursuit la même parole dans cet objectif, les mouvements centrés sur la prise de conscience vont alors reprendre, et l’on retournera sur le chemin du passé. Permettez à ce qui est sorti de sortir ! Si ça sort, laissez sortir ! Et continuez à approfondir la pratique du silence. Apparaîtra alors des moments où l’image ordinaire des mots est complètement partie, et l’on se sent appelé dans de simples abysses de profond silence. Cela ne signifie pas que l’on doive quitter le monde concret. Cela signifie que l’on doit quitter la sphère centrée sur la prise de conscience. Quand on part après avoir sombré dans l’expérience continue du silence approfondi, il se peut que l’on entende une « Parole Évènement », qui était jusqu’à présent cachée à soi.
Une chute de feuilles peut alors se mettre à chanter le mystère de l’incréé. Quand on persiste dans cette voie, ou que l’on s’écarte des activités de la vie quotidienne centrées sur l’égo, et qu’avec gratitude on accepte entièrement ses difficultés et adversités, on arrivera un jour à la rive où l’on perçoit tout dans une lumière inconnue, exquise. La « Parole Événement » nous offre alors ici une autre révélation. La rencontre dans ce cas est avec le domaine incréé. À ce stade, quelqu’un peut faire l’expérience qu’il est vous. Dans le mystère de la « Parole Rencontre », il me semble que nous sommes en quelque sorte déjà confrontés au mystère de la Parole de Dieu. Par cette « Parole Rencontre », notre vie change radicalement.
V. La Parole de Dieu
En poursuivant dans une sphère plus profonde de la « Parole Événement », il ne nous est pas possible de mesurer la distance entre nous et la Parole de Dieu. La vie contemplative est une vie de foi, et elle est le développement naturel, sans limite, d’une vie de foi. Ce type de vie (dans la foi) est une entité mystérieuse conçue au sein de la Parole de Dieu, et nous savons que la Parole de Dieu est infiniment au-delà de notre existence. La vie dans la foi est donc un mystère d’inclusion mutuelle à travers une distance infinie. Cela ne signifie pas que la Parole de Dieu est quelque chose d’abstrait pour nous. Ce qui tous les jours détermine concrètement notre façon de vivre n’est rien d’autre que la Parole de Dieu. Elle n’est pas objective et ne peut être saisie par notre conscience. Mais l’engagement dans la foi avec la Parole de Dieu est direct. Si, dans les moments de vraie nécessité, nous répondons avec toute notre existence et si, après un temps assez long, nous regardons en arrière ce qui est arrivé, nous avons alors un goût personnel, indirect, de la Parole de Dieu, ou de la Main de Dieu.
Alors, toute notre vie est l’unité qui se fait entre la vie contemplative et la pratique contemplative. Cette Parole de Dieu est la seule parole à laquelle notre sensibilité de croyant devrait répondre, et envers laquelle nous devons nous engager. Sur cette base, la transformation de notre silence dans le divin silence est essentielle si nous voulons nous libérer de nous-mêmes. Dans cette sphère de silence, nous comprendrons nos péchés, non seulement personnels mais aussi les péchés de l’humanité, que le Christ a assumés lui-même. Ainsi, une vie méditative, contemplative, fait disparaître notre vie dans la Parole de Dieu. Dans son sens le plus réel, c’est une vie dans le sein de Dieu le Père. C’est une vie d’union mystérieuse avec la Parole de Dieu ou la Main de Dieu.
Quand un bébé commence à appeler, il crie « ah, ah ». Dans ce cri, tout le poids de son existence est présent. Quand il crie « ma ma » à sa mère pour réclamer ses soins, c’est toute son existence qu’il lance vers elle. De même, celui qui a des yeux pour voir verra la Main de Dieu qui le prend tandis qu’il crie de cette façon. Personne ne lui a jamais appris cela. Et nous, nous crions vers Dieu comme un bébé, avec les mêmes voyelles « ah, ah », mais avec comme un accent de désespoir : « Abba ».
Quand Jésus fut baptisé dans le Jourdain, le mot « Abba » fut prononcé de façon prophétique, et Jean le Baptiste entendit une voix du ciel disant : « Celui-ci, mon Fils bien-aimé ». Toute la vie de Jésus serait écoulée dans le moment définitif où l’action de crier « Abba » deviendrait absolue. C’est ce qui arriva sur la croix quand Jésus a crié vers son Père : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Dans ce cri même de « Abba ! », cri absolu, la réponse du Père est déjà accomplie : Jésus ressuscite dans une Vie nouvelle. Et lorsqu’il quitta son corps et son sang en cet instant d’éternel absolu, Jésus nous demanda de manger et de boire cela.
Quand il fut ressuscité et se montra à ses disciples, il leur montra la trace des clous dans ses mains et celle de la lance dans son flan. Ce qui est important pour nous, ce n’est pas d’avoir quelques connaissances religieuses, ni de faire quelques considérations spirituelles. C’est de crier chacun à notre façon devant le Père inconnu « Abba » avec Sa voix, crier au-delà de tous les empêchements, tous les obstacles que sont les désirs ou ce qui concerne l’honneur, au-delà des sentiments de vanité ou de considération de sa propre position. Quand quelqu’un crie vraiment « Abba » dans le sein du Père, dans le « Abba » de Jésus Christ, la Sainte Trinité est là comme vie, selon ce que Jésus lui-même nous enseigne : « Quand vous criez Abba (Père), c’est par l’Esprit de Dieu ». Tout engagement envers nos frères, toute parole-événement entre nous, à travers Sa Grâce, est l’écho de cet « Abba ». Notre appel est d’éviter de suivre le parcours des Pharisiens et Sadducéens et de prendre le même chemin que Jésus a pris en devenant petit, comme Il l’a fait. | |
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| Sujet: Re: Vincent Shigeto Oshida 31/3/2020, 18:10 | |
| Vous avez posté au bon endroit. Et je vous remercie de vous être soucié de cela.
vous avez très bien fait de partager cela ici et je vous en remercie. Et je vous félicite pour votre travail gargantuesque de traduction... | |
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| Sujet: Re: Vincent Shigeto Oshida | |
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