| | Message du Saint-Père pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2018 | |
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| Sujet: Message du Saint-Père pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2018 Sam 30 Déc - 14:59 | |
| Message du Saint-Père pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2018Publié le 28 décembre 2017Meilleurs vœux de paix Que la paix soit sur toutes les personnes et toutes les nations de la terre ! Cette paix, que les anges annoncent aux bergers la nuit de Noël, (1) est une aspiration profonde de tout le monde et de tous les peuples, surtout de ceux qui souffrent le plus de son absence. Parmi ceux-ci, que je porte dans mes pensées et dans ma prière, je veux une fois encore rappeler les plus de 250 millions de migrants dans le monde, dont 22 millions et demi sont des réfugiés. Ces derniers, comme l’a affirmé mon bien-aimé prédécesseur Benoît XVI, «sont des hommes et des femmes, des enfants, des jeunes et des personnes âgées qui cherchent un endroit où vivre en paix ».(2) Pour le trouver, beaucoup d’entre eux sont disposés à risquer leur vie au long d’un voyage qui, dans la plupart des cas, est aussi long que périlleux; ils sont disposés à subir la fatigue et les souffrances, à affronter des clôtures de barbelés et des murs dressés pour les tenir loin de leur destination.Avec un esprit miséricordieux, nous étreignons tous ceux qui fuient la guerre et la faim ou qui sont contraints de quitter leurs terres à cause des discriminations, des persécutions, de la pauvreté et de la dégradation environnementale.Nous sommes conscients qu’ouvrir nos cœurs à la souffrance des autres ne suffit pas. Il y aura beaucoup à faire avant que nos frères et nos sœurs puissent recommencer à vivre en paix dans une maison sûre. Accueillir l’autre exige un engagement concret, une chaîne d’entraide et de bienveillance, une attention vigilante et compréhensive, la gestion responsable de nouvelles situations complexes qui, parfois, s’ajoutent aux autres problèmes innombrables déjà existants, ainsi que des ressources qui sont toujours limitées. En pratiquant la vertu de prudence, les gouvernants sauront accueillir, promouvoir, protéger et intégrer, en établissant des dispositions pratiques, « dans la mesure compatible avec le bien réel de leur peuple, …[pour] s’intégrer ».(3) Ils ont une responsabilité précise envers leurs communautés, dont ils doivent assurer les justes droits et le développement harmonieux, pour ne pas être comme le constructeur imprévoyant qui fit mal ses calculs et ne parvint pas à achever la tour qu’il avait commencé à bâtir.(4)2. Pourquoi tant de réfugiés et de migrants ? En vue du Grand Jubilé pour les 2000 ans depuis l’annonce de paix des anges à Bethléem, saint Jean-Paul II interpréta le nombre croissant des réfugiés comme une des conséquences d’« une interminable et horrible succession de guerres, de conflits, de génocides, de “ purifications ethniques ”», (5) qui avaient marqué le XXème siècle. Le nouveau siècle n’a pas encore connu de véritable tournant: les conflits armés et les autres formes de violence organisée continuent de provoquer des déplacements de population à l’intérieur des frontières nationales et au-delà de celles-ci. Mais les personnes migrent aussi pour d’autres raisons, avant tout par «désir d’une vie meilleure, en essayant très souvent de laisser derrière eux le “ désespoir ” d’un futur impossible à construire ».(6) Certains partent pour rejoindre leur famille, pour trouver des possibilités de travail ou d’instruction : ceux qui ne peuvent pas jouir de ces droits ne vivent pas en paix. En outre, comme je l’ai souligné dans l’Encyclique Laudato si’, « l’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est tragique ».(7)
La majorité migre en suivant un parcours régulier, tandis que d’autres empruntent d’autres voies, surtout à cause du désespoir, quand leur patrie ne leur fournit pas de sécurité ni d’opportunités et que toute voie légale semble impraticable, bloquée ou trop lente.
3. Avec un regard contemplatif
La sagesse de la foi nourrit ce regard, capable de prendre conscience que nous appartenons tous « à une unique famille, migrants et populations locales qui les accueillent, et tous ont le même droit de bénéficier des biens de la terre, dont la destination est universelle, comme l’enseigne la doctrine sociale de l’Église. C’est ici que trouvent leur fondement la solidarité et le partage ».(9) Ces mots nous renvoient à l’image de la Jérusalem nouvelle. Le livre du prophète Isaïe (ch. 60) et celui de l’Apocalypse (ch. 21) la décrivent comme une cité dont les portes sont toujours ouvertes, afin de laisser entrer les gens de toute nation, qui l’admirent et la comblent de richesses. La paix est le souverain qui la guide et la justice le principe qui gouverne la coexistence de tous en son sein.
Il nous faut également porter ce regard contemplatif sur la ville où nous vivons, «c’est-à-dire un regard de foi qui découvre ce Dieu qui habite dans ses maisons, dans ses rues, sur ses places [… en promouvant] la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité, de justice» (10); en d’autres termes, en réalisant la promesse de la paix.
En observant les migrants et les réfugiés, ce regard saura découvrir qu’ils n’arrivent pas les mains vides: ils apportent avec eux un élan de courage, leurs capacités, leurs énergies et leurs aspirations, sans compter les trésors de leurs cultures d’origine. De la sorte, ils enrichissent la vie des nations qui les accueillent. Ce regard saura aussi découvrir la créativité, la ténacité et l’esprit de sacrifice d’innombrables personnes, familles et communautés qui, dans tous les coins du monde, ouvrent leur porte et leur cœur à des migrants et à des réfugiés, même là où les ressources sont loin d’être abondantes.
Enfin, ce regard contemplatif saura guider le discernement des responsables du bien public, afin de pousser les politiques d’accueil jusqu’au maximum « de la mesure compatible avec le bien réel de leur peuple », (11) c’est-à-dire en considérant les exigences de tous les membres de l’unique famille humaine et le bien de chacun d’eux.
Ceux qui sont animés par ce regard seront capables de reconnaître les germes de paix qui pointent déjà et ils prendront soin de leur croissance. Ils transformeront ainsi en chantiers de paix nos villes souvent divisées et polarisées par des conflits qui ont précisément trait à la présence de migrants et de réfugiés.
4. Quatre pierres angulaires pour l’action
Offrir à des demandeurs d’asile, à des réfugiés, à des migrants et à des victimes de la traite d’êtres humains une possibilité de trouver cette paix qu’ils recherchent, exige une stratégie qui conjugue quatre actions: accueillir, protéger, promouvoir et intégrer.(12)
«Accueillir» rappelle l’exigence d’étendre les possibilités d’entrée légale, de ne pas repousser des réfugiés et des migrants vers des lieux où les attendent persécutions et violences, et d’équilibrer le souci de la sécurité nationale par la protection des droits humains fondamentaux. L’Écriture nous rappelle ceci : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges ».(13)
«Protéger» rappelle le devoir de reconnaître et de garantir l’inviolable dignité de ceux qui fuient un danger réel en quête d’asile et de sécurité, et d’empêcher leur exploitation. Je pense, en particulier, aux femmes et aux enfants qui se trouvent dans des situations où ils sont plus exposés aux risques et aux abus qui vont jusqu’à faire d’eux des esclaves. Dieu ne fait pas de discriminatio: « Le Seigneur protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin ».(14)
«Promouvoir» renvoie au soutien apporté au développement humain intégral des migrants t des réfugiés. Parmi les nombreux instruments qui peuvent aider dans cette tâche, je désire souligner l’importance d’assurer aux enfants et aux jeunes l’accès à tous les niveaux d’instruction : de cette façon, ils pourront non seulement cultiver et faire fructifier leurs capacités, mais ils seront aussi davantage en mesure d’aller à la rencontre des autres, en cultivant un esprit de dialogue plutôt que de fermeture et d’affrontement. La Bible nous enseigne que Dieu « aime l’étranger et lui donne nourriture et vêtement » ; par conséquent, elle exhorte ainsi : « Aimez donc l’étranger, car au pays d’Égypte vous étiez des étrangers ».(15)
«Intégrer», enfin, signifie permettre aux réfugiés et aux migrants de participer pleinement à la vie de la société qui les accueille, en une dynamique d’enrichissement réciproque et de collaboration féconde dans la promotion du développement humain intégral des communautés locales. Comme l’écrit saint Paul : « Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage, vous êtes concitoyens des saints, vous êtes membres de la famille de Dieu ».(16)
5. Une proposition pour deux Pactes internationaux
Je souhaite de tout cœur que cet esprit anime le processus qui, tout au long de l’année 2018, conduira à la définition et l’approbation par les Nations-Unies de deux pactes mondiaux: l’un, pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, et l’autre concernant les réfugiés. En tant qu’accords adoptés au niveau mondial, ces pactes constitueront un cadre de référence pour avancer des propositions politiques et mettre en œuvre des mesures pratiques. Voilà pourquoi il est important qu’ils soient inspirés par la compassion, la prévoyance et le courage, de façon à saisir toute occasion de faire progresser la construction de la paix : c’est la condition pour que le réalisme nécessaire de la politique internationale ne devienne pas une soumission au cynisme et à la mondialisation de l’indifférence.
Le dialogue et la coordination constituent, en effet, une nécessité et un devoir spécifiques de la communauté internationale. Au-delà des frontières nationales, il est également possible que des pays moins riches puissent accueillir un plus grand nombre de réfugiés ou de mieux les accueillir, si la coopération internationale leur assure la disponibilité des fonds nécessaires.
La Section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral a suggéré 20 points d’action17 pouvant servir de pistes concrètes pour l’application de ces quatre verbes dans les politiques publiques, ainsi que pour le comportement et l’action des communautés chrétiennes. Ces contributions, comme d’autres, entendent exprimer l’intérêt de l’Église catholique envers le processus qui conduira à l’adoption de ces pactes mondiaux des Nations Unies. Cet intérêt confirme une sollicitude pastorale plus générale, qui est née avec l’Église et se poursuit à travers ses multiples œuvres jusqu’à nos jours.
6. Pour notre maison commune
Les paroles de Saint Jean-Paul II nous inspirent : « Si le “rêve” d’un monde en paix est partagé par de nombreuses personnes, si l’on valorise la contribution des migrants et des réfugiés, l’humanité peut devenir toujours plus la famille de tous et notre Terre une véritable “maison commune ”».18 Dans l’histoire, beaucoup ont cru en ce «rêve» et ceux qui l’ont vécu témoignent qu’il ne s’agit pas d’une utopie irréalisable.
Parmi eux, il faut mentionner sainte Françoise-Xavière Cabrini, dont nous fêtons en cette année 2017 le centenaire de sa naissance au ciel. Aujourd’hui, 13 novembre, de nombreuses communautés ecclésiales célèbrent sa mémoire. Cette grande petite femme, qui consacra sa vie au service des migrants, devenant ensuite leur patronne céleste, nous a enseigné comment nous pouvons accueillir, protéger, promouvoir et intégrer nos frères et sœurs. Par son intercession, que le Seigneur nous accorde à tous de faire l’expérience que « c’est dans la paix qu’est semé la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix ».(19)
Du Vatican, le 13 novembre 2017 En la fête de sainte Françoise-Xavière Cabrini, Patronne des migrants 1 Luc 2,14. 2 Benoît XVI, Angélus, 15 janvier 2012. 3 Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris, n. 106. 4 Cf. Luc 14, 28-30. 5 Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n. 3. 6 Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale du Migrant et du Réfugié 2013. 7 N. 25. 8 Cf. Discours aux Directeurs nationaux de la pastorale des migrants participant à la Rencontre organisée par le Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE), 22 septembre 2017. 9 Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale du Migrant et du Réfugié 2011. 10 Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 71. 11 Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris, n. 106. 12 Message pour la Journée mondiale du Migrant et du Réfugié 2018, 15 août 2017. 13 Hébreux 13, 2. 14 Psaume 146, 9.[ 15 Deutéronome 10, 18-19. 16 Ephésiens 2, 19. 17 20 Points d’action pastorale et 20 Points d’action pour les Pactes mondiaux (2017) ; voir aussi Document ONU A/72/528. 18 Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale du Migrant et du Réfugié 2004, n. 6. 19 Jacques 3, 18.http://eglise.catholique.fr/vatican/messages-du-saint-pere/449266-les-migrants-et-les-refugies-des-hommes-et-des-femmes-en-quete-de-paix/ |
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| Sujet: Re: Message du Saint-Père pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2018 Sam 30 Déc - 15:03 | |
| Journée mondiale de la Paix : entretien avec Mgr Bruno-Marie Duffé
Dans ce message intitulé : Les migrants et les réfugiés: des hommes et des femmes en quête de paix, le pape François propose quatre pierres angulaires pour l’action. Il insiste sur l’exigence d’étendre les possibilités d’entrée légale ; il demande que les réfugiés et les migrants ne soient pas repoussés vers des lieux où les attendent persécutions et violence ; il souhaite qu’on parvienne à équilibrer le souci de la sécurité nationale par la protection des droits humains fondamentaux ; il invite à empêcher l’exploitation de ceux qui fuient un danger réel. Le monde compte aujourd’hui quelque 250 millions de migrants dont plus de 22 millions de réfugiés. Ils fuient les discriminations, les persécutions, la pauvreté, la dégradation environnementale. Pour le Saint-Père, ce phénomène doit être géré par les autorités politiques avec réalisme, prudence et discernement, mais toujours en portant sur les migrants un regard rempli de confiance, comme une occasion de construire un avenir de paix. Le pape François souhaite que cet esprit anime le processus qui, tout au long de l’année 2018, conduira à la définition et l’approbation par les Nations Unies de deux pactes mondiaux : l’un pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, et l’autre concernant les réfugiés. Entretien avec Mgr Bruno-Marie Duffé, secrétaire du Dicastère pour le Service du développement humain intégral. Réalisé par Romilda Ferrauto.Publié le 29 décembre 2017
Q/ Père Duffé, le message du pape François pour la Journée mondiale de la paix 2018 est consacré au drame des migrants et des réfugiés, un thème qui a été également très présent dans les interventions du Saint-Père à Noël. Est-ce que qu’on peut dire que cette question sensible est au cœur de son pontificat, ou en tous cas, l’un de ses thèmes fondamentaux ?
R/ C’est un thème absolument central, absolument essentiel, parce que c’est fondamentalement la question de l’accueil de l’autre, c’est la question de la rencontre…et c’est la question aussi à la fois de la diversité et de la considération de chaque personne, dans sa dignité, dans son histoire, dans sa fragilité aussi et c’est, du coup, une question névralgique pour penser aujourd’hui la solidarité entre tous les peuples et la solidarité universelle, considérée comme la valeur-clé, la fraternité…la solidarité pensée comme fraternité. Avec le caractère dramatique des situations des migrants, cette question, en effet, est au cœur de ce que l’on pourrait appeler la sensibilité pastorale du pape François.
Q/ Le pape François appelle à pratiquer l’hospitalité mais en même temps il invite les gouvernants à la vertu de la prudence, à tenir compte du bien commun. Les migrants ne peuvent pas être renvoyés chez eux, mais on ne peut pas tous les accueillir. N’y a-t-il pas une contradiction dans ce raisonnement ? Comment concilier le réalisme, le discernement et la confiance que le Souverain Pontife nous invite à avoir par rapport à ce phénomène ?
R/ La meilleure manière de répondre à cette question c’est de considérer les quatre termes, les quatre verbes qui sont au cœur de son message : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. Je serais pour ma part, et vraiment en très grande proximité avec le pape François, pour les décliner de manière à la fois active et réciproque ; c’est-à-dire accueillir les migrants mais aussi s’accueillir mutuellement, c’est-à-dire développer vraiment une hospitalité dans la mutualité, une hospitalité mutuelle…se découvrir les uns les autres, avec nos histoires ; peut-être se rappeler nous-mêmes que nous avons dans notre histoire européenne d’autres migrations qui ont été déterminantes, qui ont permis à des personnes qui appartenaient à des communautés particulièrement maltraitées d’être reconnues dans leur dignité et dans leurs droits. Et puis il y a protéger : protéger c’est aussi se protéger les uns les autres. J’ai toujours en tête cette phrase qui m’avait été proposée par des militants pour la paix au Proche-Orient. Ils me disaient : le jour où nous comprendrons qu’en protégeant l’autre, nous nous protégeons nous-mêmes, eh bien nous serons sur le chemin de la paix. Alors je crois que la protection doit être entendue comme une manière d’être ensemble et de prendre soin les uns des autres. Après il y a promouvoir : promouvoir c’est encourager et non pas simplement être toujours dans des mesures de sécurité immédiate, de frontière immédiate, d’administration et de contrôle. Je crois que promouvoir c’est aussi se dire que nous pouvons ensemble travailler à des plans de développement, à des constructions d’une économie dans laquelle nous avons aussi besoin les uns des autres, nous avons aussi besoin des talents des migrants, nous avons aussi besoin de leurs capacités comme nous avons besoin des capacités de nos frères et sœurs de sang ou de famille. Et puis enfin intégrer : c’est au sujet de ce quatrième verbe qu’on peut se dire qu’il y a un débat. D’ailleurs, il y a un débat sur les quatre verbes qui sont les quatre conditions d’une véritable philosophie politique de la paix aujourd’hui. Et quand on se souvient du titre de ce message pour la Journée de la Paix : Migrants, des hommes et des femmes chercheurs de paix,… mais au fond nous sommes tous des chercheurs de paix et donc l’intégration qui n’est pas l’assimilation, c’est la découverte de nos différences et c’est certainement du côté des pouvoirs politiques un appel très fort à penser une nouvelle forme de coopération entre les États. Car on sait très bien d’où viennent les migrations, d’où vient le fait que des hommes et des femmes sont contraints de quitter leur terre. Eh bien, ça vient effectivement toujours de trois facteurs majeurs : la violence, la guerre, l’impossibilité d’assumer ses responsabilités de pères et de mères de famille, c’est-à-dire la recherche d’un emploi pour pouvoir subvenir aux besoins immédiats de sa famille et puis cette question terrible des migrants climatiques qui augmentent en nombre par le fait que notre manière de développer met très à mal et rend malade notre planète.
Ces trois questions, quand on y réfléchit, rejoignent les trois droits humains fondamentaux : droit du citoyen à s’exprimer sans violence et en échappant à la spirale de la violence ; droits économiques, sociaux et culturels – c’est ce qu’on va fêter en 2018 avec le 70° anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme – et puis les droits des générations futures qui concernent très directement la protection de la planète et la transmission de ce que nous allons donner à nos enfants et nos petits-enfants. Ces questions-là quand on les pose à partir de ces quatre verbes et en particulier promouvoir et intégrer, ce sont des questions éminemment politiques. Et moi, je ne suis pas du tout surpris qu’on dise que les propos du pape François à Noël sont des propos politiques. Au sens noble du terme, la polis (ou la politeia) c’est la capacité de construire une Cité qui soit habitable. Et donc notre rôle d’Église c’est de rappeler que nous avons une mission qui est de participer à cette construction d’une communauté humaine. Donc, en effet, il y a un discernement à faire. Je le dis très simplement : J’ai pu dire à certains demandeurs d’asile ou migrants économiques : Attendez ! Et chez vous, qu’est-ce que vous pouvez faire ? Ou bien Et chez vous, qu’est-ce que nous pouvons faire ensemble ? Ces questions de discernement, de jugement politique, en effet, en appellent à la responsabilité des dirigeants politiques.
Q/ Vous l’avez dit : le pape n’a pas peur de tenir des propos politiques. D’ailleurs, il ne se prive pas de fustiger les discours qui amplifient les risques pour la sécurité nationale, qui fomentent la peur, parfois à des fins politiques, qui sèment la violence et la xénophobie. Est-ce à dire que le contexte actuel l’inquiète au plus haut point ?
R/ Tout à fait. Vous savez que cette intuition qui l’anime beaucoup est de dire que tout est connecté, tout est lié. C’est une des intuitions qui est dans le texte de l’encyclique Laudato si : quand vous entrez dans la question des droits fondamentaux comme je viens de le faire, vous allez trouver la question du pouvoir, de l’autorité, de l’état de droit…la question de la protection des plus faibles, la question des plus pauvres….Je viens de lire un article sur l’état des cinq-cents premières fortunes dans le monde, et on sent très bien qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde quand on voit le fossé entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, entre ceux qui accumulent les bénéfices, de l’avoir, et ceux qui n’ont pas de quoi survivre. Ce sont des questions à la fois humanitaires, d’urgence – il s’agit de prendre soin de cette communauté humaine – ce sont des questions aussi qui engagent l’avenir, qui engagent nos institutions et qui engagent la paix. Et donc le terme de paix doit être décliné à travers la question des migrants, à travers la question de l’écologie, mais aussi à travers la question de la dissuasion nucléaire, et de ces situations où l’on entretient la peur plutôt que de faire l’option du développement. Ces questions sont toujours articulées avec un versant proprement humanitaire et humain et un versant politique c’est-à-dire collectif et communautaire. Nous ne sortons pas de ces va-et-vient entre des choses qu’il faut faire en première urgence pour sauver des vies et des choses qu’il nous faut développer pour sauver les générations qui viennent, c’est-à-dire pour sauver la vie et l’avenir de la vie. C’est cela qui est au cœur de cette manière d’aborder la solidarité et la paix.
Q/ Le pape s’adresse donc aux gouvernants. Mais son enseignement s’adresse en premier lieu aux catholiques. Or sur cette question sensible et inconfortable, il n’est pas certain que le devoir de charité et d’hospitalité soit entendu par tous les catholiques. On sait qu’il y a des catholiques qui ne sont pas pro-migrants. Certains votent pour l’extrême-droite. Est-ce qu’on peut dire que le Saint-Père leur demande une conversion en profondeur ?
R/ Le terme conversion est au cœur de l’encyclique Laudato si que j’ai déjà citée où le Saint-Père souligne l’importance d’une conversion à l’écologie intégrale. Il faut simplement qu’on se mette d’accord sur le terme d’intégral. Ça veut dire : quand on dit la recherche d’un équilibre, c’est l’équilibre d’une vie, d’une vie personnelle, c’est le rapport qu’on a avec soi-même, c’est le rapport qu’on a avec les autres, et c’est le rapport qu’on a avec la création et avec le Créateur. Cette manière de penser les choses peut rejoindre des sensibilités et j’ose le dire des spiritualités au sein même de la grande famille catholique du monde. A partir du Dicastère dans lequel je me trouve, ce nouveau Dicastère dans lequel se croisent à la fois les questions de migrations, de santé, d’aide humanitaire d’urgence, et les questions de justice et de droit, nous sentons bien que nous sommes dans une très grande richesse d’approches. Le pape François ne veut exclure personne, ni une spiritualité contre une autre. Il s’agit de faire dialoguer – c’est un mot fondamental – de faire se déployer l’exercice de la parole entre les sensibilités des catholiques. Moi je comprends que certains catholiques puissent être inquiets parce qu’ils sont eux-mêmes devant de grandes questions pour leur propre avenir, ou celui de leurs proches ou de leur famille. Donc on peut très bien imaginer que certains soient tentés par des idéologies d’exclusion. Eh bien, nous proposons quant à nous – et je crois que sur ce point le Saint-Père est très clair – non pas l’exclusion mais l’inclusion, non pas de fermer la porte mais d’ouvrir de nouvelles portes, de nouvelles capacités, de nouvelles possibilités de coopération internationale, d’enrichissement mutuel. Bien sûr, on sent bien qu’il y a des sensibilités…ce n’est pas tout à fait nouveau dans l’Église – lorsque Basile de Césarée inventait les Basiliens au IV° siècle, il y avait des critiques. On disait : il s’occupe des pauvres, très bien, mais quand même, il y a aussi les autres. Bien sûr qu’il y a aussi les autres et nous avons tous nos pauvretés. Mais il y a, à un certain moment, à rappeler que le plus pauvre doit être le premier servi. Le plus pauvre est celui que nous pouvons accueillir comme le Christ lui-même. Nous avons à nous rappeler les uns aux autres à l’intérieur même de la communauté chrétienne les exigences mêmes de l’Évangile et la radicalité de cet Évangile qui nous appelle à la conversion au sens propre du mot c’est-à-dire à un nouveau regard – convertir ça veut dire : tourner son regard – La question qui est posée à tous les catholiques c’est : sur quoi ou sur qui tournez-vous votre regard ?
Q/ La réalité que le pape nous oblige à regarder en face nous dérange, elle nous met mal à l’aise. Certains l’accusent d’angélisme, ou trouvent qu’il est irresponsable. Qu’ajouteriez-vous en guise de conclusion ?
R/ Je ne voudrais pas qu’on se fatigue avec la question des migrants. Ça m’inquièterait ! C’est comme si on se fatiguait avec le commandement de l’amour que le Christ laisse à ses disciples. Je crois d’abord que si la question des migrants est centrale aujourd’hui c’est parce que ce qui est au cœur c’est l’avenir de la communauté humaine. Et donc ce qui est très important c’est qu’on ne se focalise pas simplement en disant : ah y en a plus que pour les migrants ! Il faut commencer par eux parce que ce sont les plus souffrants. Quand on est au bord de la Méditerranée on perçoit tout cela. Mais je crois en même temps que ce qui important c’est de se dire : comment pouvons-nous inventer un avenir dans lequel chacun puisse développer son propre talent ? ça c’est vraiment évangélique, chez Matthieu chapitre 25, il y a J’étais un étranger et tu m’as accueilli mais juste avant il y a la parabole des talents. Et chaque personne dans cette parabole reçoit au moins un talent. Toute la question pour nous – la question que je porte comme secrétaire d’un dicastère – c’est : quel est le talent que nous allons pouvoir développer, encourager, mettre en œuvre, dans chacune des personnes avec qui nous travaillons pour que nous puissions construire ensemble un projet de vie commune, un projet de vie humaine. Ça c’est vraiment le cœur de ce qui nous inspire à la fois dans nos discours et dans nos projets.
http://eglise.catholique.fr/actualites/450531-journee-mondiale-de-la-paix-entretien-avec-mgr-bruno-marie-duffe/
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