Les Faux Jugements
Nous ne devons pas nous étonner que beaucoup de gens, même parmi ceux qui se considèrent comme chrétiens se comportent ainsi ; ils imaginent d'abord le mal.
Ils soupçonnent sans aucune preuve !
Ne se contentant pas de penser ainsi, ils font état en public de leurs jugements téméraires.
Le moins qu'on puisse dire est que l'attitude des disciples fut superficielle.
Dans la société d'alors, comme dans celle d'aujourd'hui, en cela peu de choses ont changé - il y avait d'autres hommes, les pharisiens, pour qui cette conduite était la règle. Rappelez vous comme Jésus les réprimande :
" Jean est venu qui ne boit ni ne mange et ils disent : il est possédé du démon. Le Fils de l'Homme est venu et il boit et il mange et ils murmurent : voilà un homme vorace et buveur, ami des publicains et des pécheurs.
On attaque systématiquement la réputation d'autrui, on dénigre une conduite intègre. Jésus-Christ a subi cette critique mordante et blessante, et nombreux sont ceux qui réservent le même sort aux hommes qui désirent suivre le Maître, tout en étant conscients de leurs misères, normales et naturelles, et de leurs erreurs personnelles, petites et ajouterai-je inévitables, en raison de la faiblesse humaine. Cela ne nous permet pas de justifier de telles fautes - on les appelle commérages - contre la réputation d'autrui.
Jésus annonce que s'ils ont appelé Belzéboul le père de famille, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils traitent mieux ceux de sa maison; mais il nous prévient aussi que celui qui appelle son frère un fat, sera passible du feu de l'enfer.
D'où vient que l'on juge faussement les autres ?
Il semble que certains portent continuellement des oeillères qui leur déforment la vue. Par principe, ils ne croient pas à la droiture d'intention; ou du moins à la lutte constante pour l'atteindre.
Cette déformation acquise leur fait tout voir à leur image, comme dit le vieil adage philosophique. Pour eux, même ce qui est le plus droit reflète malgré tout, une attitude équivoque qui se revêt hypocritement d'une apparence de bonté.
Quant ils découvrent clairement le bien, écrit Saint Grégoire le Grand, ils cherchent avec soin s'il n'y a pas en plus quelque chose de caché.
Il est difficile de faire comprendre à ceux chez qui la déformation est comme une seconde nature, qu'il est plus humain et plus vrai de juger favorablement le prochain.
Saint Augustin donne le conseil suivant : Efforcez-vous d'acquérir les vertus qui, selon vous, manquent à vos frères, et vous ne verrez plus leurs défauts parce que vous ne les aurez plus vous-mêmes.Pour certains cette façon d'agir s'identifie à la naïveté.
Eux sont plus réalistes, plus raisonnables.
Jugeant de tout selon leur préjugé, ils offenseront toujours avant d'écouter. Ensuite , mielleusement, au nom de l'objectivité ils accorderont peut-être à l'offense la possibilité de se justifier.
Au mépris de la morale et du droit, au lieu de fournir la preuve de la prétendue faute, ils concèdent à l'innocent le privilège de démontrer son innocence. Il serait malhonnête de ne pas vous dire que ces quelques réflexions sont bien plus que des fruits tirés hâtivement des traités de droit et de morale. Elle se fondent sur une expérience vécue par beaucoup dans leur propre chair de la même façon que tant d'autres qui ont été eux aussi fréquemment et pendant de nombreuses années, la cible de médisances, de diffamations, de calomnies.
La grâce de Dieu et un naturel peu rancunier ont fait que tout cela n'a laissé en eux aucune trace d'amertume.
Mihi pro minimo est, ut a vobis iudicer; il m'importe peu d'être jugé par vous pourraient ils dire avec Saint Paul. Parfois, plus familièrement, ils ont ajouté que cela les 'laissait froids'. Et c'est la vérité.
Toutefois , je ne puis nier la tristesse que j'éprouve en pensant à l'âme de celui qui attaque injustement l'honnêteté d'autrui, car l'agresseur injuste se perd lui-même.
Et je souffre aussi pour tous ceux qui, face à des accusations arbitraires et grossières, ne savent à quel saint se vouer; consternés, ils n'osent pas y croire et se demandent s'ils ne vivent pas un cauchemar.
Il y a quelques jours, nous lisions pendant la Messe l'histoire de Suzanne, cette femme chaste qui fut à tort, accusée de malhonnêteté par deux vieillards corrompus. "Suzanne se mit à pleurer et répondit à ses accusateurs : de tous côtés, je me sens dans l'angoisse; car si je fais ce que vous me proposez , la mort viendra sur moi et si je refuse , je n'échapperai pas de vos mains".Combien de fois la perfidie des envieux ou des intriguants ne met-elle pas bien des honnêtes gens dans la même situation !
On leur propose cette alternative : offenser le Seigneur ou se voir déshonorés.
La seule solution noble et digne qui leur reste est en même temps extrêmement douloureuse, mais elles doivent s'y résoudre :
Je préfère tomber innocent entre vos mains plutôt que d'offenser le Seigneur.
Saint Josémaria Escriva - Quand le Christ passe.