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| Sujet: Québec: "Aide médicale à mourir", le plaidoyer de Denys Arcand, cinéaste 13/12/2015, 18:21 | |
| "Aide médicale à mourir", euphémisme pour désigner l'euthanasie. - Spoiler:
Alors que la loi québécoise sur l'aide médicale à mourir se retrouve devant les tribunaux, nous avons rencontré le réalisateur des Invasions barbares, Denys Arcand, qui nous livre un véritable plaidoyer pour le droit de mourir dans la dignité.
Une entrevue de Alain Crevier, animateur de Second Regard
En 2003, Denys Arcand abordait dans Les invasions barbares une foule de sujets, notamment l'euthanasie. Un sujet tabou à l'époque. Mais 12 ans plus tard, on se rend compte que les Québécois étaient prêts et avaient même besoin de débattre de ce qui allait bientôt ressembler à l'aide médicale à mourir.
1. Alors... précurseur, Denys Arcand et Les invasions barbares?
Moi, quand j'écrivais ça, j'écrivais ma mort rêvée. C'est parce que je pensais à moi. Ma mort idéale serait celle-là. Dans un lieu très beau, au bord d'un lac, entouré des gens que j'aime et la mort m'étant prodiguée par une très belle femme, pleine de compassion et de sourires et tout ça. Et donc, moi c'était à ça que je pensais. Éventuellement, ça se traduit autrement dans les lois, dans la société.
2. Mais n'empêche, il y avait quand même quelque chose d'osé, non? On craignait cette chose que vous proposiez dans ce film.
Vous n'avez qu'à penser à la réaction des maisons de soins palliatifs à l'approche de la loi [sur l'aide médicale à mourir], qui ont toutes refusé en disant : « non, [nous on n'en fera pas] ». Leur belle unanimité a été rompue par ceux de Sherbrooke qui ont dit : « ben là, on accepte de le faire ».
C'est un long combat difficile, dans le sens où c'est une des autres avancées, peut-être la dernière avancée du combat pour les libertés individuelles. Qui a commencé avec l'habeas corpus, le droit à l'avortement pour les femmes. Enfin, plein de choses comme ça, qui font que de plus en plus, l'humanité a gagné de la liberté par rapport à la vie, par rapport à soi-même.
Les mouvements - l'Église catholique par exemple - qui interdisaient aux suicidés d'être enterrés en terre chrétienne, leur pensée c'était : « votre vie ne vous appartient pas ». Votre vie appartient au roi, et ultimement, elle appartient à Dieu. Et donc, la vie vous est prêtée. Vous ne pouvez pas choisir de vous l'enlever puisque c'est une insulte à la divinité.
Les choses ont changé à partir du moment où les philosophes du 18e siècle ont commencé à établir que la croyance en Dieu était une affaire d'opinion. Vous pouvez bien croire en Dieu, mais moi, je peux bien croire aussi aux soucoupes volantes, à la réincarnation, à Shiva, la déesse aux sept bras. Tout ça se vaut. C'est une affaire d'opinion.
Conséquemment, vous ne pouvez pas légiférer et imposer à ceux qui n'y croient pas. Alors chacun est libre de disposer de sa vie comme il l'entend.
3. J'ai entendu un philosophe qui a tenté de me convaincre avec toutes sortes d'arguments que c'est pas seulement la vie qui ne m'appartient pas. La mort ne nous appartient pas et ma mort à moi ne m'appartient plus.
C'est une pensée médiévale. Et elle a cours encore aujourd'hui. Ce sont des gens qui n'ont pas compris Emmanuel Kant. Bon, Emmamuel Kant, c'est difficile à comprendre. (rires) Cela étant dit, c'est exactement ça. Ce sont les résidus d'une pensée médiévale. Le refus d'accepter que les gens sont entièrement responsables d'eux-mêmes.
4. On m'a déjà dit que la mort est une expérience enrichissante pour nos proches. Vous croyez à ça, vous?
Non, pas du tout. Cela étant dit, les lois qui s'en viennent ne sont pas coercitives. Si vous voulez mourir et vous rendre à votre dernier souffle, libre à vous. Et si moi j'ai une autre idée, vous ne pouvez pas m'en empêcher.
J'ai assisté à plusieurs morts, étant un peu vieux. Et non, ça ne m'a rien appris, sinon que dans bien des cas, les gens mouraient dans des souffrances épouvantables et que je ne voyais pas de raison de prolonger ces souffrances comme la médecine voulait le faire, c'est tout.
Et ce n'est pas enrichissant de voir souffrir son grand-père comme un chien dans un lit pendant des mois et des mois sous prétexte que ça va faire quoi? Enrichir qui, moi? Non, ça ne m'enrichit pas. J'espérerais mettre fin à ses douleurs et la loi ne me le permettait pas. Donc je n'ai rien appris du tout.
Je ne comprends pas qu'il y ait des arguments contre la loi sur l'aide médicale à mourir. J'ai eu, dans ma vie, des expériences fondamentales. Par exemple, Claude Jutra était un ami et aussi un cinéaste très connu. Il s'est vu pris de la maladie d'Alzheimer. Il était médecin lui-même, il connaissait tous les symptômes. Il a même réussi à faire un film entouré de son équipe aux prises avec la maladie, avec des difficultés épouvantables.
Il ne se souvenait plus de ce qu'il avait tourné la veille et quand il a terminé son dernier film, il est parti à pied de chez lui, au carré Saint-Louis. Il est allé se jeter en bas du pont Jacques-Cartier. Ça demande un courage extraordinaire; je ne suis pas certain que j'en serais capable.
Mais est-on obligé d'avoir une société qui nous oblige à nous jeter en bas du pont Jacques-Cartier, quand on voit venir l'horreur de la maladie d'Alzheimer qui n'est pas charmante, qui n'a pas de moments agréables, qui n'a rien, juste l'horreur absolue?
5. Pour certains, tout ce débat, c'est la dévalorisation de la vie. La vie ne vaut pas grand-chose puisqu'on peut la quitter quand ça nous tente. Est-ce un argument auquel vous êtes sensible?
Non, pas du tout. Je suis absolument opposé à ça. Autant je réclame le droit de terminer ma vie quand je le veux, autant je réclame le droit d'aimer ma vie. J'ai une vie très heureuse, j'ai encore du plaisir à faire des films. Ma vie est pleine, je la valorise du mieux que je peux. Mais quand je voudrai quitter, laissez-moi quitter en paix. Vous n'avez pas à vous mêler de ma décision.
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/12/11/002-aide-medicale-mourir-euthanasie-denys-arcand-invasions-barbabres.shtml
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