Le pape François entame samedi 19 septembre 2015 une visite officielle qui l'emmène à Cuba, puis aux Etats-Unis. Deux pays dont il a été l'artisan de la réconciliation diplomatique. Ce voyage intervient au moment où plusieurs annonces du souverain pontife sonnent comme une petite révolution dans l'Eglise catholique. Entretien avec le biographe du pape Jean Paul II, Alain Vircondelet.
L’universitaire Alain Vircondelet, membre de l’Académie catholique de France, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la vie et l'oeuvre du pape Jean Paul II. L’enfance de Jean-Paul II (éditions du Rocher) sera prochainement réédité en livre de poche.
Le pape François est attendu à Cuba et aux Etats-Unis. Un voyage qui consacre le rôle prépondérant du Vatican dans le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Quels sont les enjeux de ce déplacement ?
Le pape François a été l’intermédiaire entre les castristes et l’Amérique. Il ne faut pas sous-estimer la force de la diplomatie vaticane dans le monde. Le pape François à Cuba, c’est aussi extraordinaire que le voyage en Pologne, sous Jaruzelski, de Jean-Paul II qui parle de l’Eglise sur la place publique alors qu’elle était jusque-là interdite. Le pape François va réussir à imposer une grand-messe à Cuba. C’est une chose qu’on ne pouvait pas imaginer.
En outre, on évoque aujourd'hui l’esprit conquérant de l’Islam dans le monde. Ce voyage est l’occasion de montrer la prépondérance et l’influence de l’Eglise. Il y a un jeu stratégique et politique entre deux grandes religions révélées.
C’est aussi une manière de lutter contre l’islam radical?
Il faut aussi l’entendre comme ça. Au moment, où beaucoup de laïcs dénoncent le pouvoir de toutes les religions parce qu’elles sèment la violence, le pape propose un autre visage du discours interreligieux. Il est en train de dire au monde que la religion est également le lien social dont les hommes ont besoin. Il parle ainsi à la frange pacifiste et modérée de l’Islam. Cette passerelle, qu’il instaure, marque aussi le triomphe de la religion qui est loin d’être éclipsée par une laïcité, elle aussi, agressive.
La diplomatie vaticane a-t-elle changé depuis l’élection du pape François?
Elle a changé parce que les hommes ont changé. Il y a une plus grande attention aux pays émergents. Le pape François estime que l’avenir du monde n’est pas en Europe, où le catholicisme est érodé, mais dans les pays émergents.
Sur le Vieux continent, il ne fait pas d’annonce. Bien au contraire, à chaque fois qu’il s’adresse à lui, c’est pour dénoncer son égoïsme, c’est toujours pour la sermonner, pour lui dire qu’il n’est pas à la hauteur de ce christianisme qui fut fondamental dans son histoire.
De même, chacun de ses déplacements a du sens. Il repousse, par exemple, le voyage en France parce qu’il n’est pas politiquement d’accord avec Paris. Il y a une partie de ping-pong entre le Quai d’Orsay et le Vatican à propos de ce diplomate homosexuel que François Hollande veut absolument appointer auprès du Saint-Siège. Le président français s’amuse à provoquer le Vatican qui répond par ce rejet (il refuse d'accréditer le diplomate français, NDLR).
Les récentes déclarations du pape François sur l’homosexualité, l’avortement ou encore l’allègement des procédures d’annulation du mariage font évoluer les dogmes de l'Eglise sans toutefois les compromettre. A quoi est due cette dynamique?
A la personnalité du pape François. Il a toujours eu une vision de gauche. Il a lui-même déclaré qu’il n’avait jamais été de droite dans un entretien accordé à une revue en Argentine, avant qu’il ne devienne souverain pontife. Il y a un contraste avec son prédécesseur Benoît XVI, qui était plutôt réservé. Le pape François est un showman. Cependant, ce que fait le pape François n’est que l’évolution de ce que Jean Paul II a initié pendant son pontificat.
La miséricorde et la compassion, deux grandes vertus du christianisme, que développent le pape François l’ont été également par Jean Paul II. Ce sont des «hommes d’extérieur», contrairement à Benoît XVI qui est plutôt un homme d’appareil. Le pape François a vécu en Amérique Latine, dans un monde exposé à la misère. Il a été attentif à cette théologie de la libération (selon le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, qui est à l'origine de ce courant de pensée, «la théologie de la libération dit aux pauvres que la situation qu'ils vivent actuellement n'est pas voulue par Dieu», NDLR).
Il y a donc chez le pape François, à la fois une filiation avec Jean Paul II, et une bonne dose de pragmatisme…
Le pape François est un jésuite. C’est donc un stratège par définition parce que c’est la vertu première des jésuites, à savoir composer avec le monde dans tous les sens du terme. Tout cela au grand dam de la curie romaine où le pape François est totalement minoritaire. C’est quelque part un homme seul, une solitude qu’a connue Jean Paul II. Sa volonté de réformer l’administration du Vatican lui a valu beaucoup d’inimitiés. C’est la même chose pour le pape François. Des cardinaux du Nord, notamment originaires d’Amérique du Nord et d’Italie, sont hostiles à ce qu’ils désignent comme des «saillies».
Mais c’est finalement ce Benoît XVI, si conservateur, qui a été l’artisan de l’avènement du pape François...
Le Vatican et les chrétiens estiment que cela relève du mystique. Sous le pontificat de Benoît XVI, on avait l’impression que tout était fait pour qu’explose une autre personnalité. Le pape François, qui lui a succédé, s'associe à une parole considérée aujourd'hui comme scandaleuse. Mais ce scandale n’est-il pas à l’image du christianisme? Jésus a été scandaleux. Le souverain pontife est à la croisée de paradoxes extraordinaires qui constituent l’essence du christianisme.
C’est un homme habile, coutumier du coup médiatique, qui (ré)instaure les grandes valeurs du christianisme : compassion, miséricorde, amour, libération de la parole de Dieu et audace de le dire… C’est un travail de reconquête du christianisme face à la montée de l’islam.
Le pape est obligé, d’un côté, d’être «populiste» comme le prétend la curie romaine qui préférerait qu’il soit dans le droit fil du dogme, et de l’autre, on constate qu’il ne s’en éloigne pas. «Qui suis-je pour juger?» est à ce jour la parole la plus importante de François. Cela vaut pour les femmes qui ont avorté, pour les homosexuels, les couples qui ont divorcé…. C’est ce que Jésus a dit à Marie-Madeleine. Le pape François a multiplié les actes transgressifs : il a osé récemment s’entretenir avec un transsexuel, a rencontré Monseigneur Gaillot (ancien prélat de la ville française d'Evreux, NDLR) destitué par l’Eglise catholique pour ses prises de position progressistes.
Cette évolution affichée, du moins dans le discours, rend-il le pape plutôt populaire auprès des catholiques ou des non catholiques?
Le pape essaie de placer le grand message du Christ dans la réalité du monde. C’est pour ça qu’il est plus populaire chez les non catholiques que chez les catholiques. Athées, agnostiques et hédonistes le trouvent formidable.
Les catholiques, quant à eux, sont très partagés et voire même un peu déboussolés. Le pape François va très loin. Récemment, c'était à propos des réfugiés. Il a demandé à chaque paroisse d'accueillir une famille. En même temps, il est en phase avec le message primitif de l’Evangile qui n’est pas toujours mis en œuvre par les fidèles. Le message du Christ est exigeant et François confronte chaque fois le catholique à ce message.
On a l’impression que le pape François a fait l’essentiel au cours de ses deux premières années de pontificat. Que lui restera-t-il à accomplir?
Il est possible que sa pastorale, qui est celle de la miséricorde et de la compassion, évolue vers quelque chose de plus intériorisé, de plus mystique, moins marquée par les coups médiatiques. La trajectoire de François, même s’il est encore trop tôt pour en parler, présente des similitudes avec celle de Jean Paul II. A l’instar de ce dernier, le pape commence d'abord par avoir une approche géostratégique et sociétale.
Dans la grande tradition jeanpaulienne, il se veut le prêtre de la paroisse du monde qui rassemble les brebis égarées, à l’image du Christ. II veut absolument faire revenir dans le giron de l’Eglise ceux qui avaient fait schisme : il tend la main aux Lefebvristes (traditionnalistes). Cependant, le pape François pense qu’il ne pourra peut-être pas finir son pontificat. Il dit que ce qu’il a fait jusqu’à présent peut le mener à la mort. Il a évoqué la possibilité d’un assassinat à cause de la violence de son enseignement et de ses déclarations.
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