Le sensus fidei, « flair » des chrétiens pour les « choses de Dieu »
La Commission théologique internationale vient d’achever un travail de deux ans et demi sur le « sens de la foi » des fidèles et son articulation avec le Magistère.
18/6/14 -
C’est Vatican II qui a remis en valeur la notion de « sensus fidei ».
Sans confondre cette notion avec l’opinion publique, le document reconnaît que des désaccords peuvent exister et esquisse une réponse.
À la surprise générale, le pape François a choisi, en novembre dernier, de faire précéder le Synode sur la famille – qui se déroulera à Rome du 5 au 19 octobre – d’une vaste consultation des fidèles, au moyen d’un questionnaire diffusé jusque dans les paroisses. « Ce rendez-vous important implique le peuple de Dieu tout entier, évêques, prêtres, personnes consacrées et fidèles laïcs des Églises particulières du monde entier, qui participent activement à sa préparation par des suggestions concrètes et par l’apport indispensable de la prière », écrivait-il dans sa missive aux familles. Un signe, parmi de nombreux autres, de l’estime dans laquelle le pape François tient le « sensus fidei », le sens de la foi des fidèles, qu’il compare parfois au « flair » des brebis « pour trouver de nouvelles voies sur le chemin »…
« Consultation » préalable des fidèles
Le document que publie ces jours-ci la Commission théologique internationale, sur Le sensus fidei dans la vie de l’Église, approuvé le 5 mai après deux ans et demi de travail, arrive donc à point nommé. Car cette notion – qui s’appuie sur l’Écriture, et en particulier sur « ce don de l’Esprit Saint » décrit par saint Jean ouvrant « aux croyants l’accès à la connaissance de la vérité tout entière » – n’est pas sans poser de nombreuses questions : comment l’identifier, en particulier lorsqu’un décalage apparaît entre les enseignements du Magistère et la vie quotidienne d’une partie des catholiques, en matière de contraception, par exemple, ou d’accès aux sacrements pour les divorcés remariés ? Comment reconnaître aussi le sensus fidei dans les nombreuses manifestations de la religiosité populaire ? « À quelles conditions ce que comprend un baptisé confirmé exprime-t-il vraiment la “voix” de l’Église entière ? », résume de son côté Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la commission doctrinale de la Conférence des évêques de France dans la préface pour l’édition française, à paraître le 26 juin aux Éditions du Cerf (1). Et surtout, « quelle est la relation du sensus fidei au magistère ecclésiastique du pape et des évêques, ainsi qu’à la théologie ? » s’interroge la CTI.
« Autant de questions auxquelles il est nécessaire d’apporter des réponses si l’on veut que l’idée de sensus fidei soit plus parfaitement comprise et utilisée avec plus de confiance dans l’Église aujourd’hui », affirment les théologiens du pape. Leur texte, d’une quarantaine de pages, ne cache pas les tensions qu’a pu susciter – ou que suscite encore – cette notion. Il rappelle même combien, victime de « la caricature d’une hiérarchie active et d’un laïcat passif », elle a été éclipsée par la Contre-Réforme, mais pour mieux mettre en évidence sa redécouverte au XIXe siècle, sous l’influence de théologiens comme le cardinal John Henry Newman. Les dogmes de l’Immaculée Conception, puis de l’Assomption de la Vierge, sont ainsi réputés avoir été définis après une sorte de « consultation » préalable des fidèles. « Dans un cas comme dans l’autre, les définitions pontificales confirmaient donc et célébraient les croyances fermement tenues par les fidèles », lit-on dans le document de la CTI. Mais c’est surtout le concile de Vatican II qui, en mettant l’accent sur la participation propre des laïcs à la vie et à la mission prophétique de l’Église, lui redonne toutes ses lettres de noblesse.
Un double critère
Sans « nier béatement les tensions » qui peuvent dès lors surgir entre le Magistère et « l’opinion publique des baptisés », « ni en rejeter toute la responsabilité du côté des laïcs soupçonnés d’être mal formés ou mal croyants », fait valoir le P. Serge-Thomas Bonino, son secrétaire général, la CTI a choisi au contraire de trouver le moyen de les dénouer. À un large consensus, assure-t-il, cette instance placée sous l’autorité de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi est parvenue à écarter les « usages inappropriés » de la notion, ses « contrefaçons ». Le sensus fidei n’est pas « l’expression de la majorité des baptisés », prend bien soin de rappeler le document, qui propose, pour l’identifier, un « double critère » : un premier objectif – la conformité à la Tradition – et un second plus subjectif, en vertu duquel « le croyant participe au sensus fidei dans la stricte mesure et proportion où il participe à la foi et à la vie de l’Église ». Et donc écoute et accueille la parole de Dieu dans la liturgie, « recherche une vie sainte dans l’humilité, la liberté et la joie »…
« De même que toute parole sortie de la bouche du pape n’est pas couverte par son charisme d’infaillibilité, de même toute opinion exprimée dans le peuple fidèle n’appartient pas au sensus fidei », résume le P. Bonino, pour qui Magistère et sensus fidei interagissent « dans un jeu réciproque permanent ». « Le Magistère aide le sensus fidei à se purifier, et le sensus fidei aide le Magistère à mieux préciser ses enseignements, à se recentrer sur l’essentiel, quitte à abandonner certaines modalités d’expression qui peuvent être liées à un contexte historique. » Ce sera tout l’enjeu du prochain Synode sur la famille…
Anne-Bénédicte Hoffner
La Croix