Européennes. Berlin lâche la bride
27 avril 2014/ David Philippot Le Télégramme de Brest
À moins d'un mois des élections européennes, Le Télégramme a pris le pouls des pays voisins de la France. Comment évoluent-ils au sein de l'UE ? Quelles sont leurs attentes ? Quelles couleurs revêt la campagne, chez eux ? Nous ouvrons cette série avec l'Allemagne, pièce maîtresse de l'Europe.
Jamais sans Merkel. La Chancelière n'est évidemment pas candidate au Parlement européen, où elle n'a même jamais siégé, mais elle est la seule personnalité politique à figurer sur les affiches de campagne de la CDU. Elle représente le meilleur argument de son parti. « Gagnons ensemble en Europe » : le slogan des conservateurs, imprimé sous son visage retouché par ordinateur, résonne urbi et orbi en Allemagne comme en Europe.
Relance de la consommation
À l'intérieur de ses frontières, la Chancelière incarne la garantie d'une gestion rigoureuse des deniers publics et d'une économie florissante, capable de dégager, en un mois, un excédent budgétaire de 55 milliards d'euros. Dans un sondage récent du Spiegel, quatre Allemands sur cinq se disent « satisfaits de la situation de leur pays », un taux qui s'élève même à 85 % pour les 18-29 ans. De surcroît, l'Allemagne vient de se doter d'un salaire minimum de 8,50 euros l'heure. Les salaires horaires bruts effectifs par employé devraient croître de 2,7 % en 2014 et de 3,8 % en 2015, « la plus importante hausse de salaire réelle depuis la réunification », dixit Ferdinand Fichtner, expert à l'Institut économique allemand. La demande intérieure jouera d'ailleurs un rôle moteur pour la croissance des deux prochaines années, supérieure ou égale à 2 %. La relance de la consommation des ménages tombe à point nommé pour pallier le ralentissement chinois ou les zones de turbulence à l'est ou au sud de l'Europe. Si à l'échelle européenne, l'étiquette de « Mère-la-rigueur » lui reste accolée, Angela Merkel peut désormais se rendre sans complexe à Lisbonne ou Athènes. « L'explosion de la Zone euro » ne s'est pas produite et l'euro continue de soutenir les exportations allemandes. Toujours en cure sévère d'austérité, les pays en difficulté affichent une meilleure mine, hormis l'Italie. Leur retour en grâce sur les marchés, symbolisé cette semaine par les émissions de dettes du Portugal, Angela Merkel s'en attribue la maternité en décernant des satisfecit pour leurs « réformes de compétitivité » et en saluant « les efforts accomplis ».
Merkel tire les ficelles
La France reste un « Sorgenkind », un enfant à problème, mais l'Allemagne fait, là aussi, preuve d'indulgence. En visite à Berlin au lendemain de sa nomination aux Finances, Michel Sapin a fait face à un Wolfgang Schäuble moins rigide qu'à l'accoutumée. Le grand argentier a exprimé sa compréhension pour « les pays dont la situation ponctuelle ne permet pas toujours le respect des règles ». Une référence aux fameux 3 % de déficits promis en 2015. « En physicienne, Angela Merkel a bien compris qu'il fallait faire sortir de la vapeur d'un système sous-pression », analyse Ulrike Guérot. La directrice à Berlin du think tank ECFR (Conseil européen des relations étrangères) poursuit : « Elle a de toute façon imprimé sa vision en Europe et sa doctrine, politique de l'offre-politique de rigueur, s'est imposée dans le débat ». Pas question d'attiser inutilement la germanophobie et d'exciter l'euroscepticisme, à quelques encablures du scrutin. La Chancelière veut montrer un visage humain mais ne cède rien sur le fond. Et continue de tirer les ficelles. La défaite du trop européen Michel Barnier au profit du pragmatique Jean-Claude Juncker pour briguer le poste de président de la Commission européenne porte sa marque. Au final, c'est le social-démocrate allemand Martin Schulz, également « merkelo-compatible », qui pourrait remporter la mise. Et l'Europe pourrait fonctionner avec une grande coalition conservatrice et sociale-démocrate. Comme l'Allemagne.