Qui n’a pas été un jour ou l’autre saisi, en participant à un office monastique, par le contraste entre d’une part la sérénité des lieux et la paisible psalmodie du choeur des religieux et d’autre part la violence extrême du contenu de certains de ces psaumes chantés avec des voix si suaves ? Cette expérience, souvent revécue, et la conscience de mes propres contradictions en matière de violence et de non-violence sont à l’origine de ces quelques réflexions sur l’étonnante propension qu’a la Bible à attribuer à Dieu lui-même un comportement brutal.
Car c’est bien cette violence-là qui fait le plus problème dans le livre sacré. Les pages qui suivent ne s’arrêteront donc pas à la violence multiforme telle qu’elle éclate dans la puissance incontrôlée des éléments déchaînés ou la sauvagerie meurtrière des humains. Des descriptions terrifiantes du tonnerre ou de la tempête, on en trouve plein dans la Bible. Des cris de guerre et des récits de batailles, la Bible en est remplie... et ceci n’est pas pour nous surprendre. Mais que cette violence soit attribuée à Dieu lui-même, voilà qui est plus déroutant !
Loin de prétendre à une étude rigoureuse et exhaustive de chacun des textes bibliques qui pourraient être invoqués pour illustrer notre sujet, ces quelques lignes entendent juste traduire l’état provisoire d’une réflexion sur Celui que j’ai choisi d’appeler ici « le Dieu violent de la Bible ».
Il existe, je l’ai rencontré !
Est-ce Celui de Jésus ?
Du bon usage des textes violents de la Bible
Les traces d’un jugement et le signe de notre responsabilité
La bonté de Dieu ne fait pas disparaître sa justice : « N’essaie pas de le corrompre par des présents, il les refuse, ne t’appuie pas sur un sacrifice injuste. Car le Seigneur est un juge qui ne fait pas acception des personnes. » (Si 35,11-12).
La tendresse immense de Dieu laisse en effet les hommes responsables de leurs actes : « Ne sois pas si assuré du pardon que tu entasses péché sur péché. Ne dis pas : “Sa miséricorde est grande, il me pardonnera la multitude de mes péchés !” car il y a chez lui pitié et colère et son courroux s’abat sur les pécheurs. » (Si 5,5-6).
Des exégètes font aujourd’hui remarquer que certains discours sur la bonté de Dieu, nés du désir d’un « Dieu-soft », dédouané de toute violence, font immanquablement penser à ce que l’on dit d’un chien inoffensif qui se contente d’aboyer fort mais qui ne mord pas : « Parler trop rapidement et trop simplement du bon Dieu a pour prix que ce Dieu est bon parce qu’il ne fait rien. Cela n’est sûrement pas une conception adéquate de l’amour de Dieu. » [27]
La responsabilité morale des hommes est à la mesure de leur liberté, clairement réaffirmée dans le Siracide : « Ne dis pas : “C’est le Seigneur qui m’a fait pécher” car il ne fait pas ce qu’il a en horreur. Ne dis pas : “C’est lui qui m’a égaré”, car il n’a que faire d’un pécheur (...) Si tu le veux, tu garderas les commandements : rester fidèle est en ton pouvoir. » (Si 15,11-20).
Si la tolérance, classée aujourd’hui première au hit-parade des vertus républicaines, désigne le respect des personnes, on n’aura aucun mal à lui trouver un enracinement biblique. Mais s’il s’agit d’un individualisme irresponsable dans un nivellement général des valeurs et un refus de juger les comportements [28], alors elle se verra contester par les textes les plus violents de la Bible. Car précisément, pour la Bible, tout n’est pas tolérable et Dieu lui-même est saisi de saintes colères !
Le chrétien sait qu’il ne peut agir n’importe comment, que son agir n’est pas un jeu que Dieu le laisserait jouer sans le prendre au sérieux. Il sait qu’il devra répondre de ce qui lui a été confié, comme un intendant (cf. Mt 25,14-30; Lc 12,40-48).
Point n’est besoin d’imaginer l’enfer comme une punition ! Dieu ne punit personne... Il se contente de nous prendre au mot. Un jour viendra où il sera trop tard pour choisir qui nous voulons suivre, comment nous voulons vivre. Notre vie aura assez parlé. Ce jour-là, il se peut que nous constations alors qu’« un grand fossé » [29] aura fini par se creuser entre nous et Dieu. Les évangiles reprennent - on l’a vu - les violentes images juives pour évoquer cet éloignement de Dieu : « les ténèbres extérieures » (Mt 8,12;22,13), « les pleurs et les grincements de dents dans la fournaise ardente » (Mt 13,42), « la géhenne où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas » (Mc 9,43) etc...
Chacun de nous mène sa vie comme il l’entend et donne, ou non, une dimension d’éternité à sa vie [30]. L’enfer ou le paradis, chacun de nous se le prépare et peut en avoir dès maintenant un avant-goût ! Notre vie apparaît ainsi comme une affaire grave et c’est de là précisément que vient sa dignité. Devant un tel enjeu, il semble bien que les mots de la Bible ne seront jamais trop forts !
La provocation de Celui qui détruit nos idoles
Lorsque des chrétiens sont choqués de trouver dans la Bible - et notamment dans le Nouveau Testament - des textes qui évoquent de la violence en Dieu, ils réagissent en fonction d’une certaine image qu’ils se font du Dieu de Jésus-Christ. Cette image leur provient du catéchisme de leur enfance, des prédications qu’ils ont pu entendre, des films qu’ils ont pu voir sur Jésus, mais probablement plus encore de toutes les nobles aspirations humaines qu’ils partagent avec leurs contemporains et qu’ils projettent de manière plus ou moins consciente sur Jésus : la tolérance , la tendresse, le respect, la justice, la patience, etc...
C’est ici que la lecture de la Bible se révèle particulièrement utile pour contester chacune de ces images que nous nous faisons de Dieu et de Jésus et qui, à n’être jamais contestées, finiraient par nous faire croire que nous connaissons Dieu.
« Quand donc nous croyons savoir qui est Dieu, écrit André WENIN, le Dieu violent de la Bible vient à notre secours - l’expression est de Paul Beauchamp, je crois. Ce Dieu violent nous tend la main. Il nous interroge, nous invitant ainsi à sortir de l’idolâtrie qui consiste à faire Dieu à notre image. Stimulés de la sorte, nous découvrirons, avec plus d’acuité peut-être, que, si Dieu est amour et cet amour est douceur, il ne l’est pas au prix d’une démission face au mal et aux forces de mort. Car il ne cesse de les combattre. » [31]
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