"Tout ne m'est pas profitable", écrit l'Apôtre des Gentils... Profitable pour quoi ? Peut-être que la question que pose le jeune homme riche à Jésus est éclairante :
"Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ?". A ceci, le Christ répond par le double commandement de l'amour, de Dieu et du prochain. Ce qui,
in fine, revient au même.
Il apparaît donc que tout est ordonné au salut, et qu'à une question centrée sur le soi, Jésus invite à s'ouvrir à l'amour des biens célestes. Les préceptes familiers de la théologie morale sont donc à relier à cela : ils sont prescrits en tant que liés à l'amour de Dieu et du prochain. Plus précisément, en tant qu'expression concrète de l'amour de Dieu et du prochain. En tant que manifestation (sacrement ?) de cet amour.
N.B. : Cela rejoint la proposition kantienne : "Considère toujours autrui non seulement comme un moyen, mais en même temps comme une fin.". Jean-Paul II fonde sa théologie morale sur ce précepte. Il revient à dire que l'amour consiste à considérer l'autre d'abord comme une fin en soi, et non uniquement comme moyen en vue d'une fin subséquente. Et l'on voit immédiatement que la chasteté se coule à la perfection dans ce contexte.
C'est donc en visant le salut, c'est-à-dire la vie éternelle et, de ce fait, en accomplissant les préceptes divins, que l'on en vient à devenir pleinement humain, en quelque sorte incidemment. N'est-ce pas là ce que dit Notre Seigneur, lorsqu'il invite ses disciples à rechercher le Royaume, le reste leur étant donné de surcroït ? C'est en ayant les yeux braqués sur le Christ que s'accomplit le dessein de Dieu sur l'être humain : qu'il soit heureux dès ici bas, car participant déjà de son ineffable et éternelle joie. Ainsi les espoirs sont-ils assumés par l'espérance et l'écueil évoqué dans mon précédent message s'évapore-t-il.
Autant dire que la foi chrétienne est essentiellement attente, comme l'écrivait le cardinal Newman. Elle est essentiellement espérance, et étant espérance, elle assume, c'est-à-dire accomplit et réalise les espoirs terrestres. Voilà qui est une différence fondamentale d'avec les théories plus ou moins intéressantes ou fumeuses - c'est selon - de "développement personnel". Le christiannisme est voie de développement personnel, certes, mais seulement en ce sens que le terrestre est incident au céleste. La foi chrétienne ne prend finalement son épaisseur qu'à la lumière de l'union eschatologique avec le Christ. C'est pour ainsi dire la mort qui donne son sens à la vie. Voir le discours sur les morts de saint Grégoire de Nysse, délice de paradoxe sur ce point.
C'est donc à la lumière de l'espérance de la Vie éternelle, pour laquelle tout passe hormis la charité, que prend tout son sens le défi de la vie terrestre, préparation à la rencontre avec Dieu. La foi chrétienne est un chemin qui aboutit en Dieu, et les préceptes moraux sont finalisés en ceci qu'ils sont les bornes, les guides sur le chemin vers Dieu ; chemin sur lequel saint Paul s'élance pour tenter de saisir Celui qui, le premier ,l'a saisi, et ne l'atteignant au final qu'à travers sa propre Pâque.
Et si l'Apôtre acquiesce, quoiqu'indirectement, aux Corinthiens qui prétendent que tout leur est permis, c'est que les baptisés ne sont plus prisonniers de la Loi, mais libre de la liberté des enfants de Dieu. A tout péché miséricorde, dit la sagesse populaire, et c'est en ce sens que tout est permis :
"Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé".
"Est-ce à dire, continue l'Apôtre,
qu'il faut pécher ?". Non, car le péché appelle le péché (car large et attirant est le chemin de perdition), et péché sur péché conduit à l'endurcissement du coeur, et finalement à l'absence de repentir, condition nécessaire de la miséricorde. En ceci tout n'est pas profitable, que si la miséricorde détruit le péché, le péché détruit la miséricorde. Destruction causée par l'impénitence persévérante qui ferme à l'âme l'entrée dans la Béatitude du Royaume et la condamne, par son choix enraciné dans le terreau d'une existence tournée vers elle-même, à souffrir d'être aimée de Dieu.
Qu'en pensez-vous ?