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Sujet: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 10:13
Cette semaine, la Foi prise au mot fait écho à plusieurs déclarations du pape François exhortant à se défier de deux hérésies anciennes, mais revenant en force : la gnose et le pélagianisme. En 2013, le pape François, dans Evangelii Gaudium mettait les chrétiens en garde contre le gnosticisme, « une foi enfermée dans le subjectivisme », disait-il, et le pélagianisme « autoréférentiel et prométhéen ». Hérésie, voilà une dénomination bien traditionnelle pour un pape que beaucoup jugent très moderne. Qu´est-ce que la gnose et qu´est-ce que le pélagianisme ? Et comment les vieilles idées des premiers temps de l´Église peuvent se retrouver au coeur de notre 21e siècle ?
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 11:14
Excellent partage, merci Philippe!
On peut rester un peu sur sa faim, lorsque l'on se sait infesté au moins partiellement de ces hérésies ou dérives. Ni le pape, ni nos intervenants ne nous présentent d'antidotes à ces dérives très répandues, notamment sur internet.
Donc en reprenant le catéchisme, j'ai trouvé la partie qui évoque les vertus cardinales données par Dieu à l'homme et qui peuvent nous aider à nous protéger de ça. Au nombre de 4, je les rappelle: ce sont la Prudence, la Force d'âme, la Justice et la Tempérance.
Nous pouvons travailler à mettre pour chacune d'entre elles , le "curseur" au milieu, en y trouvant le point d'équilibre.
Si vous avez d'autres solutions, je prends!
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 11:26
Le GRAND expert sur la question se nomme Jean Borella de confession ultra catholique.
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[size=60]Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne[/size]
La gnose a mauvaise presse dans le christianisme. D’instinct, on la répute pour le pire ennemi de la vraie religion. Il y a donc quelque paradoxe à parler d’une gnose chrétienne. C’est à quoi nous voudrions apporter une réponse dans les réflexions suivantes. A un moment où le mouvement des idées semble parfois faire retour à un gnosticisme païen et anti-chrétien, il n’est peut-être pas inutile de montrer qu’il existe une gnose chrétienne, plus profonde et plus radicale que celle que l’on tente de ressusciter.
I. Position du problème
En général les doctrines religieuses et philosophiques peuvent êtres définies historiquement : quels sont les hommes qui les ont professées ? quand ont-ils vécu ? le nom qu’on leur donne leur convient-il ? etc. d’une part ; et d’autre part spéculativement : de quelles doctrines s’agit-il ? quel en est le contenu ? Ces exigences sont malaisées à satisfaire en ce qui concerne ce qu’on est convenu d’appeler : la gnose. L’objet de notre étude est inséparable des diverses perspectives sous lesquelles il fut envisagé. L’histoire de la gnose (et du gnosticisme), c’est l’histoire de son historiographie. Jusqu’à une date récente, en effet, cet ensemble cosmologico-religieux n’était connu que par les réfutations de ses adversaires chrétiens (et néo-platoniciens). Il s’agit principalement des « hérésiologues », c’est-à-dire de ces écrivains chrétiens (Irénée, Justin, Hippolyte, ect.) qui, aux alentours des IIe et IIIe siècles, combattirent le gnosticisme, dans des ouvrages parfois de vastes dimensions qui renfermaient évidemment de longues citations des adversaires à réfuter. Ces citations constituent la majeure partie de notre documentation. C’est elle qui fut étudiée par les historiens, du XVIe au XXe siècle. Mais en 1945 fut découverte en Haute-Egypte, près de Nag-Hammi, une bibliothèque gnostique datant vraisemblablement du IVe siècle ap. J.C. Relativement à la gnose, c’est la découverte la plus importante de l’histoire du christianisme ; cette bibliothèque comprend treize volumes (sous la forme de codices ou cahiers) renfermant des textes et fragments de textes proprement gnostiques ou utilisés par la communauté gnostique. Le déchiffrement ni l’étude en sont terminés. Les problèmes soulevés sont loin d’être résolus, et il ne semble même pas que la connaissance historique du gnosticisme en devenant plus étendue soit devenue plus claire. Quelles sont donc les thèses qu’à suscitées ce mouvement religieux dont l’importance historique et géographique ne saurait être exagérée ? (Nous suivons ici principalement H.C. Puech et Jean doresse.)
1. Les historiens ont d’abord vu dans le gnosticisme une hérésie purement chrétienne. Et, puisque, comme le dit Tertullien, l’hérésie vient après l’orthodoxie, elle ne peut donc être que postérieure à la constitution de la doctrine chrétienne, ou, à tout le moins, quasi contemporaine. Elle daterait donc du Ier et II e siècles. Mais les historiens n’étaient pas d’accord sur le sens de cette hérésie. Pour les uns – principalement pour Harnack – le gnosticisme est une « hellénisation radicale et prématurée » d’une religion d’origine orientale , hellénisation que l’Eglise réussira avec plus de modération et de lenteur, et qui est devenue le christianisme tel que nous le connaissons. Pour les autres - et notamment pour l’Allemand Bousset – le gnosticisme aurait été , au contraire une tentative pour faire régresser vers une source orientale une religion qui, tout normalement revêtait une forme grecque.
2. Un deuxième stade dans l’historiographie du gnosticisme fut atteint lorsqu’à la suite des travaux de Bousset que nous venons de mentionner, il fut de plus en plus évident que ce courant n’était pas directement lié au christianisme, et qu’il existait, antérieurement au christianisme, des groupes religieux (en particulier les mandéens) qui ressortissaient incontestablement au gnosticisme, même s’ils ne faisaient pas usage pour se définir, du terme de gnose. Ces groupes religieux se rencontraient dans de nombreuses aires géographiques. Apocalypse juive du Ier siècle av. J.C. (c’est le thèse du Cardinal Daniélou), Iran, Egypte (en particulier le courant de l’hermétisme). Cette thèse est peu contestable et nous paraît aujourd’hui assez bien établie, au moins dans son cadre général (car, pour notre part, nous faisons toutes réserves sur la signification du phénomène gnostique et sur les diverses interprétations qu’en donnent les historiens). Mais, si elle est vraie, s’il est exact que le gnosticisme n’ait rien de spécifiquement chrétien, alors ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi la thèse précédente a pu paraître si évidente, et comment, de fait, le gnosticisme a pu être si intiment mêlé au christianisme qu’on a pu se demander si certains gnostiques , parmi les plus grands, tel Valentin, n’étaient pas plutôt en vérité, des chrétiens sincères, dont le gnosticisme n’aurait été que de surface ! Ou bien faut-il admettre que la rencontre du gnosticisme et du christianisme n’est due qu’aux hasards de l’histoire ? Prenant contact avec une religion neuve et dynamique, le gnosticisme n’a-t-il pensé qu’à utiliser cette force pour des fins qui étaient les siennes propres ?
3. Nous voudrions poser une troisième thèse : tentative un peu ambitieuse, mais qui ne risque rien n’a rien ! Cette thèse nous paraît répondre aux données de l’histoire telles qu’on vient de les rappeler. La voici : le christianisme est une religion gnostique. Et même c’est la véritable gnose, la gnose dans toute sa pureté. Avant de justifier cette affirmation, signalons tout de suite en quoi elle permet de rendre compte des données historiques. Si le gnosticisme pré-chrétien, en prenant contact avec la Révélation Chrétienne, l’a en quelque sorte « reconnue », s’il a éprouvé l’impression d’y découvrir quelque chose qui n’était pas sans rapport avec sa propre vision du divin et du sacré, on s’explique alors qu’il ait eu le désir de l’utiliser à son profit, afin de bénéficier de son dynamisme. On comprend aussi que tant d’historiens aient pu affirmer avec pertinence que le gnosticisme était une hérésie proprement chrétienne ; et même que les gnostiques, tel Valentin, aient pu paraître finalement plus chrétiens que gnostiques. Sans doute, faut-il pour admettre notre hypothèse, s’élever au-dessus des catégories strictement historiques, et admettre que tout ne s'explique pas en termes d’influences repérables et constatables, en particulier pour ce qui est des faits religieux. Mais c’est là, pour nous, une évidence. Si donc le gnosticisme paraît si spécifiquement chrétien, et si pourtant son origine est incontestablement pré-chrétienne, c’est que le christianisme présente lui-même les caractéristiques d’une véritable gnose authentique, ou plutôt qu’en lui la gnose atteint à sa pureté et à sa vérité, tandis que les gnosticismes immédiatement pré-chrétiens ou para-chrétiens n’en offrent que des aspects déformés et déviés.
II. – Gnose et gnosticisme
Notre thèse nous impose maintenant une double tâche : montrer en quoi effectivement le christianisme réalise la vérité de la gnose d’une part, et d’autre part identifier l’erreur du gnosticisme et préciser la déviation qu’il fait subir à la gnose véritable. Toutefois et préalablement se pose la question de la justification terminologique des mots gnose et gnosticisme.
1. On pourrait en effet se demander : pourquoi appeler le christianisme gnose, alors que ce terme importe avec lui tant de choses douteuses et tant de théories inacceptables ? Nous répondrons d’abord que nous distinguons entre la gnose, décalque du grec gnôsis, par quoi il faut entendre la connaissance intérieure et salvatrice de Dieu, et le gnosticisme qui désigne une systémisation historiquement déterminée de cette connaissance telle que la gnose s’y trouve réduite à certains de ces éléments constituants. En ce sens, tout gnosticisme est une hérésie, puisque l’hérésie consiste à choisir (haïrésis = choix), au sein de la vérité totale, quelques éléments de cette vérité que l’on érige ensuite en totalité et auxquels on ramène tout le reste (1). Ensuite, nous ferons observer que le terme de gnôsis au sens défini précédemment appartient au christianisme, puisqu’il fut employé en ce sens, pour la première fois, par saint Paul (2). Et c’est également chez saint Paul que se trouve la première dénonciation du gnosticisme, c'est-à-dire de la « pseudo-gnose » ( 1er épître à Timothée, VI, 20). Mais saint Paul, s’il est la plus grande autorité que nous puissions invoquer, n’est pas la seule. Saint Irénée de Lyon, dans l’Adversus Haereses, ne dénonce pas la gnose, mais, ainsi que le déclare le titre original de son ouvrage, titre que nous ont conservé Eusèbe de Césarée, saint Jean de Damas, et d'autres, « la gnose au faux nom » (Elenkos kaï anatropè tès pseudonymou gnôseôs). Clément d’Alexandrie lui aussi, s’il combat le gnosticisme, se propose de nous enseigner « la gnose véritable », celle qui vient du Christ par la tradition apostolique, et que l’étude de l’Ecriture et la vie sacrementelle actualisent en nous. De même, le grand Origène nous parle de cette « gnose de Dieu » que peu d’hommes possèdent et par laquelle Moïse a pénétré dans la Ténèbre divine (3). Ce sont là des raisons historiques suffisantes pour parler d’une gnose chrétienne.
2. Mais après le nom, il faut parler de la chose elle-même. En quoi donc la Révélation chrétienne est-elle une gnose ? Si l’on identifie gnose et gnosticisme, alors notre thèse est insoutenable, car la vérité chrétienne n’est pas, a priori, réservée à une élite secrète, bien que, comme l’enseignent maintes paraboles, tous n’aient pas la même compréhension et n’en pénètrent pas également le sens le plus profond. Mais s’il est vrai que, par gnose, on doit entendre une connaissance de Dieu, intérieure et salvatrice, alors il est bien difficile de nier qu’une telle définition ne s’applique excellemment au message propre du Christ. Que « la vie éternelle » soit une gnose, c’est ce qu’affirme le Christ lui-même, dans l’évangile selon saint Jean : « Voici ce qu’est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (XVII, 3). Ainsi, la connaissance de Dieu est vie, et même vie éternelle, c’est précisément le salut que Jésus-Christ est venu nous apporter, puisqu’Il nous sauve de la mort et du péché. Et, selon certains exégètes (C.H. Dodd, en particulier), le quatrième évangile n’a-t-il pas été écrit pour prouver que la véritable gnose , c’est la foi en Jésus-Christ, et dans le pouvoir salvateur de « Son Nom » (joa, XX, 31) ?
Mais cette connaissance n’est pas seulement salvatrice, elle est aussi intérieure. Elle l’est d’abord par rapport au judaïsme. Selon l’adage médiéval en effet, Doctrina Christi revelat quod doctrina Moysi velat ; le christianisme c’est la révélation du mystère intérieur du judaïsme. C’est en quelque sorte la mise au jour, en pleine lumière, de l ‘ « ésotérisme » de la religion moïsiaque, c’est-à-dire : de ce qu’il y a en elle de « plus secret » (4). Elle l’est également en elle-même : aux six cent trente deux prescriptions de la loi juive, Jésus-Christ substitue l’amour de Dieu et du prochain. La multitude des obligations rituelles et leur extrême complexité sont remplacées par la foi au Christ et la participation au septenaire sacrementel. Et même la loi du sabbat peut être transgressée, si le bien de l’homme l’exige. Ce qui compte, c’est la « religion du cœur », celle qui concerne l’intériorité de l’être, car « le règne de Dieu est en vous-mêmes », et ce n’est point le culte extérieur, réduit à sa propre extériorité, qui plait à Dieu, mais le « sacrifice d’un esprit brisé », selon la parole du Psalmiste, sacrifice que réalise la mort du Christ. Et c’est le cœur pur qui verra Dieu.
La nouveauté prodigieuse de cette voie spirituelle apparaît encore plus nettement si l’on compare à l’idée qu’un Grec ou un Romain pouvait se faire de la religion. Selon Varron, on le sait, la religion était de trois sortes : mythologique avec les poètes, physique (ou naturelle) avec les philosophes , civile (ou politique) pour le peuple de la cité. Quel était donc le degré de conscience religieuse d’un Grec participant à la procession des Panathénées ? Le degré de foi d’un poète brodant complaisamment sur les aventures des dieux et des déesses ? Comme Platon avait raison de condamner cette impiété littéraire et ces cultes tout extérieurs ! Mais quel Dieu inconnu peut-on adorer « avec tout son âme » ? Par rapport à tous ces formes religieuses, l’enseignement du Christ apparaît comme un message d’intériorité. Car voilà : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorez le Père. (.. .) Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car tels sont les adorateurs que le Père désire » (joa, IV, 23). Mais les rites chrétiens eux-mêmes, le baptême et l’eucharistie au premier chef, semblent reprendre, pour l’assumer et le parfaire ce qu’il y avait de plus authentiquement religieux dans l’hellénisme païen : le culte des mystères. Le baptême n’était-il pas dénommé « initiation » et « illumination » ? N’est-il pas un rite véritablement initiatique qui transforme l’âme, et lui confère la grâce de la gnose christique ? Et le rite eucharistique, en faisant participer au banquet sacrificiel du divin Corps du Christ, ne nous communique-t-il pas, dans le mysterium fidei, la connaissance la plus intime, celle de l’Etre même de Dieu ? Allons plus loin encore. Le dévoilement du Dieu-Trinité ne réalise-t-il pas une véritable initiation à l’intériorité même de l’Etre divin qui déploie soudain aux yeux de la foi le mystère sur-intelligible de son propre Cœur ? N’y a-t-il pas là comme la révélation du secret indicible du monothéisme abrahamique et philosophique, qui éclate en quelque sorte « de l’intérieur », Dieu cessant d’être ce point unique, transcendant et impénétrable, pour nous admettre à contempler l’infinité qui réside en Lui ?
3. C’est précisément l’authentique intériorité de la gnose chrétienne qui rend manifestes l’erreur et la fausseté du gnosticisme non chrétien. Car le gnosticisme, en vertu de sa vision partielle et mutilante, ne saurait concevoir une intériorité qui ne soit exclusive de l’extériorité, alors que la gnose chrétienne révèle sa vérité, son « intelligence », en ce que le Christ n’est pas venu pour abolir la loi mais l’accomplir, non pas pour réfuter l’extériorité et la condamner, mais l’assumer et la sauver. C’est pourquoi le gnosticisme est nécessairement dualiste. Et tout dualisme constitue une « hérésie métaphysique » (au même titre que tout monisme). Nous pourrions dire que le gnosticisme est d’une part un « angélisme anti-créationiste » et d’autre part un « docétisme christologique ».
L’angélisme anti-créationiste apparaît clairement à la lecture des textes du gnosticisme marcionite ou valentinien, par exemple. Le monde corporel est mauvais. Il ne peut donc être que l’œuvre d’un mauvais démiurge que Marcion identifie au Dieu de la Genèse. Le serpent qui enseigne à Eve à désobéir au mauvais démiurge, constitue une première tentative pour réparer le mal causé par YHWH-Elohim. Ainsi l’idée grecque d’un cosmos, c’est-à-dire d’un monde ordonné et dont l’ordre et l’harmonie font toute la beauté, idée que reprendra Plotin dans sa lutte contre le gnosticisme, cette idée est entièrement abandonnée. La création est vouée par elle-même à la destruction et à la mort. La chair est impure, la matière est indigne de la transcendance du vrai Dieu qui est un pur esprit. L’homme vraiment pneumatique doit vivre comme un ange. On reconnaît là bien des thèmes repris plus tard par le mouvement cathare, dont la doctrine menaçait de mort toute la société. Mais le vrai Dieu intervient pour sauver les hommes purs de la chair impure en envoyant un être quasi divin, une Puissance céleste, qui vient rendre possible l’accès au monde supérieur des réalités spirituelles dont le bas-monde n’est qu’une contre-façon . Toutefois lorsque cette Puissance est identifiée à Jésus-Christ, sa descente ici-bas n’est pas interprétée comme une incarnation. Ce n’est qu’en apparence que le Christ possède un corps et qu’il a souffert sa Passion (c’est précisément ce qu’on appelle l’hérésie docétiste, du grec dokéô, « sembler », « paraître »). « Pour eux, le Sauveur n’apparaît dans sa plénitude qu’incoporel, après la Résurrection » (5).
Ainsi donc , au refus de la création fait pendant le refus de l’incarnation, et tous deux sont prononcés au nom de la transcendance divine : la réalité suprême est trop haute et trop sublime pour tolérer la bassesse du monde corporel, et donc a fortiori pour qu’un être émanant du monde supérieur puisse en assumer réellement les conditions. Si maintenant, laissant de côté les descriptions des thèses du gnosticisme historique, nous les jugeons d’un point de vue métaphysique, c’est-à-dire, si nous les prenons au sérieux – et cessons de les considérer comme une bizarrerie culturelle – voici ce que nous dirons.
L’angélisme anti-créationiste et son corollaire, le docétisme christologique, loin de réduire ou d’effacer l’impureté, la souillure, l’opacité de la matière, ne font que la renforcer. L’acte par lequel le dualisme gnostique procède au rejet de la matière réputée mauvaise, constitue du même coup cette matière comme réalité antinomique du Principe lumineux, l’élève donc à la dignité d’être son contraire, et l’identifie définitivement à sa dimension ténébreuse.
Rappelons la définition que nous avons donnée de la gnose : une connaissance intérieure et salvatrice. Il est clair désormais que le gnosticisme ne saurait prétendre à une telle connaissance, faute précisément d’une intelligence réelle du salut et de l’intériorité. Quant au salut, nous comprenons bien que l’effacement de la souillure qu’il envisage, la purification qu’il propose, sont radicalement négatifs. Et de même pour l’intériorité, telle qu’il la conçoit, n’est que l’exclusion de toute extériorité, donc intériorité négative et formelle. En niant toute immanence divine, toute présence de la Lumière incréée au cœur des ténèbres les plus opaques, le gnosticisme rend même impossible la moindre libération, et fait d’une création désertée de toute gloire un infranchissable obstacle, un enfer éternel.
Au contraire la véritable intériorité doit assumer l’extériorité ; elle doit certes la dépasser en l’entraînant dans la gloire, mais en la transfigurant, et donc aussi en l’accomplissant. Tout est dit dans cet axiome : seul le Plus peut vraiment le moins. Seul Dieu, l’Absolu et l’Infini, « peut » le relatif et le fini, c’est-à-dire, non seulement peut les créer – ce qui est évident – mais peut saisir, embrasser véritablement le fini, réaliser intégralement la nature du fini, aller jusqu’au bout du fini, l’épuiser véritablement – et c’est beaucoup moins reconnu. Autrement dit, le fini, le mondain, l’extérieur, le charnel, ne peut aller, par lui-même, au bout de lui-même ; il ne peut, par lui-même, réaliser la vérité de sa nature, sa relativité et sa contingence. Le fini n’est vraiment fini qu’au sein de l’Infini. La Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. La Lumière est donc immanente aux ténèbres , et c’est d’ailleurs par cette immanence que les ténèbres réalisent la vérité de leur nature, mais Elle n’est point comprise par elles, puisqu’au contraire c’est la Lumière qui, en vérité, comprend les ténèbres, c'est-à-dire à la fois les enveloppe et les connaît. Car non seulement les ténèbres ne comprennent par la Lumière, mais elles ne se comprennent pas elles-mêmes. Ainsi de la véritable intériorité, qui ne saurait laisser l’extériorité à l’extérieur d’elle-même, et c’est précisément ce que réalise l’Incarnation sacrificielle de Jésus-Christ . Le Christ se fait péché, dit saint Paul. Parole extraordinaire qui révèle l’inconsistance métaphysique du gnosticisme en réalisant la véritable « gnose » de la création. Car, en se faisant péché le Christ « connaît » (existentiellement) la véritable nature de la création post-édénique. Le Christ va jusqu’au bout de la finitude de notre monde, et ce terme c’est la mort sur la Croix. En « accomplissant » la finitude du crée, en en « réalisant » la contradiction crucifiante et mortelle, Il en révèle aussi le point de jonction, le nœud cordial et transcendant. Il dépasse et traverse l’extériorité du crée en le ramenant au centre originel d’où jaillissent et où convergent les bras de la Croix. C’est alors qu’apparaît l’intériorité positive de la véritable gnose du Père, qui est le Christ Lui-même, puisque le Fils, c’est la connaissance éternelle que le Père prend de sa propre Essence divine. Ainsi le Christ en croix, c’est la révélation d’une intériorité assumante et transformante. Révélation, car le Christ est dressé dans son agonie à la face du monde. Et dans sa mort, dans ce Vendredi Saint qui est la véritable gnose, s’ouvre l’intériorité divine : le Christ, qui est l’intériorité même de la connaissance du Père, est transpercé et ouvert par la lance du centurion, du sang et de l’eau en jaillissent. C’est l’intériorité même de Dieu qui se répand à l’extérieur et qui communique à toutes choses la vertu et la qualité de l’intériorité gnostique. C’est la création tout entière, dans un baptême cosmique, qui est baignée dans la mort et le sang du Christ. C’est la gnose du Père répandue et communiquée.
III. – Le gnosticisme moderne
1. On ne peut parler d’un gnosticisme moderne, pensons-nous, que dans un sens très différent du gnosticisme ancien. Le gnosticisme des hérésiologues chrétiens est profondément religieux, c’est-à-dire, qu’il entend se relier à Dieu par une connaissance qui non seulement est pure de tout élément corporel (c’est son intériorité), mais qui lui permet d’échapper réellement, dans son être même, à ce monde corporel (c’est son caractère salvateur). Le gnosticisme moderne n’est pas religieux, il est même anti-religieux, et, en tous cas, anti-chrétien. En quoi donc est-il justifié de parler de gnose à son propos ? Nous admettrons – sans qu’il soit possible de faire autrement que de s’en tenir à un niveau d’extrême généralité – qu’il s’agit de doctrines qui considèrent la science comme la vraie religion, non pas à la manière du scientisme du XIXe siècle pour qui la science doit éliminer la religion, mais comme des gens qui sont persuadés que la science doit remplacer les religions en en assumant toutes les fonctions. Cela implique, évidemment, une transformation de la connaissance scientifique. La connaissance scientifique ne peut être une gnose que si elle cesse d’être soumise au dualisme rationaliste du sujet (spirituel) et de l’objet (matériel) pour devenir connaissance participative d’un continuum univers-homme, habité sous des formes diverses par l’Esprit, qui se confond avec la Nature. La matière, c’est de l’esprit retourné, à l’envers. La néo-gnose est la « révélation » de ce retournement, et opère une sorte de « salut », spéculatif ou théorique, en remettant les choses à l ‘endroit. Tel est du moins le type le plus pur de ce gnosticisme moderne, tel qu’on le trouve chez Ruyer. Chez Alain de Benoist et son école, il s’agit beaucoup plus d’une attitude déclarée, essentiellement anti-chrétienne, que d’une doctrine élaborée et articulée, aucun membre de cette école ne s’étant jusqu’ici montré capable d’une telle construction spéculative (6). Le gnosticisme devient alors une sorte d’adoration du monde physique dans lequel on investit les valeurs affectives qu’entraîne d’ordinaire la religion, mais amputée de toute référence à Dieu, alors que le gnosticisme ruyerien est déiste de manière explicite et déclarée. Il y a donc, dans la nouvelle droite, plutôt régression vers le scientisme athée du XIXe siècle. Quoiqu’il en soit, il nous paraît évident que ce gnosticisme moderne, pas plus que le gnosticisme antique, ne réalise la vérité et les exigences de la gnose. C’est ce que nous voudrions montrer, très brièvement. Toutefois, s’il usurpe et travestit le sens véritable de la gnose, c’est d’une manière en quelque sorte inverse du gnosticisme hellénique. Celui-ci au nom de la Transcendance divine, refusait l’immanence de Dieu au monde. Celui-là, au contraire, au nom de l’immanence et même de l’identification panthéiste de l’Esprit et de la matière (chez Jean E. Charon, par exemple), rejette toute transcendance, et toute intervention « historique » de la Transcendance dans l’univers des hommes. Nous avons décrit le premier refus comme l’incompréhension de l’Incarnation sacrificielle. Nous voudrions décrire le second comme l’incompréhension de la Résurrection pascale.
2. S’il y a , en effet, résurrection de la chair, c’est que le principe divin, qui est immanent au monde, qui est présent dans la substance même de la matière, ne peut pas, en vertu de sa propre Transcendance, ne pas arracher le corps physique à l’ordre cosmique auquel il adhère, pour manifester la transcendance même de la chair lorsqu’elle est habitée véritablement par l’Esprit. Ce qui fait défaut à cette gnose, c’est la distinction des degrés de la réalité ou de perfection qui en dérive. L’Esprit habite le monde , mais le monde est moins réel et moins parfait que l’Esprit. A tout le moins y-a-t-il un degré du monde – celui dont précisément nous faisons l’expérience – dont l’imperfection nous écrase et nous conduit à la mort. Qui peut le nier ? La vérité de la présence de l’Esprit dans le monde exige donc, sous peine de n’être qu’une formule de convenance purement théorique, que la réalité même du monde prouve cette présence. Et comment le pourrait-elle, à moins d’une transfiguration où apparaisse enfin la nature glorieuse et spirituelle de la chair elle-même. C’est elle qui remet les choses à l’endroit ainsi que le souhaitait Ruyer. C’est elle qui nous oblige à regarder le crée d’un œil nouveau. C’est elle qui fait basculer toute notre vision du monde. On s’en rendra compte si l’on considère seulement le rôle que joue le corps comme instrument de notre présence au monde. C’est par le corps en effet, que nous sommes présents dans le monde des corps. Toutefois, cette présence, dont nous croyons être le maître puisqu’elle s’identifie en quelque sorte à nous-mêmes, est en réalité une présence subie et passive. C’est Merleau-Ponty qui montre, dans la phénoménologie de la perception, que voir un objet, c’est « pouvoir en faire le tour ». Et comment est-il possible d’en faire le tour, sinon parce que l’objet se prête indéfiniment, inépuisablement, au regard qui le parcourt, parce qu’il ne peut rien faire d’autre que de s’offrir au regard, que d’être vu. Etre vu, et être corporellement présent, c’est tout un. Ma présence corporelle, c’est ma visibilité, et ma visibilité n’est pas la mienne ; elle appartient à tous les regards, à mon insu et sans j’y puisse rien – ignorance et impuissance constitutives de l’essence de ma visibilité. Ainsi nul n’est maître de sa présence corporelle, et plus encore, être présent corporellement, c’est de ne pas être maître de cette présence.
Que se passe-t-il donc, au contraire, dans la Résurrection du Christ ? Il se passe que le Corps ressuscité est comme un témoin, une preuve vivante, une irruption salvatrice de la nature glorieuse du crée au sein de sa modalité ténébreuse et opaque : le corps du Christ est toujours l’instrument de la présence dans le monde des corps, mais, par un changement radical, il n’est plus de l’essence de cette présence d’être subie et passive. L’âme qui habite cet instrument en est entièrement maîtresse et en dispose à sa volonté. Le Christ peut actualiser le mode corporel de sa présence selon qu’il le décide et le juge bon. La relation qu’Il entretient avec le medium corporel de sa présence est complètement transformée. Présence active au monde entier, parce que présence réellement en acte, tous les rapports qui unissent le medium corporel au reste des corps, c’est-à-dire au monde entier et aux conditions qui le définissent, tous ces rapports sont changés. Le Christ n’est plus vu, Il se fait voir. Voilà exactement ce qu’enseignent les évangiles, et que tant d’exégètes modernes sont incapables de comprendre. Le Christ glorieux n’est pas « au dessus » du monde sensible, sinon en un sens symbolique. Simplement, Il n’est plus soumis aux conditions de ce monde corporel. Sa présentification corporelle de sa réalité spirituelle, entièrement dépendante de cette réalité (alors que dans l’état de nature déchue, c’est la réalité spirituelle de la personne qui est extrinsèquement dépendante de sa présence corporelle), présentification que la personne spirituelle peut ou non effectuer, aussi librement que la pensée de l’homme peut, dans son état ordinaire, produire ou non tel ou tel concept ou sentiment . Qui s’arrêtera à considérer cette doctrine du renversement de la relation de la personne à son medium corporel et des conséquences qu’elle entraîne, se rendra compte du jour singulier qu’elle jette sur la signification des apparitions post-pascales du Christ, selon les évangiles.
3. De ce point de vue, et sans nous étendre sur les implications cosmologiques susceptibles d’éclairer, dans une certaine mesure, le « comment » de ce renversement , on comprend que la Résurrection du Christ se présente à nous comme le sacrement de la transfiguration du cosmos, c’est-à-dire le sacrement dans lequel le cosmos est restauré dans sa véritable nature. Ruyer a pleinement raison de nous dire que notre expérience ordinaire du monde est celle d’un monde à l’envers, et que l’ « endroit » du monde est de nature sémantique et intelligible, et que seule la consistance sémantique du monde rend compte de sa « non-pulvérulence ». Mais il reste que cette expérience inversée et inversante est la nôtre. Cela aussi est une réalité, un fait, tandis que la vision redressée, l’ortho-théorie du monde, n’est jamais qu’un discours, des mots sur du papier, des idées dans ma tête. Certes, ce n’est pas rien. C’est même tout ce dont nous sommes capables pour l’instant. Mais ce n’est pas une expérience, ce n’est pas une véritable gnose, au sens que nous avons constamment donné à ce terme. Et bien sûr, relativement à la Résurrection du christ, nous sommes dans la même situation : une affirmation des Ecritures que nous accueillons dans notre esprit. Avec deux différences cependant : c’est qu’il ne s’agit pas de l’énoncé d’une théorie, mais d’un témoignage ; et que ce témoignage porte sur une réalité inouïe dont les apôtres ont fait l’expérience. Ce dont ils témoignent, c’est d’avoir fait, indirectement, dans la personne du Christ, l’expérience de la nature glorieuse de la création. Alors que la néo-gnose exclut précisément la possibilité même d’une telle expérience et demeure donc simple connaissance théorique (ou spéculative) de ce qu’elle affirme pourtant être la nature véritable de la réalité cosmique. Et plus encore, les apôtres, et les vrais chrétiens, affirment que tous les fils de Dieu sont appelés à participer à la Résurrection prototypique du Christ, que la Résurrection deviendra l’expérience directe et personnelle de chacun.
On le voit, face au gnosticisme ancien comme au gnosticisme moderne, le christianisme est le seul à aller jusqu’au bout des exigences de la gnose. Il en réalise véritablement toutes les conséquences , devant lesquelles reculent les audaces spéculatives les plus réputées, (ainsi du gnosticisme de Hegel, qui, écrivant une vie de Jésus, la termine à la crucifixion). Pourtant, les théologiens chrétiens eux-mêmes hésiteront à ratifier ce terme de gnose appliqué au christianisme. Peut-on appeler ainsi ce qui fait partie de la sanctification de l’âme et de sa destinée posthume ? S’agit-il encore d’une connaissance au sens que ce mot peut avoir pour nous ? Ne sommes-nous pas ici-bas limités à la foi d’une part, et à la raison travaillant sur les données de foi d’autre part ? Sans doute. Nous croyons pourtant qu’à vouloir définir l’œuvre théologique comme une œuvre de la pure raison naturelle (en sorte qu’à la limite un athée pourrait être théologien pourvu qu’il accueille spéculativement – c’est-à-dire d’hypothèses – les données de la foi), on ne peut échapper à un certain rationalisme soit qui conduit la théologie au dessèchement et à l’exercice gratuit, soit qui l’expose au rejet pur et simple, au nom du concret, de l’existentiel, du pastoral et de « l’engagement ». C’est là, en tout cas, une possibilité tout-à-fait réelle, et dont, nous semble-t-il, la crise actuelle de la sagesse théologique témoigne tragiquement et irrécusablement. En maintenant au contraire que la théologie doit être mystique, non point au sens où le théologien devrait connaître ce qu’on appelle proprement des états mystiques, mais au sens où il garde la conscience vive que la lumière de l’intelligence est, selon le mot de saint Thomas d ‘Aquin, « quasi dérivée de Dieu ». Doctrine de la connaissance dans la lumière du Verbe qui fait le fond de la théologie augustinienne et dionysienne. Et qu’on ne s’y trompe pas : la conscience de la nature quasi divine de l’intellection humaine actualisée, sous la lumière qui rayonne de l’objet de foi, qui est lui-même une concrétion objective du Verbe, cette conscience n’est pas rien. Elle communique au contraire à la connaissance théologique une vibration et un parfum qui l’arrache à l’exercice ordinaire de la pensée et qui l’empêche de se prendre aux pièges de ses formulations. Dans l’acte même de la connaissance, une telle intelligence goûte déjà droitement quelque chose du Saint-Esprit. Et c’est cela la gnose.
(1) Cette distinction gnose/gnosticisme correspond à peu près à celle qui fut adoptée entre spécialistes au Colloque de Messine de 1967. (2) Cf. Dom Jacques Dupont, Gnôsis. La connaissance religieuse dans les Epîtres de saint Paul, Gabalda, 1949. (3) Contra Celsum, VI, 17 ; Sources chrétiennes, n° 147, p.220. (4) La « discipline de l’arcane », c’est-à-dire l’obligation de tenir secrets certains enseignements, a existé dans l’Eglise, au moins jusqu’au Ve siècle. Sait-on –chose étonnante et qui devrait nous faire réfléchir – qu’à l’époque de saint Ambroise et selon la recommandation même du saint évêque de Milan, il était interdit de mettre par écrit le Symbole des Apôtres, qui donc ne se transmettait qu’oralement, et qu’il ne pouvait être récité devant des profanes ? (Explanatio Symboli, n. 9 ; Sources chrétiennes, n°25 bis, p57-59). Mais nous n’avons plus guère conscience aujourd’hui du caractère vraiment prodigieux des enseignements qu’il révèle. (5) Jean Doresse, La Gnose, dans Histoire des religions, Pléïade, t. II, p.395. (6) Depuis la rédaction de cette étude, les positions d’Alain de Benoist se sont quelque peu modifiées.
Texte publié en octobre 1996 dans la revue La Place Royale.
https://www.yhwh.fr/gnosechretienne
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 11:37
Je ne fais pas confiance aux prestigieux grand ultra experts comme celui-ci qui veut nous faire avaler des couleuvres. Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
Par contre, j'ai confiance en l'Eglise, chaire de vérité, en sa sagesse d'en-haut, et j'ai confiance à ce Messie Crucifié, Jésus-Christ Premier Ressuscité.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 11:45
Tu fais comme tu veux
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boulo
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 12:57
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
philippe bis
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 13:36
Le pélagianisme soutenait que l'homme pouvait, par son seul libre arbitre, s'abstenir du péché. Il contestait le péché originel et affirmait la doctrine des limbes pour les enfants morts sans baptême. le concile de Carthage de 415, le concile de Carthage de 418, et le concile d'Antioche en 424. Le Concile œcuménique d'Éphèse, en 431, condamna cette doctrine L'Église catholique a condamné le philosophe français Jean-Jacques Rousseau parce qu'elle estimait que, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, publié en 1755, il niait le péché originel et adhérait au pélagianisme.
Le pape Grégoire XVI a condamné le théologien allemand Georg Hermes en 1835 pour des positions pélagiennes.
Le théologien catholique Henri de Lubac a dénoncé le fait qu'à trop exalter le libre arbitre, on produit une « religion humaniste », croyante ou athée.[réf. nécessaire]
Le 27 juillet 2016, le pape François réaffirme la position de l'Église catholique sur ce sujet5, ainsi que le 19 mars 2018 dans son exhortation apostolique Gaudete et exsultate [archive], publiée le 9 avril 2018.
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 13:49
boulo a écrit:
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
Lesquels?
philippe bis
Messages : 15533 Inscription : 29/04/2017
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 13:53
Une fois encore nous y constatons qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas bien différent de ce qui se passait II ième siècle. L'énergie des attaques des Pères de l'Église contre son œuvre (Tertullien, Irénée de Lyon), atteste que probablement, au iie siècle, qui fut l'âge d'or des Antonins dans tout l'empire, ses thèses avaient un certain succès. La vie de Valentin n'a pas été en dehors de l'Église, jusqu'à ce que l'on pourrait appeler son schisme. Son successeur Marcion, lui aussi présent à Rome au iie siècle, a fondé une Église, l'Église marcioniste, qui eut un grand retentissement dans tout l'empire avant le premier concile de Nicée. la doctrine de Valentin repose sur un système complexe d'interprétation en rupture absolue avec le dogme orthodoxe avant et après le premier concile de Nicée. Sa doctrine la plus élaborée et la plus claire est énoncé dans le livre Pistis Sophia, commenté par Amélineau1, qui en a fait la première traduction complète en français. À peu près au même moment, le savant et théosophe George Robert Stow Mead, redécouvreur de la Gnose occidentale, en a assuré la traduction en langue anglaise. Ce texte hermétique a fait aussi l'objet de commentaires par un courant rose-croix contemporain La doctrine de Valentin est d'une particulière complexité, en ce sens où elle est une sorte de syncrétisme entre les différentes tendances du « grand Orient » https://fr.wikipedia.org/wiki/Valentin_(gnostique) Contre les hérésies se compose de cinq livres, chacun d'eux étant une œuvre individuelle basée sur un type particulier d'argument :
le livre I traite des hérésies gnostiques de Valentin et ses prédécesseurs depuis Simon le Magicien jusqu'aux ophites et aux caïnites ; le livre II fournit des preuves rationnelles visant à démontrer que le valentinisme n'est pas une doctrine valable ; le livre III cherche à démontrer le caractère fallacieux de ces doctrines à partir des évangiles. Il y dresse la liste de succession des papes ; le livre IV prétend prouver, à partir des paroles de Jésus Christ, l'unité des évangiles et de l'Ancien Testament ; le livre V, enfin, se focalise sur d'autres dires de Jésus et les épîtres de saint Paul. https://fr.wikipedia.org/wiki/Contre_les_h%C3%A9r%C3%A9sies
philippe bis
Messages : 15533 Inscription : 29/04/2017
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 13:54
Saint Irénée parle d’un pullulement de sectes s’intitulant elles-mêmes gnostiques et se vantant de posséder des doctrines secrètes et profondes, transmises au cours de cérémonies initiatiques. On sait de transfuges qu’il s’agissait surtout de recettes magiques censées délivrer de la tyrannie des puissances cosmiques mauvaises, ainsi que de formules et mots de passe supposés donner accès aux mondes supérieurs. Ainsi vers 140, en Egypte, Carpocrate et son fils Épiphane non seulement recommandent la magie, mais prônent également une forme de tantrisme occidental, présentant l’union sexuelle comme voie de salut.
Spoiler:
https://final-age.net/2006/04/gnosticisme/
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 14:50
boulo a écrit:
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
Ah ah ah, si les personnes dont vous parlez ont été déclarés saints par l'Eglise, ça ne vous permet certainement pas de conclure dans la foulée que les hérésies gnostiques et pélagiennes sont bonnes. C'est lamentable de mentir et de cracher sur l'Eglise, quelle honte. Et vous ne parlez pas qu'avant d'être déclarées saintes, ces personnes ont cheminé dans la foi, donc avec des périodes de péchés et de conversions. Et faites attention à vous, la doctrine d'Arnaud Dumouch fondateur de ce forum et de vidéos sur youtube, est infestée de pélagianisme et de gnosticisme.
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 15:33
Léon a écrit:
C'est lamentable de mentir et de cracher sur l'Eglise, quelle honte.
Bienvenue au club, mon cher boulo. Je viens d'apprendre que, comme moi, vous crachiez sur l'Eglise!
philippe bis
Messages : 15533 Inscription : 29/04/2017
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 15:49
Pignon a écrit:
Tu fais comme tu veux
Avec Aleister Crowley "Aime et fais ce que tu veut" de Saint Augustin est devenu "fais ce que tu veut" .Le diable n 'est-il pas dans les détails? https://fr.wikipedia.org/wiki/Thelema
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 18:03
RenéMatheux a écrit:
boulo a écrit:
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
Lesquels?
Saint Padre Pio par exemple, Saint Jean Bosco...
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 17/9/2018, 18:36
philippe bis a écrit:
Pignon a écrit:
Tu fais comme tu veux
Avec Aleister Crowley "Aime et fais ce que tu veut" de Saint Augustin est devenu "fais ce que tu veut" .Le diable n 'est-il pas dans les détails? https://fr.wikipedia.org/wiki/Thelema
ça tombe à pic (de la Mirandole ?)! Jean Borella va te parler de St Augustin
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Théodéric
Messages : 21412 Inscription : 21/08/2007
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 00:52
Léon a écrit:
boulo a écrit:
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
Ah ah ah, si les personnes dont vous parlez ont été déclarés saints par l'Eglise, ça ne vous permet certainement pas de conclure dans la foulée que les hérésies gnostiques et pélagiennes sont bonnes. C'est lamentable de mentir et de cracher sur l'Eglise, quelle honte. Et vous ne parlez pas qu'avant d'être déclarées saintes, ces personnes ont cheminé dans la foi, donc avec des périodes de péchés et de conversions. Et faites attention à vous, la doctrine d'Arnaud Dumouch fondateur de ce forum et de vidéos sur youtube, est infestée de pélagianisme et de gnosticisme.
Jeanne d'Arc avec sa voix qui ne parlait qu'a elle a été combattue par l’église officielle et même si elle a réussit de façon plus qu'étonnante on l'a bien brulée vive parce que justement elle dérangeait avec Son Jésus transportable a dos de cheval qui plus est par une femme habillée en homme !! et pourtant ils ont finie par en faire une Sainte se donnant encore une fois tord a eux même et raison a ce que dit Boulo !!
la foi officielle et formatée ne doit pas couper les ailes de ceux qui justement éclaire la foi officielle , un grand nombres de Saints ont été persécutés tout simplement a cause de cette parole de Jésus Jean 3 " Jésus répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. 7 Ne t'étonne pas que je t'aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau. 8 Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'Esprit.
beaucoup dans la religion officielle sont lourdingue comem Nicodème Jean 3 3Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. 4 Nicodème lui dit: Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ?
Nicodème a su avancer , seulement on en voit beaucoup qui ne l'ont pas fait et du coup ils ne comprennent pas quand cela arrive sous leurs yeux et ils persécutent leurs frères de même qu'on a persécutés Jésus au Nom de Dieu !!
je ne soutient pas la gnose , mais il faut aussi accepter que la Vie Spirituelle soit dérangeante et ne puisse être enfermée dans vos petits tiroirs bien chloroformés
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 02:42
Pignon a écrit:
Le GRAND expert sur la question se nomme Jean Borella de confession ultra catholique.
Cliquez:
[size=60]Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne[/size]
La gnose a mauvaise presse dans le christianisme. D’instinct, on la répute pour le pire ennemi de la vraie religion. Il y a donc quelque paradoxe à parler d’une gnose chrétienne. C’est à quoi nous voudrions apporter une réponse dans les réflexions suivantes. A un moment où le mouvement des idées semble parfois faire retour à un gnosticisme païen et anti-chrétien, il n’est peut-être pas inutile de montrer qu’il existe une gnose chrétienne, plus profonde et plus radicale que celle que l’on tente de ressusciter.
I. Position du problème
En général les doctrines religieuses et philosophiques peuvent êtres définies historiquement : quels sont les hommes qui les ont professées ? quand ont-ils vécu ? le nom qu’on leur donne leur convient-il ? etc. d’une part ; et d’autre part spéculativement : de quelles doctrines s’agit-il ? quel en est le contenu ? Ces exigences sont malaisées à satisfaire en ce qui concerne ce qu’on est convenu d’appeler : la gnose. L’objet de notre étude est inséparable des diverses perspectives sous lesquelles il fut envisagé. L’histoire de la gnose (et du gnosticisme), c’est l’histoire de son historiographie. Jusqu’à une date récente, en effet, cet ensemble cosmologico-religieux n’était connu que par les réfutations de ses adversaires chrétiens (et néo-platoniciens). Il s’agit principalement des « hérésiologues », c’est-à-dire de ces écrivains chrétiens (Irénée, Justin, Hippolyte, ect.) qui, aux alentours des IIe et IIIe siècles, combattirent le gnosticisme, dans des ouvrages parfois de vastes dimensions qui renfermaient évidemment de longues citations des adversaires à réfuter. Ces citations constituent la majeure partie de notre documentation. C’est elle qui fut étudiée par les historiens, du XVIe au XXe siècle. Mais en 1945 fut découverte en Haute-Egypte, près de Nag-Hammi, une bibliothèque gnostique datant vraisemblablement du IVe siècle ap. J.C. Relativement à la gnose, c’est la découverte la plus importante de l’histoire du christianisme ; cette bibliothèque comprend treize volumes (sous la forme de codices ou cahiers) renfermant des textes et fragments de textes proprement gnostiques ou utilisés par la communauté gnostique. Le déchiffrement ni l’étude en sont terminés. Les problèmes soulevés sont loin d’être résolus, et il ne semble même pas que la connaissance historique du gnosticisme en devenant plus étendue soit devenue plus claire. Quelles sont donc les thèses qu’à suscitées ce mouvement religieux dont l’importance historique et géographique ne saurait être exagérée ? (Nous suivons ici principalement H.C. Puech et Jean doresse.)
1. Les historiens ont d’abord vu dans le gnosticisme une hérésie purement chrétienne. Et, puisque, comme le dit Tertullien, l’hérésie vient après l’orthodoxie, elle ne peut donc être que postérieure à la constitution de la doctrine chrétienne, ou, à tout le moins, quasi contemporaine. Elle daterait donc du Ier et II e siècles. Mais les historiens n’étaient pas d’accord sur le sens de cette hérésie. Pour les uns – principalement pour Harnack – le gnosticisme est une « hellénisation radicale et prématurée » d’une religion d’origine orientale , hellénisation que l’Eglise réussira avec plus de modération et de lenteur, et qui est devenue le christianisme tel que nous le connaissons. Pour les autres - et notamment pour l’Allemand Bousset – le gnosticisme aurait été , au contraire une tentative pour faire régresser vers une source orientale une religion qui, tout normalement revêtait une forme grecque.
2. Un deuxième stade dans l’historiographie du gnosticisme fut atteint lorsqu’à la suite des travaux de Bousset que nous venons de mentionner, il fut de plus en plus évident que ce courant n’était pas directement lié au christianisme, et qu’il existait, antérieurement au christianisme, des groupes religieux (en particulier les mandéens) qui ressortissaient incontestablement au gnosticisme, même s’ils ne faisaient pas usage pour se définir, du terme de gnose. Ces groupes religieux se rencontraient dans de nombreuses aires géographiques. Apocalypse juive du Ier siècle av. J.C. (c’est le thèse du Cardinal Daniélou), Iran, Egypte (en particulier le courant de l’hermétisme). Cette thèse est peu contestable et nous paraît aujourd’hui assez bien établie, au moins dans son cadre général (car, pour notre part, nous faisons toutes réserves sur la signification du phénomène gnostique et sur les diverses interprétations qu’en donnent les historiens). Mais, si elle est vraie, s’il est exact que le gnosticisme n’ait rien de spécifiquement chrétien, alors ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi la thèse précédente a pu paraître si évidente, et comment, de fait, le gnosticisme a pu être si intiment mêlé au christianisme qu’on a pu se demander si certains gnostiques , parmi les plus grands, tel Valentin, n’étaient pas plutôt en vérité, des chrétiens sincères, dont le gnosticisme n’aurait été que de surface ! Ou bien faut-il admettre que la rencontre du gnosticisme et du christianisme n’est due qu’aux hasards de l’histoire ? Prenant contact avec une religion neuve et dynamique, le gnosticisme n’a-t-il pensé qu’à utiliser cette force pour des fins qui étaient les siennes propres ?
3. Nous voudrions poser une troisième thèse : tentative un peu ambitieuse, mais qui ne risque rien n’a rien ! Cette thèse nous paraît répondre aux données de l’histoire telles qu’on vient de les rappeler. La voici : le christianisme est une religion gnostique. Et même c’est la véritable gnose, la gnose dans toute sa pureté. Avant de justifier cette affirmation, signalons tout de suite en quoi elle permet de rendre compte des données historiques. Si le gnosticisme pré-chrétien, en prenant contact avec la Révélation Chrétienne, l’a en quelque sorte « reconnue », s’il a éprouvé l’impression d’y découvrir quelque chose qui n’était pas sans rapport avec sa propre vision du divin et du sacré, on s’explique alors qu’il ait eu le désir de l’utiliser à son profit, afin de bénéficier de son dynamisme. On comprend aussi que tant d’historiens aient pu affirmer avec pertinence que le gnosticisme était une hérésie proprement chrétienne ; et même que les gnostiques, tel Valentin, aient pu paraître finalement plus chrétiens que gnostiques. Sans doute, faut-il pour admettre notre hypothèse, s’élever au-dessus des catégories strictement historiques, et admettre que tout ne s'explique pas en termes d’influences repérables et constatables, en particulier pour ce qui est des faits religieux. Mais c’est là, pour nous, une évidence. Si donc le gnosticisme paraît si spécifiquement chrétien, et si pourtant son origine est incontestablement pré-chrétienne, c’est que le christianisme présente lui-même les caractéristiques d’une véritable gnose authentique, ou plutôt qu’en lui la gnose atteint à sa pureté et à sa vérité, tandis que les gnosticismes immédiatement pré-chrétiens ou para-chrétiens n’en offrent que des aspects déformés et déviés.
II. – Gnose et gnosticisme
Notre thèse nous impose maintenant une double tâche : montrer en quoi effectivement le christianisme réalise la vérité de la gnose d’une part, et d’autre part identifier l’erreur du gnosticisme et préciser la déviation qu’il fait subir à la gnose véritable. Toutefois et préalablement se pose la question de la justification terminologique des mots gnose et gnosticisme.
1. On pourrait en effet se demander : pourquoi appeler le christianisme gnose, alors que ce terme importe avec lui tant de choses douteuses et tant de théories inacceptables ? Nous répondrons d’abord que nous distinguons entre la gnose, décalque du grec gnôsis, par quoi il faut entendre la connaissance intérieure et salvatrice de Dieu, et le gnosticisme qui désigne une systémisation historiquement déterminée de cette connaissance telle que la gnose s’y trouve réduite à certains de ces éléments constituants. En ce sens, tout gnosticisme est une hérésie, puisque l’hérésie consiste à choisir (haïrésis = choix), au sein de la vérité totale, quelques éléments de cette vérité que l’on érige ensuite en totalité et auxquels on ramène tout le reste (1). Ensuite, nous ferons observer que le terme de gnôsis au sens défini précédemment appartient au christianisme, puisqu’il fut employé en ce sens, pour la première fois, par saint Paul (2). Et c’est également chez saint Paul que se trouve la première dénonciation du gnosticisme, c'est-à-dire de la « pseudo-gnose » ( 1er épître à Timothée, VI, 20). Mais saint Paul, s’il est la plus grande autorité que nous puissions invoquer, n’est pas la seule. Saint Irénée de Lyon, dans l’Adversus Haereses, ne dénonce pas la gnose, mais, ainsi que le déclare le titre original de son ouvrage, titre que nous ont conservé Eusèbe de Césarée, saint Jean de Damas, et d'autres, « la gnose au faux nom » (Elenkos kaï anatropè tès pseudonymou gnôseôs). Clément d’Alexandrie lui aussi, s’il combat le gnosticisme, se propose de nous enseigner « la gnose véritable », celle qui vient du Christ par la tradition apostolique, et que l’étude de l’Ecriture et la vie sacrementelle actualisent en nous. De même, le grand Origène nous parle de cette « gnose de Dieu » que peu d’hommes possèdent et par laquelle Moïse a pénétré dans la Ténèbre divine (3). Ce sont là des raisons historiques suffisantes pour parler d’une gnose chrétienne.
2. Mais après le nom, il faut parler de la chose elle-même. En quoi donc la Révélation chrétienne est-elle une gnose ? Si l’on identifie gnose et gnosticisme, alors notre thèse est insoutenable, car la vérité chrétienne n’est pas, a priori, réservée à une élite secrète, bien que, comme l’enseignent maintes paraboles, tous n’aient pas la même compréhension et n’en pénètrent pas également le sens le plus profond. Mais s’il est vrai que, par gnose, on doit entendre une connaissance de Dieu, intérieure et salvatrice, alors il est bien difficile de nier qu’une telle définition ne s’applique excellemment au message propre du Christ. Que « la vie éternelle » soit une gnose, c’est ce qu’affirme le Christ lui-même, dans l’évangile selon saint Jean : « Voici ce qu’est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (XVII, 3). Ainsi, la connaissance de Dieu est vie, et même vie éternelle, c’est précisément le salut que Jésus-Christ est venu nous apporter, puisqu’Il nous sauve de la mort et du péché. Et, selon certains exégètes (C.H. Dodd, en particulier), le quatrième évangile n’a-t-il pas été écrit pour prouver que la véritable gnose , c’est la foi en Jésus-Christ, et dans le pouvoir salvateur de « Son Nom » (joa, XX, 31) ?
Mais cette connaissance n’est pas seulement salvatrice, elle est aussi intérieure. Elle l’est d’abord par rapport au judaïsme. Selon l’adage médiéval en effet, Doctrina Christi revelat quod doctrina Moysi velat ; le christianisme c’est la révélation du mystère intérieur du judaïsme. C’est en quelque sorte la mise au jour, en pleine lumière, de l ‘ « ésotérisme » de la religion moïsiaque, c’est-à-dire : de ce qu’il y a en elle de « plus secret » (4). Elle l’est également en elle-même : aux six cent trente deux prescriptions de la loi juive, Jésus-Christ substitue l’amour de Dieu et du prochain. La multitude des obligations rituelles et leur extrême complexité sont remplacées par la foi au Christ et la participation au septenaire sacrementel. Et même la loi du sabbat peut être transgressée, si le bien de l’homme l’exige. Ce qui compte, c’est la « religion du cœur », celle qui concerne l’intériorité de l’être, car « le règne de Dieu est en vous-mêmes », et ce n’est point le culte extérieur, réduit à sa propre extériorité, qui plait à Dieu, mais le « sacrifice d’un esprit brisé », selon la parole du Psalmiste, sacrifice que réalise la mort du Christ. Et c’est le cœur pur qui verra Dieu.
La nouveauté prodigieuse de cette voie spirituelle apparaît encore plus nettement si l’on compare à l’idée qu’un Grec ou un Romain pouvait se faire de la religion. Selon Varron, on le sait, la religion était de trois sortes : mythologique avec les poètes, physique (ou naturelle) avec les philosophes , civile (ou politique) pour le peuple de la cité. Quel était donc le degré de conscience religieuse d’un Grec participant à la procession des Panathénées ? Le degré de foi d’un poète brodant complaisamment sur les aventures des dieux et des déesses ? Comme Platon avait raison de condamner cette impiété littéraire et ces cultes tout extérieurs ! Mais quel Dieu inconnu peut-on adorer « avec tout son âme » ? Par rapport à tous ces formes religieuses, l’enseignement du Christ apparaît comme un message d’intériorité. Car voilà : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorez le Père. (.. .) Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car tels sont les adorateurs que le Père désire » (joa, IV, 23). Mais les rites chrétiens eux-mêmes, le baptême et l’eucharistie au premier chef, semblent reprendre, pour l’assumer et le parfaire ce qu’il y avait de plus authentiquement religieux dans l’hellénisme païen : le culte des mystères. Le baptême n’était-il pas dénommé « initiation » et « illumination » ? N’est-il pas un rite véritablement initiatique qui transforme l’âme, et lui confère la grâce de la gnose christique ? Et le rite eucharistique, en faisant participer au banquet sacrificiel du divin Corps du Christ, ne nous communique-t-il pas, dans le mysterium fidei, la connaissance la plus intime, celle de l’Etre même de Dieu ? Allons plus loin encore. Le dévoilement du Dieu-Trinité ne réalise-t-il pas une véritable initiation à l’intériorité même de l’Etre divin qui déploie soudain aux yeux de la foi le mystère sur-intelligible de son propre Cœur ? N’y a-t-il pas là comme la révélation du secret indicible du monothéisme abrahamique et philosophique, qui éclate en quelque sorte « de l’intérieur », Dieu cessant d’être ce point unique, transcendant et impénétrable, pour nous admettre à contempler l’infinité qui réside en Lui ?
3. C’est précisément l’authentique intériorité de la gnose chrétienne qui rend manifestes l’erreur et la fausseté du gnosticisme non chrétien. Car le gnosticisme, en vertu de sa vision partielle et mutilante, ne saurait concevoir une intériorité qui ne soit exclusive de l’extériorité, alors que la gnose chrétienne révèle sa vérité, son « intelligence », en ce que le Christ n’est pas venu pour abolir la loi mais l’accomplir, non pas pour réfuter l’extériorité et la condamner, mais l’assumer et la sauver. C’est pourquoi le gnosticisme est nécessairement dualiste. Et tout dualisme constitue une « hérésie métaphysique » (au même titre que tout monisme). Nous pourrions dire que le gnosticisme est d’une part un « angélisme anti-créationiste » et d’autre part un « docétisme christologique ».
L’angélisme anti-créationiste apparaît clairement à la lecture des textes du gnosticisme marcionite ou valentinien, par exemple. Le monde corporel est mauvais. Il ne peut donc être que l’œuvre d’un mauvais démiurge que Marcion identifie au Dieu de la Genèse. Le serpent qui enseigne à Eve à désobéir au mauvais démiurge, constitue une première tentative pour réparer le mal causé par YHWH-Elohim. Ainsi l’idée grecque d’un cosmos, c’est-à-dire d’un monde ordonné et dont l’ordre et l’harmonie font toute la beauté, idée que reprendra Plotin dans sa lutte contre le gnosticisme, cette idée est entièrement abandonnée. La création est vouée par elle-même à la destruction et à la mort. La chair est impure, la matière est indigne de la transcendance du vrai Dieu qui est un pur esprit. L’homme vraiment pneumatique doit vivre comme un ange. On reconnaît là bien des thèmes repris plus tard par le mouvement cathare, dont la doctrine menaçait de mort toute la société. Mais le vrai Dieu intervient pour sauver les hommes purs de la chair impure en envoyant un être quasi divin, une Puissance céleste, qui vient rendre possible l’accès au monde supérieur des réalités spirituelles dont le bas-monde n’est qu’une contre-façon . Toutefois lorsque cette Puissance est identifiée à Jésus-Christ, sa descente ici-bas n’est pas interprétée comme une incarnation. Ce n’est qu’en apparence que le Christ possède un corps et qu’il a souffert sa Passion (c’est précisément ce qu’on appelle l’hérésie docétiste, du grec dokéô, « sembler », « paraître »). « Pour eux, le Sauveur n’apparaît dans sa plénitude qu’incoporel, après la Résurrection » (5).
Ainsi donc , au refus de la création fait pendant le refus de l’incarnation, et tous deux sont prononcés au nom de la transcendance divine : la réalité suprême est trop haute et trop sublime pour tolérer la bassesse du monde corporel, et donc a fortiori pour qu’un être émanant du monde supérieur puisse en assumer réellement les conditions. Si maintenant, laissant de côté les descriptions des thèses du gnosticisme historique, nous les jugeons d’un point de vue métaphysique, c’est-à-dire, si nous les prenons au sérieux – et cessons de les considérer comme une bizarrerie culturelle – voici ce que nous dirons.
L’angélisme anti-créationiste et son corollaire, le docétisme christologique, loin de réduire ou d’effacer l’impureté, la souillure, l’opacité de la matière, ne font que la renforcer. L’acte par lequel le dualisme gnostique procède au rejet de la matière réputée mauvaise, constitue du même coup cette matière comme réalité antinomique du Principe lumineux, l’élève donc à la dignité d’être son contraire, et l’identifie définitivement à sa dimension ténébreuse.
Rappelons la définition que nous avons donnée de la gnose : une connaissance intérieure et salvatrice. Il est clair désormais que le gnosticisme ne saurait prétendre à une telle connaissance, faute précisément d’une intelligence réelle du salut et de l’intériorité. Quant au salut, nous comprenons bien que l’effacement de la souillure qu’il envisage, la purification qu’il propose, sont radicalement négatifs. Et de même pour l’intériorité, telle qu’il la conçoit, n’est que l’exclusion de toute extériorité, donc intériorité négative et formelle. En niant toute immanence divine, toute présence de la Lumière incréée au cœur des ténèbres les plus opaques, le gnosticisme rend même impossible la moindre libération, et fait d’une création désertée de toute gloire un infranchissable obstacle, un enfer éternel.
Au contraire la véritable intériorité doit assumer l’extériorité ; elle doit certes la dépasser en l’entraînant dans la gloire, mais en la transfigurant, et donc aussi en l’accomplissant. Tout est dit dans cet axiome : seul le Plus peut vraiment le moins. Seul Dieu, l’Absolu et l’Infini, « peut » le relatif et le fini, c’est-à-dire, non seulement peut les créer – ce qui est évident – mais peut saisir, embrasser véritablement le fini, réaliser intégralement la nature du fini, aller jusqu’au bout du fini, l’épuiser véritablement – et c’est beaucoup moins reconnu. Autrement dit, le fini, le mondain, l’extérieur, le charnel, ne peut aller, par lui-même, au bout de lui-même ; il ne peut, par lui-même, réaliser la vérité de sa nature, sa relativité et sa contingence. Le fini n’est vraiment fini qu’au sein de l’Infini. La Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. La Lumière est donc immanente aux ténèbres , et c’est d’ailleurs par cette immanence que les ténèbres réalisent la vérité de leur nature, mais Elle n’est point comprise par elles, puisqu’au contraire c’est la Lumière qui, en vérité, comprend les ténèbres, c'est-à-dire à la fois les enveloppe et les connaît. Car non seulement les ténèbres ne comprennent par la Lumière, mais elles ne se comprennent pas elles-mêmes. Ainsi de la véritable intériorité, qui ne saurait laisser l’extériorité à l’extérieur d’elle-même, et c’est précisément ce que réalise l’Incarnation sacrificielle de Jésus-Christ . Le Christ se fait péché, dit saint Paul. Parole extraordinaire qui révèle l’inconsistance métaphysique du gnosticisme en réalisant la véritable « gnose » de la création. Car, en se faisant péché le Christ « connaît » (existentiellement) la véritable nature de la création post-édénique. Le Christ va jusqu’au bout de la finitude de notre monde, et ce terme c’est la mort sur la Croix. En « accomplissant » la finitude du crée, en en « réalisant » la contradiction crucifiante et mortelle, Il en révèle aussi le point de jonction, le nœud cordial et transcendant. Il dépasse et traverse l’extériorité du crée en le ramenant au centre originel d’où jaillissent et où convergent les bras de la Croix. C’est alors qu’apparaît l’intériorité positive de la véritable gnose du Père, qui est le Christ Lui-même, puisque le Fils, c’est la connaissance éternelle que le Père prend de sa propre Essence divine. Ainsi le Christ en croix, c’est la révélation d’une intériorité assumante et transformante. Révélation, car le Christ est dressé dans son agonie à la face du monde. Et dans sa mort, dans ce Vendredi Saint qui est la véritable gnose, s’ouvre l’intériorité divine : le Christ, qui est l’intériorité même de la connaissance du Père, est transpercé et ouvert par la lance du centurion, du sang et de l’eau en jaillissent. C’est l’intériorité même de Dieu qui se répand à l’extérieur et qui communique à toutes choses la vertu et la qualité de l’intériorité gnostique. C’est la création tout entière, dans un baptême cosmique, qui est baignée dans la mort et le sang du Christ. C’est la gnose du Père répandue et communiquée.
III. – Le gnosticisme moderne
1. On ne peut parler d’un gnosticisme moderne, pensons-nous, que dans un sens très différent du gnosticisme ancien. Le gnosticisme des hérésiologues chrétiens est profondément religieux, c’est-à-dire, qu’il entend se relier à Dieu par une connaissance qui non seulement est pure de tout élément corporel (c’est son intériorité), mais qui lui permet d’échapper réellement, dans son être même, à ce monde corporel (c’est son caractère salvateur). Le gnosticisme moderne n’est pas religieux, il est même anti-religieux, et, en tous cas, anti-chrétien. En quoi donc est-il justifié de parler de gnose à son propos ? Nous admettrons – sans qu’il soit possible de faire autrement que de s’en tenir à un niveau d’extrême généralité – qu’il s’agit de doctrines qui considèrent la science comme la vraie religion, non pas à la manière du scientisme du XIXe siècle pour qui la science doit éliminer la religion, mais comme des gens qui sont persuadés que la science doit remplacer les religions en en assumant toutes les fonctions. Cela implique, évidemment, une transformation de la connaissance scientifique. La connaissance scientifique ne peut être une gnose que si elle cesse d’être soumise au dualisme rationaliste du sujet (spirituel) et de l’objet (matériel) pour devenir connaissance participative d’un continuum univers-homme, habité sous des formes diverses par l’Esprit, qui se confond avec la Nature. La matière, c’est de l’esprit retourné, à l’envers. La néo-gnose est la « révélation » de ce retournement, et opère une sorte de « salut », spéculatif ou théorique, en remettant les choses à l ‘endroit. Tel est du moins le type le plus pur de ce gnosticisme moderne, tel qu’on le trouve chez Ruyer. Chez Alain de Benoist et son école, il s’agit beaucoup plus d’une attitude déclarée, essentiellement anti-chrétienne, que d’une doctrine élaborée et articulée, aucun membre de cette école ne s’étant jusqu’ici montré capable d’une telle construction spéculative (6). Le gnosticisme devient alors une sorte d’adoration du monde physique dans lequel on investit les valeurs affectives qu’entraîne d’ordinaire la religion, mais amputée de toute référence à Dieu, alors que le gnosticisme ruyerien est déiste de manière explicite et déclarée. Il y a donc, dans la nouvelle droite, plutôt régression vers le scientisme athée du XIXe siècle. Quoiqu’il en soit, il nous paraît évident que ce gnosticisme moderne, pas plus que le gnosticisme antique, ne réalise la vérité et les exigences de la gnose. C’est ce que nous voudrions montrer, très brièvement. Toutefois, s’il usurpe et travestit le sens véritable de la gnose, c’est d’une manière en quelque sorte inverse du gnosticisme hellénique. Celui-ci au nom de la Transcendance divine, refusait l’immanence de Dieu au monde. Celui-là, au contraire, au nom de l’immanence et même de l’identification panthéiste de l’Esprit et de la matière (chez Jean E. Charon, par exemple), rejette toute transcendance, et toute intervention « historique » de la Transcendance dans l’univers des hommes. Nous avons décrit le premier refus comme l’incompréhension de l’Incarnation sacrificielle. Nous voudrions décrire le second comme l’incompréhension de la Résurrection pascale.
2. S’il y a , en effet, résurrection de la chair, c’est que le principe divin, qui est immanent au monde, qui est présent dans la substance même de la matière, ne peut pas, en vertu de sa propre Transcendance, ne pas arracher le corps physique à l’ordre cosmique auquel il adhère, pour manifester la transcendance même de la chair lorsqu’elle est habitée véritablement par l’Esprit. Ce qui fait défaut à cette gnose, c’est la distinction des degrés de la réalité ou de perfection qui en dérive. L’Esprit habite le monde , mais le monde est moins réel et moins parfait que l’Esprit. A tout le moins y-a-t-il un degré du monde – celui dont précisément nous faisons l’expérience – dont l’imperfection nous écrase et nous conduit à la mort. Qui peut le nier ? La vérité de la présence de l’Esprit dans le monde exige donc, sous peine de n’être qu’une formule de convenance purement théorique, que la réalité même du monde prouve cette présence. Et comment le pourrait-elle, à moins d’une transfiguration où apparaisse enfin la nature glorieuse et spirituelle de la chair elle-même. C’est elle qui remet les choses à l’endroit ainsi que le souhaitait Ruyer. C’est elle qui nous oblige à regarder le crée d’un œil nouveau. C’est elle qui fait basculer toute notre vision du monde. On s’en rendra compte si l’on considère seulement le rôle que joue le corps comme instrument de notre présence au monde. C’est par le corps en effet, que nous sommes présents dans le monde des corps. Toutefois, cette présence, dont nous croyons être le maître puisqu’elle s’identifie en quelque sorte à nous-mêmes, est en réalité une présence subie et passive. C’est Merleau-Ponty qui montre, dans la phénoménologie de la perception, que voir un objet, c’est « pouvoir en faire le tour ». Et comment est-il possible d’en faire le tour, sinon parce que l’objet se prête indéfiniment, inépuisablement, au regard qui le parcourt, parce qu’il ne peut rien faire d’autre que de s’offrir au regard, que d’être vu. Etre vu, et être corporellement présent, c’est tout un. Ma présence corporelle, c’est ma visibilité, et ma visibilité n’est pas la mienne ; elle appartient à tous les regards, à mon insu et sans j’y puisse rien – ignorance et impuissance constitutives de l’essence de ma visibilité. Ainsi nul n’est maître de sa présence corporelle, et plus encore, être présent corporellement, c’est de ne pas être maître de cette présence.
Que se passe-t-il donc, au contraire, dans la Résurrection du Christ ? Il se passe que le Corps ressuscité est comme un témoin, une preuve vivante, une irruption salvatrice de la nature glorieuse du crée au sein de sa modalité ténébreuse et opaque : le corps du Christ est toujours l’instrument de la présence dans le monde des corps, mais, par un changement radical, il n’est plus de l’essence de cette présence d’être subie et passive. L’âme qui habite cet instrument en est entièrement maîtresse et en dispose à sa volonté. Le Christ peut actualiser le mode corporel de sa présence selon qu’il le décide et le juge bon. La relation qu’Il entretient avec le medium corporel de sa présence est complètement transformée. Présence active au monde entier, parce que présence réellement en acte, tous les rapports qui unissent le medium corporel au reste des corps, c’est-à-dire au monde entier et aux conditions qui le définissent, tous ces rapports sont changés. Le Christ n’est plus vu, Il se fait voir. Voilà exactement ce qu’enseignent les évangiles, et que tant d’exégètes modernes sont incapables de comprendre. Le Christ glorieux n’est pas « au dessus » du monde sensible, sinon en un sens symbolique. Simplement, Il n’est plus soumis aux conditions de ce monde corporel. Sa présentification corporelle de sa réalité spirituelle, entièrement dépendante de cette réalité (alors que dans l’état de nature déchue, c’est la réalité spirituelle de la personne qui est extrinsèquement dépendante de sa présence corporelle), présentification que la personne spirituelle peut ou non effectuer, aussi librement que la pensée de l’homme peut, dans son état ordinaire, produire ou non tel ou tel concept ou sentiment . Qui s’arrêtera à considérer cette doctrine du renversement de la relation de la personne à son medium corporel et des conséquences qu’elle entraîne, se rendra compte du jour singulier qu’elle jette sur la signification des apparitions post-pascales du Christ, selon les évangiles.
3. De ce point de vue, et sans nous étendre sur les implications cosmologiques susceptibles d’éclairer, dans une certaine mesure, le « comment » de ce renversement , on comprend que la Résurrection du Christ se présente à nous comme le sacrement de la transfiguration du cosmos, c’est-à-dire le sacrement dans lequel le cosmos est restauré dans sa véritable nature. Ruyer a pleinement raison de nous dire que notre expérience ordinaire du monde est celle d’un monde à l’envers, et que l’ « endroit » du monde est de nature sémantique et intelligible, et que seule la consistance sémantique du monde rend compte de sa « non-pulvérulence ». Mais il reste que cette expérience inversée et inversante est la nôtre. Cela aussi est une réalité, un fait, tandis que la vision redressée, l’ortho-théorie du monde, n’est jamais qu’un discours, des mots sur du papier, des idées dans ma tête. Certes, ce n’est pas rien. C’est même tout ce dont nous sommes capables pour l’instant. Mais ce n’est pas une expérience, ce n’est pas une véritable gnose, au sens que nous avons constamment donné à ce terme. Et bien sûr, relativement à la Résurrection du christ, nous sommes dans la même situation : une affirmation des Ecritures que nous accueillons dans notre esprit. Avec deux différences cependant : c’est qu’il ne s’agit pas de l’énoncé d’une théorie, mais d’un témoignage ; et que ce témoignage porte sur une réalité inouïe dont les apôtres ont fait l’expérience. Ce dont ils témoignent, c’est d’avoir fait, indirectement, dans la personne du Christ, l’expérience de la nature glorieuse de la création. Alors que la néo-gnose exclut précisément la possibilité même d’une telle expérience et demeure donc simple connaissance théorique (ou spéculative) de ce qu’elle affirme pourtant être la nature véritable de la réalité cosmique. Et plus encore, les apôtres, et les vrais chrétiens, affirment que tous les fils de Dieu sont appelés à participer à la Résurrection prototypique du Christ, que la Résurrection deviendra l’expérience directe et personnelle de chacun.
On le voit, face au gnosticisme ancien comme au gnosticisme moderne, le christianisme est le seul à aller jusqu’au bout des exigences de la gnose. Il en réalise véritablement toutes les conséquences , devant lesquelles reculent les audaces spéculatives les plus réputées, (ainsi du gnosticisme de Hegel, qui, écrivant une vie de Jésus, la termine à la crucifixion). Pourtant, les théologiens chrétiens eux-mêmes hésiteront à ratifier ce terme de gnose appliqué au christianisme. Peut-on appeler ainsi ce qui fait partie de la sanctification de l’âme et de sa destinée posthume ? S’agit-il encore d’une connaissance au sens que ce mot peut avoir pour nous ? Ne sommes-nous pas ici-bas limités à la foi d’une part, et à la raison travaillant sur les données de foi d’autre part ? Sans doute. Nous croyons pourtant qu’à vouloir définir l’œuvre théologique comme une œuvre de la pure raison naturelle (en sorte qu’à la limite un athée pourrait être théologien pourvu qu’il accueille spéculativement – c’est-à-dire d’hypothèses – les données de la foi), on ne peut échapper à un certain rationalisme soit qui conduit la théologie au dessèchement et à l’exercice gratuit, soit qui l’expose au rejet pur et simple, au nom du concret, de l’existentiel, du pastoral et de « l’engagement ». C’est là, en tout cas, une possibilité tout-à-fait réelle, et dont, nous semble-t-il, la crise actuelle de la sagesse théologique témoigne tragiquement et irrécusablement. En maintenant au contraire que la théologie doit être mystique, non point au sens où le théologien devrait connaître ce qu’on appelle proprement des états mystiques, mais au sens où il garde la conscience vive que la lumière de l’intelligence est, selon le mot de saint Thomas d ‘Aquin, « quasi dérivée de Dieu ». Doctrine de la connaissance dans la lumière du Verbe qui fait le fond de la théologie augustinienne et dionysienne. Et qu’on ne s’y trompe pas : la conscience de la nature quasi divine de l’intellection humaine actualisée, sous la lumière qui rayonne de l’objet de foi, qui est lui-même une concrétion objective du Verbe, cette conscience n’est pas rien. Elle communique au contraire à la connaissance théologique une vibration et un parfum qui l’arrache à l’exercice ordinaire de la pensée et qui l’empêche de se prendre aux pièges de ses formulations. Dans l’acte même de la connaissance, une telle intelligence goûte déjà droitement quelque chose du Saint-Esprit. Et c’est cela la gnose.
(1) Cette distinction gnose/gnosticisme correspond à peu près à celle qui fut adoptée entre spécialistes au Colloque de Messine de 1967. (2) Cf. Dom Jacques Dupont, Gnôsis. La connaissance religieuse dans les Epîtres de saint Paul, Gabalda, 1949. (3) Contra Celsum, VI, 17 ; Sources chrétiennes, n° 147, p.220. (4) La « discipline de l’arcane », c’est-à-dire l’obligation de tenir secrets certains enseignements, a existé dans l’Eglise, au moins jusqu’au Ve siècle. Sait-on –chose étonnante et qui devrait nous faire réfléchir – qu’à l’époque de saint Ambroise et selon la recommandation même du saint évêque de Milan, il était interdit de mettre par écrit le Symbole des Apôtres, qui donc ne se transmettait qu’oralement, et qu’il ne pouvait être récité devant des profanes ? (Explanatio Symboli, n. 9 ; Sources chrétiennes, n°25 bis, p57-59). Mais nous n’avons plus guère conscience aujourd’hui du caractère vraiment prodigieux des enseignements qu’il révèle. (5) Jean Doresse, La Gnose, dans Histoire des religions, Pléïade, t. II, p.395. (6) Depuis la rédaction de cette étude, les positions d’Alain de Benoist se sont quelque peu modifiées.
Texte publié en octobre 1996 dans la revue La Place Royale.
https://www.yhwh.fr/gnosechretienne
Il est quand même étonnant qu'un spécialiste de la gnose ne mentionne pas le principal grief que l'Église lui a fait depuis toujours: le rejet, en tout ou en partie, du sens obvie, ou littéral, du Credo...
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 02:47
boulo a écrit:
Léon a écrit:
[...] Et en lisant cet article je me rends compte que la gnose détruit la Communion des Saints au profit du subjectivisme, de l'individualisme forcené.
[...]
Pourtant , des membres individuels de l'Eglise , faisant surtout confiance à l'Inspiration , ont été réprouvés par l'église institutionnelle , avant d'être déclarés saints par l'Eglise , à titre posthume . Les exemples abondent .
Leur "sainteté" les poussait-elle à rejeter le Credo? On a beaucoup, d'ailleurs, reproché au protestantisme son gnosticisme, sous le vocable "nominalisme", malgré qu'il confesse tellement littéralement le Credo, qu'à l'article X de la confession d'Augsbourg, le protestantisme reconnaît la présence RÉELLE sacramentelle. A telle enseigne, qu'on attend toujours la réhabilitation officielle du Bx. Luther...
boulo
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 05:43
saint Zibou a écrit:
[...]
Leur "sainteté" les poussait-elle à rejeter le Credo? [...]
Non .
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 06:48
Théodéric a écrit:
je ne soutient pas la gnose
Alors comment se fait-il que tu la pratiques par ta démonstration? Pourquoi ces accusations contre l'Eglise sans défense?
Concernant Jeanne d'Arc, c'est l'université de Paris qui l'a trainée devant un tribunal. L' Eglise s'est tue à l'époque de Jeanne, elle n'a rien dit, rien fait. Il y avait 2 papes en compétition, Martin V et Clément VII, si ma mémoire est bonne. J'en apprendrai plus à ce sujet avec "le procès de Rouen", de Jacques Trémollet de Villers, avocat.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 09:42
saint Zibou a écrit:
Pignon a écrit:
Le GRAND expert sur la question se nomme Jean Borella de confession ultra catholique.
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[size=60]Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne[/size]
La gnose a mauvaise presse dans le christianisme. D’instinct, on la répute pour le pire ennemi de la vraie religion. Il y a donc quelque paradoxe à parler d’une gnose chrétienne. C’est à quoi nous voudrions apporter une réponse dans les réflexions suivantes. A un moment où le mouvement des idées semble parfois faire retour à un gnosticisme païen et anti-chrétien, il n’est peut-être pas inutile de montrer qu’il existe une gnose chrétienne, plus profonde et plus radicale que celle que l’on tente de ressusciter.
I. Position du problème
En général les doctrines religieuses et philosophiques peuvent êtres définies historiquement : quels sont les hommes qui les ont professées ? quand ont-ils vécu ? le nom qu’on leur donne leur convient-il ? etc. d’une part ; et d’autre part spéculativement : de quelles doctrines s’agit-il ? quel en est le contenu ? Ces exigences sont malaisées à satisfaire en ce qui concerne ce qu’on est convenu d’appeler : la gnose. L’objet de notre étude est inséparable des diverses perspectives sous lesquelles il fut envisagé. L’histoire de la gnose (et du gnosticisme), c’est l’histoire de son historiographie. Jusqu’à une date récente, en effet, cet ensemble cosmologico-religieux n’était connu que par les réfutations de ses adversaires chrétiens (et néo-platoniciens). Il s’agit principalement des « hérésiologues », c’est-à-dire de ces écrivains chrétiens (Irénée, Justin, Hippolyte, ect.) qui, aux alentours des IIe et IIIe siècles, combattirent le gnosticisme, dans des ouvrages parfois de vastes dimensions qui renfermaient évidemment de longues citations des adversaires à réfuter. Ces citations constituent la majeure partie de notre documentation. C’est elle qui fut étudiée par les historiens, du XVIe au XXe siècle. Mais en 1945 fut découverte en Haute-Egypte, près de Nag-Hammi, une bibliothèque gnostique datant vraisemblablement du IVe siècle ap. J.C. Relativement à la gnose, c’est la découverte la plus importante de l’histoire du christianisme ; cette bibliothèque comprend treize volumes (sous la forme de codices ou cahiers) renfermant des textes et fragments de textes proprement gnostiques ou utilisés par la communauté gnostique. Le déchiffrement ni l’étude en sont terminés. Les problèmes soulevés sont loin d’être résolus, et il ne semble même pas que la connaissance historique du gnosticisme en devenant plus étendue soit devenue plus claire. Quelles sont donc les thèses qu’à suscitées ce mouvement religieux dont l’importance historique et géographique ne saurait être exagérée ? (Nous suivons ici principalement H.C. Puech et Jean doresse.)
1. Les historiens ont d’abord vu dans le gnosticisme une hérésie purement chrétienne. Et, puisque, comme le dit Tertullien, l’hérésie vient après l’orthodoxie, elle ne peut donc être que postérieure à la constitution de la doctrine chrétienne, ou, à tout le moins, quasi contemporaine. Elle daterait donc du Ier et II e siècles. Mais les historiens n’étaient pas d’accord sur le sens de cette hérésie. Pour les uns – principalement pour Harnack – le gnosticisme est une « hellénisation radicale et prématurée » d’une religion d’origine orientale , hellénisation que l’Eglise réussira avec plus de modération et de lenteur, et qui est devenue le christianisme tel que nous le connaissons. Pour les autres - et notamment pour l’Allemand Bousset – le gnosticisme aurait été , au contraire une tentative pour faire régresser vers une source orientale une religion qui, tout normalement revêtait une forme grecque.
2. Un deuxième stade dans l’historiographie du gnosticisme fut atteint lorsqu’à la suite des travaux de Bousset que nous venons de mentionner, il fut de plus en plus évident que ce courant n’était pas directement lié au christianisme, et qu’il existait, antérieurement au christianisme, des groupes religieux (en particulier les mandéens) qui ressortissaient incontestablement au gnosticisme, même s’ils ne faisaient pas usage pour se définir, du terme de gnose. Ces groupes religieux se rencontraient dans de nombreuses aires géographiques. Apocalypse juive du Ier siècle av. J.C. (c’est le thèse du Cardinal Daniélou), Iran, Egypte (en particulier le courant de l’hermétisme). Cette thèse est peu contestable et nous paraît aujourd’hui assez bien établie, au moins dans son cadre général (car, pour notre part, nous faisons toutes réserves sur la signification du phénomène gnostique et sur les diverses interprétations qu’en donnent les historiens). Mais, si elle est vraie, s’il est exact que le gnosticisme n’ait rien de spécifiquement chrétien, alors ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi la thèse précédente a pu paraître si évidente, et comment, de fait, le gnosticisme a pu être si intiment mêlé au christianisme qu’on a pu se demander si certains gnostiques , parmi les plus grands, tel Valentin, n’étaient pas plutôt en vérité, des chrétiens sincères, dont le gnosticisme n’aurait été que de surface ! Ou bien faut-il admettre que la rencontre du gnosticisme et du christianisme n’est due qu’aux hasards de l’histoire ? Prenant contact avec une religion neuve et dynamique, le gnosticisme n’a-t-il pensé qu’à utiliser cette force pour des fins qui étaient les siennes propres ?
3. Nous voudrions poser une troisième thèse : tentative un peu ambitieuse, mais qui ne risque rien n’a rien ! Cette thèse nous paraît répondre aux données de l’histoire telles qu’on vient de les rappeler. La voici : le christianisme est une religion gnostique. Et même c’est la véritable gnose, la gnose dans toute sa pureté. Avant de justifier cette affirmation, signalons tout de suite en quoi elle permet de rendre compte des données historiques. Si le gnosticisme pré-chrétien, en prenant contact avec la Révélation Chrétienne, l’a en quelque sorte « reconnue », s’il a éprouvé l’impression d’y découvrir quelque chose qui n’était pas sans rapport avec sa propre vision du divin et du sacré, on s’explique alors qu’il ait eu le désir de l’utiliser à son profit, afin de bénéficier de son dynamisme. On comprend aussi que tant d’historiens aient pu affirmer avec pertinence que le gnosticisme était une hérésie proprement chrétienne ; et même que les gnostiques, tel Valentin, aient pu paraître finalement plus chrétiens que gnostiques. Sans doute, faut-il pour admettre notre hypothèse, s’élever au-dessus des catégories strictement historiques, et admettre que tout ne s'explique pas en termes d’influences repérables et constatables, en particulier pour ce qui est des faits religieux. Mais c’est là, pour nous, une évidence. Si donc le gnosticisme paraît si spécifiquement chrétien, et si pourtant son origine est incontestablement pré-chrétienne, c’est que le christianisme présente lui-même les caractéristiques d’une véritable gnose authentique, ou plutôt qu’en lui la gnose atteint à sa pureté et à sa vérité, tandis que les gnosticismes immédiatement pré-chrétiens ou para-chrétiens n’en offrent que des aspects déformés et déviés.
II. – Gnose et gnosticisme
Notre thèse nous impose maintenant une double tâche : montrer en quoi effectivement le christianisme réalise la vérité de la gnose d’une part, et d’autre part identifier l’erreur du gnosticisme et préciser la déviation qu’il fait subir à la gnose véritable. Toutefois et préalablement se pose la question de la justification terminologique des mots gnose et gnosticisme.
1. On pourrait en effet se demander : pourquoi appeler le christianisme gnose, alors que ce terme importe avec lui tant de choses douteuses et tant de théories inacceptables ? Nous répondrons d’abord que nous distinguons entre la gnose, décalque du grec gnôsis, par quoi il faut entendre la connaissance intérieure et salvatrice de Dieu, et le gnosticisme qui désigne une systémisation historiquement déterminée de cette connaissance telle que la gnose s’y trouve réduite à certains de ces éléments constituants. En ce sens, tout gnosticisme est une hérésie, puisque l’hérésie consiste à choisir (haïrésis = choix), au sein de la vérité totale, quelques éléments de cette vérité que l’on érige ensuite en totalité et auxquels on ramène tout le reste (1). Ensuite, nous ferons observer que le terme de gnôsis au sens défini précédemment appartient au christianisme, puisqu’il fut employé en ce sens, pour la première fois, par saint Paul (2). Et c’est également chez saint Paul que se trouve la première dénonciation du gnosticisme, c'est-à-dire de la « pseudo-gnose » ( 1er épître à Timothée, VI, 20). Mais saint Paul, s’il est la plus grande autorité que nous puissions invoquer, n’est pas la seule. Saint Irénée de Lyon, dans l’Adversus Haereses, ne dénonce pas la gnose, mais, ainsi que le déclare le titre original de son ouvrage, titre que nous ont conservé Eusèbe de Césarée, saint Jean de Damas, et d'autres, « la gnose au faux nom » (Elenkos kaï anatropè tès pseudonymou gnôseôs). Clément d’Alexandrie lui aussi, s’il combat le gnosticisme, se propose de nous enseigner « la gnose véritable », celle qui vient du Christ par la tradition apostolique, et que l’étude de l’Ecriture et la vie sacrementelle actualisent en nous. De même, le grand Origène nous parle de cette « gnose de Dieu » que peu d’hommes possèdent et par laquelle Moïse a pénétré dans la Ténèbre divine (3). Ce sont là des raisons historiques suffisantes pour parler d’une gnose chrétienne.
2. Mais après le nom, il faut parler de la chose elle-même. En quoi donc la Révélation chrétienne est-elle une gnose ? Si l’on identifie gnose et gnosticisme, alors notre thèse est insoutenable, car la vérité chrétienne n’est pas, a priori, réservée à une élite secrète, bien que, comme l’enseignent maintes paraboles, tous n’aient pas la même compréhension et n’en pénètrent pas également le sens le plus profond. Mais s’il est vrai que, par gnose, on doit entendre une connaissance de Dieu, intérieure et salvatrice, alors il est bien difficile de nier qu’une telle définition ne s’applique excellemment au message propre du Christ. Que « la vie éternelle » soit une gnose, c’est ce qu’affirme le Christ lui-même, dans l’évangile selon saint Jean : « Voici ce qu’est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (XVII, 3). Ainsi, la connaissance de Dieu est vie, et même vie éternelle, c’est précisément le salut que Jésus-Christ est venu nous apporter, puisqu’Il nous sauve de la mort et du péché. Et, selon certains exégètes (C.H. Dodd, en particulier), le quatrième évangile n’a-t-il pas été écrit pour prouver que la véritable gnose , c’est la foi en Jésus-Christ, et dans le pouvoir salvateur de « Son Nom » (joa, XX, 31) ?
Mais cette connaissance n’est pas seulement salvatrice, elle est aussi intérieure. Elle l’est d’abord par rapport au judaïsme. Selon l’adage médiéval en effet, Doctrina Christi revelat quod doctrina Moysi velat ; le christianisme c’est la révélation du mystère intérieur du judaïsme. C’est en quelque sorte la mise au jour, en pleine lumière, de l ‘ « ésotérisme » de la religion moïsiaque, c’est-à-dire : de ce qu’il y a en elle de « plus secret » (4). Elle l’est également en elle-même : aux six cent trente deux prescriptions de la loi juive, Jésus-Christ substitue l’amour de Dieu et du prochain. La multitude des obligations rituelles et leur extrême complexité sont remplacées par la foi au Christ et la participation au septenaire sacrementel. Et même la loi du sabbat peut être transgressée, si le bien de l’homme l’exige. Ce qui compte, c’est la « religion du cœur », celle qui concerne l’intériorité de l’être, car « le règne de Dieu est en vous-mêmes », et ce n’est point le culte extérieur, réduit à sa propre extériorité, qui plait à Dieu, mais le « sacrifice d’un esprit brisé », selon la parole du Psalmiste, sacrifice que réalise la mort du Christ. Et c’est le cœur pur qui verra Dieu.
La nouveauté prodigieuse de cette voie spirituelle apparaît encore plus nettement si l’on compare à l’idée qu’un Grec ou un Romain pouvait se faire de la religion. Selon Varron, on le sait, la religion était de trois sortes : mythologique avec les poètes, physique (ou naturelle) avec les philosophes , civile (ou politique) pour le peuple de la cité. Quel était donc le degré de conscience religieuse d’un Grec participant à la procession des Panathénées ? Le degré de foi d’un poète brodant complaisamment sur les aventures des dieux et des déesses ? Comme Platon avait raison de condamner cette impiété littéraire et ces cultes tout extérieurs ! Mais quel Dieu inconnu peut-on adorer « avec tout son âme » ? Par rapport à tous ces formes religieuses, l’enseignement du Christ apparaît comme un message d’intériorité. Car voilà : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorez le Père. (.. .) Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car tels sont les adorateurs que le Père désire » (joa, IV, 23). Mais les rites chrétiens eux-mêmes, le baptême et l’eucharistie au premier chef, semblent reprendre, pour l’assumer et le parfaire ce qu’il y avait de plus authentiquement religieux dans l’hellénisme païen : le culte des mystères. Le baptême n’était-il pas dénommé « initiation » et « illumination » ? N’est-il pas un rite véritablement initiatique qui transforme l’âme, et lui confère la grâce de la gnose christique ? Et le rite eucharistique, en faisant participer au banquet sacrificiel du divin Corps du Christ, ne nous communique-t-il pas, dans le mysterium fidei, la connaissance la plus intime, celle de l’Etre même de Dieu ? Allons plus loin encore. Le dévoilement du Dieu-Trinité ne réalise-t-il pas une véritable initiation à l’intériorité même de l’Etre divin qui déploie soudain aux yeux de la foi le mystère sur-intelligible de son propre Cœur ? N’y a-t-il pas là comme la révélation du secret indicible du monothéisme abrahamique et philosophique, qui éclate en quelque sorte « de l’intérieur », Dieu cessant d’être ce point unique, transcendant et impénétrable, pour nous admettre à contempler l’infinité qui réside en Lui ?
3. C’est précisément l’authentique intériorité de la gnose chrétienne qui rend manifestes l’erreur et la fausseté du gnosticisme non chrétien. Car le gnosticisme, en vertu de sa vision partielle et mutilante, ne saurait concevoir une intériorité qui ne soit exclusive de l’extériorité, alors que la gnose chrétienne révèle sa vérité, son « intelligence », en ce que le Christ n’est pas venu pour abolir la loi mais l’accomplir, non pas pour réfuter l’extériorité et la condamner, mais l’assumer et la sauver. C’est pourquoi le gnosticisme est nécessairement dualiste. Et tout dualisme constitue une « hérésie métaphysique » (au même titre que tout monisme). Nous pourrions dire que le gnosticisme est d’une part un « angélisme anti-créationiste » et d’autre part un « docétisme christologique ».
L’angélisme anti-créationiste apparaît clairement à la lecture des textes du gnosticisme marcionite ou valentinien, par exemple. Le monde corporel est mauvais. Il ne peut donc être que l’œuvre d’un mauvais démiurge que Marcion identifie au Dieu de la Genèse. Le serpent qui enseigne à Eve à désobéir au mauvais démiurge, constitue une première tentative pour réparer le mal causé par YHWH-Elohim. Ainsi l’idée grecque d’un cosmos, c’est-à-dire d’un monde ordonné et dont l’ordre et l’harmonie font toute la beauté, idée que reprendra Plotin dans sa lutte contre le gnosticisme, cette idée est entièrement abandonnée. La création est vouée par elle-même à la destruction et à la mort. La chair est impure, la matière est indigne de la transcendance du vrai Dieu qui est un pur esprit. L’homme vraiment pneumatique doit vivre comme un ange. On reconnaît là bien des thèmes repris plus tard par le mouvement cathare, dont la doctrine menaçait de mort toute la société. Mais le vrai Dieu intervient pour sauver les hommes purs de la chair impure en envoyant un être quasi divin, une Puissance céleste, qui vient rendre possible l’accès au monde supérieur des réalités spirituelles dont le bas-monde n’est qu’une contre-façon . Toutefois lorsque cette Puissance est identifiée à Jésus-Christ, sa descente ici-bas n’est pas interprétée comme une incarnation. Ce n’est qu’en apparence que le Christ possède un corps et qu’il a souffert sa Passion (c’est précisément ce qu’on appelle l’hérésie docétiste, du grec dokéô, « sembler », « paraître »). « Pour eux, le Sauveur n’apparaît dans sa plénitude qu’incoporel, après la Résurrection » (5).
Ainsi donc , au refus de la création fait pendant le refus de l’incarnation, et tous deux sont prononcés au nom de la transcendance divine : la réalité suprême est trop haute et trop sublime pour tolérer la bassesse du monde corporel, et donc a fortiori pour qu’un être émanant du monde supérieur puisse en assumer réellement les conditions. Si maintenant, laissant de côté les descriptions des thèses du gnosticisme historique, nous les jugeons d’un point de vue métaphysique, c’est-à-dire, si nous les prenons au sérieux – et cessons de les considérer comme une bizarrerie culturelle – voici ce que nous dirons.
L’angélisme anti-créationiste et son corollaire, le docétisme christologique, loin de réduire ou d’effacer l’impureté, la souillure, l’opacité de la matière, ne font que la renforcer. L’acte par lequel le dualisme gnostique procède au rejet de la matière réputée mauvaise, constitue du même coup cette matière comme réalité antinomique du Principe lumineux, l’élève donc à la dignité d’être son contraire, et l’identifie définitivement à sa dimension ténébreuse.
Rappelons la définition que nous avons donnée de la gnose : une connaissance intérieure et salvatrice. Il est clair désormais que le gnosticisme ne saurait prétendre à une telle connaissance, faute précisément d’une intelligence réelle du salut et de l’intériorité. Quant au salut, nous comprenons bien que l’effacement de la souillure qu’il envisage, la purification qu’il propose, sont radicalement négatifs. Et de même pour l’intériorité, telle qu’il la conçoit, n’est que l’exclusion de toute extériorité, donc intériorité négative et formelle. En niant toute immanence divine, toute présence de la Lumière incréée au cœur des ténèbres les plus opaques, le gnosticisme rend même impossible la moindre libération, et fait d’une création désertée de toute gloire un infranchissable obstacle, un enfer éternel.
Au contraire la véritable intériorité doit assumer l’extériorité ; elle doit certes la dépasser en l’entraînant dans la gloire, mais en la transfigurant, et donc aussi en l’accomplissant. Tout est dit dans cet axiome : seul le Plus peut vraiment le moins. Seul Dieu, l’Absolu et l’Infini, « peut » le relatif et le fini, c’est-à-dire, non seulement peut les créer – ce qui est évident – mais peut saisir, embrasser véritablement le fini, réaliser intégralement la nature du fini, aller jusqu’au bout du fini, l’épuiser véritablement – et c’est beaucoup moins reconnu. Autrement dit, le fini, le mondain, l’extérieur, le charnel, ne peut aller, par lui-même, au bout de lui-même ; il ne peut, par lui-même, réaliser la vérité de sa nature, sa relativité et sa contingence. Le fini n’est vraiment fini qu’au sein de l’Infini. La Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. La Lumière est donc immanente aux ténèbres , et c’est d’ailleurs par cette immanence que les ténèbres réalisent la vérité de leur nature, mais Elle n’est point comprise par elles, puisqu’au contraire c’est la Lumière qui, en vérité, comprend les ténèbres, c'est-à-dire à la fois les enveloppe et les connaît. Car non seulement les ténèbres ne comprennent par la Lumière, mais elles ne se comprennent pas elles-mêmes. Ainsi de la véritable intériorité, qui ne saurait laisser l’extériorité à l’extérieur d’elle-même, et c’est précisément ce que réalise l’Incarnation sacrificielle de Jésus-Christ . Le Christ se fait péché, dit saint Paul. Parole extraordinaire qui révèle l’inconsistance métaphysique du gnosticisme en réalisant la véritable « gnose » de la création. Car, en se faisant péché le Christ « connaît » (existentiellement) la véritable nature de la création post-édénique. Le Christ va jusqu’au bout de la finitude de notre monde, et ce terme c’est la mort sur la Croix. En « accomplissant » la finitude du crée, en en « réalisant » la contradiction crucifiante et mortelle, Il en révèle aussi le point de jonction, le nœud cordial et transcendant. Il dépasse et traverse l’extériorité du crée en le ramenant au centre originel d’où jaillissent et où convergent les bras de la Croix. C’est alors qu’apparaît l’intériorité positive de la véritable gnose du Père, qui est le Christ Lui-même, puisque le Fils, c’est la connaissance éternelle que le Père prend de sa propre Essence divine. Ainsi le Christ en croix, c’est la révélation d’une intériorité assumante et transformante. Révélation, car le Christ est dressé dans son agonie à la face du monde. Et dans sa mort, dans ce Vendredi Saint qui est la véritable gnose, s’ouvre l’intériorité divine : le Christ, qui est l’intériorité même de la connaissance du Père, est transpercé et ouvert par la lance du centurion, du sang et de l’eau en jaillissent. C’est l’intériorité même de Dieu qui se répand à l’extérieur et qui communique à toutes choses la vertu et la qualité de l’intériorité gnostique. C’est la création tout entière, dans un baptême cosmique, qui est baignée dans la mort et le sang du Christ. C’est la gnose du Père répandue et communiquée.
III. – Le gnosticisme moderne
1. On ne peut parler d’un gnosticisme moderne, pensons-nous, que dans un sens très différent du gnosticisme ancien. Le gnosticisme des hérésiologues chrétiens est profondément religieux, c’est-à-dire, qu’il entend se relier à Dieu par une connaissance qui non seulement est pure de tout élément corporel (c’est son intériorité), mais qui lui permet d’échapper réellement, dans son être même, à ce monde corporel (c’est son caractère salvateur). Le gnosticisme moderne n’est pas religieux, il est même anti-religieux, et, en tous cas, anti-chrétien. En quoi donc est-il justifié de parler de gnose à son propos ? Nous admettrons – sans qu’il soit possible de faire autrement que de s’en tenir à un niveau d’extrême généralité – qu’il s’agit de doctrines qui considèrent la science comme la vraie religion, non pas à la manière du scientisme du XIXe siècle pour qui la science doit éliminer la religion, mais comme des gens qui sont persuadés que la science doit remplacer les religions en en assumant toutes les fonctions. Cela implique, évidemment, une transformation de la connaissance scientifique. La connaissance scientifique ne peut être une gnose que si elle cesse d’être soumise au dualisme rationaliste du sujet (spirituel) et de l’objet (matériel) pour devenir connaissance participative d’un continuum univers-homme, habité sous des formes diverses par l’Esprit, qui se confond avec la Nature. La matière, c’est de l’esprit retourné, à l’envers. La néo-gnose est la « révélation » de ce retournement, et opère une sorte de « salut », spéculatif ou théorique, en remettant les choses à l ‘endroit. Tel est du moins le type le plus pur de ce gnosticisme moderne, tel qu’on le trouve chez Ruyer. Chez Alain de Benoist et son école, il s’agit beaucoup plus d’une attitude déclarée, essentiellement anti-chrétienne, que d’une doctrine élaborée et articulée, aucun membre de cette école ne s’étant jusqu’ici montré capable d’une telle construction spéculative (6). Le gnosticisme devient alors une sorte d’adoration du monde physique dans lequel on investit les valeurs affectives qu’entraîne d’ordinaire la religion, mais amputée de toute référence à Dieu, alors que le gnosticisme ruyerien est déiste de manière explicite et déclarée. Il y a donc, dans la nouvelle droite, plutôt régression vers le scientisme athée du XIXe siècle. Quoiqu’il en soit, il nous paraît évident que ce gnosticisme moderne, pas plus que le gnosticisme antique, ne réalise la vérité et les exigences de la gnose. C’est ce que nous voudrions montrer, très brièvement. Toutefois, s’il usurpe et travestit le sens véritable de la gnose, c’est d’une manière en quelque sorte inverse du gnosticisme hellénique. Celui-ci au nom de la Transcendance divine, refusait l’immanence de Dieu au monde. Celui-là, au contraire, au nom de l’immanence et même de l’identification panthéiste de l’Esprit et de la matière (chez Jean E. Charon, par exemple), rejette toute transcendance, et toute intervention « historique » de la Transcendance dans l’univers des hommes. Nous avons décrit le premier refus comme l’incompréhension de l’Incarnation sacrificielle. Nous voudrions décrire le second comme l’incompréhension de la Résurrection pascale.
2. S’il y a , en effet, résurrection de la chair, c’est que le principe divin, qui est immanent au monde, qui est présent dans la substance même de la matière, ne peut pas, en vertu de sa propre Transcendance, ne pas arracher le corps physique à l’ordre cosmique auquel il adhère, pour manifester la transcendance même de la chair lorsqu’elle est habitée véritablement par l’Esprit. Ce qui fait défaut à cette gnose, c’est la distinction des degrés de la réalité ou de perfection qui en dérive. L’Esprit habite le monde , mais le monde est moins réel et moins parfait que l’Esprit. A tout le moins y-a-t-il un degré du monde – celui dont précisément nous faisons l’expérience – dont l’imperfection nous écrase et nous conduit à la mort. Qui peut le nier ? La vérité de la présence de l’Esprit dans le monde exige donc, sous peine de n’être qu’une formule de convenance purement théorique, que la réalité même du monde prouve cette présence. Et comment le pourrait-elle, à moins d’une transfiguration où apparaisse enfin la nature glorieuse et spirituelle de la chair elle-même. C’est elle qui remet les choses à l’endroit ainsi que le souhaitait Ruyer. C’est elle qui nous oblige à regarder le crée d’un œil nouveau. C’est elle qui fait basculer toute notre vision du monde. On s’en rendra compte si l’on considère seulement le rôle que joue le corps comme instrument de notre présence au monde. C’est par le corps en effet, que nous sommes présents dans le monde des corps. Toutefois, cette présence, dont nous croyons être le maître puisqu’elle s’identifie en quelque sorte à nous-mêmes, est en réalité une présence subie et passive. C’est Merleau-Ponty qui montre, dans la phénoménologie de la perception, que voir un objet, c’est « pouvoir en faire le tour ». Et comment est-il possible d’en faire le tour, sinon parce que l’objet se prête indéfiniment, inépuisablement, au regard qui le parcourt, parce qu’il ne peut rien faire d’autre que de s’offrir au regard, que d’être vu. Etre vu, et être corporellement présent, c’est tout un. Ma présence corporelle, c’est ma visibilité, et ma visibilité n’est pas la mienne ; elle appartient à tous les regards, à mon insu et sans j’y puisse rien – ignorance et impuissance constitutives de l’essence de ma visibilité. Ainsi nul n’est maître de sa présence corporelle, et plus encore, être présent corporellement, c’est de ne pas être maître de cette présence.
Que se passe-t-il donc, au contraire, dans la Résurrection du Christ ? Il se passe que le Corps ressuscité est comme un témoin, une preuve vivante, une irruption salvatrice de la nature glorieuse du crée au sein de sa modalité ténébreuse et opaque : le corps du Christ est toujours l’instrument de la présence dans le monde des corps, mais, par un changement radical, il n’est plus de l’essence de cette présence d’être subie et passive. L’âme qui habite cet instrument en est entièrement maîtresse et en dispose à sa volonté. Le Christ peut actualiser le mode corporel de sa présence selon qu’il le décide et le juge bon. La relation qu’Il entretient avec le medium corporel de sa présence est complètement transformée. Présence active au monde entier, parce que présence réellement en acte, tous les rapports qui unissent le medium corporel au reste des corps, c’est-à-dire au monde entier et aux conditions qui le définissent, tous ces rapports sont changés. Le Christ n’est plus vu, Il se fait voir. Voilà exactement ce qu’enseignent les évangiles, et que tant d’exégètes modernes sont incapables de comprendre. Le Christ glorieux n’est pas « au dessus » du monde sensible, sinon en un sens symbolique. Simplement, Il n’est plus soumis aux conditions de ce monde corporel. Sa présentification corporelle de sa réalité spirituelle, entièrement dépendante de cette réalité (alors que dans l’état de nature déchue, c’est la réalité spirituelle de la personne qui est extrinsèquement dépendante de sa présence corporelle), présentification que la personne spirituelle peut ou non effectuer, aussi librement que la pensée de l’homme peut, dans son état ordinaire, produire ou non tel ou tel concept ou sentiment . Qui s’arrêtera à considérer cette doctrine du renversement de la relation de la personne à son medium corporel et des conséquences qu’elle entraîne, se rendra compte du jour singulier qu’elle jette sur la signification des apparitions post-pascales du Christ, selon les évangiles.
3. De ce point de vue, et sans nous étendre sur les implications cosmologiques susceptibles d’éclairer, dans une certaine mesure, le « comment » de ce renversement , on comprend que la Résurrection du Christ se présente à nous comme le sacrement de la transfiguration du cosmos, c’est-à-dire le sacrement dans lequel le cosmos est restauré dans sa véritable nature. Ruyer a pleinement raison de nous dire que notre expérience ordinaire du monde est celle d’un monde à l’envers, et que l’ « endroit » du monde est de nature sémantique et intelligible, et que seule la consistance sémantique du monde rend compte de sa « non-pulvérulence ». Mais il reste que cette expérience inversée et inversante est la nôtre. Cela aussi est une réalité, un fait, tandis que la vision redressée, l’ortho-théorie du monde, n’est jamais qu’un discours, des mots sur du papier, des idées dans ma tête. Certes, ce n’est pas rien. C’est même tout ce dont nous sommes capables pour l’instant. Mais ce n’est pas une expérience, ce n’est pas une véritable gnose, au sens que nous avons constamment donné à ce terme. Et bien sûr, relativement à la Résurrection du christ, nous sommes dans la même situation : une affirmation des Ecritures que nous accueillons dans notre esprit. Avec deux différences cependant : c’est qu’il ne s’agit pas de l’énoncé d’une théorie, mais d’un témoignage ; et que ce témoignage porte sur une réalité inouïe dont les apôtres ont fait l’expérience. Ce dont ils témoignent, c’est d’avoir fait, indirectement, dans la personne du Christ, l’expérience de la nature glorieuse de la création. Alors que la néo-gnose exclut précisément la possibilité même d’une telle expérience et demeure donc simple connaissance théorique (ou spéculative) de ce qu’elle affirme pourtant être la nature véritable de la réalité cosmique. Et plus encore, les apôtres, et les vrais chrétiens, affirment que tous les fils de Dieu sont appelés à participer à la Résurrection prototypique du Christ, que la Résurrection deviendra l’expérience directe et personnelle de chacun.
On le voit, face au gnosticisme ancien comme au gnosticisme moderne, le christianisme est le seul à aller jusqu’au bout des exigences de la gnose. Il en réalise véritablement toutes les conséquences , devant lesquelles reculent les audaces spéculatives les plus réputées, (ainsi du gnosticisme de Hegel, qui, écrivant une vie de Jésus, la termine à la crucifixion). Pourtant, les théologiens chrétiens eux-mêmes hésiteront à ratifier ce terme de gnose appliqué au christianisme. Peut-on appeler ainsi ce qui fait partie de la sanctification de l’âme et de sa destinée posthume ? S’agit-il encore d’une connaissance au sens que ce mot peut avoir pour nous ? Ne sommes-nous pas ici-bas limités à la foi d’une part, et à la raison travaillant sur les données de foi d’autre part ? Sans doute. Nous croyons pourtant qu’à vouloir définir l’œuvre théologique comme une œuvre de la pure raison naturelle (en sorte qu’à la limite un athée pourrait être théologien pourvu qu’il accueille spéculativement – c’est-à-dire d’hypothèses – les données de la foi), on ne peut échapper à un certain rationalisme soit qui conduit la théologie au dessèchement et à l’exercice gratuit, soit qui l’expose au rejet pur et simple, au nom du concret, de l’existentiel, du pastoral et de « l’engagement ». C’est là, en tout cas, une possibilité tout-à-fait réelle, et dont, nous semble-t-il, la crise actuelle de la sagesse théologique témoigne tragiquement et irrécusablement. En maintenant au contraire que la théologie doit être mystique, non point au sens où le théologien devrait connaître ce qu’on appelle proprement des états mystiques, mais au sens où il garde la conscience vive que la lumière de l’intelligence est, selon le mot de saint Thomas d ‘Aquin, « quasi dérivée de Dieu ». Doctrine de la connaissance dans la lumière du Verbe qui fait le fond de la théologie augustinienne et dionysienne. Et qu’on ne s’y trompe pas : la conscience de la nature quasi divine de l’intellection humaine actualisée, sous la lumière qui rayonne de l’objet de foi, qui est lui-même une concrétion objective du Verbe, cette conscience n’est pas rien. Elle communique au contraire à la connaissance théologique une vibration et un parfum qui l’arrache à l’exercice ordinaire de la pensée et qui l’empêche de se prendre aux pièges de ses formulations. Dans l’acte même de la connaissance, une telle intelligence goûte déjà droitement quelque chose du Saint-Esprit. Et c’est cela la gnose.
(1) Cette distinction gnose/gnosticisme correspond à peu près à celle qui fut adoptée entre spécialistes au Colloque de Messine de 1967. (2) Cf. Dom Jacques Dupont, Gnôsis. La connaissance religieuse dans les Epîtres de saint Paul, Gabalda, 1949. (3) Contra Celsum, VI, 17 ; Sources chrétiennes, n° 147, p.220. (4) La « discipline de l’arcane », c’est-à-dire l’obligation de tenir secrets certains enseignements, a existé dans l’Eglise, au moins jusqu’au Ve siècle. Sait-on –chose étonnante et qui devrait nous faire réfléchir – qu’à l’époque de saint Ambroise et selon la recommandation même du saint évêque de Milan, il était interdit de mettre par écrit le Symbole des Apôtres, qui donc ne se transmettait qu’oralement, et qu’il ne pouvait être récité devant des profanes ? (Explanatio Symboli, n. 9 ; Sources chrétiennes, n°25 bis, p57-59). Mais nous n’avons plus guère conscience aujourd’hui du caractère vraiment prodigieux des enseignements qu’il révèle. (5) Jean Doresse, La Gnose, dans Histoire des religions, Pléïade, t. II, p.395. (6) Depuis la rédaction de cette étude, les positions d’Alain de Benoist se sont quelque peu modifiées.
Texte publié en octobre 1996 dans la revue La Place Royale.
https://www.yhwh.fr/gnosechretienne
Il est quand même étonnant qu'un spécialiste de la gnose ne mentionne pas le principal grief que l'Église lui a fait depuis toujours: le rejet, en tout ou en partie, du sens obvie, ou littéral, du Credo...
à mon avis tu confonds Gnose et gnosticime. Fais des recherches dans les évangiles, le terme Gnose est utilisé à foison !
Après Jean Borella:
Jean-Marie Martin, prêtre, chercheur en théologie et philosophie, a exercé jusqu'en 1993 à l'Institut Catholique de Paris comme enseignant et directeur de département.
Il est originaire de la région de Nevers, et en début de carrière il a passé un certain nombre d'années à l'université pontificale de Rome : dans un premier séjour il a étudié la dogmatique, avec une plongée dans la pensée de Thomas d'Aquin, puis il a enseigné la dogmatique ; et dans un deuxième séjour il a suivi entre autres les cours du Père Antonio Orbe, jésuite, spécialiste des Pères de l'Eglise et des premiers gnostiques chrétiens, ce qui lui a fait modifier sa façon de faire les cours de dogmatique.
_________________ Si vis pacem, para bellum Mon stage chez TSAHAL : ICI Gnôsis le documentaire : ICI À la recherche du Pyramidion perdu : ICI Le Delta lumineux des francs-maçons : ICI Symbolisme de la Pyramide :ICI
Le Grand Sceau des États-Unis d'Amérique et la Pyramide:
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Bulletin historique et archéologique
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philippe bis
Messages : 15533 Inscription : 29/04/2017
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 11:28
Pignon a écrit:
philippe bis a écrit:
Pignon a écrit:
Tu fais comme tu veux
Avec Aleister Crowley "Aime et fais ce que tu veut" de Saint Augustin est devenu "fais ce que tu veut" .Le diable n 'est-il pas dans les détails? https://fr.wikipedia.org/wiki/Thelema
ça tombe à pic (de la Mirandole ?)! Jean Borella va te parler de St Augustin
Si saint augustin a si bien pu combattre l 'hérésie c 'est parce que il en a été un ( hérétique) avant d 'etre déclaré par le suite Saint par l église Catholique.Donc Pignon je vous demande pardon de trouver un peu absurde l 'argument qui consiste a faire référence a Augustin , a ses ecrits et croyance avant sa pleine conversion."Pour saint Augustin, il est directement issu du gnosticisme. Saint Augustin a été manichéen à une période de sa vie, il connaît donc assez bien la doctrine de Mani" .Et j 'avais bien raison de vous parler de Aleister crowley car la chaine Youtube que vous cité "BAGLISTV " aime assez bien ce genre de personnage et bien d 'autres pas plus recommandable https://www.youtube.com/watch?v=t0wr0EvN5mI
Dernière édition par philippe bis le 18/9/2018, 11:36, édité 2 fois
philippe bis
Messages : 15533 Inscription : 29/04/2017
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 11:29
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 11:32
Pignon a écrit:
saint Zibou a écrit:
Pignon a écrit:
Le GRAND expert sur la question se nomme Jean Borella de confession ultra catholique.
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[size=60]Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne[/size]
La gnose a mauvaise presse dans le christianisme. D’instinct, on la répute pour le pire ennemi de la vraie religion. Il y a donc quelque paradoxe à parler d’une gnose chrétienne. C’est à quoi nous voudrions apporter une réponse dans les réflexions suivantes. A un moment où le mouvement des idées semble parfois faire retour à un gnosticisme païen et anti-chrétien, il n’est peut-être pas inutile de montrer qu’il existe une gnose chrétienne, plus profonde et plus radicale que celle que l’on tente de ressusciter.
I. Position du problème
En général les doctrines religieuses et philosophiques peuvent êtres définies historiquement : quels sont les hommes qui les ont professées ? quand ont-ils vécu ? le nom qu’on leur donne leur convient-il ? etc. d’une part ; et d’autre part spéculativement : de quelles doctrines s’agit-il ? quel en est le contenu ? Ces exigences sont malaisées à satisfaire en ce qui concerne ce qu’on est convenu d’appeler : la gnose. L’objet de notre étude est inséparable des diverses perspectives sous lesquelles il fut envisagé. L’histoire de la gnose (et du gnosticisme), c’est l’histoire de son historiographie. Jusqu’à une date récente, en effet, cet ensemble cosmologico-religieux n’était connu que par les réfutations de ses adversaires chrétiens (et néo-platoniciens). Il s’agit principalement des « hérésiologues », c’est-à-dire de ces écrivains chrétiens (Irénée, Justin, Hippolyte, ect.) qui, aux alentours des IIe et IIIe siècles, combattirent le gnosticisme, dans des ouvrages parfois de vastes dimensions qui renfermaient évidemment de longues citations des adversaires à réfuter. Ces citations constituent la majeure partie de notre documentation. C’est elle qui fut étudiée par les historiens, du XVIe au XXe siècle. Mais en 1945 fut découverte en Haute-Egypte, près de Nag-Hammi, une bibliothèque gnostique datant vraisemblablement du IVe siècle ap. J.C. Relativement à la gnose, c’est la découverte la plus importante de l’histoire du christianisme ; cette bibliothèque comprend treize volumes (sous la forme de codices ou cahiers) renfermant des textes et fragments de textes proprement gnostiques ou utilisés par la communauté gnostique. Le déchiffrement ni l’étude en sont terminés. Les problèmes soulevés sont loin d’être résolus, et il ne semble même pas que la connaissance historique du gnosticisme en devenant plus étendue soit devenue plus claire. Quelles sont donc les thèses qu’à suscitées ce mouvement religieux dont l’importance historique et géographique ne saurait être exagérée ? (Nous suivons ici principalement H.C. Puech et Jean doresse.)
1. Les historiens ont d’abord vu dans le gnosticisme une hérésie purement chrétienne. Et, puisque, comme le dit Tertullien, l’hérésie vient après l’orthodoxie, elle ne peut donc être que postérieure à la constitution de la doctrine chrétienne, ou, à tout le moins, quasi contemporaine. Elle daterait donc du Ier et II e siècles. Mais les historiens n’étaient pas d’accord sur le sens de cette hérésie. Pour les uns – principalement pour Harnack – le gnosticisme est une « hellénisation radicale et prématurée » d’une religion d’origine orientale , hellénisation que l’Eglise réussira avec plus de modération et de lenteur, et qui est devenue le christianisme tel que nous le connaissons. Pour les autres - et notamment pour l’Allemand Bousset – le gnosticisme aurait été , au contraire une tentative pour faire régresser vers une source orientale une religion qui, tout normalement revêtait une forme grecque.
2. Un deuxième stade dans l’historiographie du gnosticisme fut atteint lorsqu’à la suite des travaux de Bousset que nous venons de mentionner, il fut de plus en plus évident que ce courant n’était pas directement lié au christianisme, et qu’il existait, antérieurement au christianisme, des groupes religieux (en particulier les mandéens) qui ressortissaient incontestablement au gnosticisme, même s’ils ne faisaient pas usage pour se définir, du terme de gnose. Ces groupes religieux se rencontraient dans de nombreuses aires géographiques. Apocalypse juive du Ier siècle av. J.C. (c’est le thèse du Cardinal Daniélou), Iran, Egypte (en particulier le courant de l’hermétisme). Cette thèse est peu contestable et nous paraît aujourd’hui assez bien établie, au moins dans son cadre général (car, pour notre part, nous faisons toutes réserves sur la signification du phénomène gnostique et sur les diverses interprétations qu’en donnent les historiens). Mais, si elle est vraie, s’il est exact que le gnosticisme n’ait rien de spécifiquement chrétien, alors ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi la thèse précédente a pu paraître si évidente, et comment, de fait, le gnosticisme a pu être si intiment mêlé au christianisme qu’on a pu se demander si certains gnostiques , parmi les plus grands, tel Valentin, n’étaient pas plutôt en vérité, des chrétiens sincères, dont le gnosticisme n’aurait été que de surface ! Ou bien faut-il admettre que la rencontre du gnosticisme et du christianisme n’est due qu’aux hasards de l’histoire ? Prenant contact avec une religion neuve et dynamique, le gnosticisme n’a-t-il pensé qu’à utiliser cette force pour des fins qui étaient les siennes propres ?
3. Nous voudrions poser une troisième thèse : tentative un peu ambitieuse, mais qui ne risque rien n’a rien ! Cette thèse nous paraît répondre aux données de l’histoire telles qu’on vient de les rappeler. La voici : le christianisme est une religion gnostique. Et même c’est la véritable gnose, la gnose dans toute sa pureté. Avant de justifier cette affirmation, signalons tout de suite en quoi elle permet de rendre compte des données historiques. Si le gnosticisme pré-chrétien, en prenant contact avec la Révélation Chrétienne, l’a en quelque sorte « reconnue », s’il a éprouvé l’impression d’y découvrir quelque chose qui n’était pas sans rapport avec sa propre vision du divin et du sacré, on s’explique alors qu’il ait eu le désir de l’utiliser à son profit, afin de bénéficier de son dynamisme. On comprend aussi que tant d’historiens aient pu affirmer avec pertinence que le gnosticisme était une hérésie proprement chrétienne ; et même que les gnostiques, tel Valentin, aient pu paraître finalement plus chrétiens que gnostiques. Sans doute, faut-il pour admettre notre hypothèse, s’élever au-dessus des catégories strictement historiques, et admettre que tout ne s'explique pas en termes d’influences repérables et constatables, en particulier pour ce qui est des faits religieux. Mais c’est là, pour nous, une évidence. Si donc le gnosticisme paraît si spécifiquement chrétien, et si pourtant son origine est incontestablement pré-chrétienne, c’est que le christianisme présente lui-même les caractéristiques d’une véritable gnose authentique, ou plutôt qu’en lui la gnose atteint à sa pureté et à sa vérité, tandis que les gnosticismes immédiatement pré-chrétiens ou para-chrétiens n’en offrent que des aspects déformés et déviés.
II. – Gnose et gnosticisme
Notre thèse nous impose maintenant une double tâche : montrer en quoi effectivement le christianisme réalise la vérité de la gnose d’une part, et d’autre part identifier l’erreur du gnosticisme et préciser la déviation qu’il fait subir à la gnose véritable. Toutefois et préalablement se pose la question de la justification terminologique des mots gnose et gnosticisme.
1. On pourrait en effet se demander : pourquoi appeler le christianisme gnose, alors que ce terme importe avec lui tant de choses douteuses et tant de théories inacceptables ? Nous répondrons d’abord que nous distinguons entre la gnose, décalque du grec gnôsis, par quoi il faut entendre la connaissance intérieure et salvatrice de Dieu, et le gnosticisme qui désigne une systémisation historiquement déterminée de cette connaissance telle que la gnose s’y trouve réduite à certains de ces éléments constituants. En ce sens, tout gnosticisme est une hérésie, puisque l’hérésie consiste à choisir (haïrésis = choix), au sein de la vérité totale, quelques éléments de cette vérité que l’on érige ensuite en totalité et auxquels on ramène tout le reste (1). Ensuite, nous ferons observer que le terme de gnôsis au sens défini précédemment appartient au christianisme, puisqu’il fut employé en ce sens, pour la première fois, par saint Paul (2). Et c’est également chez saint Paul que se trouve la première dénonciation du gnosticisme, c'est-à-dire de la « pseudo-gnose » ( 1er épître à Timothée, VI, 20). Mais saint Paul, s’il est la plus grande autorité que nous puissions invoquer, n’est pas la seule. Saint Irénée de Lyon, dans l’Adversus Haereses, ne dénonce pas la gnose, mais, ainsi que le déclare le titre original de son ouvrage, titre que nous ont conservé Eusèbe de Césarée, saint Jean de Damas, et d'autres, « la gnose au faux nom » (Elenkos kaï anatropè tès pseudonymou gnôseôs). Clément d’Alexandrie lui aussi, s’il combat le gnosticisme, se propose de nous enseigner « la gnose véritable », celle qui vient du Christ par la tradition apostolique, et que l’étude de l’Ecriture et la vie sacrementelle actualisent en nous. De même, le grand Origène nous parle de cette « gnose de Dieu » que peu d’hommes possèdent et par laquelle Moïse a pénétré dans la Ténèbre divine (3). Ce sont là des raisons historiques suffisantes pour parler d’une gnose chrétienne.
2. Mais après le nom, il faut parler de la chose elle-même. En quoi donc la Révélation chrétienne est-elle une gnose ? Si l’on identifie gnose et gnosticisme, alors notre thèse est insoutenable, car la vérité chrétienne n’est pas, a priori, réservée à une élite secrète, bien que, comme l’enseignent maintes paraboles, tous n’aient pas la même compréhension et n’en pénètrent pas également le sens le plus profond. Mais s’il est vrai que, par gnose, on doit entendre une connaissance de Dieu, intérieure et salvatrice, alors il est bien difficile de nier qu’une telle définition ne s’applique excellemment au message propre du Christ. Que « la vie éternelle » soit une gnose, c’est ce qu’affirme le Christ lui-même, dans l’évangile selon saint Jean : « Voici ce qu’est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (XVII, 3). Ainsi, la connaissance de Dieu est vie, et même vie éternelle, c’est précisément le salut que Jésus-Christ est venu nous apporter, puisqu’Il nous sauve de la mort et du péché. Et, selon certains exégètes (C.H. Dodd, en particulier), le quatrième évangile n’a-t-il pas été écrit pour prouver que la véritable gnose , c’est la foi en Jésus-Christ, et dans le pouvoir salvateur de « Son Nom » (joa, XX, 31) ?
Mais cette connaissance n’est pas seulement salvatrice, elle est aussi intérieure. Elle l’est d’abord par rapport au judaïsme. Selon l’adage médiéval en effet, Doctrina Christi revelat quod doctrina Moysi velat ; le christianisme c’est la révélation du mystère intérieur du judaïsme. C’est en quelque sorte la mise au jour, en pleine lumière, de l ‘ « ésotérisme » de la religion moïsiaque, c’est-à-dire : de ce qu’il y a en elle de « plus secret » (4). Elle l’est également en elle-même : aux six cent trente deux prescriptions de la loi juive, Jésus-Christ substitue l’amour de Dieu et du prochain. La multitude des obligations rituelles et leur extrême complexité sont remplacées par la foi au Christ et la participation au septenaire sacrementel. Et même la loi du sabbat peut être transgressée, si le bien de l’homme l’exige. Ce qui compte, c’est la « religion du cœur », celle qui concerne l’intériorité de l’être, car « le règne de Dieu est en vous-mêmes », et ce n’est point le culte extérieur, réduit à sa propre extériorité, qui plait à Dieu, mais le « sacrifice d’un esprit brisé », selon la parole du Psalmiste, sacrifice que réalise la mort du Christ. Et c’est le cœur pur qui verra Dieu.
La nouveauté prodigieuse de cette voie spirituelle apparaît encore plus nettement si l’on compare à l’idée qu’un Grec ou un Romain pouvait se faire de la religion. Selon Varron, on le sait, la religion était de trois sortes : mythologique avec les poètes, physique (ou naturelle) avec les philosophes , civile (ou politique) pour le peuple de la cité. Quel était donc le degré de conscience religieuse d’un Grec participant à la procession des Panathénées ? Le degré de foi d’un poète brodant complaisamment sur les aventures des dieux et des déesses ? Comme Platon avait raison de condamner cette impiété littéraire et ces cultes tout extérieurs ! Mais quel Dieu inconnu peut-on adorer « avec tout son âme » ? Par rapport à tous ces formes religieuses, l’enseignement du Christ apparaît comme un message d’intériorité. Car voilà : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorez le Père. (.. .) Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car tels sont les adorateurs que le Père désire » (joa, IV, 23). Mais les rites chrétiens eux-mêmes, le baptême et l’eucharistie au premier chef, semblent reprendre, pour l’assumer et le parfaire ce qu’il y avait de plus authentiquement religieux dans l’hellénisme païen : le culte des mystères. Le baptême n’était-il pas dénommé « initiation » et « illumination » ? N’est-il pas un rite véritablement initiatique qui transforme l’âme, et lui confère la grâce de la gnose christique ? Et le rite eucharistique, en faisant participer au banquet sacrificiel du divin Corps du Christ, ne nous communique-t-il pas, dans le mysterium fidei, la connaissance la plus intime, celle de l’Etre même de Dieu ? Allons plus loin encore. Le dévoilement du Dieu-Trinité ne réalise-t-il pas une véritable initiation à l’intériorité même de l’Etre divin qui déploie soudain aux yeux de la foi le mystère sur-intelligible de son propre Cœur ? N’y a-t-il pas là comme la révélation du secret indicible du monothéisme abrahamique et philosophique, qui éclate en quelque sorte « de l’intérieur », Dieu cessant d’être ce point unique, transcendant et impénétrable, pour nous admettre à contempler l’infinité qui réside en Lui ?
3. C’est précisément l’authentique intériorité de la gnose chrétienne qui rend manifestes l’erreur et la fausseté du gnosticisme non chrétien. Car le gnosticisme, en vertu de sa vision partielle et mutilante, ne saurait concevoir une intériorité qui ne soit exclusive de l’extériorité, alors que la gnose chrétienne révèle sa vérité, son « intelligence », en ce que le Christ n’est pas venu pour abolir la loi mais l’accomplir, non pas pour réfuter l’extériorité et la condamner, mais l’assumer et la sauver. C’est pourquoi le gnosticisme est nécessairement dualiste. Et tout dualisme constitue une « hérésie métaphysique » (au même titre que tout monisme). Nous pourrions dire que le gnosticisme est d’une part un « angélisme anti-créationiste » et d’autre part un « docétisme christologique ».
L’angélisme anti-créationiste apparaît clairement à la lecture des textes du gnosticisme marcionite ou valentinien, par exemple. Le monde corporel est mauvais. Il ne peut donc être que l’œuvre d’un mauvais démiurge que Marcion identifie au Dieu de la Genèse. Le serpent qui enseigne à Eve à désobéir au mauvais démiurge, constitue une première tentative pour réparer le mal causé par YHWH-Elohim. Ainsi l’idée grecque d’un cosmos, c’est-à-dire d’un monde ordonné et dont l’ordre et l’harmonie font toute la beauté, idée que reprendra Plotin dans sa lutte contre le gnosticisme, cette idée est entièrement abandonnée. La création est vouée par elle-même à la destruction et à la mort. La chair est impure, la matière est indigne de la transcendance du vrai Dieu qui est un pur esprit. L’homme vraiment pneumatique doit vivre comme un ange. On reconnaît là bien des thèmes repris plus tard par le mouvement cathare, dont la doctrine menaçait de mort toute la société. Mais le vrai Dieu intervient pour sauver les hommes purs de la chair impure en envoyant un être quasi divin, une Puissance céleste, qui vient rendre possible l’accès au monde supérieur des réalités spirituelles dont le bas-monde n’est qu’une contre-façon . Toutefois lorsque cette Puissance est identifiée à Jésus-Christ, sa descente ici-bas n’est pas interprétée comme une incarnation. Ce n’est qu’en apparence que le Christ possède un corps et qu’il a souffert sa Passion (c’est précisément ce qu’on appelle l’hérésie docétiste, du grec dokéô, « sembler », « paraître »). « Pour eux, le Sauveur n’apparaît dans sa plénitude qu’incoporel, après la Résurrection » (5).
Ainsi donc , au refus de la création fait pendant le refus de l’incarnation, et tous deux sont prononcés au nom de la transcendance divine : la réalité suprême est trop haute et trop sublime pour tolérer la bassesse du monde corporel, et donc a fortiori pour qu’un être émanant du monde supérieur puisse en assumer réellement les conditions. Si maintenant, laissant de côté les descriptions des thèses du gnosticisme historique, nous les jugeons d’un point de vue métaphysique, c’est-à-dire, si nous les prenons au sérieux – et cessons de les considérer comme une bizarrerie culturelle – voici ce que nous dirons.
L’angélisme anti-créationiste et son corollaire, le docétisme christologique, loin de réduire ou d’effacer l’impureté, la souillure, l’opacité de la matière, ne font que la renforcer. L’acte par lequel le dualisme gnostique procède au rejet de la matière réputée mauvaise, constitue du même coup cette matière comme réalité antinomique du Principe lumineux, l’élève donc à la dignité d’être son contraire, et l’identifie définitivement à sa dimension ténébreuse.
Rappelons la définition que nous avons donnée de la gnose : une connaissance intérieure et salvatrice. Il est clair désormais que le gnosticisme ne saurait prétendre à une telle connaissance, faute précisément d’une intelligence réelle du salut et de l’intériorité. Quant au salut, nous comprenons bien que l’effacement de la souillure qu’il envisage, la purification qu’il propose, sont radicalement négatifs. Et de même pour l’intériorité, telle qu’il la conçoit, n’est que l’exclusion de toute extériorité, donc intériorité négative et formelle. En niant toute immanence divine, toute présence de la Lumière incréée au cœur des ténèbres les plus opaques, le gnosticisme rend même impossible la moindre libération, et fait d’une création désertée de toute gloire un infranchissable obstacle, un enfer éternel.
Au contraire la véritable intériorité doit assumer l’extériorité ; elle doit certes la dépasser en l’entraînant dans la gloire, mais en la transfigurant, et donc aussi en l’accomplissant. Tout est dit dans cet axiome : seul le Plus peut vraiment le moins. Seul Dieu, l’Absolu et l’Infini, « peut » le relatif et le fini, c’est-à-dire, non seulement peut les créer – ce qui est évident – mais peut saisir, embrasser véritablement le fini, réaliser intégralement la nature du fini, aller jusqu’au bout du fini, l’épuiser véritablement – et c’est beaucoup moins reconnu. Autrement dit, le fini, le mondain, l’extérieur, le charnel, ne peut aller, par lui-même, au bout de lui-même ; il ne peut, par lui-même, réaliser la vérité de sa nature, sa relativité et sa contingence. Le fini n’est vraiment fini qu’au sein de l’Infini. La Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. La Lumière est donc immanente aux ténèbres , et c’est d’ailleurs par cette immanence que les ténèbres réalisent la vérité de leur nature, mais Elle n’est point comprise par elles, puisqu’au contraire c’est la Lumière qui, en vérité, comprend les ténèbres, c'est-à-dire à la fois les enveloppe et les connaît. Car non seulement les ténèbres ne comprennent par la Lumière, mais elles ne se comprennent pas elles-mêmes. Ainsi de la véritable intériorité, qui ne saurait laisser l’extériorité à l’extérieur d’elle-même, et c’est précisément ce que réalise l’Incarnation sacrificielle de Jésus-Christ . Le Christ se fait péché, dit saint Paul. Parole extraordinaire qui révèle l’inconsistance métaphysique du gnosticisme en réalisant la véritable « gnose » de la création. Car, en se faisant péché le Christ « connaît » (existentiellement) la véritable nature de la création post-édénique. Le Christ va jusqu’au bout de la finitude de notre monde, et ce terme c’est la mort sur la Croix. En « accomplissant » la finitude du crée, en en « réalisant » la contradiction crucifiante et mortelle, Il en révèle aussi le point de jonction, le nœud cordial et transcendant. Il dépasse et traverse l’extériorité du crée en le ramenant au centre originel d’où jaillissent et où convergent les bras de la Croix. C’est alors qu’apparaît l’intériorité positive de la véritable gnose du Père, qui est le Christ Lui-même, puisque le Fils, c’est la connaissance éternelle que le Père prend de sa propre Essence divine. Ainsi le Christ en croix, c’est la révélation d’une intériorité assumante et transformante. Révélation, car le Christ est dressé dans son agonie à la face du monde. Et dans sa mort, dans ce Vendredi Saint qui est la véritable gnose, s’ouvre l’intériorité divine : le Christ, qui est l’intériorité même de la connaissance du Père, est transpercé et ouvert par la lance du centurion, du sang et de l’eau en jaillissent. C’est l’intériorité même de Dieu qui se répand à l’extérieur et qui communique à toutes choses la vertu et la qualité de l’intériorité gnostique. C’est la création tout entière, dans un baptême cosmique, qui est baignée dans la mort et le sang du Christ. C’est la gnose du Père répandue et communiquée.
III. – Le gnosticisme moderne
1. On ne peut parler d’un gnosticisme moderne, pensons-nous, que dans un sens très différent du gnosticisme ancien. Le gnosticisme des hérésiologues chrétiens est profondément religieux, c’est-à-dire, qu’il entend se relier à Dieu par une connaissance qui non seulement est pure de tout élément corporel (c’est son intériorité), mais qui lui permet d’échapper réellement, dans son être même, à ce monde corporel (c’est son caractère salvateur). Le gnosticisme moderne n’est pas religieux, il est même anti-religieux, et, en tous cas, anti-chrétien. En quoi donc est-il justifié de parler de gnose à son propos ? Nous admettrons – sans qu’il soit possible de faire autrement que de s’en tenir à un niveau d’extrême généralité – qu’il s’agit de doctrines qui considèrent la science comme la vraie religion, non pas à la manière du scientisme du XIXe siècle pour qui la science doit éliminer la religion, mais comme des gens qui sont persuadés que la science doit remplacer les religions en en assumant toutes les fonctions. Cela implique, évidemment, une transformation de la connaissance scientifique. La connaissance scientifique ne peut être une gnose que si elle cesse d’être soumise au dualisme rationaliste du sujet (spirituel) et de l’objet (matériel) pour devenir connaissance participative d’un continuum univers-homme, habité sous des formes diverses par l’Esprit, qui se confond avec la Nature. La matière, c’est de l’esprit retourné, à l’envers. La néo-gnose est la « révélation » de ce retournement, et opère une sorte de « salut », spéculatif ou théorique, en remettant les choses à l ‘endroit. Tel est du moins le type le plus pur de ce gnosticisme moderne, tel qu’on le trouve chez Ruyer. Chez Alain de Benoist et son école, il s’agit beaucoup plus d’une attitude déclarée, essentiellement anti-chrétienne, que d’une doctrine élaborée et articulée, aucun membre de cette école ne s’étant jusqu’ici montré capable d’une telle construction spéculative (6). Le gnosticisme devient alors une sorte d’adoration du monde physique dans lequel on investit les valeurs affectives qu’entraîne d’ordinaire la religion, mais amputée de toute référence à Dieu, alors que le gnosticisme ruyerien est déiste de manière explicite et déclarée. Il y a donc, dans la nouvelle droite, plutôt régression vers le scientisme athée du XIXe siècle. Quoiqu’il en soit, il nous paraît évident que ce gnosticisme moderne, pas plus que le gnosticisme antique, ne réalise la vérité et les exigences de la gnose. C’est ce que nous voudrions montrer, très brièvement. Toutefois, s’il usurpe et travestit le sens véritable de la gnose, c’est d’une manière en quelque sorte inverse du gnosticisme hellénique. Celui-ci au nom de la Transcendance divine, refusait l’immanence de Dieu au monde. Celui-là, au contraire, au nom de l’immanence et même de l’identification panthéiste de l’Esprit et de la matière (chez Jean E. Charon, par exemple), rejette toute transcendance, et toute intervention « historique » de la Transcendance dans l’univers des hommes. Nous avons décrit le premier refus comme l’incompréhension de l’Incarnation sacrificielle. Nous voudrions décrire le second comme l’incompréhension de la Résurrection pascale.
2. S’il y a , en effet, résurrection de la chair, c’est que le principe divin, qui est immanent au monde, qui est présent dans la substance même de la matière, ne peut pas, en vertu de sa propre Transcendance, ne pas arracher le corps physique à l’ordre cosmique auquel il adhère, pour manifester la transcendance même de la chair lorsqu’elle est habitée véritablement par l’Esprit. Ce qui fait défaut à cette gnose, c’est la distinction des degrés de la réalité ou de perfection qui en dérive. L’Esprit habite le monde , mais le monde est moins réel et moins parfait que l’Esprit. A tout le moins y-a-t-il un degré du monde – celui dont précisément nous faisons l’expérience – dont l’imperfection nous écrase et nous conduit à la mort. Qui peut le nier ? La vérité de la présence de l’Esprit dans le monde exige donc, sous peine de n’être qu’une formule de convenance purement théorique, que la réalité même du monde prouve cette présence. Et comment le pourrait-elle, à moins d’une transfiguration où apparaisse enfin la nature glorieuse et spirituelle de la chair elle-même. C’est elle qui remet les choses à l’endroit ainsi que le souhaitait Ruyer. C’est elle qui nous oblige à regarder le crée d’un œil nouveau. C’est elle qui fait basculer toute notre vision du monde. On s’en rendra compte si l’on considère seulement le rôle que joue le corps comme instrument de notre présence au monde. C’est par le corps en effet, que nous sommes présents dans le monde des corps. Toutefois, cette présence, dont nous croyons être le maître puisqu’elle s’identifie en quelque sorte à nous-mêmes, est en réalité une présence subie et passive. C’est Merleau-Ponty qui montre, dans la phénoménologie de la perception, que voir un objet, c’est « pouvoir en faire le tour ». Et comment est-il possible d’en faire le tour, sinon parce que l’objet se prête indéfiniment, inépuisablement, au regard qui le parcourt, parce qu’il ne peut rien faire d’autre que de s’offrir au regard, que d’être vu. Etre vu, et être corporellement présent, c’est tout un. Ma présence corporelle, c’est ma visibilité, et ma visibilité n’est pas la mienne ; elle appartient à tous les regards, à mon insu et sans j’y puisse rien – ignorance et impuissance constitutives de l’essence de ma visibilité. Ainsi nul n’est maître de sa présence corporelle, et plus encore, être présent corporellement, c’est de ne pas être maître de cette présence.
Que se passe-t-il donc, au contraire, dans la Résurrection du Christ ? Il se passe que le Corps ressuscité est comme un témoin, une preuve vivante, une irruption salvatrice de la nature glorieuse du crée au sein de sa modalité ténébreuse et opaque : le corps du Christ est toujours l’instrument de la présence dans le monde des corps, mais, par un changement radical, il n’est plus de l’essence de cette présence d’être subie et passive. L’âme qui habite cet instrument en est entièrement maîtresse et en dispose à sa volonté. Le Christ peut actualiser le mode corporel de sa présence selon qu’il le décide et le juge bon. La relation qu’Il entretient avec le medium corporel de sa présence est complètement transformée. Présence active au monde entier, parce que présence réellement en acte, tous les rapports qui unissent le medium corporel au reste des corps, c’est-à-dire au monde entier et aux conditions qui le définissent, tous ces rapports sont changés. Le Christ n’est plus vu, Il se fait voir. Voilà exactement ce qu’enseignent les évangiles, et que tant d’exégètes modernes sont incapables de comprendre. Le Christ glorieux n’est pas « au dessus » du monde sensible, sinon en un sens symbolique. Simplement, Il n’est plus soumis aux conditions de ce monde corporel. Sa présentification corporelle de sa réalité spirituelle, entièrement dépendante de cette réalité (alors que dans l’état de nature déchue, c’est la réalité spirituelle de la personne qui est extrinsèquement dépendante de sa présence corporelle), présentification que la personne spirituelle peut ou non effectuer, aussi librement que la pensée de l’homme peut, dans son état ordinaire, produire ou non tel ou tel concept ou sentiment . Qui s’arrêtera à considérer cette doctrine du renversement de la relation de la personne à son medium corporel et des conséquences qu’elle entraîne, se rendra compte du jour singulier qu’elle jette sur la signification des apparitions post-pascales du Christ, selon les évangiles.
3. De ce point de vue, et sans nous étendre sur les implications cosmologiques susceptibles d’éclairer, dans une certaine mesure, le « comment » de ce renversement , on comprend que la Résurrection du Christ se présente à nous comme le sacrement de la transfiguration du cosmos, c’est-à-dire le sacrement dans lequel le cosmos est restauré dans sa véritable nature. Ruyer a pleinement raison de nous dire que notre expérience ordinaire du monde est celle d’un monde à l’envers, et que l’ « endroit » du monde est de nature sémantique et intelligible, et que seule la consistance sémantique du monde rend compte de sa « non-pulvérulence ». Mais il reste que cette expérience inversée et inversante est la nôtre. Cela aussi est une réalité, un fait, tandis que la vision redressée, l’ortho-théorie du monde, n’est jamais qu’un discours, des mots sur du papier, des idées dans ma tête. Certes, ce n’est pas rien. C’est même tout ce dont nous sommes capables pour l’instant. Mais ce n’est pas une expérience, ce n’est pas une véritable gnose, au sens que nous avons constamment donné à ce terme. Et bien sûr, relativement à la Résurrection du christ, nous sommes dans la même situation : une affirmation des Ecritures que nous accueillons dans notre esprit. Avec deux différences cependant : c’est qu’il ne s’agit pas de l’énoncé d’une théorie, mais d’un témoignage ; et que ce témoignage porte sur une réalité inouïe dont les apôtres ont fait l’expérience. Ce dont ils témoignent, c’est d’avoir fait, indirectement, dans la personne du Christ, l’expérience de la nature glorieuse de la création. Alors que la néo-gnose exclut précisément la possibilité même d’une telle expérience et demeure donc simple connaissance théorique (ou spéculative) de ce qu’elle affirme pourtant être la nature véritable de la réalité cosmique. Et plus encore, les apôtres, et les vrais chrétiens, affirment que tous les fils de Dieu sont appelés à participer à la Résurrection prototypique du Christ, que la Résurrection deviendra l’expérience directe et personnelle de chacun.
On le voit, face au gnosticisme ancien comme au gnosticisme moderne, le christianisme est le seul à aller jusqu’au bout des exigences de la gnose. Il en réalise véritablement toutes les conséquences , devant lesquelles reculent les audaces spéculatives les plus réputées, (ainsi du gnosticisme de Hegel, qui, écrivant une vie de Jésus, la termine à la crucifixion). Pourtant, les théologiens chrétiens eux-mêmes hésiteront à ratifier ce terme de gnose appliqué au christianisme. Peut-on appeler ainsi ce qui fait partie de la sanctification de l’âme et de sa destinée posthume ? S’agit-il encore d’une connaissance au sens que ce mot peut avoir pour nous ? Ne sommes-nous pas ici-bas limités à la foi d’une part, et à la raison travaillant sur les données de foi d’autre part ? Sans doute. Nous croyons pourtant qu’à vouloir définir l’œuvre théologique comme une œuvre de la pure raison naturelle (en sorte qu’à la limite un athée pourrait être théologien pourvu qu’il accueille spéculativement – c’est-à-dire d’hypothèses – les données de la foi), on ne peut échapper à un certain rationalisme soit qui conduit la théologie au dessèchement et à l’exercice gratuit, soit qui l’expose au rejet pur et simple, au nom du concret, de l’existentiel, du pastoral et de « l’engagement ». C’est là, en tout cas, une possibilité tout-à-fait réelle, et dont, nous semble-t-il, la crise actuelle de la sagesse théologique témoigne tragiquement et irrécusablement. En maintenant au contraire que la théologie doit être mystique, non point au sens où le théologien devrait connaître ce qu’on appelle proprement des états mystiques, mais au sens où il garde la conscience vive que la lumière de l’intelligence est, selon le mot de saint Thomas d ‘Aquin, « quasi dérivée de Dieu ». Doctrine de la connaissance dans la lumière du Verbe qui fait le fond de la théologie augustinienne et dionysienne. Et qu’on ne s’y trompe pas : la conscience de la nature quasi divine de l’intellection humaine actualisée, sous la lumière qui rayonne de l’objet de foi, qui est lui-même une concrétion objective du Verbe, cette conscience n’est pas rien. Elle communique au contraire à la connaissance théologique une vibration et un parfum qui l’arrache à l’exercice ordinaire de la pensée et qui l’empêche de se prendre aux pièges de ses formulations. Dans l’acte même de la connaissance, une telle intelligence goûte déjà droitement quelque chose du Saint-Esprit. Et c’est cela la gnose.
(1) Cette distinction gnose/gnosticisme correspond à peu près à celle qui fut adoptée entre spécialistes au Colloque de Messine de 1967. (2) Cf. Dom Jacques Dupont, Gnôsis. La connaissance religieuse dans les Epîtres de saint Paul, Gabalda, 1949. (3) Contra Celsum, VI, 17 ; Sources chrétiennes, n° 147, p.220. (4) La « discipline de l’arcane », c’est-à-dire l’obligation de tenir secrets certains enseignements, a existé dans l’Eglise, au moins jusqu’au Ve siècle. Sait-on –chose étonnante et qui devrait nous faire réfléchir – qu’à l’époque de saint Ambroise et selon la recommandation même du saint évêque de Milan, il était interdit de mettre par écrit le Symbole des Apôtres, qui donc ne se transmettait qu’oralement, et qu’il ne pouvait être récité devant des profanes ? (Explanatio Symboli, n. 9 ; Sources chrétiennes, n°25 bis, p57-59). Mais nous n’avons plus guère conscience aujourd’hui du caractère vraiment prodigieux des enseignements qu’il révèle. (5) Jean Doresse, La Gnose, dans Histoire des religions, Pléïade, t. II, p.395. (6) Depuis la rédaction de cette étude, les positions d’Alain de Benoist se sont quelque peu modifiées.
Texte publié en octobre 1996 dans la revue La Place Royale.
https://www.yhwh.fr/gnosechretienne
Il est quand même étonnant qu'un spécialiste de la gnose ne mentionne pas le principal grief que l'Église lui a fait depuis toujours: le rejet, en tout ou en partie, du sens obvie, ou littéral, du Credo...
à mon avis tu confonds Gnose et gnosticime. Fais des recherches dans les évangiles, le terme Gnose est utilisé à foison !
Après Jean Borella:
Jean-Marie Martin, prêtre, chercheur en théologie et philosophie, a exercé jusqu'en 1993 à l'Institut Catholique de Paris comme enseignant et directeur de département.
Il est originaire de la région de Nevers, et en début de carrière il a passé un certain nombre d'années à l'université pontificale de Rome : dans un premier séjour il a étudié la dogmatique, avec une plongée dans la pensée de Thomas d'Aquin, puis il a enseigné la dogmatique ; et dans un deuxième séjour il a suivi entre autres les cours du Père Antonio Orbe, jésuite, spécialiste des Pères de l'Eglise et des premiers gnostiques chrétiens, ce qui lui a fait modifier sa façon de faire les cours de dogmatique.
La gnose est une tentative de détourner le sens profond de la Révélation chrétienne vers une connaissance secrète, sublime, intégrale, réservée à une élite, laquelle aurait seule capacité d’interpréter la signification cachée de l’Evangile (ou de quelque révélation primitive).
Le présupposé est que ce qui se dit dans la Bible et dans la Tradition commune, n’exprimerait pas la foi en un Dieu transcendant, qui intervient dans notre monde, mais la découverte de l’homme.
Les mystères chrétiens ne seraient qu’un revêtement symbolique, pure superstition tant qu’on n’en pénètre pas le sens qu’ils traduisent pour les esprits faibles.1
Entretien autour de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, pp. 79-80.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 11:34
Toi aussi tu confonds Gnose et gnosticisme, cette distinction tu ne l'as connais pas apparemment. Puis si tu avais lu Borella tu saurais qu'il existe une Gnose chrétienne et une gnose anti-chrétienne .
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philippe bis
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 11:45
Que tu aime ce mot connais-sance!Avec toi et tes" compères" nous ne connaissons jamais rien ou assez.Ne sais tu pas que seul connaitre le Christ est suffisant mon cher Pignon? "Au sens le plus général,la gnose est une forme de connaissance non-intellectuelle, visionnaire ou mystique. Il est dit qu’elle doit être révélée et qu’elle est capable de faire accéder l’homme au mystère divin. Dans les premiers siècles du christianisme, les Pères de l’Église luttèrent contre le gnosticisme, car il était en contradiction avec la foi. Certains décèlent une renaissance des idées gnostiques dans la pensée Nouvel Âge, et effectivement, divers auteurs de la mouvance Nouvel Âge citent le gnosticisme antique. Toutefois, en raison de l’accent mis par le Nouvel Âge sur le monisme et même sur le panthéisme ou le panenthéisme, beaucoup préfèrent le qualifier de néo-gnosticisme, pour distinguer la gnose Nouvel Âge du gnosticisme antique. (dans Jésus-Christ, le porteur d’eau vive) http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/interelg/documents/rc_pc_interelg_doc_20030203_new-age_fr.html
philippe bis
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:03
Que rien ne te trouble que rien ne t'effraie, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit.
Elève ta pensée, monte au ciel, ne t'angoisse de rien, que rien ne te trouble.
Suis Jésus Christ d'un grand coeur, et quoi qu'il arrive, que rien ne t'effraie.
Tu vois la gloire du monde ? C' est une vaine gloire ; il n' a rien de stable tout passe.
Aspire au céleste, qui dure toujours ; fidèle et riche en promesses, Dieu ne change pas.
Aime-le comme il le mérite, Bonté immense ; mais il n'y a pas d'amour de qualité sans la patience.
Que confiance et foi vive maintiennent l'âme, celui qui croit et espère obtient tout.
Même s'il se voit assailli par l'enfer, il déjouera ses faveurs, celui qui possède Dieu.
Même si lui viennent abandons, croix, malheurs, si Dieu est son trésor, il ne manque de rien.
Allez-vous-en donc, biens du monde ; allez-vous-en, vains bonheurs : même si l'on vient à tout perdre, Dieu seul suffit.
philippe bis
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:03
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:16
Que faut-il lire sur la Gnose, le gnosticisme, le gnosticisme chrétien, et anti-chrétien ???
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Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:20
à philippe: la Gnose n'est pas une doctrine comme le gnosticisme (qui est un courant historique bien précis), la Gnose est une illumination transformatrice à travers le Christ . En fait, Jésus est la Gnose, quand tu reçois la foi et que tout à coup tes œillères d'athée tombent tu vie une illumination transformatrice, tout change, c'est soit progressif soit radical, ça dépend des individus . Tu comprends ?
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Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:22
Jo59000 a écrit:
Que faut-il lire sur la Gnose, le gnosticisme, le gnosticisme chrétien, et anti-chrétien ???
Personnellement je te suggère Borella:
http://jeanborella.blogspot.com/
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 12:27
Borella
La gnose au vrai nom
Les études que nous avons consacrées à la gnose et au gnosticisme (1) ont suscité dans certains milieux une véritable tempête. Habitué à lire ce terme chez les Pères grecs, nous ne soupçonnions pas la violence des réactions que pouvait soulever son emploi et, le rencontrant si souvent sous la plume des écrivains ecclésiastiques, nous avions oublié l’infamie dont il est noté pour beaucoup. A vrai dire, nous pensions avoir prévenu ces critiques, d’une part pour avoir montré, à l’aide d’arguments historiques que le mot de gnose était d’origine scripturaire et donc foncièrement chrétien, d’autre part pour voir soutenu que la gnose véritable n’était pas essentiellement différent du contenu de la foi chrétienne. Malgré tout, certains ont estimé que nous faisions bon marché des déviations hérétiques du gnosticisme et que, si la gnose n’était rien d’autre que la foi, il fallait cesser d’user d’un terme ambigu, fauteur de confusion et d’incompréhension, dès lors qu’il existait un terme clair et sans équivoque.
suite:
La gnose au vrai nom
Les études que nous avons consacrées à la gnose et au gnosticisme (1) ont suscité dans certains milieux une véritable tempête. Habitué à lire ce terme chez les Pères grecs, nous ne soupçonnions pas la violence des réactions que pouvait soulever son emploi et, le rencontrant si souvent sous la plume des écrivains ecclésiastiques, nous avions oublié l’infamie dont il est noté pour beaucoup. A vrai dire, nous pensions avoir prévenu ces critiques, d’une part pour avoir montré, à l’aide d’arguments historiques que le mot de gnose était d’origine scripturaire et donc foncièrement chrétien, d’autre part pour voir soutenu que la gnose véritable n’était pas essentiellement différent du contenu de la foi chrétienne. Malgré tout, certains ont estimé que nous faisions bon marché des déviations hérétiques du gnosticisme et que, si la gnose n’était rien d’autre que la foi, il fallait cesser d’user d’un terme ambigu, fauteur de confusion et d’incompréhension, dès lors qu’il existait un terme clair et sans équivoque.
Bien qu’elles ne soient pas dénuées de pertinence, ces objections ne nous paraissent pas entraîner une remise en cause de la thèse générale que nous soutenons, savoir, l’existence légitime, au sein du christianisme, d’une voie de gnose au sens propre du terme. Il faut cependant les prendre en compte si nous voulons éviter les malentendus, du moins autant que possible, car il est des malveillances rebelles à toute raison.
Nous devons nous employer non seulement à rappeler le caractère traditionnel du terme de gnose, mais aussi à établir l’erreur historique qu’il y a à le traiter comme une catégorie hérésiologique ; ce qui nous conduira, puisque certains hérétiques revendiquent l’appellation de « gnostiques », à en rechercher la véritable signification. Cette première partie nous ayant permis de passer du mot à la chose, nous serons en mesure de comprendre, dans un deuxième moment, ce qu’est l’épreuve décisive de la gnose, entre ses formes droites et ses formes déviées et diaboliques. Après quoi, une fois rétablie l’exactitude des perspectives historiques et déterminée la nature spécifique de la « subversion gnostique », nous pourrons aborder la dernière partie de notre étude : nous préciserons en premier lieu la spécificité de la gnose doctrinale et sa nécessaire distinction d’avec la foi ; nous exposerons ensuite les principales étapes de la voie gnostique, jusqu’à sa consommation finale, ici-bas.
I. HISTOIRE
1) La gnose est premièrement juive et principalement chrétienne
Le point d’où il faut partir est celui que nous avons rappelé et développé dans nos études antérieures : le gnosticisme est une hérésie spécifiquement chrétienne – et la première de toutes –, parce que c’est au sein du christianisme, et surtout chez saint Paul, que le mot gnôsis a été employé pour désigner spécialement la connaissance intérieure des mystères divins (2). Sans doute, le christianisme est-il ici l’héritier de la tradition juive de langue grecque (scripturaire et liturgique), puisque c’est elle qui inaugure l’usage religieux de gnôsis pour traduire l’hébreu yd (3) – encore qu’on puisse repérer quelques emplois « nettement métaphysiques » du terme déjà chez Platon qui, dans le Politique (258e), «oppose à l’intérieur du domaine de la connaissance scientifique (épistèmè) ce qui relève de la « pratique » (hè praktikè), c’est-à-dire de l’art ou de l’action, et ce qui relève de la « gnostique » (hè gnostikè), c’est-à-dire de la connaissance pure et spéculative (4). Néanmoins, comme le montrent les textes, ce sont les écrits chrétiens néo-testamentaires et apostoliques qui élaborent une doctrine complète de la gnôsis, conférant au terme sa signification la plus élevée, puisque ce sont eux qui nous offrent les plus nombreuses et les plus significatives occurrences de ce terme (5).
On peut même aller plus loin et soutenir que la dénomination de « gnostique » appliquée par les hérésiologues aux doctrines qu’ils combattent n’a bien souvent qu’une valeur polémique et ne correspond pas à une appellation reconnue par les hérétiques eux-mêmes. C’est du moins avéré pour les deux ou trois premiers siècles, à quelques exceptions près, car par la suite, les sectes peuvent se réclamer plus volontiers d’un titre auquel le combat de la Grande Eglise a conféré quelque prestige. Reste que maintes doctrines qualifiées de « gnostiques » n’ont aucun rapport précis avec un gnosticisme au demeurant bien difficile à définir.
Cette remarque ne vaut pas seulement pour les adversaires anciens des hérésies gnostiques ; elle pourrait s’appliquer également à leurs partisans modernes. Lorsqu’on voit ces derniers se jeter avec passion sur le célèbre « Evangile selon Thomas » découvert à Nag Hammadi, comme si nous nous trouvions en présence d’un état de l’enseignement du Christ antérieur à la supposée falsification que lui aurait fait subir saint Paul et l’Eglise officielle, on se dit qu’ils devraient d’abord se demander non seulement s’il est possible d’en établir l’antiquité, mais même si nous avons affaire à un évangile gnostique. Voici, à ce sujet, la conclusion d’un récent ouvrage consacré au plus connu des manuscrits découverts : « Cette collection de « paroles de Jésus », sous la forme où elle s’offre à nous, est impudemment apocryphe par sa composition artificielle et par son attribution factice à ce Thomas qui n’y joue en réalité qu’un rôle épisodique (…) Il faut également reconnaître (…) que l’écrit est discret sur la Gnose telle que les grandes sectes la codifièrent » (6).
Est-ce à dire que l’appellation de gnostique est purement extrinsèque ? Les hérésiologues nomment-ils ainsi, sans souci de précision, toutes les hérésies qui, ne portant pas sur un point déterminé du dogme catholique, ne peuvent être désignées ou que par le nom de leurs fondateurs, ou que par un terme plus général permettant de caractériser une corruption également générale de la foi ?
2) Des hérétiques ont revendiqué le terme de « gnostique »
En réalité, les catégories hérésiologiques des premiers écrivains ecclésiastiques, si contestables qu’elles paraissent aux yeux des historiens modernes, ne sont pas uniformément dénuées de précision. Quelques auteurs, parmi les plus grands, distinguent parfois entre auto- et hétéro-dénomination. Au début de son grand ouvrage, Contre les hérésies, saint Irénée de Lyon nous avertit que ceux qu’il va combattre, et qu’il appellent souvent « gnostiques », se nomment eux-mêmes « disciples » de Valentin (7). Et bien qu’il voie dans ces Valentiniens des victimes (consentantes) de ce que nous appelons « gnosticisme », nulle part il ne les identifie formellement (8). Inversement, certains écrivains ecclésiatiques prennent le soin d’indiquer que telle appellation de gnostique est revendiquée par ceux auxquels elle est appliquée ; ce qui prouve au moins qu’il y eut des gnostiques déclarés, mais ne nous dit pas encore ce qu’il faut mettre sous ce terme.
Ainsi, saint Clément d’Alexandrie, qui n’est pas un hérésiologue au sens propre du terme (9), signale à plusieurs reprises qu’il connaît tel groupe ou telle individualité revendiquant pour lui-même le titre de gnostique. C’est le cas, nous apprend-t-il, des disciples d’un certain Prodicos (que nous ne connaissons que par lui) qui, d’eux-mêmes, « se nomment gnostiques » (10). Même indication à propos des Carpocratiens – ce qui confirme les déclarations de saint Irénée (11). Même remarque, enfin, concernant un autre groupe (également disciple de Prodicos ?) dont Clément déclare : « Je sais avoir rencontré une hérésie dont le promoteur disait qu’il fallait combattre la volupté : il fallait passer dans le camp de la volupté pour y mener un combat simulé, selon ce noble gnostique (car il prétendait lui aussi être gnostique !) » (12). Une génération après Clément, Origène reconnaît également que « certains (hérétiques) se proclament gnostiques à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes » (13).
Nous citerons encore le cas de saint Epiphane. Mort au début du Vème siècle, cet évêque de Salamine, doué d’une vaste érudition (il savait cinq langues, dont le syriaque, le copte et l’hébreu), n’est réputé ni pour sa largeur d’esprit ni pour son acribie : c’est essentiellement un combattant. Hérésiologue, il est en partie tributaire du Contre les hérésies de saint Irénée, dont il transcrit le premier livre. Mais il a aussi une connaissance directe de certains groupes hérétiques et de leur littérature. C’est pourquoi il est d’autant plus significatif de le voir récuser, à l’occasion, l’appellation de « gnostiques » : « Les Valésiens, dit-il, ne sont pas des gnostiques » (14).
Nous retrouverons Epiphane dans un instant. Pour le moment, nous devons tirer la conclusion de cette brève enquête. Les textes que nous avons cités (15) suffisent-ils à prouver qu’il a bien existé une ou plusieurs sectes qui se qualifiaient elles-mêmes de gnostiques ? La réponse ne nous paraît pas évidente et la question est peut-être mal posée.
Autrement dit, c’est une certaine « attitude » hérésiologique qui serait à revoir. Attitude qui, d’ailleurs est beaucoup plus le fait des modernes que des anciens. Laissons de côté les historiens (les Harnarck, Bousset, Leisegang, Puech, Pétrement, Quispel, etc.), dont les intérêts sont en principe, purement scientifiques. Considérons plutôt les théologiens, les écrivains ecclésiastiques, les polémistes, bref, tous ceux pour qui la notion d’hérésie a précisément plus de sens. Qu’on le veuille ou non, ce sont eux qui imposent aux historiens leurs propres catégories, parce que ce sont eux qui, en caractérisant le mouvement religieux comme une hérésie définie, l’ont constitué en objet d’étude pour les historiens.
Or, que cette hérésie se nomme gnosticisme, c’est là non une donnée historique, mais un artefact, un sous-produit de l’étude par les modernes des anciens hérésiologues. En français, « gnosticisme » fait son apparition en 1842 ! Même si l’idée qu’il désigne est antérieure, elle ne remonte guère au-delà du XVIIème siècle. Qu’il ait existé un mouvement, éventuellement multiforme, possédant cependant suffisamment d’unité pour qu’on puisse le subsumer sous un seul concept et le ranger sous une seule étiquette (« gnosticisme », en sorte qu’il soit légitime (et plus commode) de substituer chaque fois l’étiquette à la chose pour faire savoir de quoi il s’agit, c’est là ce qu’ont ignoré la totalité des docteurs et des théologiens médiévaux ; plus encore, c’est ce qu’ignore en fait l’antiquité chrétienne, malgré les apparences : « il n’y a aucune trace, dans le christianisme primitif, de « gnosticisme » au sens d’une vaste catégorie historique, et l’usage moderne de « gnostique » et de « gnosticisme » pour désigner un mouvement religieux à la fois ample et mal défini, est totalement inconnu dans la première période chrétienne » (16). A quoi nous ajouterons, à l’intention des plus acharnés adversaires de la gnose, qu’il n’y a non plus aucune trace écrite, dans les textes officiels du magistère ecclésiastique, de la condamnation d’une hérésie nommée « gnose » ou « gnosticisme ».
Pourtant, de l’extrême droite à l’extrême gauche théologiques (pour une fois réunies), tout le monde est d’accord pour dénoncer ce qui apparaît aux uns et aux autres comme la pire corruption de la foi et le plus grand danger qu’elle ait couru ou puisse courir : « la gnose éternelle » (17). Car la gnose est éternelle. Elle renaît toujours de ses cendres et doit donc être partout et toujours suspectée. Quel inquisiteur ne se féliciterait de la subtilité de son flair hérésiologique à la deviner sous les déguisements les plus trompeurs ? Dans cette chasse aux gnostiques, les plus farouches et les plus sourcilleux des hypertraditionalistes donnent la main sans difficulté, sans répulsion, aux plus radicaux et aux plus extatiques des surrévolutionnaires, les uns et les autres ne s’étonnant nullement d’un semblable accouplement.
3) Ce que désigne véritablement le terme de gnostique
Pourtant, nous dira-t-on, n’avez-vous pas reconnu vous-même que l’étiquette en question était revendiquée au moins par quelques uns des hérétiques ? Sans doute, mais, précisément, toute la question est là ; car nous ne sommes nullement persuadé que cette revendication puisse avoir le sens et la valeur d’une catégorie hérésiologique – au moins à l’origine – ni dans la bouche des hérésiarques ou de leurs disciples, ni sous la plume des hérésiologues. La littérature sur ce sujet est immense, et nous ne sommes aucunement un érudit. Nous croyons cependant pouvoir affirmer qu’aucune des citations alléguées ne peut démontrer la valeur hérésiologiquement identificatoire du terme « gnostique ».
Comment d’ailleurs, pourrait-il en être autrement dès lors que le terme de gnose est pris en bonne part dans la tradition primitive du christianisme ? Pourquoi les hérésiologues auraient-ils toujours souci de dénoncer l’abus du mot « gnose » que font les hérétiques et consentiraient-ils sans autre précaution à ce que des ennemis de l’Eglise se qualifient eux-mêmes de « gnostiques » ? C’est saint Paul, qui le premier, dévoile la supercherie de la « pseudo-gnose », invitant Timothée à fuir « les contradictions de la gnose au faux nom », anthitheseis tès pseudonymou gnôseôs (1 Tim., VI, 20). On peut bien traduire, comme la Bible de Jérusalem : « les objections d’une pseudo-science », mais le lecteur moderne ne comprendra plus alors pourquoi saint Irénée a cru devoir reprendre cette expression dans le titre de son plus grand ouvrage et lui faire porter le poids d’un long développement car rien n’est plus banal, dans le langage d’aujourd’hui, que le terme de « science ». Et pourquoi saint Paul éprouverait-il le besoin de défendre le mot même de gnôsis ? Pourquoi parle-t-il d’un « faux nom » et pas seulement d’une fausse ou d’une vraie science ? Sa formule ne peut avoir qu’un sens : c’est que la vraie connaissance est aussi la connaissance par excellence, l’unique connaissance à laquelle seule, pour cette raison, il faut réserver le terme de gnôsis ; et c’est aussi pourquoi, malgré le bien fondé de certaines objections, nous croyons nécessaire de maintenir en français le terme de gnose.
On voit ainsi que la gnose est une réalité immense et sacro-sainte, une réalité profonde et mystérieuse, dont parlent les chrétiens entre eux sans éprouver le besoin de l’expliciter davantage, et parce que chacun s’accorde pour y voir une désignation de la « science intérieure et intime de Dieu, de la conscience effective et cordiale de l’Esprit s’infusant dans l’âme du croyant par la grâce de Jésus-Christ (bref, la réalisation de la foi), et parce que précisément, une telle science, au moins dans son essence, est indicible, transcende toute parole et toute conscience distinctive et formelle que l’on peut en prendre. Et c’est pourquoi saint Paul précise à la fois que « tous n’ont pas la gnose » (1 Cor., VIII, 7), mais aussi qu’une gnose mal comprise rend orgueilleux : « la gnose enfle, la charité édifie. Si quelqu’un pense connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comment il convient de connaître » (ibid., 2-3). Ce qui signifie que la vraie gnose ne se pose pas elle-même comme un savoir dont on pourrait parler et s’éblouir, mais qu’elle « s’ignore » en quelque sorte elle-même. Saint Clément d’Alexandrie, qui est, par excellence, le docteur de la gnose chrétienne et qui nous dévoile le mystère autant qu’il lui est possible, c’est-à-dire sans en fournir le contenu explicite, ne nous présente pas une doctrine différente. Fénelon a pu, au XVIIIème siècle, tirer de son œuvre multiforme un recueil de textes et l’intituler Le gnostique (18) ; à juste titre, puisque cette appellation désigne pour Clément le chrétien parfait, celui qui est parvenu au terme de la connaissance parfaite du Christ. De Clément et d’Origène, la tradition de cette appellation sera léguée à la théologie spirituelle du christianisme grec, de saint Evagre le Pontique à saint Siméon le Nouveau Théologien.
Il nous semble que la doctrine de saint Clément nous met sur la voie d’une découverte importante et dont il est étrange qu’on ne se soit pour ainsi dire pas avisé. Elle tient en peu de mots : le terme de « gnostique » ne désigne pas l’appartenance à une secte où à une école religieuse : il désigne un état spirituel, et très précisément l’état spirituel de celui qui est parvenu au terme de la voie chrétienne, donc de la « connaissance » du Christ, autant qu’il est possible ici-bas de l’atteindre. C’est l’état le plus élevé : « Le gnostique est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu » (19). Et encore : « Le Verbe scelle dans le gnostique une parfaite contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine » (20), et que son corps même devient spirituel (21).
On le voit, la solution qui nous paraît s’imposer correspond au fond à celle que René Guénon a donnée pour les Rose-Croix, terme qui, selon lui, s’applique non à une organisation initiatique, mais à ceux qui ont réintégré l’état primordial, état symbolisé par la rose au centre de la croix (22). Et, bien qu’elle se soit formée dans notre esprit de façon indépendante, cette conclusion ne peut être que confirmée par un tel rapprochement. On pourrait d’ailleurs trouver d’autres correspondances plus justifiées encore avec les termes de yogi et de soufi, puisqu’en effet le gnostique de Clément a dépassé l’état de l’homme primordial pour atteindre l’état christique ou « monadique », l’état d’homme déifié (23). Peut-on davantage marquer la transcendance de l’état gnostique que ne le fait saint Clément quand il déclare que « le gnostique se créé lui-même » (24) ? Nous retrouvons ici l’aphorisme islamique selon lequel « le Cûfi n’est pas créé » (Eç-Cûfi lam yukhlaq) (25). Mais du même coup, il est clair que nul ne peut se décerner à lui-même le titre de gnostique, pas plus qu’il n’est possible de « se dire cûfi, si ce n’est par pure ignorance » (26).
Telle est la raison pour laquelle les hérésiologues chrétiens s’élèvent avec ironie et mépris contre la prétention sacrilège de ceux qui se parent du titre de « gnostiques ». Qu’on relise les textes cités d’Irénée ou de Clément, et l’on verra qu’ils n’impliquent nullement sous leur plume une catégorisation déterminée. Mais ils ne l’impliquent pas non plus dans la bouche de ceux qui s’en désignent : ce faisant, ils n’indiquent aucunenement leur appartenance à un groupe ainsi nommé et dont il n’existe nulle trace historique, mais ils s’attribuent un état spirituel.
Maintenant que la revendication aussi prétentieuse que ridicule de cet état ait fini par prendre le sens d’une étiquette désignant des groupes hérétiques d’une manière commode et expéditive, quoique extrêmement vague, c’est ce qui nous paraît hautement probable, parce que cela correspond à une évolution commune des choses, dont on rencontre des exemples dans toutes les cultures. Ainsi, a dit un spirituel musulman, « à l’origine le soufisme était une réalité sans nom, aujourd’hui c’est un nom sans réalité ».
III. CRITERIOLOGIE
4) L’épreuve décisive de la vraie gnose
La thèse que nous présentons permet de résoudre bien des difficultés ; elle répond en particulier aux objections soulevées contre l’authenticité des épîtres pastorales (I et II Tim. et Tite) qui, dit-on, combattent un gnosticisme très postérieur au temps de saint Paul (27). Mais ni avant ni après saint Paul, durant les trois premiers siècles, il n’a existé un « gnosticisme » proprement dit. Ce que combat saint Paul, et ce qui a existé dans les milieux juifs préchrétiens et judéo-chrétiens, ce sont des déviations multiples et hétérogènes de l’ésotérisme juif – de l’existence duquel nous ne saurions douter – ou d’autres courants ésotériques, issus en particulier du zoroastrisme et d’une tradition égyptienne en voie de dégénérescence. D’une manière générale, les historiens, dans leurs analyses des faits, ignorent purement et simplement que toute religion comporte presque toujours, au sein de la forme exotérique, une dimension ésotérique plus ou moins discrète d’une part, et d’autre part des déviations plus ou moins aberrantes et syncrétistes de cet ésotérisme orthodoxe. A cette loi constante le judaïsme n’échappe pas, ni le christianisme en voie d’organisation qui est celui de saint Paul. Un enseignement secret ou discret n’est pas un jeu de « cache-cache » dans une stratégie futilement élitiste. Mais d’une part on ne doit pas jeter les perles aux pourceaux (Mt., VII, 6) ; d’autre part, il y a des degrés divers de compréhension : le secret des secrets est par nature indicible, et en grec « ésotérique » ne signifie rien d’autre que « plus intérieur ». L’existence d’un ésotérisme dévié prouve la nécessité d’une réserve et le danger de son oubli. Aller vers l’intérieur, c’est aller vers l’Esprit ; c’est donc traverser les formes et, au moins à certains égards, les abandonner intérieurement. Ce qui veut dire : savoir qu’il y a un au-delà de la forme, « en esprit et en vérité » (Joa., IV, 23), et donc savoir aussi que la forme, en tant que telle, ne peut pas tout donner. L’utilité de la forme sacrée et rituelle, c’est sa visibilité : elle est donnée à tous et fixe le regard de la foi salvatrice, le détournant ainsi de la multiplicité dispersante. Par là-même, elle définit un pur et un impur, et pose à la liberté humaine l’inévitable alternative du bien et du mal. C’est pourquoi le dépassement ésotérique ne peut pas ne pas apparaître extérieurement comme un dépassement de cette dualité crucifiante et donc comme le droit d’échapper à sa juridiction : tout est pur aux purs.
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est très exactement là que se situe l’épreuve initiatique, la pierre de touche du gnostique véritable. A qui juge selon les apparences, la gnose semble fournir un moyen légitime et métaphysiquement fondé de s’affranchir de la dualité du bien et du mal. Et par un renversement classique, c’est cet affranchissement lui-même qui devient le critère de la gnose ! Comme s’il pouvait y avoir un signe extérieur de gnose ! Par là même qu’elle est pure et intérieure, la gnose échappe à toute marque et donc expose celui qui y prétend indûment au plus redoutable des dangers spirituels, à l’illusion la plus diabolique : croire que l’on a réalisé l’unité sur le plan même de la dualité. Le vrai gnostique sait au contraire qu’il n’est pas d’autre dépassement de la dualité crucifiante que le chemin de la crucifixion : telle est la gnose du Christ. Mais on ne saurait empêcher qu’il y ait des hommes, extérieurement habiles, intérieurement inintelligents, pour qui la rencontre avec la gnose est source de prétention, d’orgueil et d’immoralité.
C’est pourquoi il n’est pas étonnant que les plus importants débats sur la gnose chez saint Paul soient précisément relatifs à une question de pureté ou d’impureté rituelle : un chrétien peut-il manger les idolothytes, c’est-à-dire la chair des animaux sacrifiés aux dieux païens ? « Pour ce qui est des viandes immolées aux idoles, nous savons tous que nous avons la gnose », déclare-t-il (I Cor., VIII, 1) ; en d’autres termes : nous avons tous reçu cette doctrine spirituelle qui nous permet d’échapper aux conséquences qu’engendre la transgression des interdits, parce qu’en nous établissant sur le plan spirituel (pneumatique), elle nous élève au-dessus du plan psycho-corporel où se déploient ces conséquences. Ainsi, comme il l’a déclaré plus haut (VI, 12) : « tout m’est permis », car « l’homme pneumatique juge de toutes choses et n’est jugé par personne » (II, 15) ; « et ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » (VI, 3). Mais la « liberté du gnostique », l’exousia dont parle saint Paul, et par laquelle il a pouvoir sur toute chose (28), ne saurait consister, pour se prouver, à se soumettre à une sorte d’obligation universelle de transgression : « tout m’est permis », ou, plus exactement, « tout est en mon pouvoir, mais moi je ne suis sous le pouvoir de rien » (VI, 12), et c’est pourquoi, « étant libre à l’égard de tous », le gnostique Paul, au nom de la charité, s’est « fait l’esclave de tous » : juif avec les juifs, sous la Loi avec ceux qui s’y soumettent, hors la loi avec les hors la loi, faibles avec les faibles, « tout à tous » (IX, 19-23).
5) La subversion de la gnose et le mystère d’iniquité
Ces remarques suffisent à faire comprendre pourquoi, a contrario, beaucoup de ceux qui « se savent gnostiques », c’est-à-dire qui prétendent avoir accès à la gnose « par delà le bien et le mal », sont aussi ceux qui parfois s’adonnent aux pratiques les plus ignobles et les plus bestiales. On retrouve alors ici un courant moderne bien connu qui, dans la lignée de l’ennuyeux Sade, conduit à l’exaltation de la violence destructrice de toute nature – c’est en réalité une révolte contre le don de la création – et à cette « part maudite » dont Georges Bataille s’est voulu le « prophète ».
C’est précisément au chapitre XVIII de son Panarion intitulé « Les gnostiques », que saint Epiphane nous rapporte quelques unes de ces pratiques, au cours desquelles sont accomplies de véritables parodies de l’eucharistie. Hommes et femmes, après s’être accouplés, recueillent le sperme produit et le consomment en disant : « Corps du Christ » ; de même, à l’occasion, le sang menstruel est recueilli et consommé par tous : « et, disent-ils, ceci est le sang du Christ ». Mais il y a pis. Si au cours des accouplements collectifs, une femme était fécondée, alors, dès que le fœtus est visiblement formé, on l’arrache de l’utérus et on le jette dans un mortier où il est broyé au pilon. A ce hachis, « pour éviter les nausées », on ajoute du miel, du poivre et d’autres aromates. Chacun en prélève un peu et, au moyen de cette chair humaine, célèbre communautairement le culte divin (29).
Nous atteignons ici au comble de l’horreur. Doit-on croire ce qu’Epiphane nous en dit ? Nous n’en savons rien (30). Quoi qu’il en soit, et même si nous nous en tenons au cas d’une licence « ordinaire » ? son existence est incontestée ?, nous nous trouvons en présence d’une gnose pervertie par incompréhension radicale, telle déjà que la dénonçait saint Paul. Car il ne s’agit nullement, répétons-le, d’une faute morale, résultant d’un abandon coupable aux instincts déviés de la nature, mais d’une faute spirituelle et métaphysique, par laquelle on entend se prouver à soi-même et aux autres qu’on est vraiment libéré de toute dualité et de toute distinction, fût-ce celle du sacré et du sacrilège. Nous allons voir maintenant que nous sommes aussi à la source de ce qu’on doit appeler, en langage guénonien, la contre-intitiation chrétienne. Et cela ne doit pas nous étonner : corruptio optimi pessima, si la gnose est la perfection (téléiôsis) de la voie spirituelle chrétienne, sa corruption en est la pire des contre-façons.
Quelques pages après avoir rapporté cet exemple de « cannibalisme eucharistique » (Michel Tardieu), saint Epiphane fait état d’un ouvrage « gnostique » intitulé en grec Genna Marias, c’est-à-dire La descendance de Marie. Il s’agit d’un apocryphe qui, «entre autres détestables discours », prétend que Zacharie fut tué dans le Temple et veut explique pourquoi. « Selon cet écrit, nous dit Epiphane, Zacharie, étant venu au Temple pour procéder à un encensement, aperçut dans le Saint des Saints un homme debout à la face d’âne ; et comme il voulait sortir pour prévenir les juifs en leur criant : « Malheur à vous ! Qu’êtes-vous en train d’adorer ? », celui qui lui était apparu à l’intérieur du Temple le priva de l’usage de la parole. Quelques jours plus tard, ayant recouvré la parole, il révéla aux juifs ce secret ; ce pourquoi ils le tuèrent (…) Ils ajoutent que c’est la raison pour laquelle le législateur ordonna que le pontife agitât des clochettes chaque fois qu’il aurait à se remplir ses fonctions afin que le tintement avertît celui qu’on adorait là de se voiler lui-même et qu’on ne pût être surpris par la face immonde de ce spectre » (31).
On voit donc apparaître ici le « dieu à tête d’âne » dans un traité ressortissant à la littérature « gnostique ». Ce n’est pas la première fois que la chose se produit. Cette étrange calomnie, nous apprend flavius Josèphe, se rencontrait sous la plume d’Apion, grammairien d’Alexandrie, au I siècle de notre ère : « Apion a osé dire que les juifs avaient dans leur trésor sacré une tête d’âne qui était d’or et de grand prix, laquelle ils adoraient » (32). Tacite, dans ses Histoires (I. V, III, IV), fait état du même racontar et, comme Apion, attribue l’onolâtrie aux juifs. Environ à la même époque, les chrétiens à leur tour sont victimes de cette accusation, parfois de la part des juifs eux-mêmes. Dans sa Défense des chrétiens contre les Gentils, Tertullien, après avoir mentionné les calomnies de Tacite, rapporte qu’à Rome « un de ces hommes qui se louent pour combattre les bêtes, a exposé un tableau avec cette inscription : Dieu des chrétiens, engendré d’un âne (onochoetes) (33). Il y était représenté avec des oreilles d’âne, un pied de corne, un livre à la main, et vêtu de la toge » (34). Dans un autre traité (Aux nations), Tertullien rapporte le même fait et commente : « La foule en a cru sur parole l’infâme juif ? Pourquoi pas ? C’est une occasion de répandre des infamies contre nous. Ainsi dans toute la ville on ne parle plus que du Dieu onochoïtès » (35).
Pour saisir la véritable signification du dieu onocéphale, il faut d’abord rappeler que cette figure est d’origine égyptienne : c’est en effet une des formes animales dont est revêtu le dieu Seth, « frère et meutrier d’Osiris, auquel les Grecs donnèrent le nom de Typhon » (36). Sous cette forme de l’âne, Seth représente l’ « une des entités les plus redoutables que devait rencontrer le mort au cours de son voyage d’outre-tombe ». En outre, précise René Guénon, « un des aspects les plus ténébreux des mystères « typhoniens » était le culte du « dieu à tête d’âne » auquel on sait que les premiers chrétiens furent parfois accusés faussement de se rattacher » (37).
Il s’agit en effet, explique Guénon, de l’origine « historique » du satanisme et de la contre-initiation, c’est-à-dire de tous ceux qui, en révolte contre l’ordre divin, entreprennent d’utiliser le pouvoir inhérent aux formes sacrées à rebours de leur sens véritable et selon une inversion parodique qui prend l’infra-naturel pour du surnaturel. Une telle utilisation « à l’envers » suppose la perte du sens du surnaturel (38), et donc une certaine dégénérescence des formes sacrées où se produit originellement une telle inversion ; car il va de soi qu’une fois actualisée, une telle possibilité inférieure et proprement infernale tentera de s’emparer de toutes les formes religieuses, même dans toute la force de leur orthodoxie. En l’occurrence, Guénon rattache cette origine à la disparition de l’Atlandide – dont la tradition égyptienne fut en partie l’héritière – et aux données symboliques fournies par le chapitre VI de la Genèse (39). Ce chapitre, on le sait, raconte comment certains anges convoitèrent les « filles des hommes » et s’unirent à elles. Or, il existe en effet, parmi d’autres, un texte de la tradition hermétique qui met en rapport Seth-Typhon et cet événements mystérieux. On y entend Isis la Prophétesse révéler à son fils Horus qu’ « au moment où (il) allait partir pour la lutte contre Typhon (…) l’un des anges qui résident dans le premier firmament, l’ayant vue, voulu s’unir à elle dans un commerce d’amour » (40). Il s’agit évidemment de la désintégration symbolique d’une descente d’énergie du niveau spirituel au niveau psychique, d’une chute du céleste dans le terrestre et de sa commixtion profanatrice avec lui (41). Et la Bible met directement cet événement en rapport avec le déluge qui, selon Guénon, correspond à la disparition de l’Atlandide.
Il résulte clairement de toutes ces données que certaines écoles dites gnostiques relèvent d’un courant nettement satanique et contre-initiatique. Ce que confirment d’ailleurs les invectives que l’on rencontre dans le Corpus Hermeticum contre les sectes dualistes qualifiées de « fils de Typhon » (43). Nous rejoignons par là les mises en garde de saint Paul contre la pseudo-gnose, origine véritable du « gnosticisme », « ce qui ne fut jamais de l’ésotérisme pur, mais au contraire le produit d’une certaine confusion entre l’ésotérisme et l’exotérisme, d’où son caractère hérétique » (44).
Ainsi se trouvent justifiées, à quelques égards, les attaques dont la gnose est l’objet de la part de certains milieux parmi les plus « intransigeants » du catholicisme actuel ; à condition toutefois qu’on observe deux règles – qui, faute de compétence et d’objectivité, ne sont presque jamais respectées ? : d’une part qu’on ne range pas sous le nom de gnosticisme des doctrines qui n’ont souvent aucun rapport avec les déviations religieuses dont nous venons de parler ; qu’on souligne d’autre part clairement, en accord avec les données de la science, que cette perversion pseudo-gnostique est foncièrement anti-gnostique. Le premier point pose la question de la gnose doctrinale en général. Le second point nous conduira à lui donner une réponse.
6) La gnose doctrinale ou la dimension gnostique de l’acte de foi
Les ennemis de la gnose, nous l’avons dit, se recrutent aussi bien chez les chrétiens « de tradition » que chez les chrétiens « de progrès ». Les uns et les autres, dans leur réprobation, ont tendance à en voir partout et à ranger ainsi sous une même dénomination des systèmes de pensée extrêmement divers. Dans un récent ouvrage consacré aux rapports de la gnose avec l’œcuménisme, on amalgame Valentin, Basilide, Descartes, Hegel, etc. Dans leur Introduction (scientifique) à la littérature gnostique, Tardieu et Dubois, parmi les divers sens de « gnostique », identifient un sens « ésotérique » où se retrouvent Massignon, Corbin, Scholem, Ruyer, etc. et bien sûr, toutes les figures et les courants de la « philosophie occulte », ce qu’Antoine Faivre appelle l’ « Hermétisme » : alchimistes, rosicruciens, théosophes, etc.
Nous ne saurions avoir la prétention, en quelques lignes, de régler une question aussi complexe et qui met en jeu tant d’auteurs divers dont les œuvres ont parfois une étendue considérable. Une remarque cependant nous paraît capable de jeter quelque clarté en ce domaine, en ce qu’elle touche à l’essence de la gnose chrétienne. Simone Pétrement fait observer que la gnose, chez les gnostiques, « n’est pas la connaissance en général », mais qu’elle est « une connaissance religieuse, fondée sur une révélation » (45). Et cela est incontestablement vrai, si l’on considère la littérature du « gnosticisme ». Qu’on se réclame de ce gnosticisme, comme Gillabert et ses disciples, ou qu’on y voie la pire des hérésie chrétiennes, peu importe : les uns et les autres y reconnaissent quelque chose de sacré et de « religieux », lié à la révélation du Christ. Les textes en font foi. Si on laisse de côté la contre-gnose orgiaque et « typhonienne », qui, du reste, représente documentairement peu de choses, l’ensemble des écrits ne parle que des plus hautes questions métaphysiques, mystiques et symboliques, dans le langage de la religion.
Comment dans ces conditions, rapprocher ce gnosticisme de la doctrine d’un Ruyer, qui dans son célèbre ouvrage La gnose de Princeton, récuse explicitement la référence à Jésus-Christ, toute révélation religieuse et toute croyance à l’immortalité de l’âme (46) ? Des remarques analogues pourraient être faites à propos de Hegel, dont la doctrine est souvent qualifiée de gnose alors que, sans récuser la religion, elle prétend cependant la dépasser, mettant la philosophie au-dessus de la révélation et soulignant explicitement l’impuissance de la gnose böhmienne à s’élever de la pleine possession de soi à la pure transcendance du concept (47).
Faut-il alors, au nom de la rigueur historique, rejeter ces dénominations ; et doit-on considérer que Ruyer et d’autres comme Abellio se sont trompés en les reconnaissant pour leurs ? Chacun sent bien que ce n’est pas tout à fait possible, et qu’il y a en elles au contraire quelque chose de juste.
C’est qu’en effet la vision spéculative du cosmologisme ruyérien, de l’idéalisme hégélien ou de la dynamique abellienne, n’est pas non plus de nature simplement « scientifique » ou simplement philosophique, au sens Kantien du terme, c’est-à-dire réflexive et abstraite. Sans doute récuse-t-elle l’idée d’une révélation, ou du moins procède-t-elle méthodologiquement à sa mise entre parenthèses, mais ce pas à la manière dont un Descartes ou un Pasteur laissent de côté les questions qui relèvent de la foi. Loin de séparer science et religion, raison et révélation, intelligence et foi, les démarches hégéliennes et ruyérienne, dans des styles très différents – Ruyer n’aimait pas beaucoup Hegel –, entendent ouvrir le champ d’une connaissance « scientifique » qui est aussi, et par elle-même, participation quasi mystique à l’être des choses. Qu’on relise les commentaires enthousiastes que Hegel consacre à la Bhagavad-Gîta ou aux poèmes de Djalâl-Ud Dîn Rumî, encore qu’il ne s’agisse, précise-t-il, que d’un « exposé exotérique » (48), et l’on comprendra pourquoi la réalisation parfaite de la visée philosophique peut, comme le dit Hegel, apparaître aux ignorants comme panthéistique. Mais en réalité, « la considération ésotérique de Dieu et de l’identité, comme celle du connaître et des concepts, est la philosophie elle-même » (49). Semblablement, chez Ruyer (qui a écrit au moins deux livres sur Dieu) (50), l’ambition d’être le « théologien » de la science moderne est incontestable et le thème de la participation ontologique (être c’est participer à Dieu-Univers) est sous-jacent à toute sa pensée (51).
On peut, et même on doit, pensons-nous, refuser la « gnose » hégélienne, comme la « gnose » ruyérienne ; la première parce qu’elle n’est qu’un panlogisme immanentiste, c’est-à-dire une pseudo-gnose (52), la seconde parce qu’elle est une gnose amputée de sa dimension surnaturelle et proprement spirituelle. Mais il ne nous paraît pas possible pour autant de refuser l’exigence gnostique en tant que telle, dès lors qu’on y a reconnu la racine de toute visée intellective. Car c’est bien là ce qui est en jeu. Le hégélianisme, comme le ruyérisme ou le spinozisme, dans leurs excès, leurs limitations ou leurs déviations mêmes, trahissent une requête constitutive de l’intelligence humaine qui est en nous sens et attente de l’être véritable, de l’absolument réel. C’est là un fait qu’aucune considération ne saurait réduire. L’homme est, par essence, un être premièrement intellectuel, un être premièrement de connaissance, fût-ce de la plus humble connaissance sensible ; si haut et si fort que parle en lui le désir, il parle à quelqu’un qui l’écoute et le reconnaît et pour qui il fait sens ou qui le répudie. L’homme n’est jamais une machine désirante. Mais il n’est pas non plus une machine croyante, un « automate religieux » qui recevrait dans sa pure extériorité une révélation et un salut radicalement hétérogènes à sa nature. Il faut bien aussi qu’il reconnaisse la Parole divine, c’est-à-dire qu’elle fasse sens en lui et qu’en retour, il se reconnaisse en elle. Autrement dit, selon la remarquable formule de Frithjof Schuon, il faut bien admettre que « l’intellect est naturellement surnaturel ou surnaturellement naturel ». Pour que la révélation, surnaturelle par définition, puisse être accueillie dans l’intelligence de l’homme croyant, il est nécessaire que cette intelligence dispose de formes «naturelles » (53) d’intelligibilité capables de la recevoir et en fonction desquelles elle sera interprétée. En comprenant la révélation, c’est aussi elle-même que l’intelligence comprend, et ce ne peut pas ne pas être aussi elle-même. Et si cette compréhension de soi n’est pas réduction idéaliste du révélé aux conditions a priori de connaissance du sujet humain, c’est que ces formes intelligibles sont naturellement ordonnées aux réalités métaphysiques et surnaturelles.
C’est ici que nous saisissons le nécessaire « moment gnostique » de l’acte de foi. Considérées en effet comme un tout ordonné et cohérent, les formes intelligibles prérequises à la réception de la Parole divine constituent par elles-mêmes une doctrine métaphysique. Mode de réceptivité intellective approprié à la révélation, cette doctrine, en tant qu’enseignée et communiquée à l’aide du langage, ne peut faire l’objet que d’un acte de connaissance quasiment naturel, ce que désignera le terme de gnose en son sens littéral. Ce moment gnostique est donc nécessairement spéculatif. Et c’est pourquoi il n’est pas possible, même avec une bonne intention, de faire du mot gnose un simple substitut du mot foi. Il correspond plutôt à ce moment préalable, de nature spéculative et donc à certains égards autonome, au cours duquel l’intelligence est informée des catégories métaphysiques appropriées à la réception de la foi et formée et purifiée par elles. Cette doctrine peut s’apprendre et donc s’énoncer avec des mots, mais évidemment à des niveaux très inégaux : du catéchisme élémentaire à Maître Eckhart en passant par saint Augustin et saint Thomas d’Aquin ; les métaphysiques d’accueil sont diverses et diversement soulignées. Pour y reconnaître le moment gnostique qu’elles sont en réalité, il faut cesser de les considérer comme un simple exercice de la raison naturelle, et y voir l’actualisation de ces possibilités théomorphiques qu’implique la création de l’homme « à l’image de Dieu », et que le péché originel n’a pu effacer de notre intelligence. Il s’agit donc d’une intellectualité intrinsèquement sacrée, ou naturellement surnaturelle ; il s’agit de ces logoï spermatikoî de ces Formes du verbe divin inséminées en toute intelligence (« la lumière du Verbe éclaire tout homme venant en ce monde », Joa., I , 9), et donc d’une sorte de « révélation » intérieure et congénitale, par immanence dans l’âme de ces icônes intellectives que sont les Idées métaphysiques. La gnose doctrinale sous la lumière de laquelle s’éclairent et s’actualisent les possibilités théomorphiques de l’intellect, c’est la « science adamique » qui est aussi ce que Schuon a appelé la Religio perennis. C’est la Tradition métaphysique transmise d’âge en âge, diversifiée et altérée à Babel, restaurée et modulée selon les différentes humanités, par intervention divine ou angélique (tradition qu’enseignait oralement le platonisme ésotérique) (54). C’est donc aussi la doctrine non écrite que le Nouvel Adam enseignait à ses apôtres et aux disciples capables de la recevoir ; capables, c’est-à-dire, premièrement doués de noblesse et de vertu, et préservés ainsi de la « gnose licencieuse », deuxièmement doués d’humilité et de sens du sacré, et préservés ainsi de cette inconscience spéculative qui nous fait oublier l’urgence du salut pour la suffisance illusoire des jeux de l’esprit (55). Telle est la tradition gnostique (gnôstikè paradosis), comme nous l’apprend saint Clément : « Si nous appelons sagesse le Christ lui-même et son opération par les prophètes, par laquelle il est possible de s’instruire de la tradition gnostique, comme lui-même à son achèvement en a instruit les saints apôtres, la gnose serait donc une sagesse, science et compréhension de ce qui est, de ce qui sera, de ce qui a été, solide et sûre, en tant que transmise et révélée par le Fils de Dieu. Si par ailleurs la contemplation est le but du sage, celui qui cherche encore la sagesse (= qui s’adonne à la philo-sophia) poursuit la science divine, mais ne la trouve pas, s’il ne se fait pas expliquer par l’instruction la parole prophétique (= la gnose doctrinale permet de comprendre la parole de Dieu) par laquelle il apprend ce qui est, ce qui sera, ce qui a été, comment c’est, ce sera et ça été. Or, c’est cette gnose qui, transmise à quelques uns par succession depuis les apôtres par une tradition non écrite, est parvenue jusqu’à nos jours » (56). Ces premiers dépositaires de la tradition gnostique, ce sont Pierre, Jacques, Jean et Paul (57) ; c’est à eux, précise un texte clémentin qu’Eusèbe nous a conservé, que « le Seigneur, après la résurrection, transmis la gnose ; ceux-ci la donnèrent aux autres apôtres ; les autres apôtres la donnèrent aux soixante-dix, dont l’un était Barnabé » (58).
Quel a été le contenu de cette tradition gnostique. Clément ne le dit pas. La thèse du cardinal Danièlou, qui l’identifie à l’apocalyptique juive et à la connaissance des états posthumes (59), nous paraît trop historiquement précisée : elle est cela dans la mesure où cette apocalyptique, liée à une méditation des trois premiers chapitres de la Genèse, met en jeu une cosmologie, voire une métaphysique, que la gnose a précisément pour objet de formuler. Mais elle n’est pas que cela. Nous avons proposé d’y voir aussi le schéma spéculatif sous-jacent à la dogmatique du christianisme, dogmatique que résume le Symbole des apôtres, document dont l’origine apostolique est incontestable, même si sous sa forme transmise il est plus tardif, et dont on sait qu’il fut enseigné en secret et oralement jusqu’au IVème siècle (60). En somme, nous dirons qu’il s’agissait d’une part des principes doctrinaux les plus universels à l’aide desquels la révélation pouvait être entendue, et d’autre part, des formes thématiques plus particulières auxquelles pouvaient être confiées la mémoire et l’intelligence orthodoxes des mystères christiques (essentiellement la Trinité et l’Incarnation) et sans lesquelles même le nouveau Testament est inintelligible (61).
On le voit, nous n’hésitons pas à formuler une théorie a priori de la gnose doctrinale, et à en montrer la nécessité intrinsèque, méthode honnie par les historiens. C’est qu’il devrait être évident qu’aucune enquête historique ne pourra jamais permettre de dégager des seuls documents écrits un concept satisfaisant de la gnose, laquelle est insaisissable de l’extérieur. En fait, dans leurs explications, les historiens fonctionnent avec leurs propres conceptions (qu’ils empruntent à l’idéologie ambiante), s’imaginant naïvement qu’elles suffiront pour comprendre des réalités dont le monde moderne n’a plus la moindre idée. Répétons-le, la gnose doctrinale repose sur la conscience du caractère intrinsèquement sacré de l’intellectualité métaphysique et théologique : en tant qu’intellectualité, elle n’est rien d’autre que l’acte naturel d’une intelligence oeuvrant selon ses propres exigences ; en tant que sacrée, elle saisit ses propres contenus comme une grâce du Verbe rayonnant en elle. La gnose doctrinale est donc fonction d’une « conscience gnostique » de l’acte intellectif, d’une esthétique sacrée de l’intelligence, pour laquelle les Idées métaphysiques sont œuvres d’art divin, icônes du Verbe que l’Esprit Saint a peintes dans nos âmes. Assurément, de l’extérieur, cette conscience gnostique de l’acte doctrinal peut apparaître comme une rationalisation de la révélation ou, inversement, comme une mythification religieuse de la philosophie ; d’où les deux lignes divergentes d’interprétations entre lesquelles se partagent les historiens de la gnose et du gnosticisme : hellénisation du christianisme, christianisation de l’hellénisme. Non moins certainement le risque est grand pour le gnosticisme chrétien, soit, par orgueil, de réduire la révélation à quelques formes mentales, tombant ainsi dans l’intellectualisme stérile ; soit, par inintelligence et passion dogmatique, à idolâtrer la forme aux dépens de son contenu, tombant ainsi dans le littéralisme aveugle.
C’est d’ailleurs pourquoi la gnose doctrinale ne saurait être le tout de la gnose. Telle que nous l’avons décrite, elle est ordonnée à la réception de la révélation ; c’est, avons-nous dit, une métaphysique d’accueil. Cela fait entendre qu’elle ne s’accomplit que dans la réception du Verbe incarné : les prémisses gnostiques de l’acte de foi ne prennent tout leur sens que dans la foi elle-même (62). Nous voudrions, pour terminer, en dire un mot.
7) La gnose consommée
Il nous semble que la doctrine que nous venons d’exposer trouve un fondement scripturaire dans le Prologue de l’Evangile de saint Jean. De même que, selon nous, la réception de foi requiert une initiation (dont la nature gnostique n’est évidemment pas perçue par tous), c’est-à-dire l’enseignement d’une science métaphysique sans laquelle la révélation reçue ne saurait avoir tout son sens pour l’intelligence (63), de même Jean commence par énoncer la métaphysique du Verbe divin, Gnose éternelle du Père, prenant bien soin de préciser que c’est ce Verbe qui communique à chaque intelligence humaine (et pas seulement au croyant) sa capacité d’illumination cognitive, et ce n’est qu’après qu’il révèle que le verbe « vint chez lui », qu’Il s’est fait chair », qu’Il « a habité parmi nous », que « nous avons vu sa gloire », et enfin qu’il se nomme Jésus-Christ, l’« exégète du Père » (I, 18). Ainsi est enseigné l’ordre requis pour la réalisation de l’acte de foi, en même temps que la nécessité de l’initiation gnostique et la nature véritable de cette gnose préparatoire qui est lumière émanée du Verbe ; et en effet, c’est « dans ta lumière (que) nous verrons la lumière » (Ps., XXXV, 10), et c’est seulement par elle que nous pourrons voir « la gloire de Jésus-Christ ».
Toutefois, lorsque grâce à la lumière de la gnose, nous voyons la Lumière-faite chair, devant la gloire rayonnante du Verbe incarné, devant « Celui que nos yeux ont vu, que nos mains ont touché » (1er Epi. de Jean, 1), la lumière initiale et initiatrice s’efface dans sa transparence même, la présence de l’Objet divin aveugle tout autre connaissance, et la conscience gnostique doit, en quelque sorte, renoncer à elle-même ; « être objectif, a dit F. Schuon, c’est mourir un peu ». Ainsi de la reconnaissance du Dieu fait Objet, Image visible du Dieu invisible, Gnose faite homme, « plénitude de grâce et de vérité ».
On a parfois soutenu que le christianisme ne comportait pas de voie de pure gnose, comme d’autres cultures religieuses nous en offrent l’exemple, telles l’hindouisme, le taoïsme ou l’islam. A certains égards, cela est tout à fait exact, mais correspond à une vue superficielle des choses, à un double titre : d’abord on ignore qu’en réalité l’élaboration d’une gnose orthodoxe fut spécifiquement l’œuvre du christianisme (de saint Paul à saint Clément d’Alexandrie) ; ensuite on ne comprend pas que le christianisme, étant la religion du Christ, est par là-même la religion de la Gnose incarnée, puisque le Verbe est la Gnose du Père. Or, cette Gnose incarnée est aussi la Voie spirituelle par excellence : « Je suis la voie, la Vérité et la Vie ». Cette affirmation étant absolue, elle comporte nécessairement une garantie inconditionnelle et, en particulier, elle garantit que le christianisme offre les plus hautes possibilités spirituelles, mais évidemment selon la nature de son économie : le Verbe incarné concentrant en lui toute Vérité et toute Grâce, on ne peut trouver en dehors de Lui ce qu’en Lui-même il faut rechercher.
Et en outre, qu’entend-on alors par gnose pure ? sa pureté serait-elle par hasard exclusive de l’amour ? quelle ignorances des réalités spirituelles ! Le soleil de la gnose qui illumine le regard du Maharshi n’est-il pas rayonnant d’amour ? Quel étrange gnostique que celui que redoute de perdre sa gnose dans l’Océan de l’Amour divin ! Et plus encore, tous les maîtres ont enseigné ce que nous enseigne le Prologue de saint Jean. Voici ce que déclare Shankara dans son célèbre poème Atmâbodha (« Connaissance du Soi) ; « Grâce à des exercices répétés, la gnose (jnäna) purifie de ses dualités l’âme vivante souillée par l’ignorance : l’ayant fait, la gnose elle-même doit disparaître, comme la poudre de noix, une fois l’eau purifiée » (64).
En renonçant à elle-même, la gnose, d’une certaine manière, entre dans l’obscurité de la foi, dans ces ténèbres où, nous dit saint Jean, brille la lumière. Et c’est seulement par ce renoncement et cette « passion » qu’elle pourra se transformer dans sa nature même, devenir ce qu’elle est en se convertissant en son Objet, et s’unir à Lui. Cette épreuve gnostique, cette « leçon des Ténèbres » où l’esprit comme Moïse, fait l’ascension de la sainte montagne du Sinaï, la « montagne de la théognosie » (65), c’est celle-là même que refuse le philosophisme, de Hegel à Heidegger, à savoir, l’absorption de la connaissance en son propre contenu transcendant. C’est faute d’avoir perçu la nécessité de cette transmutation intellective que la philosophie moderne s’est vouée, au mieux à la stérilité d’une analyse indéfinie, au pis à la décomposition de son cadavre pourrissant. Hélas ! Combien peu sont en mesure de le comprendre.
Si maintenant nous revenons à l’Evangile, nous constatons qu’il nous enseigne la même vérité sous la figure de saint Jean Baptiste. Pourquoi, en effet, dans ce Prologue qui est la charte de la métaphysique chrétienne, saint Jean éprouve-t-il le besoin de mentionner le Précurseur, celui qui « n’est pas la vraie lumière », introduisant ainsi la rupture d’une contingence historique dans un développement intemporel (66). Fuit homo, Egeneto anthrôpos, littéralement : « Advint (un) homme ». Comme si l’on disait : l’être humain (anthrôpos), et non seulement le masculin (aner), quand il paraît, témoigne de la lumière. Et, en effet, comment parler de la « vraie lumière » avant sa manifestation directe, sinon à partir de son reflet précurseur dans l’homme théomorphe ? Jean Baptiste symbolise l’homme comme tel et donc la gnose doctrinale et préparatrice, celle qui déjà par son existence même, témoigne de l’existence de la lumière et qui, d’autre part, actuée ou reveillée par la grâce divine (cet anthrôpos est apestalmenos, il est « envoyé » de Dieu), purifie l’œil de l’âme et le prépare à la réception de la vraie lumière.
Mais, nous l’avons dit, la fonction de la gnose doctrinale n’est pas seulement de purification, elle est aussi de reconnaissance, car on ne connaît que ce que l’on reconnaît, ce qui fait sens en nous, cela dont, sous l’action de sa rencontre réelle, s’éveille en nous le savoir inconnu. Et c’est en effet le Baptiste, le Dispensateur de l’eau lustrale de la connaissance, qui reconnaît le Christ, le nomme et le désigne publiquement pour la première fois dans l’histoire de l’humanité : « Voici l’agneau de Dieu ».
Or, la fonction gnostique du baptiste ne résulte pas seulement d’une analogie que l’on pourrait estimer accommodatrice. Elle est suggérée de la manière la plus expresse par l’Evangile de saint Luc, et cela jette peut-être une certaine lumière sur l’épisode du livre « gnostique » La descendance de Marie, que nous avons traduit plus haut. Pourquoi, en effet, attacher au nom de Zacharie et aux circonstances miraculeuses qui entourent l’annonce de la naissance de Jean, son fils, la calomnie satanique relative au « dieu onocéphale » et au prétendu meurtre de Zacharie par les juifs ? Pour répondre à cette question, il suffit de lire, en saint Luc, le célèbre « Cantique » que le père du Baptiste chante prophétiquement à sa naissance : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut. Car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses chemins, donner la gnose du salut à son peuple, en rémission de leurs péchés » (I, 76-77). Avec la mention de la « clef de la gnose » (XI, 52), ce sont les seules occurrences évangéliques du terme. C’est donc le « petit enfant » qui donne la gnose du salut, c’est ce qu’il y a dans l’homme de plus originel et apparemment de plus petit, à l’instar du « Petit Poucet », c’est-à-dire l’intellect, qui, à travers la forêt obscure du monde, marchera « devant la face du Seigneur », apportera la connaissance salvatrice, la gnose prophétique du « Très-Haut », en d’autres termes la métaphysique de la transcendance.
Mais lorsque le « Très-Haut » descend « très-bas », lorsque El-Elyon devient Emmanu-El, « Dieu-avec-nous », Dieu immanent, il se produit aussi un renversement « horizontal » : ce qui était « devant » passe « derrière », ce qui était « avant » se change en « après », ce qui était lumière (de la connaissance) devient l’obscurité (de la foi), parce que la lumière réfléchie est ténèbre au regard de la lumière véritable. C’est ce que déclare le Baptiste en saint Jean : « Celui qui vient après moi a passé devant moi parce qu’il était avant moi » (I, 15). L’intellect gnostique n’est pas l’époux de l’âme humaine, mais seulement l’ami de l’Epoux divin : « Il se tient près de lui, il L’écoute, il est ravi de joie à la voix de l’Epoux. Cette joie qui est la sienne est à son comble » ; mais « il faut que l’Epoux croisse et que lui diminue » (III, 29-30). Le Christ lui-même, en saint Matthieu, donne la clef de ce renversement analogique, qui est comme la « signature » du Précuseur : « Parmi les enfants des femmes, il ne s’est pas levé de plus grand que Jean Baptiste ; toutefois le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui » (XI, 11). Ce qui signifie, entre autres, que la moindre élévation de l’être dans la réalité du Royaume est plus grande que la plus grande élévation dans l’ordre de la conscience humaine.
La geste johannique scelle ainsi le destin de la gnose chrétienne. Il faut qu’elle aille jusqu’à son terme, qu’en elle la gnose parvienne au sacrifice capital. Si évidente que soit sa nature prophétique, l’intellect métaphysique demeure cependant, en tant que simplement humain, prisonnier de la pensée hérodienne, c’est-à-dire la pensée adultère du monde, ce
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 19:00
Je ne suis pas particulièrement attiré par la gnose, et pour tout dire, je n'en ai pas besoin. La gnose serait dans ce cas une étape vers une véritable connaissance de l'esprit, c'est à dire un lieu d'ignorance.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 19:05
La Gnose c'est la foi vivante, la voie cardiaque, l'oraison du coeur, tout simplement.
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 22:42
humanlife a écrit:
La gnose serait dans ce cas une étape vers une véritable connaissance de l'esprit, c'est à dire un lieu d'ignorance.
C'est exactement ça !
Pignon a écrit:
La Gnose c'est la foi vivante, la voie cardiaque, l'oraison du coeur, tout simplement.
Amen, Pignon, Amen !
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 18/9/2018, 23:25
Pignon a écrit:
Toi aussi tu confonds Gnose et gnosticisme, cette distinction tu ne l'as connais pas apparemment. Puis si tu avais lu Borella tu saurais qu'il existe une Gnose chrétienne et une gnose anti-chrétienne .
Même la gnose soit-disant chrétienne, comme celle d'un Clément d'Alexandrie, a toujours été suspecte, aux yeux de l'Église. A telle enseigne que, même la démarche théologique d'un saint Anselme, la foi en quête d'intelligence, a dû d'abord protester de son attachement LITTÉRAL aux trois symboles de foi...
Ne t'inquiète pas: nous distinguons très bien gnose de gnosticisme. C'est pourquoi, nous conservons toujours des réticences...
humanlife
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 06:14
Marc Hassyn a écrit:
humanlife a écrit:
La gnose serait dans ce cas une étape vers une véritable connaissance de l'esprit, c'est à dire un lieu d'ignorance.
C'est exactement ça !
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 09:24
saint Zibou a écrit:
Pignon a écrit:
Toi aussi tu confonds Gnose et gnosticisme, cette distinction tu ne l'as connais pas apparemment. Puis si tu avais lu Borella tu saurais qu'il existe une Gnose chrétienne et une gnose anti-chrétienne .
Même la gnose soit-disant chrétienne, comme celle d'un Clément d'Alexandrie, a toujours été suspecte, aux yeux de l'Église. A telle enseigne que, même la démarche théologique d'un saint Anselme, la foi en quête d'intelligence, a dû d'abord protester de son attachement LITTÉRAL aux trois symboles de foi...
Ne t'inquiète pas: nous distinguons très bien gnose de gnosticisme. C'est pourquoi, nous conservons toujours des réticences...
Si tu as la foi, une foi vivante en toi, tu es un "gnostique"
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 10:02
Encore lui :
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 18:00
Invité Invité
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 18:17
Pignon a écrit:
saint Zibou a écrit:
Pignon a écrit:
Toi aussi tu confonds Gnose et gnosticisme, cette distinction tu ne l'as connais pas apparemment. Puis si tu avais lu Borella tu saurais qu'il existe une Gnose chrétienne et une gnose anti-chrétienne .
Même la gnose soit-disant chrétienne, comme celle d'un Clément d'Alexandrie, a toujours été suspecte, aux yeux de l'Église. A telle enseigne que, même la démarche théologique d'un saint Anselme, la foi en quête d'intelligence, a dû d'abord protester de son attachement LITTÉRAL aux trois symboles de foi...
Ne t'inquiète pas: nous distinguons très bien gnose de gnosticisme. C'est pourquoi, nous conservons toujours des réticences...
Si tu as la foi, une foi vivante en toi, tu es un "gnostique"
La foi "vivante" doit s'exprimer en accord avec la Foi de l'Église, conforme aux Écritures:
Romains 10, 9 En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton coeur croit que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. Romains 10, 10 Car la foi du coeur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut.
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:14
Bof... ta réponse, par rapport à ce que développe Jean Borella ci-dessus, c'est, comment dire ... je n 'ai pas de mots pour l'exprimer ... peut-être un : orgueilleux d'avoir tort ou de ne pas comprendre
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humanlife
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:19
Il n'y a vraiment pas de quoi faire une fixette sur jean borella, encore une idolâtrie des gnosiens.
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:24
Jean Borella est un philosophe/théologien hors-norme, un demi-dieu voir plus
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:31
idolâtrie.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:32
yes !
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:34
bon alors. l'idolâtrie n'est pas une qualité chrétienne.
_________________ Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître, même du sabbat.
Pignon
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:36
je l’idolâtre car il parle du Christ de façon savante et juste, en fait, j’idolâtre le Christ à travers Borella, tu captes ?
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:38
ça veut dire que tu n'as pas compris le christianisme. l'idolâtrie de jésus n'est pas une qualité chrétienne.
Pignon
Messages : 19590 Inscription : 18/01/2016
Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape 19/9/2018, 22:40
Jésus est mon idole, je fais ce que je veux de ce point vue là
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Sujet: Re: Pélagianisme et gnoticisme, les combats du pape