Audrey va dire sa détresse au pape
Audrey Le Bivic va rencontrer le pape François, mercredi, au Vatican.
Cette productrice de lait trégorroise est invitée à témoigner de la souffrance du monde agricole.
Aux côtés de 120 confrères européens.
« Quand on a appris que le pape voulait nous rencontrer, on a rigolé avec ma mère », confesse Audrey Le Bivic. Bien que croyante, l'agricultrice n'aurait jamais pensé se tourner vers l'Église pour tenter de retrouver espoir dans sa profession. Depuis dix ans, elle partage sa ferme de Plouaret, près de Lannion (22), avec ses parents, proches de la retraite. Leur exploitation compte 80 vaches, pour 700.000 litres de lait produits par an.
Pas écoutée par l'État
Syndiquée à l'Apli (Association des producteurs de lait indépendants), la jeune femme de 33 ans ne décolère pas contre le système agricole qu'elle déclare subir : « Il n'y a pas d'outils de gestion de crise. Et le syndicat majoritaire (FNSEA, NDLR) pense que le marché du lait va se réguler tout seul. Contrairement à nous, à l'Apli ». Mais l'éleveuse ne se sent pas écoutée par l'État, ni par l'Europe. Pire, elle s'estime dépossédée de son travail.
« Je m'efforce de produire un lait de qualité mais les coopératives en font ce qu'elles veulent. Les grandes surfaces, elles, réalisent de belles marges dessus. Et moi, qui n'arrive pas à me dégager un revenu, je perds la confiance des consommateurs, alors que je n'y suis pour rien ». Un constat qui est le résultat de nombreux facteurs, dont une surproduction européenne et une baisse systématique des prix.
Une rencontre « symbolique »
Mercredi, à 8 h, Audrey Le Bivic fera part de sa colère et de sa détresse devant le pape, au Vatican. Aux côtés de 120 éleveurs laitiers représentant 14 pays européens, tous membres de l'EMB (European Milk Board), unique syndicat agricole international, dont l'Apli fait partie.
« Nous serons une dizaine de Français, dont deux Bretonnes », précise l'agricultrice qui peine à réaliser l'événement. « La rencontre est symbolique. Le pape se rend compte que nous sommes dans une impasse ». François a déjà témoigné en faveur d'une agriculture « durable » et « solidaire », dénonçant même les dérives de la spéculation sur les matières premières agricoles. Ce qui ne laisse pas insensible la productrice trégorroise.
« C'est la mission de l'Église »
« Ce pape est ouvert à l'être humain, aux "gens de la base". L'État, lui, n'écoute plus cette "base". Le pape n'a pas de pouvoirs directs sur le système mais il a une influence mondiale. Il peut faire prendre conscience aux consommateurs que le monde agricole souffre. Et que demain, si rien ne change, les gens mangeront de plus en plus mal, avec tout ce que ça induit sur le climat, les maladies... ». Pour l'éleveuse, ce message, qui s'inscrit dans « la mission de l'Église », pourrait « permettre une évolution du système ». Elle sait déjà que si rien ne change, elle perdra la foi dans son métier. « C'est certain, je n'attendrai pas d'avoir 50 ans pour changer de branche ».
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