La quête du plus jeune prêtre de l'archidiocèse de Québec
Normand Provencher
Le Soleil
(Québec) Il y a une dizaine d'années, Thomas Malenfant menait sa vie à 200 à l'heure. Il demeurait à Montréal dans «une commune complètement bordélique», un grand neuf et demi toujours bondé. Les soirées bien arrosées s'étiraient jusqu'au petit matin. Thomas était dans la jeune vingtaine, avait une blonde, des tas d'amis, une grande famille et voulait devenir infirmier. Malgré tout, une profonde insatisfaction lui taraudait l'existence.
Le jeune homme que Le Soleil rencontre, dans un café de la rue Saint-Jean, se présente vêtu de son nouvel habit de travail : pantalon noir et chemise noire avec... col romain. À 32 ans, Thomas est maintenant prêtre, qui plus est, le plus jeune de l'archidiocèse de Québec. Ordonné en juin, il est établi à Plessisville où, en collaboration avec huit autres collègues, il préside les messes et cérémonies religieuses dans la grande région de L'Érable.
Barbe bien taillée, chevelure impeccable, petites lunettes, le jeune trentenaire parle avec abondance et humour de son passé tumultueux, de ses multiples remises en question, de sa recherche d'authenticité et de vérité, deux mots qu'il a faits siens tout au long de sa quête existentielle.
«À l'époque, je voulais vivre ma vie à mon goût, faire le party en masse, mais est arrivé un moment où je n'avais plus du tout de fun, explique-t-il, attablé devant un café noir. Je me suis rendu compte que je n'étais pas capable de me rendre heureux tout seul. J'étais toujours dans le calcul. Tout ce que je vivais devait me rapporter quelque chose.»
Né à La Pocatière, arrivé à Québec en bas âge, le jeune Thomas a grandi auprès de parents qui ont renoué avec la religion sur le tard, dans le mouvement néocatéchuménal, basé sur la redécouverte du baptême. À 18 ans, l'aîné d'une famille de 11 enfants quitte le domicile familial pour la métropole, avec sa copine qu'il fréquente depuis l'adolescence. Il s'inscrit en soins infirmiers à l'Université de Montréal, travaille à temps perdu auprès des malades psychiatrisés, à l'hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine.
En 2005, Thomas débarque aux Journées mondiales de la jeunesse, en Allemagne. C'est le déclic, un événement marquant dans sa vie. La graine est semée et commence à germer. Thomas rompt avec sa copine et entame un cheminement spirituel de neuf ans vers le sacerdoce, entrecoupé d'un séjour à Madagascar comme séminariste missionnaire. Plus d'une fois, il remet en question sa vocation, surtout à son retour au pays.
Son prénom, inspiré de l'apôtre de l'incrédulité, témoigne de ses périodes de doute. C'est toutefois le disciple Mathieu qui lui parle le plus. «C'est quelqu'un qui était toujours dans le calcul. C'était un crosseur professionnel. Dans l'Évangile, Jésus lui dit : "Lève-toi et suis-moi. Il se leva et le suivit." Pas de tétage ni de tataouinage. Pour un gars compliqué comme moi, qui se fait toujours des plans au troisième degré, c'est une phrase qui m'inspire. J'essaie de m'en rappeler tous les jours.»
Brasser la cage
Authenticité, le maître mot de Thomas, disions-nous, revient souvent dans la conversation. Il déplore que trop de fidèles, même parmi les plus âgés, assistent à la messe par habitude, sans conviction. «Ils pourraient aller jouer aux quilles, ce serait la même chose...» Il préfère présider de petites cérémonies où la participation est sentie, réelle, non feinte.
De la même façon, il se rappelle de la joie qu'il a éprouvée à travailler auprès des patients atteints de troubles psychiatriques. «Cette authenticité me manque. Ils sont vrais; fuckés, mais vrais, même s'ils souffrent beaucoup.»
À l'image de la plupart des jeunes qui aiment secouer la cage trop souvent conformiste de leur milieu de travail, Thomas n'hésite pas à le faire à l'égard de l'Église catholique, qui aurait comme défaut de confondre autorité et vertu. «Je suis écoeuré des curés et d'une Église qui se posent en modèles spirituel et moral. Comme s'ils étaient meilleurs que les autres, qu'ils l'avaient, l'affaire. Moi, je ne suis pas dans cette game-là.»
Pape François
À l'inverse, il comprend l'engouement des fidèles pour le pape François, dans une société désespérément en quête de héros. «Il est extraordinaire, rafraîchissant. Il fait le ménage. Il est le premier à ne pas se mettre à l'avant. Il n'est pas là pour faire un one man show.»
Malgré son jeune âge, Thomas ne carbure pas aux médias sociaux. S'il apprécie Internet pour la fabrication de sites permettant de faire connaître au plus grand nombre son ministère, il a Facebook en sainte horreur. «Je trouve ça intellectuellement aberrant et dangereux. C'est [un outil] essentiellement passif qui te fait vivre par procuration. C'est une façon "formatée" d'entrer en relation avec les autres, un succédané aux relations humaines qui offre un côté plus rassurant que d'avoir quelqu'un assis en face de toi.»
Mais ne compare-t-on pas souvent Facebook au perron d'église d'autrefois où les gens s'échangeaient les dernières nouvelles? «Oui, mais tous les perrons d'église n'appartenaient pas à la même business qui a pour seul objectif de faire de l'argent.»
Une baisse d'effectifs inquiétante
La diminution importante du nombre de candidats à la prêtrise pose «un très gros défi» à l'archidiocèse de Québec. «Dans mon jargon, je ne parle pas d'une évolution, mais d'une mutation. Nous devons maintenant faire les choses d'une manière complètement différente», mentionne Michel Poitras, recteur du Grand Séminaire de Québec.
Les candidats ne se bousculent pas aux portes de l'établissement du Vieux-Québec, une dizaine seulement cette année, dont deux en première année. Rien à voir avec les cohortes d'autrefois. «À mon époque, lorsque je suis entré au Grand Séminaire, au début des années 70, nous étions une quarantaine en première année, sur plus de 100 séminaristes», se souvient M. Poitras.
Les chiffres font foi de tout. En 1960, l'archidiocèse de Québec comptait 1021 prêtres diocésains (relevant de l'évêque) et 395 prêtres religieux (rattachés à une communauté). Selon le plus récent relevé, ces nombres ont chuté cette année à 344 et 258 respectivement.
«Ça m'inquiète. La tâche [des nouveaux prêtres] est plus dure et plus complexe», déplore M. Poitras. Faute de relève en nombre suffisant, les curés doivent prendre en charge des territoires de plus en plus vastes, transformant du coup la dynamique pastorale de leur ministère et les relations avec leurs fidèles. Il n'est pas rare de voir des prêtres avoir à s'occuper d'une dizaine de paroisses. «C'est sûr que pour quelques fidèles, la diminution des liens de proximité peut être vécue comme une perte.»
D'où la nécessité de trouver de nouvelles approches, insiste-t-il. Comme une collaboration plus étroite avec les laïcs de la communauté, appelés à jouer un rôle plus important, par exemple dans l'enseignement de la catéchèse ou la préparation à la première communion.
Plus de prêtres en Afrique et en Asie
En 2014, le nombre de prêtres dans le monde a augmenté de 895 par rapport à l'année précédente, pour atteindre 414 313. C'est en Europe (- 1375), dans les Amériques (- 90) et en Océanie (- 80) que les diminutions sont les plus marquées. En revanche, des hausses ont été enregistrées en Asie (+ 1364) et en Afrique (+ 1076). En 2010, le nombre de catholiques sur la planète était évalué à 1,228 milliard, une augmentation de 15 millions par rapport à l'année précédente. (Source : Agence Fides)
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