L'Eglise, ou la longévité par la gouvernance
LE MONDE ECONOMIE | 25.03.2013 à 17h45 Pierre-Yves Gomez (Professeur à l'EM Lyon, directeur de l'Institut français de gouvernement des entreprises et président de la Société française de management)
Il est devenu banal de dire que l'Eglise catholique est la plus vieille organisation du monde. Fondée il y a 2 000 ans, elle a poursuivi son activité sans changer ni de nom ni de siège, donnant un exemple unique de longévité institutionnelle.
D'un point de vue strictement profane, son objet social est de rendre des services à ses membres, en encourageant leur progrès spirituel, en proposant des sacrements et en organisant une vie de communauté rythmée par des rituels. Bénéficiaires de ses prestations, les fidèles en sont aussi les producteurs, ce qui l'inscrit dans une économie de services que les entreprises contemporaines commencent seulement à explorer.
Au cours de son histoire, l'Eglise a régulièrement modifié ses structures de gouvernance pour adapter son objectif à son environnement. Dès les premiers siècles, elle a quadrillé l'espace en paroisses et en diocèses de manière à produire les services au plus près de leurs bénéficiaires.
RÉSEAUX
A partir du Ve siècle, les ordres monastiques se sont organisés en réseaux dont l'extension en Europe fut le résultat de leur forte autonomie d'action.
Au XIIIe siècle, les universités ont multiplié les lieux de production de savoir théologique concurrents, tandis que l'Inquisition constituait, au contraire, une juridiction unifiée.
Au XIXe siècle, le pouvoir du pape a été consolidé quand les missionnaires sont allés propager de nouvelles communautés en Afrique et en Asie. Si elle a duré, c'est que l'Eglise a renouvelé sa gouvernance en combinant la centralisation et la décentralisation, le global et le local.
GÉRER UNE DIVERSITÉ NOUVELLE
Comment maintenir l'unité globale (en grec, "catholique" signifie universel) d'une Eglise composée de milliers de microcommunautés locales, paroisses, associations, mouvements ou congrégations, dans lesquels se réalisent l'essentiel des services aux fidèles ? Comment éviter l'émiettement et établir la cohérence de ce corps ?
Depuis des siècles, une personne morale, le Saint-Siège, assume le gouvernement central autour du pape et d'une administration, la Curie. Ce "siège social" exerce des fonctions décisives comme la nomination des évêques, le contrôle des risques de dérives sectaires ou le maintien d'un minimum de doctrine commune. Il doit être continuellement réorganisé pour répondre à l'expansion du catholicisme.
Car la communauté catholique est confrontée à une situation sous-estimée : la croissance massive et rapide du nombre de ses membres. En 1975, on comptait 750 millions de catholiques dans le monde.
LE CHOC EST ÉNORME
Ils sont aujourd'hui 1, 2 milliard, soit 40 % de plus en moins de quatre décennies. A l'échelle d'une organisation millénaire, le choc est énorme. D'autant que l'équilibre démographique du monde s'est déplacé vers le sud. Il faut gérer une diversité nouvelle en maintenant des structures souples pour ne pas inhiber le développement local, mais avec un contrôle suffisant pour éviter la dislocation.
La gouvernance actuelle est encore trop centrée sur l'Europe. De plus, contrairement à une idée reçue, le Saint-Siège pèche par son manque de moyens. Son budget annuel de 250 millions d'euros représente 3 % de celui d'une ville comme Paris et il emploie 7 000 personnes, cinq fois moins que Paris. Il en résulte des lenteurs et des prudences incompatibles avec le développement de l'Eglise sur le terrain.
Le nouveau pape devra trouver les clés de la gouvernance répondant à cette étape de la mondialisation de l'Eglise. Il n'est pas le seul. Les entreprises sont elles aussi confrontées au problème d'une extension rapide et mondiale.
Pour maintenir l'unité, elles s'épuisent depuis des années en dispendieux systèmes de contrôle financiers. Sans attendre de miracles, celles qui veulent durer pourraient observer avec intérêt ce que va imaginer la vieille et toujours inventive organisation catholique.
Pierre-Yves Gomez (Professeur à l'EM Lyon, directeur de l'Institut français de gouvernement des entreprises et président de la Société française de management)