9 avril, dimanche des Rameaux et de la Passion
extrait de l'évangile : Mc 14, 6-10
Aujourd'hui, il y a deux évangiles, et le récit de la Passion est très long. J'ai choisi le passage où une femme vient verser du parfum sur la tête de Jésus, et où les apôtres protestent qu'on aurait pu vendre le parfum et donner l'argent aux pauvres. Voici la réponse de Jésus.
"Laissez-la ! Pourquoi la tourmentez-vous ? Elle a fait une belle œuvre sur moi. Toujours vous avez les pauvres avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, mais moi vous ne m'avez pas toujours. Elle a fait avec ce qu'elle avait (littéralement : elle a fait ce qu'elle a eu). Elle a pris de l'avance pour parfumer mon corps pour la sépulture. Amen je vous dis, là où (ou : quand) sera annoncée la Bonne Nouvelle vers le monde entier, aussi ce qu'a fait celle-ci sera dit en mémoire d'elle."
Et Judas Iscariote, l'un des douze, partit vers les grands-prêtres pour le livrer.
J'ai retraduit le texte, ce n'est pas élégant mais c'est littéral. Le texte liturgique disait : "C'est une action charitable qu'elle a faite envers moi". C'est très beau, cette idée que nous, humains, nous pouvons être charitables envers Dieu, et il y a de quoi méditer et s'émerveiller. Mais voulant voir le terme exact employé, j'ai découvert qu'en fait dans le texte grec il n'y a pas le mot "charité" mais simplement "belle œuvre", et le texte latin dit "bonne œuvre", car pour les Grecs, le beau et le bon sont liés, donc souvent on traduit "beau" par "bon".
Le texte ne dit pas non plus "envers moi", car la préposition employée ("en") ne signifie rien d'autre que "dans" ou "sur", et en effet la femme a travaillé "sur" la tête de Jésus.
J'ai fait une autre découverte bien plus considérable. La traduction française dit : "Vous aurez toujours des pauvres (en fait, le grec dit "les pauvres" et non "des pauvres") avec vous, et quand vous voudrez, vous pourrez etc, mais moi vous ne m'aurez pas toujours". En fait, dans le texte grec, tous ces verbes sont au présent ! Depuis des siècles, certains utilisaient cette interprétation au futur pour justifier les inégalités sociales, comme si c'était une fatalité. Mais pour Dieu, il n'y a pas de futur ni de passé. Il n'y a pas conflit entre la contemplation et l'action, entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain. La vie, c'est aujourd'hui, pas demain. C'est aujourd'hui que je dois me convertir, être attentive aux autres, reconnaître la présence de Dieu dans ma vie. Souvent nous portons des fleurs sur la tombe de personnes que nous avons négligé d'aller voir de leur vivant. N'attendons pas qu'il soit trop tard !
Il est émouvant de voir Jésus, en tant qu'homme, être touché des attentions que quelqu'un a pour lui. C'est bien rare qu'il réclame des égards pour lui-même. Il sait qu'il va bientôt mourir et il y a une certaine mélancolie.
L'éloge qu'il fait de la femme rappelle la phrase de Marie dans le Magnificat : "Tous les âges me diront bienheureuse".
Et aussitôt le récit enchaîne avec la trahison de Judas. La "belle œuvre" de cette femme est la goutte d'eau (ou de parfum) qui fait déborder le vase de son incompréhension et de sa révolte. Et là, on peut penser à la révolte de Lucifer qui, d'après certains théologiens, a été causée par la création de l'homme et surtout de la femme, et à l'indignation du bel ange devant la dignité accordée à des êtres d'aussi chétive importance.
Mais il ne faut pas croire les apparences : dans le royaume des Cieux, c'est la plus petite qui est la plus grande…
(méditation de l'association Pierre Valdès)