Philippe Fabry
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| Sujet: La charité selon Philippe Nemo 11/2/2011, 09:27 | |
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- Le Temps d’y Penser : Pour revenir à la confusion entretenue
entre socialisme et solidarité, elle est d’autant plus efficace que le terme solidarité fait vibrer la fibre chrétienne. Il évoque tout naturellement la notion de charité. Et l’épiscopat français est tombé dans le panneau et cautionne encore cette confusion. Comment expliquez-vous cet aveuglement collectif massif ? Philippe Nemo : J’espère seulement que certains évêques sont moins aveugles que d’autres. L’erreur que commet la majorité d’entre eux peut s’expliquer comme suit. Le christianisme, c’est la charité, et la charité consiste à vouloir délivrer autrui du mal, à diminuer toutes les souffrances. Cela ressemble à la « fraternité » entendue au sens anthropologique, c’est-à-dire au sentiment de proximité qui lie les membres d’une même famille ou d’une même tribu. Or là est l’erreur, car la charité n’est ni un concept psychologique ni un concept sociologique, c’est une notion théologale qui transcende les catégories empiriques (comme l’a dit admirablement Pascal dans son texte sur les trois ordres). D’abord, elle diffère de toute « fraternité » en ce que celle-ci, comme tout sentiment communautaire, comme la justice naturelle elle-même, implique la réciprocité, alors que la relation charitable au prochain est essentiellement dissymétrique (comme l’a bien montré Levinas : je dois tout à autrui, et s’il est vrai qu’autrui, lui aussi, me doit tout, c’est son affaire ; je lui dois tout, quand bien même il ne me paierait pas de retour). D’autre part, la charité ne se limite pas à sa figure « samaritaine », cette charité immédiate qui consiste à aider directement les pauvres et à soigner les malades, dont le Christ a donné plusieurs exemples. Car la lecture de l’Évangile montre que le Christ n’a pas prôné cette seule forme de charité. Le « prochain » n’est pas uniquement celui qui est proche dans l’espace, la chair qui est à quelques centimètres de ma chair. Le Christ est mort pour sauver tous les hommes, ceux du passé, du présent et de l’avenir, maints humains qu’il n’avait jamais vus, qui étaient pour lui des « prochains » au sens théologal, mais des « lointains » au sens empirique du terme. D’où l’on peut déduire que toute personne qui accomplit sciemment et volontairement une tâche qui a pour effet d’améliorer le monde pratique la charité. La charité ne consiste pas seulement à donner de l’argent aux pauvres de la main à la main ou à toucher le lépreux. Elle peut également demander de produire des œuvres de science et des œuvres d’art qui élèvent l’humanité et améliorent son existence. Je pense qu’il y a une charité du savant, de l’artiste, également de l’homme d’État et même, peut-être, du soldat. L’Église le sait bien, qui a canonisé des docteurs et des rois. Quand on pense à toute la joie et à l’élévation de l’âme que la musique de Jean-Sébastien Bach prodigue encore, des siècles après la mort du compositeur, à des myriades d’auditeurs qu’il ne connaissait pas et dont il ne pouvait même pas imaginer l’existence, on se dit que Jean-Sébastien devait être animé par une charité singulièrement puissante. Cette modalité de rayonnement d’un homme, capable de produire du Bien si loin de soi, au-delà des siècles et des continents, est peut-être une forme de sainteté. De même, il y a peut-être beaucoup de charité chez un scientifique qui poursuit avec persévérance et abnégation des recherches apparemment froides et désintéressées, mais qui pourront avoir pour conséquence, même très lointaine, même absolument invisible aujourd’hui, de soulager les souffrances des hommes. Quand bien même ce scientifique serait, à titre privé, un vrai ours, que son entourage le trouverait rêche et pénible, voire méchant…, peut-être Dieu, à la porte de son Ciel, le jugera-t-il aussi charitable que l’infatigable « petit frère des pauvres » dont les psychologues, depuis La Rochefoucauld, ont montré qu’il pouvait tirer de son activisme quelque bénéfice narcissique et quelques plaisirs substantiels en termes d’accomplissement de soi, et avoir donc déjà sa récompense en ce monde. Tout cela pour dire que, contrairement à ce que pensent certains chrétiens et même certains clercs, le christianisme n’a rien à voir avec aucune forme de communautarisme, de solidarisme et de socialisme, ou, pour parler comme Karl Popper, avec aucune forme de « société fermée ». Extrait de http://www.letempsdypenser.fr/2010/09/ philippe-nemo-liberalisme-et-christianisme/ _________________ "Les désastres nous enseignent l'humilité" Saint Anselme de Canterbury « N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième. » Frédéric Bastiat Pensez à visiter mon blog : http://www.historionomie.com
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